La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/01/2020 | FRANCE | N°18/013241

France | France, Cour d'appel d'Orléans, C1, 09 janvier 2020, 18/013241


COUR D'APPEL D'ORLÉANS

CHAMBRE COMMERCIALE, ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE

GROSSES + EXPÉDITIONS : le 09/01/2020
la SCP LAVAL - FIRKOWSKI
Me Estelle GARNIER
ARRÊT du : 09 JANVIER 2020

No : 2 - 20
No RG 18/01324 - No Portalis
DBVN-V-B7C-FV7J

DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du Tribunal de Grande Instance de BLOIS en date du 29 Mars 2018

PARTIES EN CAUSE

APPELANT :- Timbre fiscal dématérialisé No: 1265220659969069
Maître H... C... (DCD)
[...]
[...]

Ayant pour avocat postulant Me Olivier LAVAL, membre de la SCP LAVAL - FIR

KOWSKI, avocat au barreau D'ORLEANS et pour avocat plaidant Me Jean Pierre FABRE, membre de la SCP FABRE-GUEUGNOT, avocat a...

COUR D'APPEL D'ORLÉANS

CHAMBRE COMMERCIALE, ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE

GROSSES + EXPÉDITIONS : le 09/01/2020
la SCP LAVAL - FIRKOWSKI
Me Estelle GARNIER
ARRÊT du : 09 JANVIER 2020

No : 2 - 20
No RG 18/01324 - No Portalis
DBVN-V-B7C-FV7J

DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du Tribunal de Grande Instance de BLOIS en date du 29 Mars 2018

PARTIES EN CAUSE

APPELANT :- Timbre fiscal dématérialisé No: 1265220659969069
Maître H... C... (DCD)
[...]
[...]

Ayant pour avocat postulant Me Olivier LAVAL, membre de la SCP LAVAL - FIRKOWSKI, avocat au barreau D'ORLEANS et pour avocat plaidant Me Jean Pierre FABRE, membre de la SCP FABRE-GUEUGNOT, avocat au barreau de PARIS,

D'UNE PART

INTIMÉE : - Timbre fiscal dématérialisé No: 1265221601460769
SCI AIR CAR
Agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité au dit siège, [...]
[...]

Ayant pour avocat postulant Me Estelle GARNIER, avocat au barreau d'ORLEANS,
et pour avocat plaidant Me Georges LAINE, avocat au barreau de TOURS

PARTIES INTERVENANTES :
Monsieur K... C...
né le [...] à BOULOGNE BILLANCOURT (92100)
Unit [...]
[...]

Ayant pour avocat postulant Me Olivier LAVAL, membre de la SCP LAVAL - FIRKOWSKI, avocat au barreau D'ORLEANS et pour avocat plaidant Me Jean Pierre FABRE, membre de la SCP FABRE-GUEUGNOT, avocat au barreau de PARIS,

Madame L... O... épouse C...
née le [...] à TUNIS (10010)
[...]
[...]

Ayant pour avocat postulant Me Olivier LAVAL, membre de la SCP LAVAL - FIRKOWSKI, avocat au barreau D'ORLEANS et pour avocat plaidant Me Jean Pierre FABRE, membre de la SCP FABRE-GUEUGNOT, avocat au barreau de PARIS,

Monsieur A... C...
né le [...] à PARIS
[...]
[...]

Ayant pour avocat postulant Me Olivier LAVAL, membre de la SCP LAVAL - FIRKOWSKI, avocat au barreau D'ORLEANS et pour avocat plaidant Me Jean Pierre FABRE, membre de la SCP FABRE-GUEUGNOT, avocat au barreau de PARIS,

D'AUTRE PART

DÉCLARATION D'APPEL en date du : 17 Mai 2018
ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 24 octobre 2019

COMPOSITION DE LA COUR

Lors des débats à l'audience publique du 07 NOVEMBRE 2019, à 14 heures, Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, et Madame Fanny CHENOT, Conseiller, en son rapport, ont entendu les avocats des parties en leurs plaidoiries, avec leur accord, par application de l'article 786 et 907 du code de procédure civile.

Après délibéré au cours duquel Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel D'ORLEANS, et Madame Fanny CHENOT, Conseiller, ont rendu compte à la collégialité des débats à la Cour composée de :

Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS,
Madame Fanny CHENOT, Conseiller,
Madame Nathalie MICHEL, Conseiller,

Greffier :

Madame Marie-Claude DONNAT, Greffier lors des débats et du prononcé,

ARRÊT :

Prononcé publiquement par arrêt contradictoire le 09 JANVIER 2020 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

EXPOSE DU LITIGE :

La SCI Air Car est propriétaire de locaux à usage industriel situés commune de [...], en zone aéroportuaire, qu'elle avait donnés à bail commercial, le 16 juillet 1997, à la SARL Atelier Réparation Entretien Camions Citernes (Arecc), qui y exploitait une activité de nettoyage et réparation de citernes routières utilisées pour le transport de produits pétroliers -activité relevant de la législation relative aux installations classées pour la protection de l'environnement.

Par jugement du 8 juillet 2007, le tribunal de commerce d'Orléans a ouvert à l'égard de la société Arecc une procédure de redressement judiciaire, et désigné comme mandataire judiciaire Maître H... C....

Selon ordonnance du 16 avril 2008, le juge des référés du tribunal de grande instance de Châteauroux a constaté la résiliation du bail commercial, ordonné l'expulsion de la société Arrec et condamné ladite société à payer la somme provisionnelle de 7 748,38 euros au titre de l'arriéré de loyers, outre une indemnité mensuelle d'occupation de 1 847,01euros jusqu'à la libération effective des lieux.

Par jugement du 14 mai 2008, le tribunal de commerce d'Orléans a converti la procédure de redressement judiciaire en liquidation judiciaire, autorisé une poursuite d'activité de trois mois afin d'examiner les possibilités de cession de l'entreprise, et désigné Maître C... en qualité de liquidateur judiciaire.

Les clés ont été restitués à la SCI Air Car le 13 août 2008.

Par arrêté du 22 décembre 2008, contre lequel il n'a pas été exercé de recours, le préfet de l'Indre a mis en demeure Maître C..., ès qualités, de prendre toutes les dispositions utiles, en application de l'article R. 512-74 du code de l'environnement, pour mettre en sécurité le site dans le mois de la notification dudit arrêté.

Le 18 janvier 2010, Maître C... a déposé à la préfecture de l'Indre un dossier de cessation d'activité réalisé en décembre 2009 par la société Antéa, à la suite duquel la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement Centre (DREAL) a procédé à une inspection du site le 19 mars 2010, et conclu dans un rapport du 19 avril suivant que la démarche de cessation d'activité et de remise en état du site demeurait incomplète car des déchets restaient à éliminer (amiante et cuves contenant des hydrocarbures) et la gestion des points de pollution résultant de l'activité passée restait à opérer (sondages à effectuer en raison d'une pollution du sol liée à un déversement d'hydrocarbures en milieu naturel le 25 mars 2008).

Par courrier du 23 avril 2010, réceptionné le 30 avril suivant, la DREAL a transmis le rapport d'inspection à Maître C..., en lui demandant de justifier dans un délai maximum de trois mois de la réalisation des mesures correctives demandées.

Maître C... a alors interrogé la société Antéa sur le coût des mesures complémentaires à entreprendre.

La société Antéa a établi le 28 juillet 2010 une offre technique et financière d'un coût HT de 7950 euros, que Maître C... a transmise le 5 août 2010 à la SCI Air Car, en sollicitant l'accord de la propriétaire du site sur une prise en charge de la moitié du coût de cette intervention.

Faisant valoir qu'il incombait à Maître C..., en qualité de liquidateur judiciaire de la société Arecc, de constituer le dossier de cessation d'activité prévue par l'article R. 512-74 du code de l'environnement et d'en supporter le coût, la SCI Air Car a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance d'Orléans qui, par ordonnance du 12 janvier 2011 dont il n'a pas été relevé appel, a, notamment, condamné Maître C..., ès qualités, à régler à la société Antéa la somme TTC de 9508,20 euros pour acceptation et mise en œuvre du devis du 28 juillet 2010.

Maître C... n'a pas réglé la société Antéa et par jugement du 1er juin 2011, le tribunal de commerce d'Orléans a clôturé la liquidation judiciaire de la société Arecc pour insuffisance d'actif.

Après avoir exercé une action directe contre l'assureur de responsabilité civile de la société Arrec qui, par un jugement du tribunal de grande instance de Châteauroux confirmé le 19 février 2015 par la cour d'appel de Bourges, a été condamné à prendre en charge les conséquences dommageables du sinistre survenu le 25 mars 2008 du temps de l'exploitation de son assurée (fuite d'une citerne), la SCI Air Car a fait procéder aux travaux de remise en état du site et a obtenu le 25 avril 2016 le procès-verbal dit de récolement prévu à l'article R. 512-39-3 du code de l'environnement, sans lequel il lui était impossible vendre ou relouer les lieux.

Faisant valoir qu'en manquant d'effectuer les démarches qui lui incombaient et qui lui auraient permis de retrouver rapidement la liberté de vendre ou de céder son bien, Maître C... a commis une faute dont il doit répondre personnellement, en application de l'article 1382 ancien du code civil, en l'indemnisant du préjudice qu'il lui a causé, la SCI Air Car a fait assigner Maître H... C... devant le tribunal de grande instance de Blois qui, par jugement du 29 mars 2018, a :

-rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par Maître C...,

-condamné Maître C... à payer à la SCI Air Car la somme de 105279 euros à titre de dommages et intérêts,

-rejeté toute autre demande,

-ordonné l'exécution provisoire à hauteur de 50000 euros,

-condamné Maître C... aux dépens ainsi qu'à verser à la SCI Air Car une somme de 1400 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Maître C... a relevé appel de cette décision par déclaration en date du 17 mai 2018, en critiquant expressément tous les chefs du jugement en cause.
Maître C... est décédé le 28 novembre 2018 en laissant pour lui succéder Mme L... O..., son épouse survivante, et deux fils nés d'une précédente union, M. K... C... et M. A... C..., appelés en intervention forcée le 30 avril et le 6 juin 2019 après la notification, le 15 avril 2019, du décès de leur auteur.

Dans leurs dernières conclusions notifiées le 11 septembre 2019 en leur qualité d'héritiers de feu H... C..., auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de leurs arguments et moyens, Mme O... et MM C... (les consorts C...) demandent à la cour de :
-réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

-dire et juger l'action de la société Air Car irrecevable comme prescrite,

Subsidiairement sur le fond,

-dire et juger que la société Air Car ne rapporte pas la preuve de l'existence d'une faute commise par le mandataire en lien causal direct avec un préjudice indemnisable,

En conséquence,

-débouter la société Air Car de l'ensemble de ses prétentions,

-condamner la SCI Air Car aux entiers dépens de l'instance ainsi qu'à payer aux héritiers de feu Maître C... la somme de 5000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

Au soutien de leurs prétentions, les consorts C... reprochent à titre principal aux premiers juges d'avoir déclaré la SCI Air Car recevable en son action qui, selon eux, est prescrite par application des dispositions de l'article 2224 du code civil. Ils font valoir en ce sens que l'intimée a eu connaissance dès la mise en demeure du préfet du 22 décembre 2008 des faits lui permettant d'agir à l'encontre de leur auteur, et en tous cas au plus tard le 12 janvier 2011, date à laquelle le juge des référés du tribunal de grande instance d'Orléans a fait droit à sa demande tendant à la condamnation de feu H... C..., ès qualités, à faire procéder par la société Antéa aux investigations nécessaires pour déterminer les mesures à entreprendre pour dépolluer le site ensuite de la cessation d'activité de la société Arecc. Ils en déduisent que l'action engagée le 24 mai 2016 doit être déclarée prescrite et que c'est en méconnaissance des dispositions issues de la loi no 2008-561 du 17 juin 2008 que les premiers juges ont fixé le point de départ de la prescription à la date de clôture de la liquidation judiciaire qui correspond, non pas à la date de la connaissance des faits qui permettait à l'intimée d'agir, mais à la date de la manifestation du dommage à laquelle il était fait référence à l'ancien article 2270-1 abrogé par la loi du 17 juin 2008.

Subsidiairement sur le fond, les consorts C... font valoir que la SCI Air Car n'apporte la preuve ni de la faute prétendument commise par leur auteur, ni d'un préjudice indemnisable.

Reconnaissant que feu H... C... était tenu de satisfaire aux prescriptions de l'article 34-1 du décret du 21 septembre 1977 [devenu l'article R. 512-74 du code de l'environnement], c'est-à-dire de remettre le site de l'installation classée dans un état tel qu'il ne s'y manifeste aucun des dangers ou inconvénients mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, les consorts C... soulignent que leur auteur a déclaré dès le 17 juin 2008 la cessation d'activité de la société liquidée au représentant de l'Etat et que, après une discussion engagée avec la propriétaire du site sur la question de savoir sur qui pesait la charge de la dépollution à raison de l'expulsion intervenue antérieurement à l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire, il a engagé toutes les démarches idoines en chargeant la société Antéa, en décembre 2009, de procéder à la réalisation du dossier de cessation d'activité et aux investigations techniques utiles, qu'après la visite sur site de la DREAL, le 19 mars 2010, il a immédiatement demandé à la société Antéa de chiffrer le coût des mesures et investigations complémentaires réclamées par la Préfecture, que ne disposant pas des fonds nécessaires au financement de ces nouvelles mesures, il a vainement sollicité de la SCI Air Car la prise en charge d'une partie de ces frais en sorte que, connaissance prise de l'ordonnance de référé du tribunal de grande instance d'Orléans l'ayant condamné, ès qualités, à supporter le coût de l'étude technique proposée par la société Antéa, le tribunal de commerce d'Orléans n'a eu d'autre choix, en l'absence de fonds lui permettant, ès qualités, de faire appel de l'ordonnance de référé du 12 janvier 2011 ou de l'exécuter, que de prononcer la clôture des opérations de liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif.

Soulignant que ce n'est pas en raison d'une quelconque faute de leur auteur que la SCI Air Car n'a pu obtenir le certificat de récolement du site avant le 25 avril 2016, mais du fait de l'impécuniosité de la procédure collective et de sa propre négligence, dès lors qu'en sa qualité de propriétaire du site, elle aurait dû faire procéder plus rapidement aux travaux de dépollution et agir plus promptement contre l'assureur de responsabilité civile de son ancienne locataire, les consorts C... concluent au rejet de toutes les demandes indemnitaires de l'intimée, en ajoutant que cette dernière n'apporte en toute hypothèse pas la preuve d'une perte de chance d'avoir pu relouer son terrain plus précocément.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 4 octobre 2019, auxquelles il est pareillement renvoyé pour l'exposé détaillé de ses arguments et moyens, la SCI Air Car demande à la cour de :
-dire et juger irrecevable et en tous cas mal fondé l'appel de Maître H... C... et de ses héritiers
-les en débouter, ainsi que de toutes demandes, fins et conclusions
-confirmer la décision entreprise, sauf à condamner in solidum Mme O..., Messieurs K... et Y... C..., pris en leur qualité d'héritiers de Maître H... C..., à payer à la SCI Air Car la somme de 105279euros avec intérêts au taux légal à compter du 29 mars 2018, outre une indemnité de 1 400€ pour les frais irrépétibles de première instance
-les condamner in solidum aux dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'à lui payer la somme de 7000euros pour les frais irrépétibles d'appel

Sur la recevabilité de son action, la SCI Air Car fait d'abord valoir que les dispositions de l'article 2225 du code civil lui sont applicables, ce dont elle déduit que son action introduite moins de cinq ans après que feu H... C... a cessé ses fonctions n'est pas atteinte par la prescription.

Subsidiairement sur la prescription, l'intimée fait valoir que même à appliquer les dispositions de l'article 2224 du code civil, son action introduite le 24 mai 2016 doit être déclarée recevable dès lors qu'elle ne pouvait utilement rechercher la responsabilité personnelle du liquidateur tant qu'il lui était possible d'agir à son encontre ès qualités de liquidateur de la société Arecc, ce dont elle déduit que le délai de la prescription quinquennale n'a commencé à courir que le 24 juin 2011, date à laquelle elle a appris dans la presse que les opérations de liquidation judiciaire de la société Arecc avaient été clôturées et que Maître C..., dont les fonctions avaient cessé, n'effectuerait donc plus aucune démarche pour régulariser la situation des lieux.

Sur le fond, la SCI Air Car rappelle que la résiliation du bail n'avait nullement affranchi son ancienne locataire de son obligation de remise en état et de dépollution des lieux, puis impute à faute à feu H... C... de ne pas avoir mené à bien la procédure de cessation d'activité de son administrée. L'intimée lui reproche d'avoir déposé le 17 juin 2008 à la préfecture de l'Indre un dossier de cessation d'activité incomplet, de n'avoir rien fait pour la dépollution du site jusqu'au 22 décembre 2008, date à laquelle le préfet a dû prendre un arrêté de mise en demeure que le liquidateur n'a pas contesté, mais qui restait vain encore six mois plus tard, le 10 juin 2009, de n'avoir toujours pas pris les mesures utiles en mars 2010, de sorte que le 23 avril suivant, les services de la préfecture ont dû rappeler au liquidateur qu'il lui appartenait de faire réaliser des mesures correctives, puis de n'avoir donné suite, ni à cette dernière injonction du préfet, ni à l'ordonnance de référé qui l'avait condamné ès qualités, en janvier 2011, à faire procéder par la société Antéa aux investigations idoines, préférant provoquer son dessaisissement en faisant clôturer les opérations de liquidation pour insuffisance d'actif.

La SCI Air Car souligne que les appelants ne peuvent utilement exciper de l'impécuniosité de la liquidation judiciaire de la société Arecc, alors que feu H... C... n'en a jamais fait état au préfet pour justifier son inaction, ce qui aurait pourtant permis une saisine de l'ADEME en application de l'article L. 541-3 du code de l'environnement, et rappelle que, malgré ses demandes, par courrier du 14 février 2012 d'abord, puis par voie de conclusions devant les premiers juges, aucune pièce n'a jamais été produite pour justifier de cette prétendue impécuniosité.

L'intimée précise que la clôture de la procédure de liquidation judiciaire de la société Arecc établit que la trésorerie de ladite société était épuisée, mais ne démontre nullement que la réalisation des actifs des deux établissements qu'exploitait la société, à [...] et à [...], n'avait pas dégagé en cours de procédure les fonds nécessaires à la dépollution des lieux litigieux, ce alors que la créance de dépollution est née après l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire et devait en conséquence être réglée sur les premiers fonds disponibles, dont rien ne permet finalement de savoir au paiement de quel(s) créancier(s) feu H... C... les a affectés.

Sur son préjudice, la SCI Air Car soutient que si feu H... C... avait procédé aux diligences utiles, le certificat de récolement aurait pu être obtenu, comme l'ont retenu les premiers juges, au plus tard une année après la mise en demeure, soit le 12 décembre 2009, et en déduit que, par sa négligence, feu H... C... l'a privée de la possibilité de relouer son bien avant le 25 avril 2016, date à laquelle elle a obtenu, par ses propres démarches, le certificat de récolement suivi de l'autorisation administrative de réutiliser les lieux.

Sur la base du montant de l'indemnité d'occupation provisionnelle fixé par le juge des référés de Châteauroux en avril 2008, et d'une perte de chance quantifiée à hauteur de 75 % par les premiers juges, la SCI Air Car évalue son préjudice à la somme de 105 279euros (76 mois X 1847€ X 75 %).

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 24 octobre 2019.

SUR CE, LA COUR :

La recevabilité de l'appel n'est pas contestée.

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription

La prescription prévue à l'article 2225 du code civil pour l'action en responsabilité dirigée contre les personnes ayant représenté ou assisté les parties en justice ne s'applique pas à l'action en responsabilité engagée par un tiers contre un mandataire-liquidateur, soumise à la prescription de droit commun édictée par l'article 2224, qui prévoit que les actions personnelles se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'agir.

Celui qui est seulement informé de faits, sans être en mesure de prouver le dommage en résultant, n'a pas connaissance des éléments «lui permettant d'agir» au sens de l'article 2224 précité.

Au cas particulier, ce n'est que lorsqu'elle a été informée ou aurait dû être informée qu'elle ne pouvait plus agir en responsabilité contre la société Arecc représentée par son liquidateur, ou pour reprendre la formulation des parties, contre Maître C..., ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Arecc, que la SCI Air Car a eu connaissance des faits lui permettant d'agir contre feu H... C..., personnellement.

La prescription de l'action en responsabilité personnelle de feu H... C... a donc couru à compter de la date à laquelle le jugement du 1er juin 2011 par lequel le tribunal de commerce d'Orléans a clôturé la procédure de liquidation judiciaire de la société Arecc pour insuffisance d'actif a fait l'objet des publicités prévues aux article R. 621-8 et R. 643-18 du code de commerce.

L'action engagée le 24 mai 2016 par la SCI Air Car, moins de cinq ans après que l'avis du jugement du 1er juin 2011 a été publié dans un journal d'annonces légales, le 24 juin 2011, doit en conséquence être déclarée recevable.

Le jugement sera donc confirmé sur ce premier chef.

Sur la demande indemnitaire

En application de l'article 1382 ancien du code civil, le liquidateur judiciaire répond personnellement des conséquences dommageables des fautes qu'il commet dans l'exercice de ses fonctions.

En l'espèce, par application des articles L. 511-1 et R. 512-74 devenu R. 512-76 du code de l'environnement, pris dans leur rédaction successivement en vigueur du 17 juin 2008 au 1er juin 2011, feu H... C... était tenu, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Arecc qui exploitait une installation classée pour la protection de l'environnement, de déclarer la cessation d'activité, d'indiquer au représentant de l'Etat dans le département de l'Indre les mesures prises ou prévues pour assurer la mise en sécurité du site, puis de remettre le site dans un état tel qu'il ne puisse présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature et de l'environnement, soit encore pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique.

Il résulte des pièces du dossier que si le liquidateur a déclaré la cessation de l'activité de la société Arecc le 17 juin 2008, il a déposé un dossier incomplet, ce qui a amené le Préfet de l'Indre, dès le 23 juillet 2008, à l'inviter à compléter son dossier en fournissant tous les éléments justificatifs des actions réalisées, à préciser l'usage futur envisagé et à procéder aux consultations prévues à l'article R. 512-75 du code de l'environnement, que cette invitation étant restée vaine, le représentant de l'Etat a pris un arrêté, le 22 décembre 2008, mettant en demeure Maître C..., ès qualités, de satisfaire dans un délai d'un mois aux prescriptions de l'article R. 512-74 concernant la mise en sécurité du site, de procéder aux consultations prévues à l'article R. 512-75 afin de préciser la nature de l'usage futur du site puis de mettre en œuvre toutes les dispositions nécessaires, selon l'article R. 512-76, pour caractériser le degré de pollution des sols et le cas échéant des eaux souterraines sous-jacentes, puis d'engager toutes les opérations de réhabiliation ou de dépollution éventuellement nécessaires pour assurer la compatibilité du site avec l'usage futur proposé.

Il apparaît que le liquidateur, qui n'a exercé aucun recours contre cet arrêté, n'avait fourni aucun élément à la préfecture de l'Indre au 10 juin 2009, date à laquelle les services de l'Etat ont répondu à la demande d'information du conseil de la SCI Air Car, en précisant à cette occasion que le mandataire s'exposait à des sanctions à la fois administratives et pénales, que ce n'est que le 18 janvier 2010 que feu H... C... a déposé à la préfecture le dossier de cessation d'activité réalisé au mois de décembre précédent par la société Antéa, et qu'après une inspection des lieux réalisée le 19 mars 2010, alors que les services de l'Etat l'ont sommé de justifier dans un délai de trois mois des mesures correctives prises pour éliminer les restes de déchets et traiter les zones polluées par le déversement accidentel d'hydrocarbures du chef de la société Arecc, le 25 mars 2008, en lui précisant qu'en l'absence de réponse et/ou de mise en place des actions correctives demandées, sa responsabilité serait recherchée, le liquidateur a sollicité les services de la société Antéa, qui lui a transmis le 28 juillet 2010 un devis ensuite duquel il a sollicité la participation financière de la société Air Car à concurrence de 50 %.

Il apparaît enfin que, assigné par la propriétaire du site devant la juridiction des référés d'Orléans, qui l'a condamné le 12 janvier 2011, ès qualités, à régler et accepter pour mise en œuvre le devis de la société Antéa, le liquidateur, qui n'a pas relevé appel de cette décision, ne l'a pas pour autant exécutée, mais a sollicité son dessaisissement en sollicitant du tribunal de commerce d'Orléans la clôture des opérations de liquidation judiciaire de la société Arecc, qui a été prononcée le 1er juin 2011.

S'il est exact que le liquidateur judiciaire ne peut être tenu à la remise état du site dans lequel la société qu'il représente a exploité une installation classée pour la protection de l'environnement qu'autant que les fonds disponibles de la liquidation lui permettent d'assumer cette dépense, rien, au cas particulier, ne permet de considérer que tel n'était pas le cas.

Ni devant les premiers juges, ni devant la cour en effet, feu H... C... ou ses héritiers n'ont produit le moindre élément sur la situation des actifs réalisés pendant les trois années durant lesquelles le mandataire a poursuivi les opérations de liquidation.

Le liquidateur n'a d'ailleurs exercé aucun recours contre l'arrêté préfectoral du 22 décembre 2008, alors que s'il avait informé le représenté de l'Etat de la prétendue impécuniosité de la société liquidée, ce dernier aurait pu envisager de confier la remise en état du site, avec le concours financier éventuel des collectivités territoriales, à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, comme le lui permettaient les dispositions de l'article L. 541-3 du code de l'environnement, pris dans sa rédaction en vigueur du 31 juillet 2003 au 14 juillet 2010.

La lecture de l'ensemble des pièces du dossier démontre que le liquidateur, qui n'a jamais indiqué au Préfet ou à la SCI Air Car que l'absence de fonds l'empêchait de satisfaire ès qualités à ses obligations légales, a en réalité rechigné à honorer des obligations dont il considérait, à tort comme l'admettent aujourd'hui ses héritiers, qu'elles ne lui incombaient pas.

Dès le 29 septembre 2008 en effet, sur demande du Président du tribunal de commerce d'Orléans qui lui demandait de l'informer de la situation, le liquidateur écrivait que du fait de l'expulsion de la société Arecc prononcée antérieurement à l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire, l'obligation de remise en état du site incombait désormais au propriétaire [la Sci Air Car], précisant que les prélèvements exigés par l'administration relevaient eux aussi «exclusivement de la responsabilité du propriétaire des installations».

La lenteur avec laquelle il a ensuite mis en œuvre les injonctions du représentant de l'Etat, sans pour autant exercer le moindre recours contre l'arrêté du 22 décembre 2008 qu'il lui était pourtant était loisible de contester devant les juridictions de l'ordre administratif, notamment si les fonds de la liquidation judiciaire ne lui permettaient pas d'exécuter ses obligations, révèle là encore la mauvaise appréciation que le liquidateur avait fait de la situation juridique.

Devant la juridiction des référés d'Orléans que la SCI Air Car avait saisie en septembre 2010, le liquidateur, qui disposait encore de fonds lui permettait de constituer avocat, n'a pas fait valoir à titre principal, pour s'opposer au paiement des prestations proposées par la société Antéa, qu'il ne disposait pas, ès qualités, d'une trésorerie suffisante, mais a de nouveau soutenu à titre principal qu'il ne pouvait être tenu au paiement des frais de remise en état, au motif que le bail qui liait l'ancienne exploitante au propriétaire du site avait été résilié antérieurement à sa désignation.

Au vu de ces éléments, il est établi que Maître C... a commis une faute en s'abstenant, malgré les injonctions répétées des services de l'Etat, d'effectuer avec la diligence requise les démarches que lui imposait la loi.

Il apparaît que le liquidateur a également fait preuve de négligence fautive en s'abstenant tout à la fois de déclarer à l'assureur de responsabilité de la société Arecc le sinistre survenu le 25 mars 2008, et de communiquer promptement les coordonnées de cet assureur à la SCI Air Car, qui les lui avait pourtant vainement réclamées le 18 février 2009, à fin de pouvoir exercer le cas échéant une action directe, ce alors que la réalité de la pollution imputable à la société Arecc était établie par le rapport d'inspection de la DRIRE et l'article paru dans la presse locale le 26 mars 2008, dont il ne pouvait ignorer la teneur.

Sauf à méconnaître la règle selon laquelle de la responsabilité du propriétaire du terrain ne revêt qu'un caractère subsidiaire, en sorte que, sauf négligence, il ne peut être tenu de sa remise en état aux lieu et place de l'exploitant, les consorts C... ne peuvent soutenir que la SCI Air Car serait à l'origine de son propre préjudice.

C'est donc à bon droit que les premiers juges ont considéré que par son manque de diligence dans l'exercice de sa mission, feu H... C... a causé à la SCI Car Air un préjudice certain, correspondant à la perte de chance d'avoir pu obtenir rapidement le certificat dit de récolement prévu à l'article R. 512-39-3 III ancien du code de l'environnement, sans lequel la propriétaire du site anciennement exploité par la société Arecc ne pouvait disposer de son bien ni le relouer.

Si les premiers juges ont justement retenu, en considération notamment du temps qu'il a fallu à la SCI Air Car pour obtenir le certificat de récolement susvisé une fois qu'elle a elle-même entrepris les démarches idoines, que ledit certificat aurait pu être obtenu dès le mois de décembre 2009 si le liquidateur avait normalement déféré à la mise en demeure que lui avait adressé le représentant de l'Etat le 22 décembre 2008, et estimé à la somme de 140372 euros, sur la base de la valeur locative de l'immeuble retenue en 2008 par le juge des référés, les loyers qui auraient pu être perçus par la SCI durant les 76 mois écoulés entre la fin décembre 2009 et le 3 mai 2016, date à laquelle les services de l'Etat lui ont notifié le procès-verbal de récolement et l'ont informée de ce que le site pouvait de nouveau être affecté à un usage industriel, il apparaît en revanche que la perte de chance de la SCI, quantifiée à 75 %, a été surévaluée.

La SCI Air Car, qui ne produit aucun élément relatif à l'état du marché locatif local, ne produit pas non plus les contrats de baux qu'elle a pu conclure depuis le 3 mai 2016, et ne conteste pas que le seul bail qu'elle a pu conclure depuis cette date est celui auquel font référence les consorts C..., en vertu duquel elle a donné à bail le 1er juin 2016 un tiers de sa parcelle, pour le stationnement de manèges forains, moyennant un loyer mensuel TTC de 400 euros.

Dans ces circonstances, la perte de chance subie par la SCI Air Car, qui correspond à la probabilité qu'avait ladite société de relouer l'intégralité du bien au prix du bail résilié dès la fin du mois de décembre 2009, sera évaluée à 50 %.

Les consorts C... seront donc condamnés in solidum à payer à la SCI Air Car, à titre de dommages et intérêts, la somme de 70186 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 29 mars 2018.

Sur les demandes accessoires

Le titre exécutoire contre le défunt l'étant aussi contre ses héritiers, dans les conditions prévues à l'article 877 du code civil, il n'y a pas lieu, au seul motif que feu H... C... est décédé en cours d'instance devant cette cour, d'infirmer le jugement qui, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, a prononcé une condamnation contre feu H... C....

Les consorts C..., qui succombent au sens de l'article 696 du code de procédure civile, devront supporter in solidum les dépens de l'instance et régler à la SCI Air Car, à qui il serait inéquitable de laisser la charge de la totalité de ses frais irrépétibles, une indemnité de 3000euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS

CONFIRME les chefs critiqués de la décision entreprise, hormis en ce qu'elle a condamné Maître H... C... à payer à la SCI Air Car la somme de 105279 euros à titre de dommages et intérêts,

L'INFIRME de ce seul chef,

STATUANT À NOUVEAU de ce seul chef,

CONDAMNE IN SOLIDUM Mme L... O... veuve C..., M. K... C... et M. Y... C..., en qualité d'héritiers de feu H... C..., à payer à la SCI Air Car, à titre de dommages et intérêts, la somme de 70186 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 29 mars 2018,

Y AJOUTANT

CONDAMNE IN SOLIDUM Mme L... O... veuve C..., M. K... C... et M. Y... C..., en qualité d'héritiers de feu H... C..., à payer à la SCI Air Car la somme de 3000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE IN SOLIDUM Mme L... O... veuve C..., M. K... C... et M. Y... C..., en qualité d'héritiers de feu H... C... aux dépens.

Arrêt signé par Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, présidant la collégialité et Madame Marie-Claude DONNAT , Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Orléans
Formation : C1
Numéro d'arrêt : 18/013241
Date de la décision : 09/01/2020
Sens de l'arrêt : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.orleans;arret;2020-01-09;18.013241 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award