COUR D'APPEL D'ORLÉANS
CHAMBRE COMMERCIALE, ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE
GROSSES + EXPÉDITIONS : le 05/11/2020
la SCP WEDRYCHOWSKI ET ASSOCIES
la SCP REFERENS
SELARL ANDREANNE SACAZE
ARRÊT du : 05 NOVEMBRE 2020
No : 207 - 20
No RG 19/02840
No Portalis DBVN-V-B7D-GAIO
DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du Tribunal de Commerce d'ORLEANS en date du 04 Juillet 2019
PARTIES EN CAUSE
APPELANTE :- Timbre fiscal dématérialisé No: 1265239135437334
S.A. SOMMA FRERES
[...]
[...]
Ayant pour avocat postulant Me Ladislas WEDRYCHOWSKI, membre de la SCP WEDRYCHOWSKI ET ASSOCIES, avocat au barreau d'ORLEANS et pour avocat plaidant Me Jean-Marc SCHINDELMAN, avocat au barreau de PARIS
D'UNE PART
INTIMÉES : - Timbre fiscal dématérialisé No: 1265240404945689
S.A.R.L. DORE BATIMENT SERVICES (D.B.S.)
[...]
[...]
Ayant pour avocat Me Laurent LALOUM, membre de la SCPA REFERENS, avocat au barreau de TOURS,
- Timbre fiscal dématérialisé No: 1265250473443645
La SCI LE CLOS LALANDE
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège [...]
[...]
Ayant pour avocat postulant Me Andréanne SACAZE, membre de la SELARL ANDREANNE SACAZE, avocat au barreau d'ORLEANS d'ORLEANS et pour avocat plaidant Me Michelle DERVIEUX, avocat au barreau de VERSAILLES,
D'AUTRE PART
DÉCLARATION D'APPEL en date du : 06 Août 2019
ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 11 Juin 2020
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats à l'audience publique du 17 SEPTEMBRE 2020, à 14 heures, Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, et Madame Fanny CHENOT, Conseiller, en son rapport, ont entendu les avocats des parties en leurs plaidoiries, avec leur accord, par application de l'article 786 et 907 du code de procédure civile.
Après délibéré au cours duquel Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel D'ORLEANS, et Madame Fanny CHENOT, Conseiller, ont rendu compte à la collégialité des débats à la Cour composée de :
Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS,
Madame Fanny CHENOT, Conseiller,
Madame Nathalie MICHEL, Conseiller,
Greffier :
Madame Marie-Claude DONNAT, Greffier lors des débats et du prononcé,
ARRÊT :
Prononcé publiquement par arrêt contradictoire le 05 NOVEMBRE 2020 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
EXPOSE DU LITIGE :
La SA Somma frères (la société Somma), qui exerce depuis fin 1997 une activité de travaux de bâtiment et génie civil industriel, et qui était dirigée jusqu'au 6 janvier 2011 par M. N... E..., qui a cédé à cette date la totalité de ses actions à M. H... T..., devenu le nouveau dirigeant de cette société, a conclu le 29 octobre 2007 avec la société Dore bâtiments services (la société DBS), qui exerce une activité de maçonnerie et gros œuvre, un contrat de location avec option d'achat d'une durée de neuf mois, portant sur une grue HD 25 de marque Potain.
Sans que l'option d'achat ait été levée au terme de ce contrat de location, la grue est restée en possession de la société DBS.
La SCI Le Clos Lalande, créée et dirigée par M. E... à l'époque où il était encore dirigeant de la société Somma, a confié à la société DBS, courant 2012, des travaux de couverture sur un ensemble immobilier situé [...].
Faisant valoir qu'à l'occasion de la cession de ses titres de la société Somma, il était devenu personnellement propriétaire de la grue en cause, M. E... a déduit du coût des travaux réalisés par la société DBS pour le compte de la SCI Le Clos Lalande dont il était le dirigeant, un somme de 32 722,56 euros TTC présentée comme correspondant au coût de l'option d'achat finale de la grue par la société DBS.
Par courriel du 3 décembre 2015, dont aucune des parties n'indique quelles suites il a éventuellement été données, la société Somma a informé la société DBS qu'elle avait bien compris que M. E... avait déduit du prix des prestations qu'elle avait réalisées à Gif sur Yvette pour le compte de la SCI Le Clos Lalande une somme de 32 722,56 euros TTC, mais que cette opération « lui [posait] problème dans la mesure où la grue en cause est sa propriété et figure toujours à l'inventaire de ses immobilisations ».
Le 10 avril 2017, la société Somma a sous-traité à la société DBS, au prix forfaitaire de 29 684 euros, des travaux de couverture portant sur un chantier que les parties qualifient « l'église d'Orléans ».
Les travaux ont été réalisés et la société DBS a adressé le 19 juin 2017 à la société Somma une facture HT de 23 747,20 euros, correspondant, déduction faite de la facture d'approvisionnement qui lui avait été réglée, au solde du marché sous-traité.
La société Somma a réglé le 1er septembre 2017 une somme de 10 000 euros, et a refusé de régler le solde en excipant de la problématique de la grue.
Après avoir vainement recherché une solution amiable avec chacune des sociétés Somma et Le Clos Lalande, la société DBS les a fait assigner devant le tribunal de commerce d'Orléans par actes des 11 et 16 juillet 2018, à fin d'entendre juger qu'elle est bien propriétaire de la grue pour l'avoir acquise en octobre 2011 auprès de la société Le Clos Lalande et entendre condamner la société Somma à lui payer, au principal, la somme de 16 738,20 euros pour solde du sous-traité du 10 avril 2017.
Par jugement du 4 juillet 2019, le tribunal a :
-déclaré la SARL DBS recevable et bien fondée en ses demandes
-déclaré la SARL DBS propriétaire de la grue Potain HD 25 pour l'avoir acquise en octobre 2011 de la SCI Le Clos Lalande
-condamné la SA Somma à payer à la SARL DBS la somme de 13 747,20 € en règlement du solde de la facture du 19 juin 2017, augmenté des intérêts au taux légal à compter de l'assignation
-condamné la SA Somma à payer à la SARL DBS la somme 2 991 € au titre des retenues de garantie sur d'autres chantiers, augmentée des intérêts au taux légal à compter de l'assignation
-débouté la SA Somma de toutes ses demandes et conclusions
-déclaré la SCI Le Clos Lalande recevable et bien fondée en ses écritures
-débouté la SA Somma de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la SCI Le Clos Lalande
-dit n'y avoir lieu à dommages et intérêts
-condamné la SA Somma à payer à la SARL DBS la somme de 1 000 € et à la SCI Le Clos Lalande la somme de 1 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile
-ordonné l'exécution provisoire du jugement
-condamné la SA Somma aux entiers dépens
Pour statuer comme ils l'ont fait, les premiers juges ont retenu en substance que la société Somma n'apportait pas la preuve qui lui incombait de la propriété de la grue litigieuse et qu'en toute hypothèse, en revendiquant la propriété de cette grue après avoir été assignée en paiement, alors qu'en application de l'article 2276 du code civil, son action en revendication aurait dû être engagée avant le 11 octobre 2010, la société Somma ne pouvait qu'être déboutée de son action en revendication, infondée et tardive, et devait en conséquence être condamnée à régler à la société DBS le solde du marché de travaux en cause.
La société Somma a relevé appel de cette décision par déclaration du 6 août 2019, en critiquant expressément tous les chefs du jugement en cause.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 29 octobre 2019, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses moyens,la société Somma demande à la cour, au visa des articles des articles 711, 1103, 1104, 1347 et suivants, 1348-2 et 1582 et suivants du code civil, de :
-infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce d'Orléans en date du 4 juillet 2019 en toutes des dispositions
Statuant à nouveau,
-dire et juger qu'elle est propriétaire de la grue litigieuse de marque Potain, modèle HD 25, les sociétés DBS et Le Clos Lalande ne rapportant pas la preuve du transfert de propriété de ladite grue
-dire et juger qu'il y a lieu d'opérer une compensation entre les sommes dues réciproquement par la société DBS et Somma
En conséquence,
-débouter les sociétés DBS et Le Clos Lalande de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions
Et à titre reconventionnel :
-condamner la société DBS à lui verser la somme de 108 520,20 € correspondant à sa créance après compensation des sommes réciproquement dues
-condamner solidairement les sociétés DBS et Le Clos Lalande à lui verser la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
-condamner la société DBS aux entiers dépens.
Au soutien de son appel, la société Somma commence par indiquer que les premiers juges ont appliqué de manière erronée les dispositions de l'article 2276 du code civil et retenu, de manière contradictoire et infondée, de première part que la grue était restée la propriété de M. E..., alors que celui-ci ne justifie d'aucune manière l'avoir acquise ; de seconde part que la société DBS aurait valablement acquis la grue de la SCI Le Clos Lalande, alors que cette dernière est une personne morale distincte de M. E... ; de dernière part qu'elle-même n'apporterait pas la preuve de sa propriété de cet engin, ce qu'elle considère inexact.
L'appelante, qui fonde son argumentation sur les dispositions de l'article 711 du code civil, fait valoir qu'elle a retrouvé en cause d'appel la copie de sa facture d'achat de la grue, produit un extrait de son bilan 2005 sur lequel la grue est inscrite en immobilisation dans ses comptes, un courrier de son expert-comptable attestant de ce qu'aucune vente de la grue en cause n'a jamais été enregistrée dans la comptabilité de la société, puis des attestations d'assurance d'une grue HD 25 pour les années 2012 à 2015, et soutient rapporter ainsi la preuve, non seulement de ce qu'elle a acquis la grue litigieuse en 2002, mais qu'elle en demeure propriétaire.
Faisant valoir que les intimées n'apportent pas la preuve qui leur incombe du transfert de propriété successif de la grue à leur profit, l'appelante en déduit qu'il n'existe aucun doute sur sa propriété de la grue, et demande à la cour de ne pas se laisser tromper, comme les premiers juges, par les dispositions de l'article 2276 du code civil qui, selon elle, ne sont applicables qu'en l'absence de titre, et qui en toute hypothèse ne peuvent être appliquées qu'en cas de « véritable possession », et non dans une hypothèse où, comme en l'espèce, elle a, en sa qualité de propriétaire, « remis la détention du bien » à un tiers, la société DBS.
L'appelante explique ensuite qu'en application de l'article IV du sous-traité qu'elle avait conclu le 10 avril 2017 avec la société DBS, il convient de ramener la facture de la sous-traitante à la somme HT de 11 479,80 €, en en déduisant la somme HT de 1 080 euros correspondant aux frais de mise à disposition des matériels de gros œuvre puis que, en application du contrat de location de la grue et autres matériels dont elle continue à « disposer », la société DBS lui est redevable, dans la limite de la prescription quinquennale, de la somme HT de 120 000 euros correspondant aux loyers de la grue et autre bennes et fourches à pelle concernées par ce contrat.
La société Somma en déduit que, après compensation entre leurs créances réciproques, la société DBS devra être condamnée à lui payer une somme de 108 520,20 euros (120 000 € - 11 479,80 €).
Dans ses dernières conclusions notifiées le 6 janvier 2020, auxquelles il est également renvoyé pour l'exposé détaillé de ses moyens, la société DBS demande à la cour, visa des articles 1134 [ancien], 1625, 1626 et 1630 du code civil :
A titre principal, de :
-confirmer le jugement du 4 juillet 2019 en tous ses points
Y ajoutant :
-condamner la société Somme à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile eu égard aux frais engagés en cause d'appel.
-condamner la société Somma aux dépens de première instance et d'appel lesquels seront recouvrés par la SCP Referens conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile
A titre subsidiaire, pour le cas où la cour attribuerait la propriété de la grue à la société Somma :
-condamner la société Le Clos Lalande à lui payer la somme de 27 360,00 euros HT soit 32 722,56 euros TTC en remboursement du prix de vente de la grue qui a été déduit du solde du lot « charpente-couverture », augmentée des intérêts légaux à compter du 12 octobre 2011, avec capitalisation des intérêts par année civile le 31 décembre de chaque année
-condamner la société Somma à lui payer la somme de 13 747,20 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter de l'assignation
-condamner la société Somma à lui payer la somme de 2 991,00 euros au titre de la retenue de garantie, augmentée des intérêts au taux légal à compter de l'assignation
-débouter la société Somma de ses demandes de compensation et en paiement à hauteur de 108 520,20 euros et à défaut, condamner la société Le Clos Lalande à la garantir en cas de condamnation
-débouter la société Somma de sa demande à hauteur de 3 000 euros au visa de l'article 700 du code de procédure civile et , à défaut, condamner la société Le Clos Lalande à la garantir en cas de condamnation
-condamner la société Le Clos Lalande à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
-condamner la société Le clos Lalande aux dépens de première instance et d'appel lesquels seront recouvrés par la SCP Referens conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La société DBS commence par faire valoir que le fait que la société Somma ait été un temps propriétaire de la grue litigieuse pour l'avoir acquise en 2002 est indifférent dès lors que cette grue lui a été cédée fin 2011 par la SCI Le Clos Lalande qui, sans davantage de formalisme, a déduit le coût de son option d'achat de sa situation de travaux, après lui avoir indiqué que son gérant en était devenu propriétaire en marge de la cession de ses titres dans la société Somma.
Elle en déduit que c'est de manière abusive, dans ces circonstances, que la société Somma a cherché à déduire du prix du marché qu'elle lui a sous-traité celui de la grue litigieuse, et que la cour devra en conséquence confirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a condamné l'appelante à lui payer l'intégralité de sa facture, a écarté sa revendication de la propriété de la grue, et l'a elle-même déclaré propriétaire de l'engin.
Subsidiairement, la société DBS rappelle que le vendeur est tenu à garantie envers l'acheteur évincé, que l'article 1630 du code civil l'autorise à solliciter la restitution du prix, et sollicite en conséquence, pour le cas où la cour attribuerait la propriété de la grue à la société Somma, la garantie de la SCI Le Clos Lalande, en précisant que celle-ci ne peut lui opposer aucune prescription alors que que ce n'est qu'en 2015 qu'elle a eu connaissance, au sens de l'article 2224 du code civil, de la difficulté existant sur la propriété de cette grue.
La société DBS ajoute que, quand bien même la société Somma serait reconnue propriétaire de la grue litigieuse, elle ne peut lui réclamer le paiement de loyers en vertu d'un contrat de location qui est arrivé à terme depuis plus de dix ans sans qu'elle lui ait jamais réclamé paiement du moindre loyer.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 5 juin 2020, auxquelles il est pareillement renvoyé pour l'exposé détaillé de ses moyens, la SCI Le Clos Lalande (la SCI) demande à la cour, au visa des articles 2224 et 2276 du code civil, de :
-la recevoir en ses conclusions et la déclarer bien fondée
En conséquence,
A titre principal :
-confirmer la décision dont appel en toutes ses dispositions
Subsidiairement :
-débouter la société Somma de sa revendication tardive
-débouter la société DBS de ses demandes de garantie à son encontre
En tout état de cause :
-condamner la société Somma à lui payer la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile
-condamner la société Somma aux entiers dépens.
La SCI commence par indiquer que les premiers juges ont considéré à raison que la société Somma ne justifiait pas être propriétaire de la grue litigieuse et ajoute qu'en toute hypothèse, la propriété de la société DBS est établie « à double titre », par l'application des dispositions de l'article 2276 du code civil, puis par les accords successivement intervenus en 2008 et 2011 sur le sort de cette grue, entre les anciens dirigeants de la société Somma et ceux de la société DBS d'une part, entre la société DBS et M. E..., ancien dirigeant de la société Somma, qui a agi en 2011 en qualité de gérant de la SCI Le Clos Lalande, d'autre part.
Rappelant ensuite les termes de l'article 2276 du code civil, la SCI relève qu'il n'est pas contesté que la société DBS possède et utilise la grue depuis 2008 de manière paisible, et soutient que la société Somma, qui ne pouvait agir en revendication que dans les trois ans du jour où le contrat de location avec option d'achat du 11 octobre 2007 a pris fin sans restitution de la grue, ne peut plus revendiquer la propriété de l'engin.
La SCI ajoute, en se prévalant d'un courriel que le nouveau dirigeant de la société Somma a adressé le 5 novembre 2012 à M. E..., son gérant, que l'appelante, qui se garde de produire la liste de ses immobilisations postérieures à 2005, ne peut prétendre ignorer que la grue est sortie de ses actifs en 2011, puis souligne que la société Somma tente d'inverser la charge de la preuve en soutenant qu'il lui incomberait, avec la société DBS, d'apporter la preuve du transfert de propriété de la grue.
La SCI s'oppose enfin aux demandes subsidiaires de la société DBS, en soutenant que le point de départ de l'action en garantie d'éviction de cette dernière doit être fixé au 12 octobre 2011, date de la vente de la grue par compensation du prix des travaux que la société DBS avait réalisés pour son compte.
L'instruction a été clôturée par ordonnance du 11 juin 2020, pour l'affaire être plaidée le 17 septembre suivant et mise en délibéré à ce jour.
SUR CE, LA COUR :
Sur la propriété de la grue
Aux termes de l'article 2276, alinéa 1er, du code civil, en fait de meubles, la possession vaut titre. Néanmoins, selon l'alinéa 2 de l'article 2276, celui qui a perdu ou auquel il a été volé une chose, peut la revendiquer pendant trois ans à compter du jour de la perte ou du vol, contre celui dans les mains duquel il la trouve, sauf à celui-ci son recours contre celui duquel il la détient.
Il convient d'observer immédiatement qu'au cas particulier, il n'est pas prétendu par la société Somma que la grue, dont elle justifie avoir fait l'acquisition en avril 2002, lui aurait été volée, ni qu'elle l'aurait perdue.
Contrairement à ce que qu'ont retenu les premiers juges, et à ce que soutient encore la SCI de manière inexacte, les dispositions de l'alinéa 2 de l'article 2276 sont donc inapplicables à la cause, et la question de la tardiveté de l'action en revendication de la société Somma ne se pose pas.
Hors les cas de vol ou de perte de la chose, le principe est que le propriétaire dépossédé ne peut exercer la revendication mobilière, sauf contre un possesseur de mauvaise foi.
La règle posée à l'alinéa 1 de l'article 2276 n'est en effet pas un simple rappel du principe suivant lequel la possession fait présumer la propriété ; elle signifie aussi, ce qu'omet l'appelante, que la possession vaut titre de propriété à la seule condition que le possesseur soit de bonne foi.
Contrairement en effet au raisonnement proposé par la société Somma, une personne qui acquiert de bonne foi un meuble a non domino, c'est-à-dire d'un non-propriétaire, n'en acquiert pas la propriété par l'effet du contrat, puisque l'aliénateur ne peut transmettre un droit qui ne lui appartient pas. Mais si l'acquéreur est mis en possession de bonne foi, ce fait même le rend propriétaire.
Autrement dit, même si la SCI n'établit d'aucune manière, en l'espèce, qu'elle aurait acquis la propriété de la grue qu'elle a vendue à la société DBS, son comportement, bien que fautif, est sans effet sur la situation de la société DBS, si cette dernière possède de bonne foi.
Le principe qui résulte de l'alinéa 1 de l'article 2276, on l'a dit, est que, sauf à ce que le propriétaire d'un bien meuble, comme la grue en cause, ait été victime d'un vol ou d'une perte, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, la revendication ne lui est ouverte que contre le possesseur de mauvaise foi.
Si, pour être protégé par l'article 2276 contre la revendication du propriétaire dépossédé, le possesseur doit remplir une condition de possession, et être de bonne foi, ce n'est pas au possesseur de prouver la réunion de ces conditions.
Puisqu'on est toujours présumé possédé pour soi et à titre de propriétaire ; c'est au demandeur en revendication de prouver la précarité de la détention ou de prouver que le détendeur possède pour un autre. Et il appartient pareillement au revendiquant de renverser la présomption de bonne foi dont bénéficie le possesseur.
Concernant la première condition, celle de la possession, il est constant, en l'espèce, que la société DBS possède effectivement la grue, c'est-à-dire en a la maîtrise, depuis octobre 2007.
S'il n'est pas douteux qu'elle n'a pas possédé la grue à titre de propriétaire tant qu'elle la détenait en tant que locataire de la société Somma, la société DBS possède la grue, à titre de propriétaire, depuis le 12 octobre 2011, date à laquelle la SCI lui a vendu l'engin en déduisant son prix de sa facture de travaux, et la société Somma n'établit d'aucune manière que cette possession ne serait pas paisible ou serait équivoque.
Bien que la bonne foi, qui s'apprécie au moment de la prise de possession utile, suppose nécessairement une acquisition faite en vertu d'un titre, le possesseur n'a pas à prouver l'existence de ce titre, contrairement à ce que soutient l'appelante, puisque l'article 2276 a précisément pour but de dispenser le possesseur d'un meuble de prouver comment il l'a acquis.
Dès lors qu'elle ne conteste pas la bonne foi de la société DBS, qui est présumée, la cour ne peut que constater que l'appelante échoue en son action en revendication et ne peut, dès lors, être déclarée propriétaire de la grue litigieuse.
Le jugement entrepris qui, à raison, a déclaré la société DBS propriétaire de la grue en cause, mais en jugeant, de manière inexacte, que la société DBS était propriétaire de cette grue « pour l'avoir acquise » en octobre 2011 de la SCI, sera infirmé et la société DBS sera déclarée propriétaire de l'engin « en tant qu'elle en est le possesseur de bonne foi ».
Sur la demande principale en paiement de la société DBS
Sauf à solliciter une compensation avec sa propre créance, sur laquelle il sera statué plus en avant, la société Somma ne conteste pas rester redevable envers la société DBS du solde du contrat de sous-traitance conclu entre elles le 10 avril 2017, en exécution duquel la société DBS a émis le 19 juin 2017 une facture no 2017.06.06 d'un montant HT de 23 747,20 euros, sur lequel la société Somma admet n'avoir réglé que 10 000 euros.
Sur le solde, qui contrairement à ce que retient la société Somma, ne représente arithmétiquement pas 12 559,84 euros, mais 13 747,20 euros (23 747,20 - 10 000 €), l'appelante soutient qu'il convient de déduire, en application de l'article IV du contrat de sous-traitance, une somme de 1 080 euros correspondant au coût de mise à disposition par elle, au profit de la sous-traitante, des matériels de gros œuvre employés sur le chantier.
L'article IV du contrat de sous-traitance liant les parties, relatif aux dépenses d'intérêt commun, prévoit en effet que « les frais de nettoyage et de mise à disposition du matériel de gros œuvre seront répercuté sur le sous-traitant ».
La société DBS ne conteste pas que du matériel de gros œuvre a été mis à sa disposition, et dans un courrier du 15 septembre 2017 qu'elle produit elle-même aux débats (pièce 5), la société sous-traitante a admis sans équivoque que la somme qui lui restait due par la société Somma pour solde de sa facture no 2017.06.06, représentait 12 559,84 euros.
La société Somma n'établit d'aucune manière que le coût de mise à disposition du matériel excèderait la somme que la société DBS a accepté de déduire de sa facture le 15 septembre 2017, sur laquelle aucune partie n'a cru utile de s'expliquer.
Dès lors, la société Somma sera condamnée à régler à la société DBS, dans la limite de ce dont cette dernière a admis rester créancière, la somme sus-mentionnée de 12 559,84 euros, augmentée, dans les limites de la demande, des intérêts au taux légal à compter du 16 juillet 2018, date de l'assignation en première instance.
La société DBS, qui sollicite en sus la condamnation de la société Somma à lui régler une somme de 2 991 euros au titre « d'une retenue de garantie sur un autre chantier », produit pour seule offre de preuve un contrat de sous-traitance conclu le 6 septembre 2013 entre les parties, et des extraits de comptes sur lesquels il n'est même pas permis de retrouver la somme de 2 991 euros dont elle réclame paiement.
Si la preuve entre commerçants est libre, la cour ne peut admettre que la preuve de l'obligation de la société Somma soit suffisamment rapportée par ces éléments.
Par infirmation du jugement entrepris, la société DBS sera donc déboutée de sa demande en paiement formée sur ce chef.
Sur la demande reconventionnelle en paiement de la société Somma
A titre reconventionnel, la société Somma sollicite la condamnation de la société DBS à lui régler une somme de 120 000 euros, au titre des loyers non couverts par la prescription quinquennale dont elle explique que l'intimée resterait débitrice à son égard en exécution du contrat de location avec option d'achat conclu le 29 octobre 2007.
Compte tenu de ce qui vient d'être jugé sur la propriété de la grue, et de ce que le contrat de location conclu entre les parties est arrivé à terme le 29 juillet 2008, la demande reconventionnelle de la société Somma, dénuée de sérieux, ne peut qu'être rejetée.
Sur les demandes accessoires
La société Somma, qui succombe au sens de l'article 696 du code de procédure civile, devra supporter les dépens de l'instance et régler à la société DBS, à qui il serait inéquitable de laisser la charge de la totalité de ses frais irrépétibles, une indemnité de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Il n'apparaît pas inéquitable en revanche de laisser à la SCI la charge de ses frais irrépétibles. Elle sera en conséquence déboutée de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
INFIRME la décision entreprise, en ce qu'elle a :
-déclaré la société Dore bâtiments services bien fondée en toutes ses demandes,
-déclaré la société Dore bâtiments services propriétaire de la grue Potain HD 25 « pour l'avoir acquise en octobre 2011 de la SCI Le Clos Lalande »,
-condamné la société Somma frères à payer à la société Dore bâtiments services la somme de 13 747,20 euros en règlement de sa facture du 19 juin 2017, augmentée des intérêts au taux légal à compter de l'assignation,
-condamné la société Somma frères à payer à la société Dore bâtiments services la somme de 2 991 euros au titre de retenues de garantie sur d'autres chantiers
STATUANT À NOUVEAU sur les chefs infirmés :
DECLARE la société Dore bâtiments services propriétaire de la grue Potain HD 25 pour en être le possesseur de bonne foi,
CONDAMNE la société Somma frères à payer à la société Dore bâtiments services la somme de 12 559,84 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 16 juillet 2018,
DEBOUTE la société Dore bâtiments services de sa demande tendant au paiement de retenues de garantie sur d'autres chantiers,
CONFIRME la décision pour le surplus de ses dispositions critiquées,
Y AJOUTANT,
CONDAMNE la société Somma frères à payer à la société Dore bâtiments services somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
DEBOUTE la SCI Le Clos Lalande de sa demande formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société Somma frères aux dépens,
ACCORDE à la SCPA Referens le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Arrêt signé par Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, présidant la collégialité et Madame Marie-Claude DONNAT, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT