COUR D'APPEL D'ORLÉANS
CHAMBRE COMMERCIALE, ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE
GROSSES + EXPÉDITIONS : le 14/11/2019
la SELARL LEGITEAM DOKOUZLIAN & RAIMBAULT
la SELARL WALTER & GARANCE AVOCATS
ARRÊT du : 14 NOVEMBRE 2019
No : 367 - 19
No RG 18/03436
No Portalis DBVN-V-B7C-F2JP
DÉCISION ENTREPRISE : Ordonnance du juge commissaire du du Tribunal de Commerce de TOURS en date du 07 Septembre 2018
PARTIES EN CAUSE
APPELANT :- Timbre fiscal dématérialisé No: 1265226540751112
Monsieur Y... Q...
né le [...] à
[...]
Ayant pour avocat Me Stéphane RAIMBAULT, membre de la SELARL LEGITEAM DOKOUZLIAN & RAIMBAULT, avocat au barreau de TOURS
D'UNE PART
INTIMÉE : - Timbre fiscal dématérialisé No: 1265235309356724
Société CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE FONDETTES RCS TOURS
Représentée par son Président du Conseil d'Administration, domicilié en cette qualité audit siège [...]
Ayant pour avocat Me Stéphanie BAUDRY, membre de la SELARL WALTER & GARANCE AVOCATS, avocat au barreau de TOURS
D'AUTRE PART
DÉCLARATION D'APPEL en date du : 27 Novembre 2018
ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 5 septembre 2019
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats, affaire plaidée sans opposition des avocats à l'audience publique du 26 SEPTEMBRE 2019, à 9 heures 30, devant Madame Fanny CHENOT, Conseiller Rapporteur, par application de l'article 786 du code de procédure civile.
Lors du délibéré :
Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS,
Madame Fanny CHENOT, Conseiller,
Madame Nathalie MICHEL, Conseiller,
Greffier :
Madame Marie-Claude DONNAT , Greffier lors des débats et du prononcé.
ARRÊT :
Prononcé publiquement par arrêt contradictoire le 14 NOVEMBRE 2019 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
EXPOSE DU LITIGE :
Le 27 septembre 2013, la SARL Y... Q... travaux publics a ouvert en les livres de la société Caisse de crédit mutuel de Fondettes (la Caisse de crédit mutuel) un compte courant professionnel.
Le 13 février 2014, M. Y... Q..., gérant de la société, s'est rendu caution solidaire des engagements souscrits par la SARL Y... Q... travaux publics envers la Caisse de crédit mutuel, dans la limite de 60000euros et pour une durée de 5 ans.
La société Q... a été placée en liquidation judiciaire par le tribunal de commerce de Blois le 17 février 2015.
Le 17 mars 2015, la Caisse de crédit mutuel a déclaré une créance de 52736,59€ à la liquidation judiciaire de ladite société et par courrier du 18 mars suivant, a vainement mis en demeure M. Q... de lui régler au titre de son engagement de caution la somme de 52736,59€ correspondant au solde du compte courant de la société liquidée.
Par acte du 23 septembre 2015, la Caisse de crédit mutuel a fait assigner M. Q... en paiement devant le tribunal de commerce de Tours qui, par jugement du 7 septembre 2018, a :
-condamné M. Q... à payer à la Caisse de crédit mutuel de Fondettes la somme de 54042,42euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 27 septembre 2017
-dit que les intérêts dus pour une année entière produiront eux-mêmes intérêts conformément à l'article 1154 ancien du code civil
-dit n'y avoir lieu à exécution provisoire
-débouté M. Q... de toutes ses demandes
-laissé à chacune des parties la charge de ses frais irréductibles
-condamné M. Q... aux dépens
M. Q... a relevé appel de cette décision par déclaration en date du 27 novembre 2018, en critiquant expressément tous les chefs du jugement en cause.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 4 juin 2019, auxquelles il convient de se référer pour l'exposé détaillé de ses arguments et moyens, M. Q..., faisant valoir que la Caisse de crédit mutuel, qui n'a pas vérifié ses capacités remboursement, lui a fait souscrire un engagement de caution disproportionné par rapport à ses revenus de l'époque et a ainsi failli à son devoir de conseil à son égard, demande à la cour, sans préciser le fondement légal de ses prétentions, de :
-réformer la décision entreprise
Statuant à nouveau :
-débouter purement et simplement la Caisse du crédit mutuel de Fondettes de l'intégralité de ses demandes
-condamner la Caisse du crédit mutuel de Fondettes à payer à M. Y... Q... la somme de 54 042,42 euros en réparation du préjudice subi au regard du manquement à son obligation de conseil
-condamner la Caisse de crédit mutuel de Fondettes à lui payer la somme de 3 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
-condamner la même aux entiers dépens de l'instance.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 13 août 2019, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses arguments et moyens, la Caisse de crédit mutuel demande à la cour, en se fondant sur l'article L. 341-4 du code de la consommation, puis sur les articles 1103, 1104 et 2288 du code civil, de :
-déclarer la Caisse de crédit mutuel de Fondettes recevable et bien fondée en ses demandes, fins et conclusions ;
-confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Tours en date du 7 septembre 2018, en toutes ses dispositions et notamment en ce qu'il a :
-condamné M. Y... Q... à payer à la Caisse de crédit mutuel de Fondettes la somme de 54.042,42 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 27 septembre 2017 ;
-dit que les intérêts dus pour une année entière produiront eux-mêmes intérêts conformément à l'article 1154 (ancien) du code civil ;
-débouté Monsieur Y... Q... de toutes ses demandes ;
-condamné Monsieur Y... Q... aux entiers dépens
-débouter Monsieur Y... Q... de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions
Y ajoutant :
-condamner Monsieur Y... Q... à lui verser la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Au soutien de ses prétentions, la Caisse de crédit mutuel fait valoir que M. Q... ne peut lui imputer à faute de ne pas lui avoir fait remplir une fiche de renseignements alors qu'elle n'en a pas l'obligation et qu'au cas particulier, grâce aux relations qui la liait de longue date avec l'intéressé, elle s'estimait suffisamment informée sur la solvabilité de son client, que la disproportion de l'engagement de caution ne s'apprécie pas au regard des seuls revenus du garant, mais aussi de son patrimoine, en sorte que M. Q... qui, au moment de la souscription du cautionnement litigieux, détenait notamment 50 % des parts d'une SCI dénommée Gapi, propriétaire d'un immeuble évalué à 138900€, libre de toute sûreté réelle, ne peut soutenir que son engagement était disproportionné à sa situation patrimoniale.
L'instruction a été clôturée par ordonnance du 5 septembre 2019.
SUR CE, LA COUR :
Si l'article L. 341-4, devenu l'article L. 332-1 du code de la consommation, interdit à un créancier professionnel de se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation, ce texte n'impose pas au créancier de vérifier la situation financière de la caution lors de son engagement, puisque la caution supporte, lorsqu'elle l'invoque, la charge de la preuve de démontrer que son engagement de caution était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus (Cass. Com. 13 septembre 2017, no 15-20294).
M. Q... ne peut donc déduire du fait que la Caisse de crédit mutuel ne lui a pas fait remplir de fiche de renseignement, alors qu'elle n'avait aucune obligation de cette nature, que ladite Caisse aurait failli à son obligation de conseil à son égard. Pour être déchargé de son engagement de caution, comme il le demande en concluant à titre principal au rejet de la demande en paiement de la Caisse de crédit mutuel, M. Q... doit démontrer que son engagement était manifestement disproportionné à ses biens et revenus lors de sa conclusion.
En l'espèce, il résulte des pièces produites aux débats qu'au moment de la souscription de l'engagement litigieux, M. Q..., qui était divorcé et avait deux enfants à charge, percevait, pensions alimentaires comprises, des revenus mensuels de l'ordre de 1270 euros (salaire, prime pour l'emploi et revenus fonciers) et détenait 50 % des parts sociales d'une SCI dénommée Gapi, dont il ne conteste pas qu'elle était propriétaire d'un immeuble évalué à 138900€ et dont il n'indique pas qu'elle avait contracté un passif, au titre de charges d'emprunt notamment.
Dans ces circonstances, et sans qu'il importe de savoir si les parts sociales de M. Q... étaient facilement réalisables ou non, on ne saurait considérer, malgré le caractère modeste de ses revenus, que l'engagement de M. Q... était manifestement disproportionné à ses biens et revenus, alors que son cautionnement était d'un montant inférieur à la valeur de son patrimoine (Cass. Com., 28 février 2018, no 16-24.841).
Au regard de ces éléments, M. Q... ne peut être déchargé de son engagement de caution.
Au soutien de sa demande de dommages et intérêts, M. Q... invoque la responsabilité de la banque pour manquement à son devoir de conseil.
Le banquier dispensateur de crédit est tenu d'un devoir de mise en garde envers la caution non avertie, et sa responsabilité peut être engagée pour manquement à ce devoir si l'engagement de caution n'est pas adapté soit aux capacités financières de la caution, soit au risque d'endettement né de l'octroi du prêt, lequel s'apprécie compte tenu d'un risque caractérisé de défaillance du débiteur. Il est toutefois nécessaire que la caution ne soit pas une caution avertie, ou encore que la banque ait eu sur ses revenus, son patrimoine et ses facultés de remboursement raisonnablement prévisibles, en l'état du succès escompté de l'opération cautionnée des informations que la caution ignorait.
Au cas particulier, même s'il était le gérant de la SARL Q... travaux public, M. Q..., qui n'avait pas d'expérience des affaires, ne peut être considéré comme une caution avertie, en sorte qu'il n'est pas douteux que la Caisse de crédit mutuel était tenue à son égard d'un devoir de mise en garde.
Ainsi qu'il vient d'être dit, le cautionnement souscrit par M. Q... n'était pas manifestement disproportionné à son patrimoine. Il n'était donc pas inadapté à ses capacités financières.
S'agissant du risque d'endettement pour la débitrice principale né de l'octroi du prêt, la cour constate que contrairement aux affirmations de M. Q..., la Caisse de crédit mutuel n'a accordé aucun prêt à la SARL Q... travaux publics dans les mois qui ont précédé son placement en redressement judiciaire, mais que la garantie de M. Q... porte sur une ouverture de crédit en compte courant, qui avait été accordée à la débitrice principale dès le début de son activité, en septembre 2013, et dont rien ne permet de considérer qu'elle aurait été maintenue de manière fautive. Dès lors qu'aucun élément du dossier ne permet de retenir qu'en février 2014, lorsque la Caisse de crédit mutuel a sollicité la garantie de M. Q..., la situation de la débitrice principale était obérée, alors que la société en cause a été placée en liquidation judiciaire un an plus tard, M. Q..., qui n'établit aucun manquement de la Caisse de crédit mutuel à son devoir de conseil et de mise en garde à son égard, ne peut qu'être débouté de sa demande de dommages et intérêts, infondée.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en toutes ses dispositions.
M. Q..., qui succombe au sens de l'article 696 du code de procédure civile, devra supporter les dépens de l'instance d'appel.
Il serait inéquitable de laisser à la Caisse de crédit mutuel la charge de ses frais irrépétibles. En application de l'article 700 du code de procédure civile, M. Y... Q... sera donc condamné à lui régler une indemnité de procédure de 1500 euros.
PAR CES MOTIFS
CONFIRME en toutes ses dispositions la décision entreprise,
Y AJOUTANT,
CONDAMNE M. Y... Q... à payer à la Caisse de crédit mutuel de Fondettes une indemnité de 1500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE M. Y... Q... aux dépens.
Arrêt signé par Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, présidant la collégialité et Madame Marie-Claude DONNAT , Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT