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19/12/2019 | FRANCE | N°17/031381

France | France, Cour d'appel d'Orléans, C1, 19 décembre 2019, 17/031381


COUR D'APPEL D'ORLÉANS

CHAMBRE COMMERCIALE, ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE

GROSSES + EXPÉDITIONS : le 19/12/2019
la SELARL WALTER etamp; GARANCE AVOCATS
la SELARL ENVERGURE AVOCATS
ARRÊT du : 19 DECEMBRE 2019

No : 408 - 19
No RG 17/03138 - No Portalis
DBVN-V-B7B-FR76

DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du Tribunal de Grande Instance de TOURS en date du 15 Juin 2017

PARTIES EN CAUSE

APPELANTE :- Timbre fiscal dématérialisé No: 1265206830407760

Madame Q... N... épouse T...
née le [...] à POITIERS (86000)
[...]
[...]
>Ayant pour avocat Me Stéphanie BAUDRY, membre de la SELARL WALTER etamp; GARANCE AVOCATS, avocat au barreau de TOURS
D'UNE PART

I...

COUR D'APPEL D'ORLÉANS

CHAMBRE COMMERCIALE, ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE

GROSSES + EXPÉDITIONS : le 19/12/2019
la SELARL WALTER etamp; GARANCE AVOCATS
la SELARL ENVERGURE AVOCATS
ARRÊT du : 19 DECEMBRE 2019

No : 408 - 19
No RG 17/03138 - No Portalis
DBVN-V-B7B-FR76

DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du Tribunal de Grande Instance de TOURS en date du 15 Juin 2017

PARTIES EN CAUSE

APPELANTE :- Timbre fiscal dématérialisé No: 1265206830407760

Madame Q... N... épouse T...
née le [...] à POITIERS (86000)
[...]
[...]

Ayant pour avocat Me Stéphanie BAUDRY, membre de la SELARL WALTER etamp; GARANCE AVOCATS, avocat au barreau de TOURS
D'UNE PART

INTIMÉE : - Timbre fiscal dématérialisé No 1265207030584526
Société CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DE MONTLOUIS SUR LOIRE
[...]
[...]

Ayant pour avocat Me Corinne BAYLAC, membre de la SELARL ENVERGURE AVOCATS, avocat au barreau de TOURS
D'AUTRE PART

DÉCLARATION D'APPEL en date du : 20 Octobre 2017
ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 8 novembre 2019

COMPOSITION DE LA COUR

Lors des débats, affaire plaidée sans opposition des avocats à l'audience publique du 31 OCTOBRE 2019, à 9 heures 30, devant Madame Fanny CHENOT, Conseiller Rapporteur, par application de l'article 786 du code de procédure civile.

Lors du délibéré :
Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS,
Madame Fanny CHENOT, Conseiller,
Madame Nathalie MICHEL, Conseiller,

Greffier :

Madame Marie-Claude DONNAT , Greffier lors des débats et du prononcé.

ARRÊT :
Prononcé publiquement par arrêt contradictoire le 19 DECEMBRE 2019 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

EXPOSE DU LITIGE :

Suivant acte sous seing privé du 17 octobre 2009, Mme Q... N... épouse T... s'est portée caution solidaire, dans la limite de 94500 euros, en garantie du remboursement d'un prêt immobilier de 78750 euros, remboursable en 240 mensualités de 517,31 euros incluant les primes d'assurance et les intérêts au taux conventionnel de 4,30 %, consenti à son fils I... T... par la Caisse de crédit mutuel de Montlouis-sur-Loire (le crédit mutuel).

Les mensualités du prêt n'étant pas réglées, la caisse de crédit mutuel a provoqué la déchéance du terme de son concours dès le 6 décembre 2010 et, après les avoir mis en demeure de régler, a conclu le 3 mai 2011 avec M. I... T... et Mme Q... T... un protocole d'accord dit transactionnel aux termes duquel le débiteur principal et la caution se sont notamment engagés, sans solidarité, à régler à partir du mois de juin 2011 la créance de la caisse, arrêtée à 83339,51euros, moyennant «des versements constants et consécutifs de 600 euros jusqu'à apurement de la dette, au plus tard le 10 de chaque mois», précision apportée que les intérêts continueraient à courir au taux contractuel de 4,30 % et que les règlements s'imputeraient en priorité sur le capital.

Suivant jugement du 30 janvier 2014, le tribunal de grande instance de Tours a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de M. I... T....
Faisant valoir que Mme T... avait cessé tout règlement à partir du mois de juillet 2014, le crédit mutuel l'a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Tours à l'effet de la voir condamner à lui payer la somme principale de 71819,57 euros augmentée des intérêts au taux contractuel de 4,30 %.

Madame T... a demandé à titre principal au tribunal de prononcer la nullité de l'engagement de caution et du protocole d'accord pour altération de ses facultés mentales, à titre subsidiaire, de condamner le crédit mutuel à lui payer la somme de 71819,57euros euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à ses obligations de loyauté et de mise en garde, et d'ordonner la compensation entre les créances réciproques, de constater que l'acte de cautionnement est disproportionné par rapport à ses revenus et à son patrimoine et de la décharger de son engagement, et plus subsidiairement encore, de prononcer la déchéance du droit aux intérêts et aux pénalités de retard sur le fondement de l'article L 341-6 du code de la consommation.

Par jugement du 15 juin 2017, le tribunal a :
-condamné Mme T... à verser au crédit mutuel la somme de 71819,57 €, augmentée des intérêts au taux contractuel de 4,30 % à compter du 26 février 2015, date de l'assignation et jusqu'au complet paiement ;
-débouté Mme T... de sa demande tendant à voir annuler son engagement de caution et le protocole d'accord pour insanité d'esprit ;
-débouté Mme T... de sa demande d'indemnisation en réparation du préjudice subi pour non-respect par le crédit mutuel de ses obligations de loyauté et de mise en garde ;
-débouté Mme T... de sa demande de décharge de son engagement de caution pour disproportion manifeste à ses biens, revenus et patrimoine ;
-prononcé la déchéance du crédit mutuel de son droit aux pénalités et intérêts de retard échus à compter du 17 octobre 2009, date de l'octroi du prêt et de l'engagement de caution ;
-condamné Mme T... à verser au crédit mutuel la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamné Mme T... aux dépens

Mme T... a relevé appel de cette décision le 20 octobre 2017, en critiquant expressément tous les chefs du jugement en cause, sauf en ce qu'il a prononcé la déchéance du crédit mutuel de son droit aux pénalités et intérêts de retard échus à compter du 17 octobre 2009.

Dans ses conclusions notifiées le 14 septembre 2018, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses arguments et moyens, Mme T... demande à la cour :
etgt;à titre principal, d'annuler l'acte de cautionnement et le protocole d'accord pour altération de ses facultés mentales et subsidiairement pour défaut de cause
etgt; à titre subsidiaire, de la décharger de son engagement de caution pour disproportion manifeste par rapport à ses revenus et patrimoine
etgt;à titre encore plus subsidiaire, de condamner le crédit mutuel à lui payer la somme de 96345,20 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi pour manquement à son obligation de loyauté et de mise en garde, d'ordonner la compensation entre les créances réciproques et de condamner le crédit mutuel à lui payer le solde de 24524,63 euros à titre de dommages et intérêts
etgt; à titre infiniment subsidiaire, de
-constater qu'elle a réglé la somme de 24524,63 euros et dire qu'elle ne pourra être condamnée à régler une somme supérieure à 69975,37 euros au titre de son engagement de caution de 94500euros,
-dire et juger que le crédit mutuel n'a pas respecté son obligation d'information, lui ordonner d'actualisr sa créance en produisant un décompte expurgé des intérêts et imputant les règlements au principal de la créance,
-réduire à 1 euro l'indemnité de recouvrement de 7 %
-ordonner le report de deux ans des sommes dues et dire qu'elles porteront intérêt au taux légal
etgt;en tout état de cause, condamner le crédit mutuel aux entiers dépens ainsi qu'à lui payer la somme de 3000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile

Mme T... soutient d'abord que l'acte de cautionnement et le protocole d'accord sont entachés de nullité,
-de première part, en raison de l'altération de ses facultés mentales ayant gravement affecté son discernement lorsqu'elle les a signés, comme l'établissent les documents médicaux qu'elle communique et dont il résulte qu'elle était atteinte de troubles bipolaires et d'une profonde dépression pour lesquels elle a été hospitalisée et a subi un lourd traitement médicamenteux,
-de seconde part, pour défaut de cause dans la mesure où le crédit mutuel ne rapporte pas la preuve de l'existence du contrat de prêt signé par l'emprunteur.

L'appelante explique ensuite qu'elle est mariée sous le régime de séparation des biens, qu'elle disposait à la date de son engagement de caution d'un revenu annuel de 11130 euros, que le bien immobilier qu'elle avait acquis 90000 euros le 15 septembre 2009 était grevé d'une inscription de privilège de prêteur de deniers et a été financé au moyen d'un prêt sur lequel il restait dû 97193 euros au 5 octobre 2009, en sorte que son patrimoine n'avait aucune valeur, qu'elle devait assumer des charges annuelles d'emprunt de 9306,96€ et qu'elle était déjà engagée comme caution pour un montant de 19200 euros, ce dont elle déduit que l'engagement de caution que lui a fait souscrire la banque sans se renseigner sur ses capacités financières était manifestement disproportionné à ses biens et revenus propres qui, seuls, doivent être pris en compte.

Elle indique qu'à la date de la signature du protocole d'accord, elle avait vendu son immeuble et n'avait plus de patrimoine immobilier, et qu'à la date à laquelle elle est appelée, la banque ne rapporte pas la preuve que son patrimoine, qui est inexistant, lui permet de faire face à ses engagements, ni que les échéances du protocole d'accord ont été réglées par son mari.

Mme T... fait valoir plus subsidiairement que la caisse de crédit mutuel a commis une faute en lui faisant souscrire de manière déloyale un engagement de caution, alors qu'elle avait connaissance de la fragilité de la situation financière de son fils I..., dont 1'exploitation équestre était déficitaire, et qui n'était pas en mesure de rembourser le prêt qui lui a été consenti uniquement au vu de son propre engagement de caution.

Elle reproche également à la caisse d'avoir failli à son obligation de mise en garde en s'abstenant de l'alerter sur le risque de surendettement au regard de ses biens et revenus, alors que le risque d'être actionnée était particulièrement élevé puisque son fils ne disposait d'aucun actif mobilisable, que son activité n'était pas rentable et que la banque lui avait personnellement consenti, un mois avant de solliciter son cautionnement, un crédit immobilier dont les mensualités de remboursement absorbaient 84 % de ses revenus.

Elle évalue son préjudice en résultant, correspondant à la perte de chance de ne pas contracter, à la somme de 108 358,73 euros.

Elle estime que, compte tenu du plafond de son engagement de caution de 94500 euros et de la somme de 24524,63 euros qu'elle a déjà réglée, il ne peut en toute hypothèse lui être réclamé un somme supérieure à 69,975,37 euros.

Elle affirme enfin que la banque doit être déchue de son droit à réclamer des intérêts, pour manquement à son obligation annuelle d'information, sollicite la réduction de l'indemnité de recouvrement, outre un délai de grâce de deux ans, le temps de solder une dette contractée envers l'administration fiscale.

Dans ses dernières écritures notifiées le 6 novembre 2018, auxquelles il est pareillement renvoyé pour l'exposé détaillé de ses arguments et moyens, le crédit mutuel sollicite la confirmation de l'entier jugement, outre la condamnation de l'appelante aux dépens de l'instance ainsi qu'à lui payer une indemnité de 5000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, en demandant à la cour de constater que l'action de Mme T... en nullité de son engagement est prescrite par application de l'article 2277 [ancien] du code civil.

En ce sens, la Caisse de crédit mutuel soutient que l'action en nullité de l'engagement de caution est prescrite, faute d'avoir été engagée dans le délai de 5 ans suivant sa signature, alors que Mme T... connaissait les problèmes de santé dont elle fait état et qu'elle aurait pu s'en prévaloir lors de la signature du protocole d'accord.
Elle estime en tout état de cause que l'appelante ne rapporte pas la preuve qui lui incombe d'une altération de ses facultés intellectuelles, ce dont elle déduit que ni l'engagement de caution ni le protocole d'accord n'encourt la nullité.

Déniant avoir commis une quelconque faute, l'intimée rétorque que le montant du prêt et des échéances de remboursement étaient compatibles avec la situation financière et l'activité professionnelle de M. I... T..., que les difficultés qu'il a rencontrées postérieurement à la souscription du prêt sont étrangères à son activité, qu'il a d'ailleurs honoré les échéances du prêt pendant 2 ans, ce qui démontre que ses capacités de remboursement avaient été correctement évaluées et que le prêt n'a pas été consenti en considération de l'engagement de caution de sa mère.
La caisse conteste également la disproportion de l'engagement de caution par rapport aux revenus et biens de Mme T..., en relevant que l'appelante était propriétaire d'un bien immobilier qu'elle a revendu en 2011, qu'elle n'avait donc aucune charge de logement et partageait ses charges courantes avec son époux, dont les revenus s'élevaient à 58683euros. Elle ajoute que l'appelante a été en mesure de régler les échéances du protocole d'accord de 600 euros par mois jusqu'en juillet 2014, et assure que son patrimoine et ses revenus lui permettent de faire face à son engagement à la date à laquelle elle l'a appelée.

L'intimée estime enfin que l'appelante ne peut lui opposer la déchéance du droit aux intérêts, alors qu'elle était parfaitement informée de la nature et de la portée de son engagement.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 8 novembre 2018.

Dans ses dernière conclusions notifiées le 12 novembre 2018, Mme T... demande à la cour, avant de reprendre l'intégralité des prétentions qu'elle avait formulées dans ses précédentes écritures notifiées le 14 septembre 2018, de rabattre l'ordonnance de clôture rendue le 8 novembre 2018, de rejeter les conclusions et pièces transmises par le crédit mutuel le 6 novembre 2018 et, subsidiairement, d'accueillir ses dernières écritures en réplique.

SUR CE, LA COUR :

Sur la demande de révocation de l'ordonnance de clôture et la demande de rejet des conclusions notifiées et des pièces communiquées le 6 novembre 2018 par le crédit mutuel.

L'article 784 du code de procédure civile énonce que l'ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue.
Mme T... ne justifiant d'aucune cause grave au sens de l'article précité, l'ordonnance de clôture ne peut être révoquée.

Au soutien de sa demande de rejet des dernières conclusions et pièces du crédit mutuel, Mme T... se borne à soutenir que ces conclusions, qui lui ont notifiées trois jours avant la clôture, le 6 novembre 2018 à 18 heures, avec six nouvelles pièces, ne mettent pas en exergue les ajouts qu'elles comportent, mais ne précise, ni en quoi ces conclusions ou ces pièces nécessitaient une discussion, ni la raison pour laquelle elle n'a pas été en mesure d'y répondre en temps utile.

Dès lors qu'il n'apparaît pas, dans ces circonstances, qu'il ait été porté atteinte aux droits de la défense, il n'y a pas lieu d'écarter des débats les conclusions notifiées ni les pièces communiqués par le crédit mutuel trois jours avant l'ordonnance de clôture.

Sur la demande de nullité du contrat de cautionnement :

L'ancien article 2277 du code civil dont se prévaut le crédit mutuel n'existe plus depuis que l'article 2224 issu de la loi no 2008-651 du 17 juin 2008 a ramené à cinq ans le délai de droit commun de la prescription extinctive.

En application de cet article 2224, auquel il n'est pas dérogé par l'article 414-2, l'action en nullité d'un contrat, pour existence d'un trouble mental au moment de l'acte, ou pour défaut de cause, se prescrit par cinq ans.

Au cas particulier, il résulte des pièces du dossier que Mme T... a soulevé la nullité de son engagement de caution du 17 octobre 2009 en formant une demande reconventionnelle en ce sens devant le premier juge, par conclusions notifiées le 26 novembre 2015, soit plus de cinq ans après le point de départ du délai, qui se situe en principe au jour de l'acte, et sans justifier que le délai de prescription n'avait pas pu commencer à courir dès cette date.

Il apparaît par ailleurs que, bien que le crédit mutuel ait engagé son action en exécution du contrat litigieux le 26 février 2015, après l'expiration du délai durant lequel Mme T... pouvait agir en nullité, cette dernière ne peut pas opposer à la banque l'exception de nullité du contrat en cause, alors que la règle selon laquelle l'exception de nullité est perpétuelle ne joue qu'en cas d'inexécution totale du contrat et qu'au cas particulier, Mme T... indique, au soutien de sa demande subsidiaire, avoir déjà réglé une somme de 24524,63 euros au titre de son engagement de caution, ce dont il résulte qu'elle a partiellement exécuté le contrat en cause.

Mme T... doit donc être déclarée irrecevable en sa demande de nullité.

Sur la demande de nullité du protocole d'accord :

Les parties, sans pour autant fournir la moindre explication, n'accordent aucun effet obligatoire au protocole d'accord qu'elles ont conclu le 3 mai 2011.

Dès lors que le crédit mutuel poursuit la condamnation à paiement de Mme T... sur la base, non pas de ce protocole resté partiellement exécuté, mais de l'acte de cautionnement du 17 octobre 2009, la demande de nullité du protocole, sera rejetée comme étant dénuée d'objet,.

Sur la disproportion manifeste de l'engagement de caution :

Selon l'article L. 341-4 du code de la consommation, devenu l'article L. 332-1 du même code, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.

Au sens de ces dispositions, qui bénéficient tant aux cautions profanes qu'aux cautions averties, la disproportion s'apprécie à la date de conclusion du contrat de cautionnement au regard du montant de l'engagement ainsi souscrit et des biens et revenus de la caution, en prenant en considération son endettement global, y compris celui résultant d'autres engagements de caution, dès lors que le créancier avait ou pouvait avoir connaissance de cet endettement.

C'est à la caution qui se prévaut des dispositions de l'article L. 332-1 de rapporter la preuve de la disproportion qu'elle invoque.

Le code de la consommation n'impose pas au créancier professionnel de vérifier la situation financière de la caution lors de son engagement, mais s'il le fait, il est en droit de se fier aux renseignements communiqués par la caution, sauf existence d'anomalies apparentes.

Le créancier peut en outre démontrer que le patrimoine de la caution lui permettait de faire face à son obligation au moment où il l'a appelée en paiement.

En l'espèce, la crédit mutuel ne produit aucune fiche ou aucun autre document duquel il résulterait qu'il s'est renseigné sur la situation financière de Mme T... lors de son engagement.

De son côté, Mme T..., qui conclut à la disproportion manifeste de son engagement du 17 octobre 2009, justifie qu'à cette date :
-elle était mariée sous le régime de la séparation de biens
-elle percevait un salaire mensuel de 1030 euros
-elle partageait les charges courantes avec son époux séparé de biens, qui percevait un revenu mensuel de 4900 euros
-le couple avait un enfant à charge
-elle était propriétaire d'un immeuble situé à [...] (37) acquis le 15 septembre 2009, financé au moyen d'un prêt accordé par la même caisse de crédit mutuel, sur lequel il était dû au 17 octobre 2009 un capital de 97193,11 euros
-elle remboursait au titre de ce prêt immobilier des échéances mensuelles de 775,58 euros
-elle avait donné au crédit agricole, en janvier 2008 et pour une durée de sept ans, un cautionnement de 19200 euros, en garantie d'un prêt souscrit concomitamment par son fils I... pour financer l'acquisition d'un véhicule professionnel.

Au vu de ces éléments, dont il ressort que Mme T..., qui ne disposait d'aucun patrimoine valorisable et qui avait déjà contracté un engagement de caution de 19200 euros, percevait un salaire de 1030 euros sur lequel elle remboursait des mensualités d'emprunt de 775 euros, le cautionnement litigieux, donné à hauteur de 94500 euros, apparaît manifestement disproportionné aux revenus, charges et patrimoine de la caution au jour de sa souscription.

Ainsi qu'on l'a déjà dit, il appartient au créancier professionnel qui entend se prévaloir d'un contrat de cautionnement manifestement disproportionné lors de sa conclusion, d'établir qu'au moment où il l'appelle, le patrimoine de la caution lui permet de faire face à son obligation.

Le crédit mutuel ne peut sérieusement soutenir, d'une manière inexacte et blessante pour les intéressés, que Mme T... serait revenue à meilleure fortune en héritant de son conjoint, lequel n'est pas décédé, ni faire valoir utilement que Mme T... a vendu en 2011 un immeuble qui lui appartenait en propre, au prix de 90000 euros, en omettant que l'immeuble dont s'agit est celui que Mme T... avait acquis en septembre 2009 et qu'il avait financé, dont le prix de vente a intégralement servi à régler sa créance de préteur de deniers privilégié.

Par infirmation du jugement qui, pour écarter la disproportion a par erreur intégré aux revenus de Mme T... ceux de son époux séparé de biens, au motif que celui-ci, sans y être obligé, avait un temps réglé la dette de son fils et de son épouse, l'acte de cautionnement du 17 octobre 2009 sera déclaré inopposable à Mme T... et le crédit mutuel sera en conséquence débouté de sa demande en paiement.

Sur les demandes accessoires :

Le crédit mutuel, qui succombe au sens de l'article 696 du code de procédure civile, devra supporter les dépens de première instance et d'appel et régler à Mme T..., à qui il serait inéquitable de laisser la charge de la totalité de ses frais irrépétibles, une indemnité de 2000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

DIT n'y avoir lieu à révocation de l'ordonnance de clôture,

DIT n'y avoir lieu d'écarter des débats les conclusions notifiées et les pièces produites par la Caisse de crédit mutuel de Montlouis-sur-Loire le 6 novembre 2018,

INFIRME la décision entreprise en toutes ses dispositions critiquées,

STATUANT À NOUVEAU des chefs infirmés et y ajoutant,

DECLARE Mme Q... N... épouse T... irrecevable en sa demande de nullité de l'acte de cautionnement du 17 octobre 2009,

REJETTE la demande de nullité du protocole d'accord du 3 mai 2011,

DIT que la Caisse de crédit mutuel de Montlouis-sur-Loire ne peut se prévaloir du cautionnement donné le 17 octobre 2009 par Mme Q... N... épouse T...,

DEBOUTE en conséquence la Caisse de crédit mutuel de Montlouis-sur-Loire de sa demande en paiement,

CONDAMNE la Caisse de crédit mutuel de Montlouis-sur-Loire à payer à Mme Q... N... épouse T... la somme de 2000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la Caisse de crédit mutuel de Montlouis-sur-Loire aux dépens de première instance et d'appel.

Arrêt signé par Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, présidant la collégialité et Madame Marie-Claude DONNAT , Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Orléans
Formation : C1
Numéro d'arrêt : 17/031381
Date de la décision : 19/12/2019
Sens de l'arrêt : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.orleans;arret;2019-12-19;17.031381 ?
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