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05/11/2020 | FRANCE | N°19/028091

France | France, Cour d'appel d'Orléans, C1, 05 novembre 2020, 19/028091


COUR D'APPEL D'ORLÉANS

CHAMBRE COMMERCIALE, ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE

GROSSES + EXPÉDITIONS : le 05/11/2020
la SCP LAVAL - FIRKOWSKI
la SCP LE METAYER ET ASSOCIES
ARRÊT du : 05 NOVEMBRE 2020

No : 205 - 20
No RG 19/02809
No Portalis DBVN-V-B7D-GAGU

DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du Tribunal de Commerce d'ORLEANS en date du 16 Mai 2019

PARTIES EN CAUSE

APPELANTE :- Timbre fiscal dématérialisé No: 1265251031709394
SARL ABAQUE BATIMENTS SERVICES
Prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit

siège social [...]
[...]

Ayant pour avocat Me Olivier LAVAL, membre de la SCP LAVAL - FIRKOWSKI, avocat au barreau ...

COUR D'APPEL D'ORLÉANS

CHAMBRE COMMERCIALE, ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE

GROSSES + EXPÉDITIONS : le 05/11/2020
la SCP LAVAL - FIRKOWSKI
la SCP LE METAYER ET ASSOCIES
ARRÊT du : 05 NOVEMBRE 2020

No : 205 - 20
No RG 19/02809
No Portalis DBVN-V-B7D-GAGU

DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du Tribunal de Commerce d'ORLEANS en date du 16 Mai 2019

PARTIES EN CAUSE

APPELANTE :- Timbre fiscal dématérialisé No: 1265251031709394
SARL ABAQUE BATIMENTS SERVICES
Prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [...]
[...]

Ayant pour avocat Me Olivier LAVAL, membre de la SCP LAVAL - FIRKOWSKI, avocat au barreau d'ORLEANS

D'UNE PART

INTIMÉS : - Timbre fiscal dématérialisé No: 1265247821698870
Monsieur J... N...
né le [...] à DEAUVILLE (14800)
[...]
[...]

Ayant pour avocat Me Didier CAILLAUD, membre de la SCP LE METAYER ET ASSOCIES, avocat au barreau d'ORLEANS

La SARL LEAMY exerçant sous l'enseigne [...]
Prise en la personne de son représentant légal, Monsieur J... N...
[...]
[...]

Ayant pour avocat Me Didier CAILLAUD, membre de la SCP LE METAYER ET ASSOCIES, avocat au barreau d'ORLEANS

D'AUTRE PART

DÉCLARATION D'APPEL en date du : 02 Août 2019
ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 18 Juin 2020

COMPOSITION DE LA COUR

Lors des débats à l'audience publique du 17 SEPTEMBRE 2020, à 14 heures, Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, et Madame Fanny CHENOT, Conseiller, en son rapport, ont entendu les avocats des parties en leurs plaidoiries, avec leur accord, par application de l'article 786 et 907 du code de procédure civile.

Après délibéré au cours duquel Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel D'ORLEANS, et Madame Fanny CHENOT, Conseiller, ont rendu compte à la collégialité des débats à la Cour composée de :

Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS,
Madame Fanny CHENOT, Conseiller,
Madame Nathalie MICHEL, Conseiller,

Greffier :

Madame Marie-Claude DONNAT, Greffier lors des débats et du prononcé,

ARRÊT :

Prononcé publiquement par arrêt contradictoire le 05 NOVEMBRE 2020 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

EXPOSE DU LITIGE :
La SARL Abaque bâtiments services (la société ABS), qui exerce une activité de couverture traditionnelle et industrielle, a conclu le 31 décembre 2011 avec M. J... N... un contrat de prestation de services aux termes duquel ce dernier était chargé d'assurer la gestion de l'agence de la société ABS située à Lille.

Les parties ont décidé, fin 2014, de mettre un terme à leurs relations contractuelles et ont régularisé à cet effet une convention de rupture, signée les 14 et 21 novembre 2021 par chacune d'elles, par laquelle elle sont convenues de mettre fin au contrat les liant à effet au 31 décembre 2014.

Afin d'éviter tout litige à venir, les parties ont décidé de concessions réciproques, et la société ABS a notamment concédé à M. N... ce qui suit :

« -à compter de la rupture du contrat, ABS accepte que le prestataire [M. N...] puisse avoir toutes les activités qu'il souhaite dans le BTP. Cette clause annule expressément l'article 4 du contrat initial qui prévoyait une clause de non-concurrence de trois ans après la rupture du contrat. ABS renonce fermement et définitivement à s'en prévaloir
-ABS accepte que le prestataire puisse, dès le 1er décembre 2014, avoir une activité concurrente
-à partir du 1er janvier 2015, ABS acceptera que le prestataire puisse démarcher et prendre comme clients ceux qu'il a apportés à ABS sans qu'ABS s'y oppose. Les clients concernés sont les suivants : [...], Aléoclair, Sigla Gapi, Q... immobilier, SH immobilier, Spromovente, Z... X..., mairie de Faches-Thumesnil, mairie de Hem, de Leers, d'Armentières, la maison autonettoyante de Lille et celle de Béthune, MSI, Dr House, E... immobilier, B... immobilier.
ABS ne pourra reprocher ou demander un quelconque dédommagement au prestataire pour la perte de ces clients... »

Le 5 janvier 2014, après un différend sur les modalités de calcul des honoraires restant dus à M. N..., la société ABS a dénoncé unilatéralement la convention de rupture, en faisant valoir qu'elle ne reflétait pas la volonté des parties et que M. N... n'en avait pas respecté les termes, en ne lui restituant pas les matériels et documents en sa possession.

Ayant été informé que d'anciens militaires qui, comme lui, avaient conclu avec la société ABS des conventions de prestation de services destinées à assurer la gestion et le développement d'autres agences de la société, avaient engagé avec succès devant différentes juridictions prudhommales des actions en requalification de leurs contrats de prestation de services en contrat de travail, M. N... a saisi le conseil de prud'hommes de Saint-Omer en demandant la requalification du contrat de prestation de services conclu avec la société ABS en contrat de travail et la condamnation de ladite société à lui régler diverses sommes à titre de rappel de salaires, indemnité de travail dissimulé, indemnités de rupture et dommages et intérêts pour licenciement irrégulier et sans cause réelle et sérieuse.

Par arrêt du 27 octobre 2017 rendu sur déclaration de contredit de la société ABS, la cour d'appel de Douai a confirmé le jugement du 24 avril 2017 par lequel le conseil de prud'hommes de Saint-Omer avait déclaré irrecevable l'exception d'incompétence, matérielle et territoriale, soulevée par la société ABS au profit du tribunal de commerce, sans indication de la juridiction consulaire qu'elle estimait territorialement compétente.

Par jugement du 11 septembre 2018, irrévocable ensuite de la caducité de la déclaration d'appel de la société ABS prononcée le 27 février 2019, le conseil de prud'hommes de Saint-Omer a requalifié le contrat de prestation de services conclu entre la société ABS et M. N... en contrat de travail à durée indéterminée, reconnu à M. N... la qualification de cadre coefficient 130, dit que la rupture du contrat de travail à durée indéterminée n'était pas fondée sur une cause réelle et sérieuse et condamné en conséquence la société ABS à régler à M. N... diverses sommes à titre de rappel de salaire, congés payés, indemnités de préavis et de licenciement.

Par acte du 2 janvier 2019, la société ABS a fait assigner devant le tribunal de commerce d'Orléans M. N... et la société Leamy, créée le 31 décembre 2014 par ce dernier pour exercer une activité de couverture, aux fins d'entendre juger au principal que M. N... et la société Leamy se sont livrés à des actes de concurrence déloyale à son encontre, se sont appropriés une parties de sa clientèle, et obtenir leur condamnation solidaire à lui payer la somme de 338 730 euros à titre de dommages et intérêts, en sollicitant subsidiairement l'organisation d'une expertise et, encore plus subsidiairement, la condamnation de M. N... à lui verser la somme de 108 266,43 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l'article 6 de la convention de rupture.

Par jugement du 16 mai 2019, le tribunal a :
-déclaré recevable Monsieur N... en son exception d'incompétence et s'est déclaré incompétent au profit du conseil de Prud'hommes de Saint-Omer concernant le contrat de prestation de service requalifié en contrat de travail à durée indéterminée
-dit n'y avoir lieu à statuer sur les demandes de la SARL ABS formulées à l'encontre de Monsieur N... du fait de l'autorité de la chose jugée du jugement du conseil de Prud'hommes de Saint-Omer du 24 avril 2017 ayant requalifié le contrat de prestation de service liant Monsieur N... et la SARL ABS en contrat de travail à durée indéterminée et ayant débouté la société ABS de sa demande de dommages et intérêts au titre du détournement de clientèle
-dit que la société ABS n'apporte pas suffisamment d'élément à l'appui de ses prétentions pour permettre au tribunal de statuer sur le détournement de clientèle et la concurrence déloyale reprochée à la SARL Leamy
-dit que les parties ne démontrent aucune faute commise ni un quelconque préjudice qui en aurait découlé
-débouté les parties de leurs demandes de dommages et intérêts
-débouté la SARL ABS de sa demande d'expertise judiciaire
-débouté les parties de leurs demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile
-mis les entiers dépens à la charge de la SARL ABS

La société ABS a relevé appel de cette décision par déclaration en date du 2 août 2019, en en critiquant expressément tous les chefs du jugement en cause, hormis ceux ayant rejeté les demandes indemnitaires de M. N... et de la société Leamy.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 23 avril 2020, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses moyens,la société ABS demande à la cour de :
-la dire recevable et bien fondé en son appel interjeté à l'encontre du jugement rendu le 16 mai 2019 par le tribunal de commerce d'Orléans
Y faisant droit,
-réformer cette décision en ce qu'elle a :
déclaré recevable Monsieur N... en son exception d'incompétence et en ce que le tribunal de commerce d'Orléans s'est déclaré incompétent au profit du conseil de Prud'hommes de Saint-Omer concernant le contrat de prestation de service requalifié en contrat de travail à durée indéterminée ;
-dit n'y avoir lieu à statuer sur les demandes de la société ABS formulées à l'encontre de Monsieur N... du fait de l'autorité de la chose jugée du jugement du conseil de Prud'hommes de Saint-Omer du 24 avril 2017 ayant requalifié le contrat de prestation de service liant Monsieur N... et la société ABS en contrat de travail à durée indéterminée et ayant débouté la société ABS de sa demande de dommages et intérêts au titre du détournement de clientèle
-dit que la société ABS n'apporte pas suffisamment d'éléments à l'appui de ses prétentions pour permettre au tribunal de statuer sur le détournement de clientèle et la concurrence déloyale reprochée à la société Leamy
-dit que la société ABS ne démontre aucune faute commise ni un quelconque préjudice et l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts
-débouté la société ABS de sa demande d'expertise judiciaire
-débouté la société ABS de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile
-mis les entiers dépens à sa charge
Statuant à nouveau,
A titre principal,
-dire et juger que Monsieur N... et la société Leamy se sont livrés à des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société ABS
-dire et juger que Monsieur N... et la société Leamy se sont appropriés de façon déloyale une partie de la clientèle de la société ABS
-condamner solidairement Monsieur N... et la société Leamy à lui payer la somme de 338 730 € à titre de dommages et intérêts de ce chef
A titre subsidiaire,
-désigner avant dire droit tel expert qu'il plaira à la cour, avec pour missions :
d'entendre les parties
de comparer la liste des clients de la société ABS (et plus spécialement ceux visés à la clause de non-concurrence) et ceux de Monsieur N... exerçant en nom propre ainsi que ceux de la société Leamy depuis 2014
recueillir auprès des parties et exiger tous documents (comptables et autres) à même de lui permettre de forger son opinion sur le quantum des préjudices subis par la société ABS
remettre un rapport à la cour mentionnant le montant des préjudices subis par la société ABS
A titre très subsidiaire,
-dire et juger que Monsieur N... n'a pas respecté l'article 6 de la convention de rupture
-condamner Monsieur N... à lui verser la somme de 108 266,43 € à titre de dommages et intérêts de ce chef
En tout état de cause,
-dire et juger Monsieur N... et la société Leamy mal fondés en leur appel incident
-les en débouter ainsi que de toutes leurs demandes, fins et conclusions
-condamner solidairement Monsieur N... et la société Leamy à lui verser la somme de 7 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile , en remboursement des frais irrépétibles exposés en première instance et la somme de 3 000 € en remboursement des frais irrépétibles exposés en appel
-les condamner solidairement aux entiers dépens de première Instance et d'appel et accorder, en ce qui concerne ces derniers, à la S.C.P. Laval-Firkowski, le droit prévu à l'article 699 du code de procédure civile

Au soutien de son appel, la société ABS commence par faire valoir que c'est à tort que les premiers juges ont déclaré M. N... recevable en son exception d'incompétence, en indiquant que celui-ci aurait soulevé cette exception in limine litis, conformément aux dispositions de l'article 74 du code de procédure civile, ce qui est inexact selon elle et ne résulte pas de la copie du plumitif d'audience qu'elle s'est fait communiquer par le greffe.

L'appelante ajoute que le comportement de M. N... postérieurement à la rupture du contrat qui les liait engage « sa responsabilité personnelle de chef d'entreprise », pour laquelle « la compétence est celle du lieu où le dommage a été subi », ce dont elle déduit, sans plus d'explication, que la décision entreprise encourt infirmation « sur ce point ».

Sur le fond, la société ABS soutient que dès avant la rupture de la convention qui les liait, puis postérieurement encore, M. N... n'a eu de cesse, à titre personnel et via la société Leamy qu'il a créée, de détourner sa clientèle au mépris de la « convention de prestation de service » qui les liait, et de se livrer à des actes de concurrence déloyale qui ont eu de graves répercussions sur ses résultats.

Faisant valoir que pour de tels agissements, M. N... et la société Leamy engagent respectivement leurs responsabilité contractuelle et délictuelle à son égard, la société ABS sollicite leur condamnation solidaire à lui payer, à titre de dommages et intérêts, une somme de 338 730 euros, dont elle indique avoir fixé le quantum au regard de la baisse de chiffre d'affaires de son agence de Lille et « du chiffre d'affaires réalisé par les clients détournés par M. N... ».

Subsidiairement, pour le cas où la cour le jugerait nécessaire pour évaluer le préjudice qu'elle assure avoir subi, la société ABS sollicite l'organisation d'une expertise et, plus subsidiairement encore, l'appelante demande à la cour, pour le cas où elle estimerait, comme le conseil de prud'hommes de Saint-Omer, que la convention de rupture trouve à s'appliquer en sorte que M. N... n'aurait pas à la dédommager d'un quelconque détournement de clientèle, de constater qu'en saisissant le conseil de prud'hommes, M. N... a violé l'article 6 de la convention de rupture par lequel les parties renonçaient à engager toute action fondée ou trouvant son origine dans le contrat initial, et de condamner en conséquence l'intimé à lui verser à titre de dommages et intérêts la somme de 58 266,43 € correspondant au montant de la condamnation prononcée à son encontre par la juridiction prudhommale, augmentée de 50 000 euros pour les frais de procédure et les « couts induits » par le non-respect de la convention de rupture.

La société ABS s'oppose enfin à la demande reconventionnelle des intimés, en faisant valoir qu'ils ne démontrent aucune intention de nuire de sa part et que M. N... ne peut lui reprocher d'avoir engagé un recours pour les intimider alors que, de son côté, il n'a pas hésité à l'assigner devant le tribunal de commerce d'Orléans en ouverture d'une procédure de redressement judiciaire que le tribunal a déclarée non fondée.

Dans leurs dernières conclusions notifiées le 4 février 2020, auxquelles il est pareillement renvoyé pour l'exposé détaillé de leurs moyens, M. N... et la société Leamy demandent à la cour de :
-confirmer le jugement du tribunal de commerce d'Orléans en ce qu'il s'est déclaré incompétent matériellement et territorialement sur les demandes formulées à l'encontre de Monsieur N..., et en ce qu'il a débouté la société ABS de l'ensemble de ses demandes
-infirmer le jugement du tribunal de commerce d'Orléans en ce qu'il a débouté les intimés de leur demande de dommages intérêts pour procédure abusive,
Statuant de nouveau,
-dire et juger que la chambre commerciale de la cour d'appel est incompétente matériellement et territorialement pour statuer sur les demandes formulées à l'encontre de Monsieur N...,
-dire et juger que le litige « portant à l'encontre » de Monsieur N... relève de la compétence prud'hommale et ainsi du conseil de prud'hommes de Saint-Omer
Au surplus , à l'égard des demandes formulées à l'encontre de Monsieur N... :
-dire et juger que les demandes formulées à l'encontre de Monsieur N... sont au surplus irrecevables en vertu de l'autorité de la chose jugée accordée au jugement du conseil de prud'hommes de Saint Omer ayant déjà statué sur ce point,
A titre subsidiaire,
-dire et juger que la société ABS est défaillante dans la démonstration d'une quelconque faute commise par Monsieur N..., mais également concernant son préjudice et le lien de causalité entre la faute et le préjudice allégué
-dire et juger qu'aucun acte de concurrence déloyale ne peut être reproché à Monsieur N...
En conséquence,
-débouter la société ABS de l'ensemble de ses demandes formulées à l'encontre de Monsieur N...
-condamner la société ABS à la somme de 10 000 € à titre de dommages intérêts pour procédure abusive.
A l'égard des demandes formulées à l'encontre de la société Leamy :
-dire et juger que la société ABS est défaillante dans la démonstration d'une quelconque faute commise par la société Leamy, mais également concernant son préjudice et le lien de causalité entre la faute et le préjudice allégué,
-dire et juger qu'aucun acte de concurrence déloyale ne peut être reproché à la société Leamy
En conséquence,
-débouter la société ABS de l'ensemble de ses demandes formulées à l'encontre de Monsieur N...
-condamner la société ABS à la somme de 10 000 € à titre de dommages intérêts pour procédure abusive
En tout état de cause,
-condamner la société ABS à la somme de 7 000 € au titre des frais irrépétibles issus de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens

M. N... réitère devant la cour l'exception d'incompétence qu'il avait soulevée devant les premiers juges, en faisant valoir, de première part que selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, les juridictions prudhommales sont seules compétentes pour connaître de faits de concurrence déloyale allégués par un employeur à l'encontre de salariés, que les faits en cause se soient produits avant la rupture du contrat de travail, ou postérieurement à celle-ci s'ils sont directement liés à ceux-ci ; de seconde part que contrairement à ce que soutient l'appelante sans offrir la moindre preuve, il avait bien soulevé l'exception d'incompétence de la juridiction consulaire in limine litis.

M. N... demande au surplus à la cour de déclarer les demandes de la société ABS formées à son encontre irrecevables comme se heurtant à l'autorité de la chose jugée par le conseil des prud'hommes de Saint-Omer qui, dans son jugement du 11 septembre 2018, a débouté l'appelante de la demande de dommages et intérêts qu'elle avait déjà formée à son encontre pour des faits de concurrence déloyale, en retenant que ces faits n'étaient pas établis.

A titre subsidiaire au fond et concernant les demandes dirigées contre la société Leamy, les intimés soutiennent, comme devant les premiers juges, que la société ABS n'apporte pas la preuve des faits qu'elle leur reproche en reconnaissant d'ailleurs elle-même que la convention de rupture autorisait M. N... à exercer une activité concurrente dès le 1er décembre 2014, et même à démarcher et prendre comme clients, à partir du 1er janvier 2015, les clients qu'il avait apportés à la société ABS, et assurent n'avoir en toute hypothèse commis aucun acte de dénigrement ni aucun démarchage qui puissent leur être imputés à faute par l'appelante.

Les intimés soulignent que l'appelante, qui ne produit aucun élément comptable objectif, mais uniquement des documents établis par elle-même, ne fournit aucun élément sérieux de nature à démontrer l'existence du préjudice qu'elle prétend avoir subi et s'opposent à la demande d'expertise formée à titre subsidiaire, en faisant valoir qu'une telle mesure ne peut être ordonnée pour combler les lacunes de la société ABS dans l'administration de la preuve.

Les intimés ajoutent que la société ABS ne démontre non plus aucun lien de causalité entre la baisse de son chiffre d'affaires et les agissements qu'elle leur impute puis, à titre reconventionnel, sollicitent la condamnation de l'appelante à leur payer des dommages et intérêts pour procédure abusive, en expliquant que le gérant de la société ABS, qui est lui-même conseiller prudhommal, est parfaitement averti des procédures judiciaires et les a attraits devant la cour en leur reprochant des faits que le conseil de prud'hommes de Saint-Omer et le tribunal de commerce d'Orléans ont clairement indiqué n'être nullement démontrés, sans apporter d'éléments nouveaux, mais dans le seul but de les intimider, comme les anciens collègues militaires de M. N..., pour les dissuader de confier à un huissier de justice l'exécution forcée des condamnations qui ont été prononcées en leur faveur et que la société ABS n'a toujours pas exécuté.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 18 juin 2020, pour l'affaire être plaidée le 17 septembre suivant et mise en délibéré à ce jour.

A l'audience, les parties ont été invitées à consulter au greffe le dossier de première instance, notamment la note d'audience signée du greffier du tribunal de commerce d'Orléans figurant sur la cote du dossier, et autorisées à transmettre leurs éventuelles observations sous quinzaine au moyen d'une note en délibéré.

SUR CE, LA COUR :

I- Sur les demandes dirigées contre M. N...

A) sur la recevabilité de l'exception d'incompétence soulevée par M. N... au profit du conseil de prud'hommes de Saint Omer

L'article 74 du code de procédure civile énonce qu'à peine d'irrecevabilité, les exceptions doivent être soulevées simultanément, et avant tout défense au fond ou fin de non-recevoir.

Au cas particulier, la société ABS soutient que, contrairement à ce qu'ont indiqué les premiers juges, l'exception d'incompétence soulevée devant eux par M. N... ne l'aurait pas été in limine litis, et produit pour offre de preuve, en pièce 21, une pièce qui lui a été communiquée par erreur par le greffe de cette cour comme étant le plumitif de l'audience du tribunal de commerce du 21 mars 2019 alors que cette pièce constitue, comme son intitulé l'indique, une « fiche de suivi de dossier contentieux ».

Sur la note d'audience qui figure sur la cote du dossier du tribunal de commerce, qui porte la signature du greffier et que les parties ont été autorisées à consulter en cours de délibéré, il est très clairement indiqué que l'incompétence du tribunal de commerce d'Orléans a été soulevée oralement par les défendeurs, la société Leamy et M. N..., avant leur plaidoirie au fond, de la même manière, au demeurant, que dans les conclusions qu'ils avaient déposées en ce sens au tribunal.

C'est à raison, dans ces circonstances, que les premiers juges ont déclaré M. N... recevable en son exception d'incompétence.

B) sur la compétence du tribunal de commerce d'Orléans pour connaître des demandes de la société ABS dirigées contre M. N... et la fin de non-recevoir soulevée « au surplus » par M. N...

L'article L. 1411-1 du code du travail donne compétence au conseil de prud'hommes pour connaître des différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail de droit privé.

La société ABS reproche à M. N... d'avoir détourné sa clientèle et commis des actes de concurrence de déloyale à son détriment durant l'exécution de la relation contractuelle qui les liait, puis postérieurement à sa rupture.

Par jugement irrévocable du 11 septembre 2018, le conseil de prud'hommes de Saint Omer a requalifié le contrat de prestation de services conclu entre la société ABS et M. N... en contrat de travail à durée indéterminée.

Dès lors que le conseil des prud'hommes est compétent, à l'exclusion des juridictions commerciales, pour connaître de faits de concurrence déloyale qui se sont produits avant la rupture du contrat de travail ou qui, même s'ils sont postérieurs, sont directement liés au contrat de travail ou à la convention de rupture de ce contrat (v. par ex. soc. 30 juin 2010, no 09-67.496 ; 16 novembre 2017, no 16-15.860), le tribunal de commerce d'Orléans s'est à raison déclaré incompétent au profit du conseil de prud'hommes de Saint Omer pour connaître des demandes de la société ABS dirigées contre M. N....

La société ABS ne peut soutenir utilement que la responsabilité personnelle de M. N... serait recherchée en tant que chef d'entreprise, pour en déduire, sans plus d'explications, que le compétence serait celle du lieu où le dommage a été subi, alors que les faits qu'elle reproche à M. N... se rattachent tous à la convention qui avait avait été conclu entre eux et ou la convention de rupture qui s'y rattache, et que, n'en déplaise à l'appelante, il a été jugé de manière irrévocable que la convention ayant lié les parties constitue un contrat de travail.

Le jugement sera donc confirmé en ce que le tribunal de commerce d'Orléans s'est déclaré incompétent au profit du conseil de prud'hommes de Saint-Omer pour connaître des demandes formées par la société ABS contre M. N....

La cour observe que les premiers juges, après avoir décliné à raison leur compétence, ont ajouté au dispositif (partie finale) de leur décision « n'y avoir lieu à statuer sur les demandes de la société ABS formées à l'encontre de M. N... du fait de l'autorité de la chose jugée du jugement du conseil de prud'hommes de Saint-Omer du 24 avril 2017 ayant requalifié le contrat de prestation de services liant M. N... à la société ABS en contrat de travail à durée indéterminée et débouté la SARL ABS de sa demande de dommages et intérêts au titre du détournement de clientèle ».

Outre que ce n'est pas le jugement du conseil de prudhommes du 24 avril 2017, qui s'est prononcé uniquement sur la compétence, mais celui du 11 septembre 2018, qui a procédé à la requalification en cause, la formulation employée par les premiers juges prête à confusion, en ce qu'elle peut se comprendre, soit comme tenant les demandes de la société ABS irrecevables du fait de la chose jugée par le conseil de prudhommes de Saint-Omer, soit comme signifiant n'y avoir lieu à statuer, compte tenu de l'incompétence prononcée, sur la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée soulevée « au surplus » par M. N....

Le tribunal de commerce ne s'étant pas prononcé sur cette question dans sa motivation, et n'ayant prononcé aucune irrecevabilité dans le dispositif de sa décision, il n'y a pas lieu de se prononcer, en l'infirmant ou le confirmant, sur un chef de la décision entreprise qui n'a tranché aucune prétention.

Il convient en revanche de préciser que la décision des premiers juges, qui s'étaient déclarés incompétents pour connaître des demandes formées par la société ABS contre M. N..., ne peut s'entendre que comme n'ayant pas statué sur la fin de non-recevoir soulevée par M. N..., et que la cour, après avoir confirmé l'incompétence de la juridiction commerciale au profit de la juridiction prudhommale, ne peut davantage se prononcer sur cette fin de non-recevoir, qu'il appartiendra à la juridiction de renvoi, compétente pour connaître tant de la recevabilité que du bien-fondé des demandes formées par la société ABS contre M. N..., d'examiner le cas échéant.

II Sur les demandes formées contre la société Leamy

La cour observe que la société Leamy, qui n'a formé aucun appel incident sur ce chef, ne conteste plus la compétence de la juridiction commerciale orléanaise pour connaître des demandes formulées contre elle par la société ABS.

La liberté constitutionnelle du commerce et de l'industrie postule la liberté de la concurrence, c'est-à-dire la libre compétition entre les entreprises qui offrent, sur un marché déterminé, des produits ou des services tendant à satisfaire des besoins identiques ou similaires.

La société ABS, qui ne se prévaut à l'encontre de la société Leamy d'aucune convention contenant une clause de non-concurrence entre elles, ne peut donc imputer à faute à la société Leamy une activité concurrentielle, licite en soi, mais doit prouver, pour engager la responsabilité de cette société sur le fondement des articles 1382 et 1383 anciens du code civil, devenus 1240 et 1241 du même code, les pratiques déloyales de l'intimée, et le préjudice qui en résulté pour elle.

Pour offre de preuve, la société ABS verse aux débats trois courriels desquels il ressort que la société Leamy a adressé des devis pour des travaux de couverture aux entreprises [...] et Gifi, ainsi qu'à un syndic dénommé MSI Lille.

L'appelante ne produit pas le moindre justificatif des relations qu'elle-même entretenait avec ces deux entreprises et ce syndic, présentés de manière péremptoire comme « ses » clients, ni aucun élément dont il puisse résulter la preuve du moindre dénigrement ou d'un démarchage illicite.

La société ABS n'apportant la preuve d'aucune faute imputable à la société Leamy, elle ne peut qu'être déboutée de l'intégralité de ses demandes indemnitaires dirigées contre l'intéressée.

Les mesures d'instruction ne pouvant jamais être ordonnés pour suppléer la carence d'une partie dans l'administration de la preuve, la demande d'expertise formée à titre subsidiaire par la société ABS ne peut qu'être elle aussi rejetée.

III-Sur les demandes reconventionnelles en dommages et intérêts pour procédure abusive

L'exercice d'une action en justice constitue un droit, et ne dégénère en abus pouvant donner lieu à dommages et intérêts, que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière.

En l'espèce, les intimés, qui soutiennent que la société ABS chercherait à intimider M. N..., comme ses anciens collègues militaires, pour les dissuader d'engager des procédures d'exécution forcée des décisions prudhommales rendues en leur faveur, ne fournissent pas la preuve des intentions malicieuses prêtées à l'appelante.

Dans ces circonstances, et alors qu'il n'a été statué ni sur la recevabilité, ni sur le bien-fondé des demandes dirigées contre M. J... N..., sur lesquelles se prononcera le conseil de prud'hommes compétent pour en connaître, il ne peut être retenu par cette cour que l'action de la société ABS a été engagée dans des conditions de nature à voir dégénérer en abus son droit d'agir en justice.

IV- Sur les demandes accessoires

La société ABS, qui succombe au sens de l'article 696 du code de procédure civile, devra supporter les dépens de l'instance et régler à M. N... et à la société Leamy, à qui il serait inéquitable de laisser la charge de la totalité de leurs frais irrépétibles, les sommes respectives de 2 500 et 3 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

CONFIRME la décision entreprise en toutes ses dispositions critiquées, sauf à préciser qu'en dépit de la formulation du dispositif « dit n'y avoir lieu à statuer sur les demandes de la société ABS à l'encontre de M. J... N... du fait de l'autorité de la chose jugée [
] le 24 avril 2017 par le conseil de prud'hommes de Saint Omer », les premiers juges n'ont pas statué sur la fin de non-recevoir soulevée par M. N...,

Y AJOUTANT,

Dit n'y avoir lieu de statuer sur la fin de non-recevoir soulevée « au surplus » par M. N..., tirée de la chose déjà jugée par le conseil de prud'hommes de Saint-Omer, et sur laquelle il appartiendra à la juridiction de renvoi, compétente pour connaître tant de la recevabilité que du bien-fondé des demandes formées par la société ABS contre M. N..., de se prononcer le cas échéant,

CONDAMNE la société Abaque bâtiment services à payer à M. J... N... la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Abaque bâtiment services à payer à la société Leamy la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

RENVOIE l'affaire, en ce qu'elle porte contre M. J... N..., devant le conseil de prud'hommes de Saint Omer,

CONDAMNE la société Abaque bâtiment services aux dépens,

DIT que le dossier de l'affaire sera transmis au conseil de prud'hommes de Saint-Omer à la diligence du greffe, à l'expiration du délai de pourvoi ou, le cas échéant, lorsqu'il aura été statué sur celui-ci.

Arrêt signé par Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, présidant la collégialité et Madame Marie-Claude DONNAT , Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Orléans
Formation : C1
Numéro d'arrêt : 19/028091
Date de la décision : 05/11/2020
Sens de l'arrêt : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.orleans;arret;2020-11-05;19.028091 ?
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