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14/11/2019 | FRANCE | N°18/034821

France | France, Cour d'appel d'Orléans, C1, 14 novembre 2019, 18/034821


COUR D'APPEL D'ORLÉANS

CHAMBRE COMMERCIALE, ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE

GROSSES + EXPÉDITIONS : le 14/11/2019
la SELARL WALTER etamp; GARANCE AVOCATS
la SCP DELHOMMAIS, MORIN
ARRÊT du : 14 NOVEMBRE 2019

No : 368 - 19
No RG 18/03482 -
No Portalis DBVN-V-B7C-F2ML

DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du Tribunal de Commerce de TOURS en date du 05 Octobre 2018

PARTIES EN CAUSE

APPELANTES :- Timbre fiscal dématérialisé No: 1265238351762403
SARL ZEPHYR ENERGIES RENOUVELABLES
[...]

Ayant pour avocat Me Frédéric DALIBARD, membre d

e la SELARL WALTER etamp; GARANCE AVOCATS, avocat au barreau de TOURS

SAS Parc du moulin DE PIERRE NORD
[...]

Ayant pou...

COUR D'APPEL D'ORLÉANS

CHAMBRE COMMERCIALE, ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE

GROSSES + EXPÉDITIONS : le 14/11/2019
la SELARL WALTER etamp; GARANCE AVOCATS
la SCP DELHOMMAIS, MORIN
ARRÊT du : 14 NOVEMBRE 2019

No : 368 - 19
No RG 18/03482 -
No Portalis DBVN-V-B7C-F2ML

DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du Tribunal de Commerce de TOURS en date du 05 Octobre 2018

PARTIES EN CAUSE

APPELANTES :- Timbre fiscal dématérialisé No: 1265238351762403
SARL ZEPHYR ENERGIES RENOUVELABLES
[...]

Ayant pour avocat Me Frédéric DALIBARD, membre de la SELARL WALTER etamp; GARANCE AVOCATS, avocat au barreau de TOURS

SAS Parc du moulin DE PIERRE NORD
[...]

Ayant pour avocat Me Frédéric DALIBARD, membre de la SELARL WALTER etamp; GARANCE AVOCATS, avocat au barreau de TOURS

SARL Parc du moulin DE PIERRE SUD
[...]

Ayant pour avocat Me Frédéric DALIBARD, membre de la SELARL WALTER etamp; GARANCE AVOCATS, avocat au barreau de TOURS
D'UNE PART

INTIMÉE : - Timbre fiscal dématérialisé No: 1265231616696510
SAS ETABLISSEMENTS R... P...
[...]
[...]

Ayant pour avocat postulant Me Marc MORIN , avocat au barreau de TOURS et pour avocat plaidant Me Benoît VERNIERES, avocat au barreau de PARIS

D'AUTRE PART

DÉCLARATION D'APPEL en date du : 03 Décembre 2018
ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 20 juin 2019

COMPOSITION DE LA COUR

Lors des débats à l'audience publique du 26 SEPTEMBRE 2019, à 14 heures, Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, et Madame Fanny CHENOT, Conseiller, en son rapport, ont entendu les avocats des parties en leurs plaidoiries, avec leur accord, par application de l'article 786 et 907 du code de procédure civile.

Après délibéré au cours duquel Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel D'ORLEANS, et Madame Fanny CHENOT, Conseiller, ont rendu compte à la collégialité des débats à la Cour composée de :

Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS,
Madame Fanny CHENOT, Conseiller,
Madame Nathalie MICHEL, Conseiller,

Greffier :

Madame Marie-Claude DONNAT, Greffier lors des débats et du prononcé,

ARRÊT :

Prononcé publiquement par arrêt contradictoire le 14 NOVEMBRE 2019 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

EXPOSE DU LITIGE :

La SAS Etablissements R... P... )la société P...( exerce une activité de terrassement, de mécanique poids-lourd et de travaux agricole.
Le 18 mars 2014, cette société a été sollicitée par la SARL d'ingénierie Zéphyr énergies renouvelables )la société Zéphyr(, qui exerce une activité de bureau d'études de développement des énergies renouvelables et qui, pour le compte de deux SARL de projet dénommées Parc du moulin de pierre sud et Parc du moulin de pierre nord )Parc du moulin(, lui a demandé deux devis pour la réalisation de travaux de terrassement préparatoires à la création d'un parc éolien sur les communes de [...] et [...], à proximité de [...] )[...](.
Après différents échanges aux termes desquels la société Zéphyr a notamment demandé à la société P... de lui fournir distinctement le coût horaire de mise à disposition d'engins avec chauffeur et celui du prix au m3 de la fourniture et de la livraison des cailloux, en précisant à la société P... que les travaux seraient réalisés suivant les quantités et plans qu'elle lui fournirait, qu'elle lui assurerait une assistance et lui fournirait "les instructions nécessaires à la réalisation des travaux", un contrat qualifié par les parties de "contrat de moyen" a été conclu le 30 juin 2014.
Les travaux ont débuté dès le 26 juin 2014 et ont été facturés aux sociétés Parc du moulin au fur et à mesure de l'avancement des travaux, de juillet 2014 à octobre 2015. Les factures ont toutes été établies à la journée ou à la tonne, avec l'indication des matériaux fournis et des engins mis à disposition.
Les sociétés Parc du moulin ont réglé les factures qui leur ont été adressées, mais ont retenu sur la dernière facture no 163 du 31 octobre 2015 une somme de 12500€ en indiquant que cette somme correspondait à la moitié du coût de l'assurance de garantie décennale de substitution qu'elles ont dû supporter en 2016 pour pallier au défaut d'assurance de responsabilité décennale obligatoire de la société P....
Après avoir vainement mise en demeure la société Zéphyr de lui régler le solde du marché en cause, la société P... l'a fait assigner en paiement devant le tribunal de commerce de Tours, devant lequel elle a par la suite attrait les sociétés Parc du moulin nord et Parc du moulin sud, afin d'entendre condamner in solidum à paiement ces trois sociétés.
Par jugement du 5 octobre 2018, le tribunal de commerce de Tours a :
-condamné solidairement la société Parc du moulin pierre nord, la société Parc du moulin de pierre sud, et la société Zéphyr énergies renouvelables, à payer à la société R... P... la somme de 12500 € au titre du solde de règlement de la facture no 163 du 30 octobre 2015, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 28 juillet 2016 ;
-dit que les intérêts dus, échus par année entière, produiront eux-mêmes intérêts ;
-débouté la société Parc du moulin de pierre nord, la société Parc du moulin de pierre sud et la société Zéphyr énergies renouvelables de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;
-condamné solidairement la société Parc du moulin nord, la société Parc du moulin de pierre sud et la société Zéphyr énergies renouvelables à payer à la société R... P... la somme de 1500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
-fait masse des dépens mis solidairement à la charge de la société Parc du moulin de pierre nord, Parc du moulin pierre sud et Zéphyr énergies renouvelables ;
-condamné solidairement la société Parc du moulin de pierre nord, la société Parc du moulin de pierre sud et la société Zéphyr énergies renouvelables au coût des assignations
La société Zéphyr et les sociétés Parc du moulin ont relevé appel de cette décision par déclaration en date du 3 décembre 2018, en sollicitant son annulation ou son infirmation, critiquant expressément tous les chefs du jugement en cause.
Dans leurs dernières conclusions notifiées le 14 juin 2019, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, la société Zéphyr et les sociétés Parc du moulin demandent à la cour, au visa des articles 1147 et 1289 anciens du code civil, 1792 et suivants du même code, L. 241-1 du code des assurances, de :
-annuler le jugement du tribunal de commerce de Tours no 2016006515 en date du 5 octobre 2018 aux termes duquel le tribunal de commerce a qualifié le contrat liant les sociétés Parc du moulin de pierre nord et Parc du moulin de pierre sud, d'une part, et la société Etablissements R... P... d'autre part, de contrat de moyen, et la société Zéphyr énergies renouvelables d'entreprise générale, ensemble de considérations excluant à tort la soumission à obligation d'assurance décennale, et conséquemment :
-condamné solidairement la société Parc du moulin pierre nord, la société Parc du moulin de pierre sud, et la société Zéphyr énergies renouvelables, à payer à la société R... P... la somme de 12500 € au titre du solde de règlement de la facture no 163 du 30 octobre 2015 augmentée des intérêts au taux légal à compter du 28 juillet 2016 ;
-dit que les intérêts dus, échus par année entière, produiront eux-mêmes intérêts ;
-débouté la société Parc du moulin de pierre nord, la société Parc du moulin de pierre sud et la société Zéphyr énergies renouvelables de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;
-condamné solidairement la société Parc du moulin de pierre nord, la société Parc du moulin de pierre sud et la société Zéphyr énergies renouvelables à payer à la société R... P... la somme de 1500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
-fait masse des dépens mis solidairement à la charge des sociétés Parc du moulin de pierre nord, Parc du moulin pierre sud et Zéphyr énergies renouvelables ;
-condamné solidairement la société Parc du moulin de pierre nord, la société Parc du moulin de pierre sud et la société Zéphyr énergies renouvelables au coût des assignations

Et, statuant à nouveau :
-dire et juger que les travaux réalisés par la société Etablissements R... P... dans le cadre du contrat conclu avec les sociétés Parc du moulin de pierre nord et Parc du moulin de pierre sud procèdent d'un contrat de louage d'ouvrage soumis à l'article 1792 du code civil
-dire et juger en tout état de cause que la société Etablissements R... P... a pris l'engagement contractuel auprès des sociétés Parc du moulin de pierre nord et Parc du moulin de pierre sud de souscrire une couverture assurancielle décennale
-dire et juger en conséquence que la société Etablissements R... P... est débitrice d'une obligation d'assurance décennale qui, faute d'avoir été souscrite, engage sa responsabilité contractuelle au bénéfice des sociétés Parc du moulin de pierre
nord et Parc du moulin de pierre sud
-donner acte à la société Etablissements R... P... de ce qu'elle a réalisé des travaux sans avoir souscrit aucune assurance de responsabilité décennale au mépris de ses obligations légales et en tout état de cause contractuelles
-condamner la société Etablissements R... P..., sur le fondement de sa responsabilité contractuelle pour faute, à verser aux sociétés Parc du moulin de pierre nord, Parc du moulin de pierre sud, une somme de 12500 euros en réparation de leur préjudice financier, sauf à ordonner une compensation entre cette créance de responsabilité, d'une part, et le solde du marché de la société Etablissements R... P..., d'autre part
-débouter la société Etablissements R... P... de ses demandes dirigées sur un fondement extra-contractuel contre la société Zéphyr energies renouvelables
-débouter la société Etablissements R... P... du surplus de ses demandes dirigées contre les sociétés Zéphyr énergies renouvelables, Parc du moulin de pierre nord, Parc du moulin de pierre sud
-condamner la société Etablissements R... P... à payer, à chacune des sociétés Zéphyr énergies renouvelables, Parc du moulin de pierre nord, Parc du moulin de pierre sud, une somme de 3500 euros sur le fondement de l'article 700 code de procédure civile
-condamner la société Etablissements R... P... aux entiers dépens de l'instance.
Au soutien de leurs prétentions, les sociétés Zéphyr et Parc du moulin font valoir :
-que les travaux de terrassement réalisés par la société P..., qui ont notamment consisté en la réalisation de voies de circulation, de plateformes destinées à être empruntées par des poids-lourds ainsi qu'en la réalisation des fouilles des fondations, ont nécessité la mise en œuvre de techniques du bâtiment et constituent donc un ouvrage au sens de l'article 1792 du code civil
-que nonobstant les termes employés par les parties qui ne sont pas juristes, qui ne lient pas le juge, le contrat litigieux ne peut être qualifié de "contrat de moyen" visant la location de matériel et la mise à disposition de main d'œuvre alors que les sociétés Parc du moulin sont de simples sociétés de support juridique des programmes éoliens, qui ne réalisent elles-mêmes aucuns travaux et n'en ont au demeurant pas les compétences techniques, tandis que la société Zéphyr, qui de son côté ne fournit qu'une prestation intellectuelle, ne réalise matériellement aucuns travaux elle non plus, mais une simple prestation d'assistance à maîtrise d'ouvrage, incompatible avec la qualité d'entrepreneur que lui ont reconnue les premiers juges
-que la société P... ne peut soutenir qu'elle se trouvait sous la direction de la société Zéphyr, en produisant une attestation de l'un de ses salariées dont il résulte seulement que la société Zéphyr a suivi et contrôlé la réalisation des travaux en sa qualité d'assistant à maîtrise d'ouvrage, ni, comme l'ont retenu les premiers juges, que la société Zéphyr aurait eu la qualité d'entreprise générale, alors qu'à l'inverse d'un entrepreneur qui procède à la réalisation matérielle des travaux, la société Zéphyr n'a réalisé qu'une prestation de services d'ingénierie et que toutes les factures ont été adressées aux sociétés Parc du moulin, qui les ont elles-mêmes réglées
-que dès lors que la société P... s'est vue confier une prestation de travaux qui a consisté pour elle seule à définir et mettre en place les moyens humains et matériels nécessaires à leur réalisation et effectuer en toute indépendance les prestations techniques y afférentes, sous sa propre autonomie et direction, la cour devra considérer que les travaux réalisés par la société P... relèvent du louage d'ouvrage et du champ d'application de l'assurance décennale obligatoire au sens des dispositions de l'article L. 241-1 du code des assurances, cela sans qu'importent les qualifications envisagées par les parties au contrat ni la prétendue dispense d'assurance alléguée par la société P..., dès lors qu'en application de l'article 1792-5 du code civil, la garantie dite décennale présente un caractère d'ordre public et que, contrairement à ce que soutient encore la société P..., la société Zéphyr lui avait demandé dès la conclusion du contrat de justifier d'une couverture décennale
-qu'ayant découvert en cours de chantier que la société P... n'était pas couverte par une assurance de responsabilité décennale, les sociétés Parc du moulin n'ont eu d'alternative, après avoir vainement mis en demeure la société P... de leur produire un justificatif d'assurance idoine, que de souscrire une assurance en ses lieux et places, pour conserver le bénéfice des financements qu'elles avaient obtenus
-que pour avoir failli à son obligation d'assurance, la société P... engage sa responsabilité en application de l'article 1147 ancien du code civil, à hauteur du préjudice subi par les sociétés Parc du moulin, qui ont dû régler à la société Zéphyr une somme de 12500€ correspondant au montant complémentaire de l'assurance décennale que cette dernière a dû spécifiquement souscrire pour couvrir les travaux réalisés par la société P...
-que cette somme se compensera avec le solde de la facture de travaux de la société P..., qui devra en conséquence être déboutée de sa demande en paiement dirigée contre les sociétés Parc du moulin, aussi bien que de sa demande indemnitaire dirigée contre la société Zéphyr, qui n'a jamais eu la qualité de maître de l'ouvrage et qui n'a entretenu aucune confusion sur sa qualité à l'égard de la société P...
Dans ses dernières conclusions notifiées le 29 mai 2019, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société P... demande à la cour, au visa des articles 1147, 1154 et 1315 anciens du code civil, 1140 et 1792 du même code, de :

-accueillir la concluante en ses présentes écritures,
-l'y déclarer bien fondée,
-confirmer purement et simplement le jugement du tribunal de commerce de "Troyes" en date du 5 octobre 2018 entrepris,
-y ajoutant,
-condamner "in solidum solidairement" la société Parc du moulin de pierre nord, la société Parc du moulin de pierre sud et la société Zéphyr énergies renouvelables au paiement de la somme de 5 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamner in solidum ou solidairement la société Parc du moulin de pierre nord, la société Parc du moulin de pierre sud et la société Zéphyr énergies renouvelables en tous les dépens d'appel,
A défaut :
-dire et juger que la société P... a régularisé un contrat de moyens exécuté conformément aux prévisions contractuelles,
-dire et juger que la nature des prestations et des réalisations de la société R... P... )travaux de terrassement sans réalisation de fond de forme et/ou de fondation sur chemin, sans plateforme ni trous d'embase des éoliennes(, qui ne constituent pas un ouvrage, ne relèvent pas de l'obligation d'assurance décennale,
-dire et juger que la société Zéphyr énergies renouvelables a engagé sa responsabilité contractuelle et subsidiairement sa responsabilité extra-contractuelle à l'encontre de la société R... P...,
-dire et juger que les sociétés Parc du moulin de pierre nord et Parc du moulin de pierre sud qui ne justifient pas de la souscription d'une police RCD ne disposent d'aucune créance à l'encontre de la société R... P...,
-débouter les sociétés Parc du moulin de pierre nord et Parc du moulin de pierre sud de l'ensemble de leurs demandes et notamment de leur demande de compensation,
-condamner in solídum ou solidairement la société Parc du moulin de pierre nord, la société Parc du moulin de pierre sud et la société Zéphyr énergies renouvelables à payer à la société R... P... la somme de 12 500€ au titre du solde de règlement de la facture no163 du 31/10/2015,
-condamner in solidum ou solidairement la société Parc du moulin de pierre nord, la société Parc du moulin de pierre sud et la société Zéphyr énergies renouvelables à payer à la société R... P... la somme précitée augmentée des intérêts au taux légal à compter du 28 juillet 2016 ou à défaut du 10 septembre 2016, avec capitalisation s'il y a lieu en application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil,
-condamner in solidum ou solidairement la société Parc du moulin de pierre nord et la société Parc du moulin de pierre sud et la société Zéphyr énergies renouvelables au paiement de ia somme de 5 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamner in solidum ou solidairement la société Parc du moulin de pierre nord, la société Parc du moulin de pierre sud et la société Zéphyr énergies renouvelables en tous les dépens de première instance et d'appel en ce compris le coût de délivrance des assignations.
A l'appui de ses prétentions, la société P... fait valoir :
-qu'elle n'a jamais été liée avec les sociétés Parc du moulin par un contrat de louage d'ouvrage, mais qu'en tant que simple prestataire, elle a mis ses moyens )engins et conducteurs( à disposition de la société Zéphyr, qui s'est comportée à son égard comme une entreprise générale ou un maître d'œuvre
-que ses travaux n'ont pas consisté en la réalisation de voirie ou de fondations, mais simplement en des travaux préparatoires limités à l'apport de granulats et de compactage sur les chemins communaux existants, sans réalisation de fond de forme, puis au nivellement des surfaces des champs destinés à accueillir les plateformes
-que ces travaux, qui ne sont pas constitutifs d'un ouvrage au sens de l'article 1792 du code civil, ne relèvent pas de l'assurance obligatoire, ce qu'avait clairement admis la société Zéphyr dans son courrier du 21 janvier 2016
-qu'en toute hypothèse, la prime d'assurance supportée par la société Zéphyr n'est pas liée à sa prétendue carence, mais destinée à garantir les activités propres du maître d'œuvre, en sorte qu'aucune compensation ne saurait lui être valablement opposée
-qu'en raison de la confusion qu'elles ont entretenue sur le rôle de chacune, les sociétés Zéphyr, Parc du moulin sud et Parc du moulin nord, qui ont le même dirigeant, le même siège social et correspondent sur des papiers dont l'entête comprend leurs trois dénominations, devront être condamnées solidairement, et à défaut in solidum, à lui régler le solde du marché de travaux litigieux

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 20 juin 2019.

SUR CE, LA COUR :

A titre préliminaire, la cour relève que les appelantes, qui sollicitent dans le dispositif de leurs dernières conclusions «l'annulation» du jugement du tribunal de commerce de Tours du 5 octobre 2018, n'articulent aucun moyen d'annulation dudit jugement, mais seulement des moyens tendant à l'information du jugement en cause, dont elles critiquent tous les chefs et sur lesquels il a été débattu contradictoirement entre les parties. Dans ces circonstances, il y a lieu de considérer que c'est par une simple erreur de plume que les sociétés Zéphyr et les sociétés Parc du moulin sollicitent l'annulation du jugement, dont elles poursuivent en réalité l'infirmation.
Sur le fond
Les parties s'accordent sur deux points : elles admettent que les sociétés Parc du moulin ont la qualité de maître de l'ouvrage et qu'il reste dû sur la dernière facture que la société P... a adressée le 31 octobre 2015 à ces sociétés un solde de 12500 euros.
Les sociétés Parc du moulin ne contestent pas être débitrices de cette somme de 12500 euros, mais estiment pouvoir opposer à la société P... un paiement par compensation.

Pour dire si les sociétés Parc du moulin peuvent effectivement opposer à la société P... une créance indemnitaire tirée du préjudice que l'intimée leur aurait causé en ne souscrivant pas d'assurance décennale, il convient de commencer par qualifier l'opération nouée entre les parties, en déterminant la nature du contrat unissant la société P... aux sociétés Parc du moulin et, le cas échéant, à la société Zéphyr.
-sur la qualification du contrat
Le contrat d'entreprise, tel qu'il est défini à l'article 1710 du code civil, est une convention par laquelle une personne s'oblige contre rémunération à exécuter pour l'autre partie un travail déterminé, sans la représenter et de manière indépendante.
Cette définition fait ressortir trois éléments essentiels qui permettent de distinguer le contrat d'entreprise des contrats voisins : l'entrepreneur contracte une obligation de faire )par opposition aux obligations de donner(, cette obligation porte sur des actes matériels )par opposition à l'obligation d'accomplir des actes juridiques( et enfin l'entrepreneur conserve, dans l'accomplissement de sa mission, son indépendance juridique, par opposition à celui qui agit en se plaçant sous un lien de subordination.
Le critère qui permet de distinguer le contrat d'entreprise du contrat de mise à disposition, qui sont les deux qualifications sur lesquelles s'opposent les parties, est celui de l'indépendance et de la maîtrise. La mise à disposition d'un matériel est une location si le bénéficiaire affecte ce matériel à un travail dont il reste maître et responsable. Au contraire le contrat est un contrat d'entreprise si l'usage de la chose s'effectue sous la surveillance du prestataire de services.

S'il est exact, en l'espèce, que dans les échanges entre les parties, il a été question à la fois de «contrat de moyens» et de «mise à disposition», et qu'à la demande de la société Zéphyr, les prestations de la société P... ont toutes été facturées à la journée ou à la tonne, il reste que, dans les faits, la société P... ne s'est pas limitée à mettre à disposition du maître de l'ouvrage le matériel adapté à ses besoins, mais qu'elle a elle-même participé à l'acte de construire, par apport d'industrie et de matériel, en toute indépendance et sans se placer sous la surveillance du maître.

Pour qu'il y ait eu mise à disposition, il aurait fallu que le maître )les sociétés Parc du moulin(, ou encore son assistant )la société Zéphyr(, ait été de manière quasi-permanente sur la chantier. Or le préposé de la société P... explique que la société Zéphyr venait sur le chantier une fois par semaine, ce qui signifie que cette société assurait la direction des travaux conformément à la mission d'assistance qui lui avait été confiée par les maîtres de l'ouvrage et que la société P..., quant à elle, est restée maître et responsable de ses engins de chantier comme de sa main d'œuvre.

C'est donc par erreur que les premiers juges ont considéré, en s'arrêtant à la qualification donnée par les parties, que la société P... était liée à la société Zéphyr par un simple contrat «de moyens», alors que ce sont les sociétés Parc du moulin, maîtres de l'ouvrage, qui étaient contractuellement liées à la société P..., et ce en vertu d'un contrat qui n'était pas un contrat de mise à disposition )de matériel et de main d'œuvre(, mais un contrat d'entreprise.

C'est de manière inexacte encore que la société P... soutient, comme l'ont retenu les premiers juges, que la société Zéphyr se serait comportée à son égard comme une entreprise générale. Si la société Zéphyr avait été une entreprise générale, il faudrait admettre en effet que cette société avait sous-traité à la société P..., ce qui ne résulte d'aucun élément du dossier et n'est au demeurant pas allégué. Si elle avait été une entreprise générale, il aurait surtout fallu que la société Zéphyr règle la société P.... Or la société P... ne conteste pas avoir adressé toutes ses factures, non pas à la société Zéphyr, mais aux sociétés Parc du moulin, et ce sont bien ces dernières qui les ont réglées, ce qui est incompatible avec la qualification d'entreprise générale.

Il faut souligner enfin que lorsqu'elle admet que la société Zéphyr s'est comportée à son égard, sinon comme une entreprise générale, à tout le moins comme un maître d'œuvre de fait, la société P... reconnaît ainsi nécessairement l'existence d'un contrat de louage d'ouvrage entre elle-même et les sociétés Parc du moulin.

Il reste à déterminer, puisque c'est le deuxième point d'achoppement entre les parties, si les travaux réalisés par la société P... sont constitutifs d'un ouvrage ou non au sens de l'article 1792 du code civil.

-sur la notion d'ouvrage
Il est certain que la société P... n'a pas procédé à l'implantation d'éoliennes, mais seulement à des travaux préparatoires, destinés à permettre aux entreprises spécialisées chargées de ces implantations d'accéder sur le site avec leurs engins, d'y circuler et d'installer les matériels sur des aires préparées pour les recevoir.

Sur le descriptif des travaux produit aux débats )pièce 5 des appelantes(, il apparaît que la société P... a réalisé des travaux de décapage pour dégager l'emprise de chemins, de virages et de postes de livraison, à des travaux d'excavation et d'empierrement, à des travaux de renforcement des chemins existants ; qu'à l'emplacement des futures éoliennes, elle a procédé à des travaux d'excavation en vue de la réalisation de leurs fondations, à la réalisation de rampes d'accès, à des travaux de remblayage et d'empierrement, puis qu'enfin la société P... a installé des membranes géo-textiles dans les chemins d'accès aux éoliennes.

Au vu de ces éléments, on ne peut retenir, comme l'ont fait les premiers juges, que les travaux réalisés par la société P... ont simplement consisté à livrer du calcaire et à le compacter. Le descriptif des travaux révèle que les travaux préparatoires confiés à la société P... ont dû être réalisés selon des préconisations techniques complexes, définissant notamment, pour chaque chemin et pour chaque plateforme, des pourcentages de pente et différents niveaux d'empierrement.

De tels travaux, qui ont assurément consisté en la mise en œuvre de techniques propres à la réalisation de travaux de bâtiments, constituent un ouvrage au sens de l'article 1792 du code civil, et relèvent de la responsabilité dite décennale dont la société P... se trouve tenue de plein droit envers les sociétés Parc du moulin, maître de l'ouvrage.

-sur le préjudice lié à l'absence d'assurance de responsabilité décennale de l'entrepreneur
Si, comme le soulignent les appelantes, la responsabilité dite décennale présente un caractère d'ordre public qui interdit toute convention exclusive ou limitative de responsabilité, on ne peut en déduire avec elles que tous les ouvrages de nature à engager la responsabilité de leurs constructeurs en application de l'article 1792 sont soumis à une obligation d'assurance.
Certes, l'article L. 241-1 du code des assurances dont se prévalent les appelantes énonce que toute personne physique ou morale, dont la responsabilité décennale peut être engagée sur le fondement de la présomption établie par les articles 1792 et suivants du code civil, doit être couverte par une assurance, mais il existe des exceptions et certains ouvrages ne sont pas soumis à l'assurance obligatoire.
En l'espèce, les appelantes ne peuvent soutenir qu'il aurait en toute hypothèse été convenu que la société P... justifie d'une assurance de responsabilité décennale, fût-elle facultative, alors qu'elles ne produisent aucun élément en ce sens et que dans un courrier électronique du 21 janvier 2016, adressé à l'assureur de la société P... à l'occasion d'un audit financier, alors que les travaux étaient achevés depuis plusieurs mois, l'assistante des maîtres de l'ouvrage, la société Zéphyr, a écrit, on ne peut plus clairement : «j'ai bien compris qu'il n'y aurait pas de RC décennale dans ce dossier et "je ne la demandais pas "».
Les sociétés Parc du moulin, qui voudraient que leur dette se compense avec le coût de l'assurance de substitution qu'elles indiquent avoir supporté à hauteur de 12500euros pour pallier la carence de la société P..., ne démontrent de toute façon nullement avoir souscrit une telle assurance, ni même supporté le coût d'une telle assurance.
La police d'assurance qui est produite à titre de justificatif n'a pas été souscrite par les sociétés maîtres de l'ouvrage, mais par la société Zéphyr qui, en tant que bureau d'étude et d'exploitation de parc éoliens, a la qualité de constructeur au sens de 1792-1 du code civil et doit donc être couverte par une assurance de responsabilité propre.
En outre et surtout, les appelantes ne peuvent sérieusement soutenir que cette assurance serait une assurance "en lieux et places", dont le coût aurait été majoré en raison du défaut d'assurance de la société P..., alors que l'assurance qu'elles produisent, qui a été souscrite le 26 mai 2016 avec effet au 16 mai 2016, ne peut couvrir, en l'absence de stipulation expresse en ce sens, des travaux qui ont été achevés en octobre 2015, et que l'augmentation des primes d'assurance de la société Zéphyr, qui s'abstient de produire les contrats qu'elle avait souscrits en 2014 et 2015, peut s'expliquer de multiples façons, notamment par la diversification de ses propres activités garanties.
Dès lors que les sociétés Parc du moulin n'apportent la preuve, ni de la faute qu'elles imputent à la société P..., ni du préjudice financier dont elles sollicitent réparation, elles ne peuvent qu'être déboutées de leur demande de dommages-intérêts et, partant, de leur demande de compensation entre leur prétendue créance indemnitaire et le solde du marché litigieux.
Les sociétés Parc du moulin, qui ne justifient d'aucun paiement ni d'aucun fait libératoire au sens du second alinéa de l'article 1315 ancien du code civil, seront donc condamnées in solidum à payer à la société P..., pour solde de la facture no 163 du 31 octobre 2015, la somme de 12500euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du 10 septembre 2016, date de réception de la mise demeure valant sommation de payer au sens de l'article 1153 al. 3 ancien.
Aussi, même si le principe de la condamnation prononcée par les premiers juges est maintenu pour ces motifs substitués aux siens, il convient pour plus de clarté d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions afin de prononcer une condamnation in solidum et non solidairement, et de prévoir les intérêts au taux légal à compter du 10 septembre 2016 et non du 28 juillet 2016.
En application de l'article 1154 ancien du code civil, les intérêts seront capitalisés annuellement par année entière à compter du jugement du 5 octobre 2018.
La société P..., qui n'a adressé aucune de ses factures à la société Zéphyr, qui ne conteste pas avoir toujours été réglée par les maîtres de l'ouvrage, les sociétés Parc du moulin, et qui ne démontre pas que la société Zéphyr ait commis à son égard une faute qui puisse justifier de la condamner à payer, à titre de dommages et intérêts, une somme équivalente au solde du marché litigieux, sera en revanche déboutée de ses demandes dirigées contre la société Zéphyr.

Sur les demandes accessoires
Les sociétés Parc du moulin, qui succombent au sens de l'article 696 du code de procédure civile, devront supporter seules, in solidum, les dépens de première instance et d'appel.
Il serait inéquitable de laisser à la société P... la charge de la totalité des frais qu'elle a exposés en première instance ainsi qu'en appel et qui ne sont pas compris dans les dépens. En application de l'article 700 du code de procédure civile, les sociétés Parc du moulin seront condamnées in solidum à lui régler une indemnité de procédure de 4500 euros.

Il ne paraît pas inéquitable en revanche de laisser à la société Zéphyr la charge de ses frais irrépétibles. Ladite société sera en conséquence déboutée de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS

INFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;
STATUANT À NOUVEAU,
CONDAMNE in solidum la SAS Parc du moulin de pierre nord et la SAS Parc du moulin de pierre sud à payer à la SAS Etablissements R... P... la somme de 12500euros au titre du solde de la facture no 163 du 30 octobre 2015, outre les intérêts au taux légal à compter du 10 septembre 2016 ;
DIT que les intérêts seront capitalisés annuellement à compter du 5 octobre 2018 ;
REJETTE la demande de la SAS Etablissements R... P... tendant à entendre condamner in solidum ou solidairement la SARL Zephyr énergies renouvelables à paiement avec les SAS Parc du moulin nord et Parc du moulin sud ;
DEBOUTE la SAS Parc du moulin nord et la SAS Parc du moulin sud de leur demande indemnitaire dirigée contre la SAS Etablissements R... P... et dit en conséquence n'y avoir lieu à compensation ;
CONDAMNE in solidum la SAS Parc du moulin nord et la SAS Parc du moulin sud à payer à la SAS Etablissements R... P... la somme de 4500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTE la SARL Zephyr énergies renouvelables de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE in solidum la SAS Parc du moulin nord et la SAS Parc du moulin sud aux dépens de première instance et d'appel.
Arrêt signé par Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, présidant la collégialité et Madame Marie-Claude DONNAT , Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Orléans
Formation : C1
Numéro d'arrêt : 18/034821
Date de la décision : 14/11/2019
Sens de l'arrêt : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.orleans;arret;2019-11-14;18.034821 ?
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