COUR D'APPEL D'ORLÉANS
CHAMBRE COMMERCIALE, ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE
GROSSES + EXPÉDITIONS : le 23/01/2020
Me Sarah MERCIER
la SARL ARCOLE
ARRÊT du : 23 JANVIER 2020
No : 17 - 20
No RG 19/01577 - No Portalis
DBVN-V-B7D-F5TO
DÉCISION ENTREPRISE : Ordonnance de référé du Président du Tribunal de Commerce de TOURS en date du 15 Février 2019
PARTIES EN CAUSE
APPELANTE :- Timbre fiscal dématérialisé No: 1265243863217431
SARL LE CARRE ROUGE
Prise en la personne de ses représentants légaux, Monsieur X... D... et Monsieur J... W... en leur qualité de co-gérants
[...]
[...]
Ayant pour avocat Me Sarah MERCIER, avocat au barreau de TOURS
D'UNE PART
INTIMÉES : - Timbre fiscal dématérialisé No: 1265244435778361
Madame G... N... épouse N... née U...
née le [...] à MONNAIE (37380)
[...]
[...]
Ayant pour avocat Me Antoine BRILLATZ, membre de la SARL ARCOLE, avocat au barreau de TOURS
la SARL MORCEAUX CHOISILLE
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège [...]
[...]
Défaillante
D'AUTRE PART
DÉCLARATION D'APPEL en date du : 27 Avril 2019
ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 24 octobre 2019 2019
Dossier communiqué au Ministère Public le 2019
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats à l'audience publique du 21 NOVEMBRE 2019, à 14 heures, Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, en son rapport, et Madame Fanny CHENOT, Conseiller, ont entendu les avocats des parties en leurs plaidoiries, avec leur accord, par application de l'article 786 et 907 du code de procédure civile.
Après délibéré au cours duquel Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel D'ORLEANS, et Madame Fanny CHENOT, Conseiller, ont rendu compte à la collégialité des débats à la Cour composée de :
Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS,
Madame Fanny CHENOT, Conseiller,
Madame Nathalie MICHEL, Conseiller,
Greffier :
Madame Marie-Claude DONNAT, Greffier lors des débats et du prononcé,
ARRÊT :
Prononcé publiquement par arrêt réputé contradictoire le 23 JANVIER 2020 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE :
Par acte notarié du 29 février 2016, M. F... N... et son épouse Mme G... U... épouse N... ont vendu à la SARL Le Carré rouge un fonds de commerce de charcuterie sis à [...] pour le prix de 150.000 €. Cet acte comportait une clause d'interdiction de se rétablir et d'établir stipulant que "le cédant s'interdit la faculté :
- de créer, acquérir, exploiter, prendre à bail ou faire valoir, directement ou indirectement, à quelque titre que ce soit, aucun fonds similaire en tout ou partie à celui présentement cédé,
- de donner à bail pour une activité identique à l'activité principale cédée,
- de s'intéresser directement ou indirectement ou par personne interposée et même en tant qu'associé ou actionnaire de droit ou de fait, même à titre de simple commanditaire, ou de gérant, dirigeant social, salarié ou préposé, fut-ce à titre accessoire, à une activité concurrente ou similaire en tout ou partie à celle exercée par lui dans le fonds présentement cédé".
L'acte précisait que cette interdiction s'exerce à compter de ce jour dans un rayon de cinq kilomètres du lieu d'exploitation du fonds cédé et ce pendant trois années et qu'en cas d'infraction, le cédant est de plein droit redevable d'une indemnité forfaitaire de quatre cents euros par jour de contravention, le cessionnaire se réservant en outre le droit de demander à la juridiction compétente d'ordonner la cessation immédiate de ladite infraction.
Exposant avoir appris que Mme N... travaillait comme salariée pour la Charcuterie Manceaux sur Choisille, en vertu d'un contrat à durée indéterminée, 4 heures par semaine les samedis de 10 heures à 14 heures à compter du 24 mars 2018, puis selon avenant en date du 31 août 2018, 12 heures par semaine, les jeudi et vendredi après midi et samedi de 10 h à 14 heures, la société le Carré Rouge, après avoir fait constater cette situation par procès verbal de constat en date du 6 octobre 2018, a fait assigner par acte du 5 novembre 2018 Mme N... devant le Président du tribunal de commerce de Tours statuant en référé aux fins d'obtenir notamment, la condamnation de Mme N... à lui payer la somme de 19200€ à titre d'indemnité conventionnelle provisionnelle en raison de la violation de la clause de non rétablissement ainsi que la cessation sous astreinte de l'activité de salariée au sein de la société Morceaux Choisille.
Mme N... a justifié en cours d'instance de la cessation de l'activité litigieuse à effet du 6 octobre 2018.
Par ordonnance du 27 avril 2019, le juge des référés du tribunal de commerce de Tours a statué en ces termes :
Vu les dispositions des articles 138, 139, 489, et 873 du code de procédure civile,
Vu la jurisprudence visée,
Vu les pièces du dossier,
Renvoyons les parties à mieux se pourvoir ainsi qu'elles en aviseront, mais dès à présent, vu l'urgence,
Donnons acte à Mme G... N... de ce qu'elle consent à ce que les
documents détenus par Maître Y..., Huissier de justice à Tours, y compris sa lettre de démission soient remis à la société Le Carré rouge et de ce qu'elle a cessé toutes fonctions salariées au sein de société Morceaux Choisille,
Déboutons Mme G... N... de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
Condamnons, à titre de provision, Mme G... N... à payer à la société Le Carré rouge la somme de 3.000 €, à titre d'indemnité conventionnelle à raison de la violation de la clause de non rétablissement, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 30 octobre 2018,
Disons que les intérêts échus pour une année entière produiront eux-mêmes intérêt ;
Condamnons Mme G... N... à payer à la société Le Carré rouge la somme de 3.000 € au titre de l'indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamnons Mme G... N... au coût des assignations, soit la somme de 137,70€ ainsi qu'aux entiers dépens qui comprendront le coût de l'établissement du procès-verbal de constat d'huissier à hauteur de 797,83 € TTC, lesquels dépens liquidés et taxés en jugeant à la somme de 123,97 €, en ce non compris le coût de l'établissement du procès-verbal de constat d'huissier.
La société Le Carré rouge a formé appel de la décision par déclaration du 27 avril 2019 en intimant Mme N..., et en critiquant l'ordonnance uniquement en ce qu'elle a condamné Mme N... à payer à la société le Carré rouge la somme de 3000€ à titre d'indemnité conventionnelle à raison de la violation de la clause de non réablissement augmentée des intérêts au taux légal à compter du 30 octobre 2018, et dit que les intérêts échus pour une année entière produiront eux-mêmes intérêts.
Elle demande à la cour par dernières conclusions du 15 juillet 2019 de :
Vu l'alinéa premier et second de l'article 873 du code de procédure civile,
Vu l'article 1231-5 du code civil dans sa version postérieure à l'ordonnance du 10 février 2016,
Vu la jurisprudence visée,
Infirmer l'ordonnance de référé du 15 février 2019 rendue par le Tribunal de commerce de Tours,
Et Statuant à nouveau,
Condamner Mme G... N... à payer à la SARL Le Carré rouge la somme provisionnelle de 15.600 euros à titre d'indemnité conventionnelle à raison de la violation de la clause de non-rétablissement et ce, avec intérêts au taux légal à compter du 30 octobre 2018 et capitalisation des intérêts en l'absence de contestation sérieuse,
Condamner Mme G... N... à payer à la SARL Le Carré rouge, la somme provisionnelle de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens d'instance en ce compris le coût de l'établissement du procès-verbal de constat d'huissier à hauteur de 797,83 euros TTC.
Elle expose que la clause pénale s'applique du seul fait de l'inexécution de la clause, sans nécessité de preuve d'un préjudice et que le juge des référés n'a pas le pouvoir de la modérer, l'absence de contestation sérieuse sur le principe de l'obligation sollicitée étant la seule condition de l'octroi d'une provision et seul le juge du fond pouvant réduire une clause pénale manifestement excessive, si le débiteur justifie de ce caractère manifestement excessif. Elle ajoute qu'elle a subi une baisse significative de son chiffre d'affaires sur l'année 2018.
Mme N... demande à la cour, par dernières conclusions du 8 août 2019 de:
Dire recevable mais mal fondé l'appel interjeté par la SARL Le Carré rouge de l'ordonnance de référé rendue par le Président du Tribunal de Commerce de Tours le 15 février 2019 recevable et fondé l'appel incident interjeté par Mme N... de ladite ordonnance ;
En conséquence, confirmer l'ordonnance entreprise sauf en qu'elle a condamné Mme N... à payer à la SARL Le Carré Rouge la somme de 3 000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile,
Infirmant et statuant à nouveau de ce chef ramener ladite condamnation à la somme de 1000 €,
Y ajoutant, condamner la SARL Le Carré rouge à payer à Mme N... la somme de 3000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de ses frais irrépétibles en cause d'appel.
Mme N... indique qu'elle n'a pas relu la clause du contrat et a cru, de bonne foi, qu'elle pouvait être salariée, quelques heures par semaine, d'un fonds de charcuterie exploité à [...]. Elle ne conteste pas le principe d'une indemnité conventionnelle mais estime que dès lors que le juge des référés a le pouvoir d'accorder une provision lorsque l'obligation n'est pas sérieusement contestable, il a celui d'apprécier le caractère non sérieusement contestable du principe de l'obligation mais aussi de son étendue. Elle en déduit qu'en considérant que l'obligation dont se prévalait la demanderesse était incontestable seulement à hauteur de 3 000 € le premier juge n'a fait qu'user du pouvoir que lui confère l'article 873 alinéa 2 du code civil notamment en considération du fait que Mme N... n'a travaillé que 4 heures par semaine du 24 mars 2018 au 31 août 2018 et 12 heures par semaine du 1 er septembre 2018 au 6 octobre 2018 soit au total 110 heures.
Elle soutient qu'en l'espèce, la SARL Le Carré rouge ne justifie d'aucun préjudice pouvant être mis en relation avec le travail salarié de Mme N... au profit de la société Morceaux de Choisille, la seule comparaison des chiffres d'affaires mensuels réalisés entre mars et septembre des années 2017 et 2018 étant insuffisante à établir que la baisse de chiffre d'affaires HT constatée est en relation avec les quelques heures de travail de Mme N... puisqu'en 2017, elle ne travaillait pas et que le chiffre d'affaires a pourtant baissé (22823€ en 2017 contre 35.000€ en moyenne pour les deux exercices précédents). Elle ajoute que la diminution de chiffre d'affaires constatée n'est pas due à la présence de Mme N... mais à la concurrence de la Sté Morceaux de Choisille, à l'ouverture d'un magasin Grand Frais à Tours Nord en juillet 2018 et à une mauvaise qualité de la relation client de la SARL Le Carré rouge.
L'affaire a été fixée à l'audience du 21 novembre 2019 en application des dispositions de l'article 905 du code de procédure civile
Il est expressément référé aux écritures des parties pour plus ample exposé des faits ainsi que de leurs moyens et prétentions.
La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 24 octobre 2019.
La société Morceaux Choisille à laquelle la déclaration d'appel a été signifiée par acte délivré le 28 juin 2019 à personne morale n'a pas constitué avocat.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Aux termes de l'article 873 alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, il (le président du tribunal de commerce) peut accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
La qualification de clause pénale, de la clause contenue dans l'acte notarié du 26 février 2016 stipulant le paiement d'une indemnité forfaitaire de 400€ par jour de contravention n'est pas remise en cause.
Mme N... ne conteste pas l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a retenu qu'elle n'avait pas respecté la clause d'interdiction de se rétablir et de s'établir. L'indemnité conventionnelle n'est donc pas sérieusement contestable en son principe.
L'intimée soulève en revanche le caractère sérieusement contestable de l'indemnité sollicitée, dans son quantum, au motif que le préjudice invoqué par la SARL Le Carré rouge, notamment la baisse de son chiffre d'affaires ne peut être mis en relation avec les quelques heures de travail qu'elle a effectuées et a en réalité d'autres causes. Elle invoque aussi sa bonne foi, ayant cessé l'activité interdite dès que la SARL Le Carré rouge l'a informée de l'infraction.
Il appartiendra au juge du fond éventuellement saisi en application de l'article 1231-5 du Code civil d'apprécier, au jour où il statuera, s'il existe une disproportion manifeste entre le préjudice subi par le bénéficiaire de la clause pénale et le montant conventionnement fixé.
Le pouvoir du juge du fond de modifier les indemnités conventionnelles n'exclut toutefois pas celui du juge des référés d'allouer une provision quand la dette n'est pas sérieusement contestable.
La cour statuant en qualité de juge des référés constate à ce stade qu'au regard des circonstances de la cause et des contestations soulevées par Mme N... quant au préjudice subi par la cessionnaire du fonds de commerce et au nombre relativement faible d'heures travaillées par elle, que la provision sollicitée n'apparaît pas sérieusement contestable dans la limite de 3000€.
L'ordonnance sera donc confirmée pour ces motifs substitués aux siens.
Elle sera aussi confirmée en ses dispositions relatives aux dépens incluant le coût de l'établissement du procès verbal de constat d'huissier à hauteur de 797,83€. En revanche, l'indemnité allouée par le premier juge au titre de l'article 700 du code de procédure civile apparaît excessive et sera ramenée à la somme de 1800€.
La SARL Le Carré rouge succombant en son appel, les dépens exposés devant la cour seront mis à sa charge. L'équité ne commande pas de faire application en appel des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
- Infirme l'ordonnance en ses dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau de ce seul chef,
- Condamne Mme G... U... épouse N... à verser à la SARL Le Carré Rouge une indemnité de 1800€ au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Confirme le surplus des dispositions contestées de l'ordonnance ;
Y ajoutant,
- Dit n'y avoir lieu à application en appel des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamne la SARL Le Carré Rouge aux dépens exposés en appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Arrêt signé par Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, présidant la collégialité et Madame Marie-Claude DONNAT , Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT