La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/04/2021 | FRANCE | N°19/017141

France | France, Cour d'appel d'Orléans, C1, 15 avril 2021, 19/017141


COUR D'APPEL D'ORLÉANS

CHAMBRE COMMERCIALE, ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE

GROSSES + EXPÉDITIONS : le 15/04/2021
la SCP THAUMAS AVOCATS ASSOCIES
la SELARL 2BMP
ARRÊT du : 15 AVRIL 2021

No : 96 - 21
No RG 19/01714
No Portalis DBVN-V-B7D-F544

DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du Tribunal de Commerce de TOURS en date du 15 Mars 2019

PARTIES EN CAUSE

APPELANTE :- Timbre fiscal dématérialisé No: 1265240175432146
S.A.S.U. VIVOG (ANCIENNEMENT [Y])
[Adresse 1]
[Adresse 1]

Ayant pour avocat postulant Me Sofia VIGNEUX, membre de

la SCP THAUMAIS AVOCATS ASSOCIES AVOCATS et pour avocat postulant Me Martin GRASSET, avocat au barreau de LILLE

D'UNE PA...

COUR D'APPEL D'ORLÉANS

CHAMBRE COMMERCIALE, ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE

GROSSES + EXPÉDITIONS : le 15/04/2021
la SCP THAUMAS AVOCATS ASSOCIES
la SELARL 2BMP
ARRÊT du : 15 AVRIL 2021

No : 96 - 21
No RG 19/01714
No Portalis DBVN-V-B7D-F544

DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du Tribunal de Commerce de TOURS en date du 15 Mars 2019

PARTIES EN CAUSE

APPELANTE :- Timbre fiscal dématérialisé No: 1265240175432146
S.A.S.U. VIVOG (ANCIENNEMENT [Y])
[Adresse 1]
[Adresse 1]

Ayant pour avocat postulant Me Sofia VIGNEUX, membre de la SCP THAUMAIS AVOCATS ASSOCIES AVOCATS et pour avocat postulant Me Martin GRASSET, avocat au barreau de LILLE

D'UNE PART

INTIMÉE : - Timbre fiscal dématérialisé No: 1265242179926379
La Société GROOMING ACCESS, venant aux droits de la S.A.S. AGC CREATION
[Adresse 2]
[Adresse 2]

Ayant pour avocat Me Vincent BRAULT- JAMIN, membre de la SELARL 2BMP, avocat au barreau de TOURS

D'AUTRE PART

DÉCLARATION D'APPEL en date du : 10 Mai 2019
ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 09 Janvier 2020

COMPOSITION DE LA COUR

Lors des débats à l'audience publique du JEUDI 18 FEVRIER 2021, à 14 heures, Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, en son rapport, et Madame Fanny CHENOT, Conseiller, ont entendu les avocats des parties en leurs plaidoiries, avec leur accord, par application de l'article 786 et 907 du code de procédure civile.

Après délibéré au cours duquel Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel D'ORLEANS, et Madame Fanny CHENOT, Conseiller, ont rendu compte à la collégialité des débats à la Cour composée de :

Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS,
Madame Fanny CHENOT, Conseiller,
Madame Nathalie MICHEL, Conseiller,

Greffier :

Madame Marie-Claude DONNAT, Greffier lors des débats et du prononcé,

ARRÊT :

Prononcé publiquement par arrêt contradictoire le 15 AVRIL 2021 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE :

La SAS [Y], spécialisée dans la fabrication et le négoce de produits d'hygiène et de cosmétiques pour animaux domestiques a été créée par M. [T] [Y] en 1988.

Par acte du 24 avril 2009, le capital social de la SAS [Y] a été cédé à la société Télé-animaux.com, exerçant une activité de holding de sociétés spécialisées dans le secteur animalier, qui est devenue l'associé unique de la SAS [Y].

Par acte du 2 décembre 2014, la société Télé-animaux.com a cédé à la société holding Adelie Invest la totalité des actions qu'elle détenait dans le capital social de la société [Y].

Le 26 mai 2015, la société [Y] a changé de dénomination sociale et est devenue la société Vivog. Elle occupait trois bâtiments loués à [Adresse 3] appartenant à la SCI [Personne physico-morale 1] ayant pour gérant M. [T] [Y] et a donné congé pour l'un des bâtiments (situé au [Adresse 4]), avec effet au 31 décembre 2014.

M. [T] [Y] et son épouse ont créé en avril 2009 la société Etude gestion conseil (EGC), ayant son siège social à [Adresse 5] et pour activité le conseil en gestion et management d'entreprises. Par décision de son assemblée générale du 7 avril 2015, la société Etude gestion conseil (EGC) qui avait déposé le 25 mars 2015 la marque "AGC Création" sous le numéro 4167947, a étendu son activité au négoce de marchandises, à la création de produits et à la sous-traitance de services, a changé sa dénomination pour celle de "AGC création" et a transféré son siège social au [Adresse 4].

Indiquant avoir progressivement découvert que la société AGC Création (société AGC) se rendait coupable de faits de concurrence déloyale par détournement de clientèle par vol de fichiers, confusion et dénigrement, la société Vivog l'a fait assigner par acte d'huissier du 6 juillet 2017 devant le tribunal de commerce de Tours, afin d'obtenir des dommages et intérêts à hauteur de 200.000 € en réparation du préjudice subi, la remise sous astreinte du fichier-clients détourné, ainsi que la publication de la décision.

Par jugement du 15 mars 2019, le tribunal de commerce de Tours a débouté la société Vivog de toutes ses demandes et l'a condamnée à payer à la société AGC Création la somme de 1500€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens, dont les frais du greffe taxés à 79,71€.

Le tribunal a retenu, au sujet du détournement de fichier par vol qu'il était normal de retrouver des fichiers clients identiques ou fortement similaires puisque les sociétés étaient directement concurrentes, au sujet de la confusion entretenue que les marques et logos des sociétés ne peuent être confondus et qu'on ne pouvait reprocher à M. [Y] d'utiliser son patronyme, et sur le dénigrement, que la preuve n'était pas rapportée.

La société Vivog a interjeté appel du jugement par déclaration du 10 mai 2019 en intimant la société AGC Création et critiquant tous les chefs de la décision. Elle demande à la cour par dernières conclusions du 8 août 2019 de :
Vu l'article 1240 du Code civil ;
Vu les pièces énumérées au bordereau annexé à la présente assignation ;
Réformer en tous points le Jugement du Tribunal de Commerce de Tours du 15 mars 2019
Statuant de nouveau,
Sur la concurrence déloyale :
Dire et juger que le fait pour la société AGC Création de profiter indûment des investissements réalisés par la société Vivog, afin de profiter de la notoriété de ses produits, sans bourse délier et en procédant à des actes de concurrence dépassant le cadre de la loyauté en matière commerciale est constitutif d'actes de concurrence déloyale et parasitaire au sens des dispositions précitées ;
Condamner la société AGC Création à payer à la société Vivog la somme de 200.000 € à titre de dommages-intérêts provisionnels, sauf à parfaire, en réparation du préjudice matériel et moral subi du fait des agissements déloyaux et des actes de parasitisme commis ;
Sur les mesures complémentaires
Ordonner à la société AGC Création, dans un délai de 10 jours à compter de la signification du jugement à intervenir et sous astreinte de 1.000 euros par infraction constatée, le Tribunal se réservant le droit de liquider l'astreinte directement, la remise du fichier clients litigieux ainsi que toutes ses copies, et sur tous supports ;
Ordonner la publication du dispositif de l'arrêt à intervenir dans une publication, au choix de la société Vivog, et aux frais avancés d'AGC Création, sur simple présentation d'un devis, dans la limite de 5.000 € HT par publication, et ce sous astreinte de 1.000 € par jour de retard, à compter de la communication, par la société Vivog à AGC Création du devis, étant entendu que Vivog lui communiquera le bon à tirer correspondant dans un délai de 15 jours à compter de la réception dudit règlement;
Condamner solidairement la société AGC Création à payer à la société Vivog la somme globale de 10.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile
Condamner l'intimée aux entiers dépens, en ce compris les frais d'huissier et de sachants
consécutifs aux Ordonnances des 3 février et 19 décembre 2016.

Elle reproche en premier lieu à la société AGC Création un détournement de clientèle par vol de fichier et fait valoir :
- qu'elle a obtenu, par ordonnance du 3 février 2016, la désignation d'un huissier assisté d'un expert informatique, avec mission de se rendre au siège social de la société AGC Création et au domicile et dans le véhicule de Mme [H] [E] [Y], ancienne salariée de la société [Y] et que cette mesure s'est révélée infructueuse ce qui était logique car l'expert informatique s'est contenté d'effectuer des recherches avec le seul mot clé "Vivog",
- que l'examen des catalogues AGC Création qui ont été retournés à la société Vivog, en raison d'une erreur de la poste liée à la proximité immédiate des sièges des deux sociétés, démontre que les erreurs contenues dans le fichier clients de la société Vivog (changements d'activités ou d'adresses de certains clients) se retrouvent à l'identique dans le mailing de la société AGC Création ce qui ne peut résulter de coïncidences et démontre que le listing clients dont s'est servi la société AGC Création provient d'une base de données appartenant à la société Vivog,
- que ce détournement a été confirmé par le constat d'huisser réalisé par Maître [Q] le 19 janvier 2017 à la suite d'une nouvelle ordonnance sur requête rendue le 19 décembre 2016, qui a révélé que l'onglet "Téléchargement" d'un poste informatique de la société AGC Création contenait un document en date du 7 janvier 2016, intitulé "Adresse.mail.xlsx" contenant les adresses mails figurant dans l'extrait de fichiers clients de la société Vivog,
- que s'il est admis par la jurisprudence que le démarchage de la clientèle de l'ancien employeur peut être licite, c'est à la condition qu'il ne s'accompagne pas de procédés déloyaux ce qui est le cas ici, la société AGC n'expliquant d'ailleurs pas comment les erreurs d'adressage commis par Vivog dans son fichier client se retrouvent dans un listing prétendument acheté 550 € en 2015.
Sur la confusion entretenue, elle soutient :
- que la société Vivog a fait déposer la marque "[Y]" no4208814 pour divers produits liés au toilettage pour animaux familiers et l'usage que M. [T] [Y] fait de son nom patronymique ne doit pas porter atteinte à la marque "[Y]" de la société Vivog,
- que pourtant, M. [T] [Y] fait usage de son nom, non comme nom patronymique, mais comme nom de société, de surcroît spécialisée dans une activité concurrente puisque notamment, le site www.agc-Création.com porte la mention "AGC Création developped by [T] [Y]" et cette mention se retrouve également sur certains produits,
- qu'il en résulte pour les clients une confusion d'autant plus importante que les deux sociétés étaient immédiatement voisines l'une de l'autre, au [Adresse 3], ce qui a conduit la société Vivog à déménager le 1er janvier 2018.

Enfin, la société Vivog fait valoir que la société AGC Création l'a dénigrée. Elle invoque un préjudice résultant de la confusion entretenue, au titre du manque à gagner commercial, du détournement de la clientèle de la demanderesse ayant entraîné une perte de revenus pour la société Vivog et du dénigrement qui entraîne nécessairement un préjudice fût-il seulement moral.

La société AGC Création aux droits de laquelle vient la société Grooming access, demande à la cour, par dernières conclusions du 6 novembre 2019 de:
Vu notamment l'article 1240 du Code civil,
Vu les pièces versées aux débats
Déclarer la société Vivog irrecevable et mal fondée en son appel dirigé à l'encontre du jugement rendu par le tribunal de commerce de Tours du 15 mars 2019, et en conséquence l'en débouter,
Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Vivog de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions, mais l'infirmer uniquement en ce qu'il a écarté la demande de condamnation de la société Vivog à verser des dommages et intérêts à la Société AGC Création devenue Société Grooming Access, exerçant sous le nom commercial AGC Création, et, en conséquence,
Statuant à nouveau :
Débouter la société Vivog de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
Condamner la société Vivog à payer à la société Grooming Access, exerçant sous le nom commercial AGC Création, la somme de 10.776,00 euros à titre de dommages et intérêts,
Condamner la société Vivog à payer à la société Grooming Access, exerçant sous le nom commercial AGC Création, la somme de 6.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamner la société Vivog aux entiers dépens, qui comprendront les frais éventuels d'exécution, tant de première instance que d'appel, et pour ceux d'appel distraction est requise au profit de la Selarl 2BMP, conformément à l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Elle soutient que la société Vivog ne rapporte pas la preuve de la concurrence déloyale qu'elle invoque car :
- les deux sociétés ont des marques totalement différentes et des logos ne pouvant être confondus,
- que chacun a le droit légitime d'utiliser son patronyme, étant précisé que la société Vivog a déposé la marque "[Y]" sans autorisation de M. [Y] 9 mois après que la société AGC Création ait déposé sa propre marque, qu'elle n'a jamais utilisé commercialement la marque "[Y]" depuis son dépôt et qu'on ne voit pas en quoi les publicités commerciales faisant apparaitre le slogan publicitaire « AGC Création developped by [T] [Y]» ou «[Y]- AGC Création » seraient de nature à être confondues avec les marques « Pet Products Vivog [Localité 1] » et « Vivog Professional France »,
- qu'en outre, la marque "[Y]" porte atteinte à l'antériorité du droit du tiers visé à l'article L. 711-4 du code de la propriété intellectuelle qui stipule que ne peut être adopté comme marque un signe portant atteinte à des droits antérieurs, et notamment (...) au droit de la personnalité d'un tiers, notamment à son nom patronymique, de sorte que la société Vivog ne peut imputer à faute à la société AGC Création une prétendue confusion qui, à la supposer établie, ne résulterait que de sa propre faute,
- que la société AGC Création a le droit de s'installer dans les locaux de son choix, même à proximité de sa concurrente, en l'absence de toute clause de non-concurrence,
- que le fichier client retrouvé dans son ordinateur a été acheté par la société AGC Création le 30 juin 2015 et n'a aucunement été détourné par Mme [E] [Y],
- qu'ainsi que l'a retenu le tribunal, les sociétés Vivog et AGC Création sont concurrentes directes et s'adressent à la même clientèle, de sorte que les fichiers qu'elles achètent ou créent, contiennent nécessairement des prospects ou des clients identiques et le fait de retrouver les coordonnées de 9 clients tant dans la base de données de la société Vivog que dans le fichier de la société AGC Création ne démontre en rien la captation de son fichier clients par la société AGC Création, d'autant que sur ces 9 noms, deux comportent des adresses différentes dans les deux fichiers ;
- qu'il n'y non plus eu aucun détournement du savoir-faire de la société Vivog
- qu'une concurrence "frontale" n'est pas une concurrence déloyale, la jurisprudence ayant toujours retenu que ne constituait pas un acte de concurrence déloyale le fait de commercialiser un produit similaire à celui d'un concurrent en l'absence de risque de confusion sur son origine ou de démarcher sans procédé déloyal la clientèle d'un concurrent,
- que la société AGC Création n'a commis aucun acte de dénigrement de la société Vivog et le courriel de Mme [D] n'a aucune valeur probante sur ce point.

L'intimée soutient ensuite que la société Vivog ne démontre pas le préjudice subi qu'elle allègue et ne fournit aucun élément chiffré vérifiable. Elle affirme que c'est elle qui subit un préjudice, la société Vivog ayant pour but de lui nuire par tout moyen.

Il est expressément référé aux écritures des parties pour plus ample exposé des faits ainsi que de leurs moyens et prétentions.

La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 9 janvier 2020.

L'affaire a été appelée à l'audience du 20 février 2020 et renvoyée à la demande des parties, pour être refixée à l'audience du 18 février 2021.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Le principe de liberté du commerce et de l'industrie issu de la loi du 17 mars 1791 implique une libre concurrence et seuls les procédés contraires aux usages loyaux du commerce peuvent donner lieu à indemnisation, parmi lesquels, la concurrence déloyale, qui peut résulter de différents comportements tels le dénigrement, l'imitation ou la confusion, le parasitisme, la désorganisation économique.

En application des articles 1240 et 1241 du Code Civil, applicables à la cause, il appartient à celui qui invoque des faits de concurrence déloyale et/ ou de parasitisme de rapporter la preuve d'une faute constitutive d'une déloyauté, du dommage subi et du lien de causalité entre ce dernier et le comportement économique critiqué.

En l'espèce, s'agissant de la faute, la société Vivog invoque, le détournement de clientèle, le dénigrement et la confusion entretenue, commis à son encontre par l'intimée.

- Sur le détournement de clientèle par vol de fichier

Une entreprise commerciale ne peut se prévaloir d'aucun droit privatif sur ses clients. Le démarchage de la clientèle d'un concurrent est donc une pratique commerciale licite lorsque le déplacement de clientèle procède d'initiatives spontanées de cette dernière, mais est constitutif d'un acte de concurrence déloyale lorsqu'il s'accompagne de procédés déloyaux, notament en cas de démarchage à l'aide d'un fichier détourné de manière irrégulière.

En l'espèce, l'appelante fait valoir que la société AGC Création s'est retrouvée en possession du fichier clients qui appartenait à la société Vivog, ce fichier ayant vraisemblablement été détourné par l'intermédiaire de son ancienne salariée Mme [H] [T], fille de M. [T] [Y] et directrice administrative de la société [Y] jusqu'en décembre 2014.

A titre de preuve, elle produit :
- en pièce 20 un extrait de son propre fichier client contenant 10 noms,
- en pièce 33 le procès-verbal de constat dressé le 19 janvier 2017 à la suite de l'ordonnance sur requête rendue par la président du tribunal de commerce de Tours le 19 décembre 2016, dont il ressort que Maître [Q], huissier de justice, a constaté sur un poste informatique de la société AGC Création, dans l'onglet "téléchargements", la présence d'un document daté du 7 janvier 2016 et intitulé "adresse.mail.xlsx". L'huissier instrumentaire précise que des tests sont réalisés sur les adresses mails contenues dans ce listig de mail en croisement avec la pièce no 20 annexée à la requête (extrait clients vivog) permettant d'établir que les adresses mail des clients de la société Vivog sont visées dans ce listing mail,
- en pièces 21 à 30 des courriers contenant un catalogue AGC Création adressé par la société AGC à 10 personnes (les mêmes que celles apparaissant dans le fichier client de Vivog produit en pièce 20) et réexpédiés par la poste avec la mention "destinataire inconnu à l'adresse",
- en pièce 16 deux attestations émanant de Messieurs [I] et [U].

La société Vivog soutient que le fait que les adresses non mises à jour dans le fichier de Vivog se retrouvent à l'identique dans le mailing de la société AGC et dans le fichier "xslx" retrouvé dans l'un des ordinateurs de la société AGC, avec les mêmes erreurs, s'agissant notamment de sociétés ayant cessé leur activité, ne peut provenir de coïncidences et qu'il s'en déduit nécessairement que la société AGC Création a utilisé le fichier appartenant à la société Vivog pour démarcher sa clientèle.

Ainsi que l'a retenu le tribunal, les deux sociétés étant directement concurrentes, il n'est pas anormal que les fichiers d'adresses qu'elles achètent ou créent, contiennent des prospects ou des clients identiques.

Surtout, la société AGC création justifie en pièces 18 et 19 avoir acheté le 30 juin 2015 à la société Indus MD un "fichier d'adresses postales sur la cible suivante : élevage de chiens et chats / toilettage de chiens et chates. Toute France. Potentiel : 2107 adresses postales ; achat fichier professionnels + frais info, transfert et extraction de fichier, ce fichier comprendra : raison sociale, adresse complète", au prix de 704€.

Elle démontre en pièce 21 à 31 que les coordonnées des 10 entreprises contenues dans le fichier client de Vivog et auxquelles la société AGC a envoyé son catalogue sont aussi accessibles via internet.

En outre, contrairement à ce qu'allègue l'appelante, les coordonnées de ces 10 entreprises comportent pour deux d'entre elles des différences entre le fichier client de Vivog et le mailing adressé par la société AGC. Ainsi, l'un des clients est ainsi libellé dans le fichier client de la société Vivog: "Chien chic et zen, Boulanger [M], [Adresse 6], à Antibes", alors que le courrier envoyé par AGC et réexpédié par la poste a été adressé à "Clean Dog" (et non "Chien chic et zen") "Boulanger [M], [Adresse 6]" (pièces 20 et 29 produites par la société Vivog). De même, l'un des clients est identifié dans le fichier client de la société Vivog : "la puce à l'oreille" contact : "[A] [B], [Adresse 7]", alors que dans le mailing adressé par la société AGC, il est désigné comme suit : "[Z] [A] [B]" (et non [A] [B]), [Adresse 7]" (pièces 20 et 22 produites par la société Vivog).

Si ces deux entreprises sont effectivement fermées, les "erreurs" d'adresse ne se recoupent pas à l'identique et la thèse de l'intimée selon laquelle les fichiers d'entreprises sélectionnées et vendeurs aux sociétés qui en font la demande ne sont pas à jour en temps réel et comportent des erreurs est tout à fait plausible.

En tout cas, il ne peut être déduit de la seule existence de 8 clients (sur un total de plus de 2000 noms, pour le fichier acheté à Indus MD) ayant les mêmes adresses dans le fichier client de la société AGC et dans celui de la société Vivog et n'existant plus, que le fichier "xslx" retrouvé dans l'un des ordinateurs de la société AGC provienne nécessairement de l'appropriation d'un fichier de la société Vivog.

Enfin, le fait que Messieurs [I] et [U] qui, selon les conclusions de l'intimée non démenties par l'appelante sont respectivement le comptable et le responsable informatique de la société Vivog attestent que Mme [E], en tant que directrice administrative de la SAS [Y] avait accès aux données commerciales et financières de la société (liste des clients, adresses ...) n'établit en rien qu'elle a détourné le fichier clients de son ancien employeur, pour le rétrocéder irrégulièrement à la société AGC Création, étant rappelé qu'elle a quitté les effectifs de la société Vivog en décembre 2014 et que le fichier retrouvé dans l'ordinateur de la société AGC créée depuis avril 2015 a été téléchargé bien après, en janvier 2016.

Les faits de concurrence déloyale procédfant d'un détournement illicite de clientèle ne sont donc pas établis.

- sur le dénigrement

Le dénigrement consiste à jeter le discrédit sur les produits, le travail ou la personne d'un concurrent en répandant une information, peu important qu'elle soit exacte (cf pour exemple, C. Cass Com. 24 septembre 2013, pourvoi no 12-19790).

En l'espèce, à l'appui du dénigrement invoqué, la société Vivog produit une seule pièce (pièce 43) consistant dans l'extrait d'un courriel adressé au dirigeant de la société Vivog le 8 janvier 2018. Dans ses écritures, l'appelante attribue ce courriel à Mme [D] mais la pièce 43 ne fait pas apparaître le nom de l'auteur du courriel. Il est ainsi rédigé :
"Je viens de contacter un client pour lui faire part de notre déménagement.
Le client me confirme être passé il y a une dizaine de jours.
Celui-ci a été reçu par M. [Y] qui lui aurait dit que Vivog n'existait plus ou avait déposé le bilan. Enfin il sait plus trop (...)".

Ce courriel dont l'auteur n'est pas identifié mais semble être une personne relevant des effectifs de la société Vivog ("notre déménagement") se borne à rapporter des faits rapportés par une tierce personne sans témoignage direct de cette dernière, faits qui en outre, ne sont pas certains ("il ne sait pas plus trop"). Il n'a donc aucune valeur probante et en l'absence de tout autre pièce de nature à établir les faits de dénigrement allégués, c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu que la preuve du dénigrement n'était pas rapportée.

- Sur la confusion entretenue

La société Vivog reproche à la société AGC d'avoir entretenu une confusion dans l'esprit de la clientèle en utilisant le patronyme [Y] comme nom de société alors qu'il s'agit d'une marque déposée par la société Vivog, en installant ses locaux au [Adresse 4], soit à proximité immédiate de la société Vivog dont le siège social était jusqu'à la fin de l'année 2017 situé au [Adresse 2], et d'avoir maintenu une enseigne "SA [Y]" postérerieurement au départ de la société Vivog, outre des photograhies de catalogues très proches.

Il ressort des pièces 11 à 14 produites par l'intimée et 11 et 12 produites par l'appelante que, le 25 mars 2015, la société Etude gestion conseils, a déposé auprès de l'INPI la marque "AGC Création" sous le numéro 4167947, en classes 3, 5, 7, 8, 11, 20, 21, (produits permettant le toilettage des animaux) et que pour sa part, la société [Y] ou la société Vivog a déposé les marques suivantes :
- le 4 octobre 2008, la société [Y] (devenue Vivog en 2015) a déposé la marque "Vivog professional France" sous le numéro 6854608 en classes 3, 7, 11, 18,
- le 27 novembre 2009, la société [Y] (devenue Vivog) a déposé la marque "pet products Vivog [Localité 1]", sous le numéro 3694724, en classes 3, 7, 11, 18, 20, 21, 31,
- le 10 septembre 2015 la société Vivog a déposé la marque "[Y]" (marque verbale), sous le numéro 4208814, en calsses 3, 7, 11, 18, 20, 21, 31.

Ainsi que l'a retenu le tribunal, les marques et logos "Vivog professional France" et "Pet products Vivog [Localité 1]" déposées par la société [Y] devenue le 26 mai 2015 la société Vivog et la marque "AGC Cration" déposée par la société AGC devenue Grooming Access sont totalement différents et ne peuvent être confondus.

La société Vivog reproche à la société AGC d'avoir adressé à ses clients des courriels libellés au nom de "AGC création developped by [T] [Y]", avec en fin de courriel les mots "[T] [Y] Création", d'avoir utilisé la référence "[Y]-AGC création", et d'avoir ainsi volontairement entretenu dans l'esprit du public la confusion avec la marque "[Y]", ce d'autant que la société AGC exerce une activité très proche de celle de la société Vivog, et ce dans la même ville et même à proximité immédiate de cette dernière.

Néanmoins, le fait que la société AGC exerce comme la société Vivog une activité dans le toilettage pour chiens n'est pas en soi illicite. Il en va de même de l'installation de la société AGC en avril 2015 dans l'un des trois bâtiments précédemment occupés par la société [Y] au [Adresse 4], dès lors qu'aucun engagement de non concurrence ou de non établissement n'a été signé entre les parties.

Surtout, la cour observe, d'une part que la marque "[Y]" a été déposée par la société Vivog après et non avant le dépôt de la marque "AGC création" par la société EGC devenue la société AGC Création, d'autre part qu'il ne ressort d'aucune pièce que la marque "[Y]" déposée seulement en septembre 2015 ait été utilisée par la société [Y] devenue Vivog, puisque cette dernière a déposé en 2008 et 2009 les marques "Vivog professional France" et "Pet products Vivog [Localité 1]" et que notamment, la marque figurant sur ses catalogues est la marque "Vivog" (pièce 42 produite par l'appelante) et que les courriers adressés le 29 août 2017 par l'appelante à ses clients pour les informer de son changement d'adresse sont établis à l'entête de "Pet Products Vivog, fabricant spécialiste", sans mention de la marque "[Y]" (pièce 34 produite par la société Grooming Access).

Dans ce contexte, le fait que la société AGC Création, créée par M. [T] [Y], ait envoyé des courriels de voeux en 2016 avec l'entête "AGC création developped by [T] [Y]" et utilise aussi cet entête sur son site internet, ne porte pas atteinte aux marques déposées par Vivog, y compris la marque "[Y]" qui au demeurant, n'apparaît pas avoir été utilisée, et n'est pas illicite, le patronyme "[Y]" étant utilisé pour préciser l'identité du créateur de la marque AGC création ("developped by [T] [Y]" ou "[T] [Y] Création").

La société Vivog s'est plainte par courrier du 12 janvier 2018 adressé à la SCI [Personne physico-morale 1] du fait que postérieurement à son départ des locaux [Adresse 8], un panneau utilisant la marque [Y] figurait encore sur le bâtiment (sa pièce 36). La photographie reproduite dans ses conclusions n'est toutefois pas datée et il appartenait en outre à la société Vivog qui quittait les lieux de retirer son enseigne. En tout état de cause, les reproches ainsi adressés à la SCI [Personne physico-morale 1] ne concernent pas la société AGC création.

Le risque de confusion qui aurait été entretenu par la société AGC n'apparaît de surcroît pas suffisamment démontré par les pièces produites par l'appelante.

Notamment, il n'est pas établi que la société AGC aurait utilisé la marque [Y] pour les produits qu'elle commercialise. Les encarts publicitaires produits en pièce 14-3 par la société Vivog et adressés en 2016 par courriel évoquent uniquement le site "www.agc-creation.com". Le catalogue 2018 et la plaquette publicataire 2019 de la société AGC mentionnent la seule marque "AGC création" (pièces 38 et 39 produites par la société Grooming Access).

Le fait que le salon Zoomark ait adressé une invitation en 2017 à "[Y]-AGC création" (pièce 35) n'établit en rien l'existence d'un risque de confusion dans l'esprit des clients avec la société Vivog ou ses produits.

Il ressort du courriel de Mme [H], cliente de la société Vivog (pièce 14-2) qu'elle a reçu le 7 janvier 2016 un courriel de la "société AGC création developped by [T] [Y]" vantant la vente de matériels et instruments de toilettage de 30 à 50 % moins cher et qu'elle n'a pas confondu les sociétés AGC et Vivog puisqu'elle a immédiatement alerté son fournisseur (Vivog) sur un "risque d'arnaque".

Le témoignage de Mme [G] qui indique avoir reçu un appel de la société AGC de [Localité 2] se présentant comme spécialiste de matériel de toilettage (pièce 38) n'établit pas non plus clairement un risque de confusion entretenu par la société AGC puisqu'elle précise avoir reçu deux catalogues distincts émanant de Vivog et de AGC.

Seule la pièce 40 produite par l'appelante (chèque de règlement libellé le 30 mai 2018 à l'ordre "Vivog AGC création" et adressé par courrier à "Vivog AGC création, [Adresse 2]" est de nature à établir que le client a confondu les deux sociétés puisqu'il a considéré qu'il s'agissait d'une seule et même entité. La cour observe toutefois que la société Vivog n'a pas subi de préjudice à ce titre puisqu'elle ne conteste pas avoir reçu le chèque (adressé au [Adresse 2] et non au [Adresse 4], adresse de la société AGC).

De surcroît, il est singulier que la société Vivog, qui se plaint par assignation du 6 juillet 2017 de faits de concurrence déloyale commis par la société AGC lui ayant occasionné un manque à gagner commercial et une perte de revenus, ne produise strictement aucune pièce de nature à établir le préjudice matériel et moral dont elle demande réparation à hauteur de 200.000€. Notamment, elle ne produit aucun élément comptable établi avant et après les faits allégués, notamment ses comptes 2014, 2015 et 2016, dont la comparaison pourrait le cas échéant établir une baisse de son chiffre d'affaires ou de sa marge.

Il se déduit de l'ensemble de ces éléments, que la société Vivog ne rapporte pas la preuve qui lui incombe d'une faute commise par la société AGC devenue la société Gromming Acess, et d'un préjudice directement subi par elle.

Le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a débouté la société Vivog de toutes ses demandes.

Pour autant, l'exercice d'une action en justice puis d'une voie de recours est un droit qui ne dégénère en abus que s'il constitue un acte de malice ou de mauvaise foi. L'appréciation inexacte qu'une partie fait de ses droits n'est pas en soi constitutive d'une faute.

Il ressort des pièces versées aux débats que des contentieux ont précédemment opposé les parties mais il n'en ressort pas, ni d'aucun autre élément, que la société Vivog a voulu nuire à la société AGC devenue Grooming Access. La demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formée par cette dernière doit être rejetée par confirmation du jugement.

Le jugement doit aussi être confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.

La société Vivog (anciennement [Personne physico-morale 2]) succombant en son appel, les dépens exposés devant la cour seront mis à sa charge, outre le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la SELARL 2 BMP et elle devra verser à l'intimée la somme de 3500€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

- Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions critiquées ;

Y ajoutant,

- Condamne la société Vivog (anciennement [Personne physico-morale 2]) à verser à la société Grooming Access exerçant sous le nom commercial AGC création et venant aux droits de la société AGC Création une indemnité de 3500 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamne la société Vivog (anciennement [Personne physico-morale 2]) aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Arrêt signé par Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, présidant la collégialité et Madame Marie-Claude DONNAT, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Orléans
Formation : C1
Numéro d'arrêt : 19/017141
Date de la décision : 15/04/2021
Sens de l'arrêt : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.orleans;arret;2021-04-15;19.017141 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award