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07/11/2019 | FRANCE | N°19/00019

France | France, Cour d'appel d'Orléans, 07 novembre 2019, 19/00019


COUR D'APPEL D'ORLÉANS


CHAMBRE COMMERCIALE, ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE






GROSSES + EXPÉDITIONS : le 07/11/2019
Me DEVAUCHELLE
la SCP LAVAL - FIRKOWSKI
ARRÊT du : 07 NOVEMBRE 2019


No : 356 - 19
No RG 19/00019
No Portalis DBVN-V-B7C-F2QN


DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du Tribunal de Commerce d'ORLEANS en date du 18 Octobre 2018


PARTIES EN CAUSE


APPELANTE :- Timbre fiscal dématérialisé No: 1265233264339771
SAS COTE EMPLOI
Agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicil

ié en cette qualité audit siège [...]


Ayant pour avocat postulant Me Alexis DEVAUCHELLE, avocat au barreau d'ORLEANS
et pour avocat plaidant Me...

COUR D'APPEL D'ORLÉANS

CHAMBRE COMMERCIALE, ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE

GROSSES + EXPÉDITIONS : le 07/11/2019
Me DEVAUCHELLE
la SCP LAVAL - FIRKOWSKI
ARRÊT du : 07 NOVEMBRE 2019

No : 356 - 19
No RG 19/00019
No Portalis DBVN-V-B7C-F2QN

DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du Tribunal de Commerce d'ORLEANS en date du 18 Octobre 2018

PARTIES EN CAUSE

APPELANTE :- Timbre fiscal dématérialisé No: 1265233264339771
SAS COTE EMPLOI
Agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège [...]

Ayant pour avocat postulant Me Alexis DEVAUCHELLE, avocat au barreau d'ORLEANS
et pour avocat plaidant Me Séverine F..., membre de la SELAFA Y..., avocat au barreau D'ORLEANS,

D'UNE PART

INTIMÉE : - Timbre fiscal dématérialisé No: [...]
SAS ARTUS INTERIM ORLEANS
Prise e n la personne de son représentant légal agissant poursuites et diligences domicilié en cette qualité audit siège [...]

Ayant pour avocat postulant Me Olivier LAVAL, membre de la SCP LAVAL - FIRKOWSKI, avocat au barreau d'ORLEANS, et pour avocat plaidant Me Emmanuelle BRUDY de la SCP FIDAL, avocat au barreau de CHERBOURG

D'AUTRE PART

DÉCLARATION D'APPEL en date du : 07 Décembre 2018
ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 5 septembre 2019

COMPOSITION DE LA COUR

Lors des débats à l'audience publique du 19 SEPTEMBRE 2019, à 14 heures, Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, en son rapport, et Madame Fanny CHENOT, Conseiller, ont entendu les avocats des parties en leurs plaidoiries, avec leur accord, par application de l'article 786 et 907 du code de procédure civile.

Après délibéré au cours duquel Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel D'ORLEANS, et Madame Fanny CHENOT, Conseiller, ont rendu compte à la collégialité des débats à la Cour composée de :

Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS,
Madame Fanny CHENOT, Conseiller,
Madame Nathalie MICHEL, Conseiller,

Greffier :

Madame Marie-Claude DONNAT, Greffier lors des débats et du prononcé,

ARRÊT :

Prononcé publiquement par arrêt contradictoire le 7 NOVEMBRE 2019 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE :
La société Artus Intérim Orléans (société Artus), dont le siège social est située [...] exploite à cette adresse une agence de travail temporaire.

Se prévalant de ce qu'une agence concurrente dénommée Coté emploi s'est s'installée en avril 2012 à proximité, [...] , a pour associée et salariée Mme H... et a embauché, outre Mme H..., Mme T..., toutes deux anciennes salariées tenues par une obligation de non concurrence et ayant démissionné avec effet, respectivement, en mai et avril 2012, la SAS Artus a sollicité et obtenu le 4 mai 2012 du Président du tribunal de commerce d'Orléans la désignation d'un huissier Maître W... assisté d'un expert informatique M. P... aux fins de se faire communiquer divers documents (fichiers clients et intérimaires, liste des propects démarchés...), explorer les messageries des deux sociétés, et rechercher les démarchages et les contrats établis par la société Côte emploi, avec des clients de l'agence Artus.

Exposant qu'il ressortait de ce procès-verbal de constat que Mesdames H... et T... s'étaient livrées à un détournement de ses fichiers, la société Artus, par acte du 13 juillet 2012, a fait assigner la société Côte emploi devant le Président du tribunal de commerce d'Orléans statuant en référé afin de la contraindre sous astreinte à cesser toutes relations salariales ou capitalistiques avec Mesdames H... et T... et de ne plus entrer en contact avec les clients et intérimaires travaillant ou ayant travaillé avec la société Artus avant le départ de celles-ci,

Par ordonnance du 9 août 2012, le président du tribunal de commerce a dit n'y avoir lieu à référé et invité les parties à mieux se pourvoir. Par arrêt du 13 décembre 2012, la Cour d'appel d'Orléans a confirmé l'ordonnance par substitution de motifs.

Par ordonnance du 14 septembre 2012, le Président du Conseil des prud'hommes d'Orléans, saisi en référé par la société Artus aux fins de voir constater la violation par Mesdames H... et T... de leur clause de non concurrence et faire cesser les actes de concurrence déloyale qui seraient commis par elles, a constaté l'existence d'une contestation sérieuse et renvoyé les parties à mieux se pourvoir. La société Artus a formé appel de cette ordonnance et a en même temps saisi le Conseil des prud'hommes au fond.

Par arrêt du 14 novembre 2013, la cour d'appel d'Orléans a infirmé l'ordonnance du 14 septembre 2012, fait interdiction à Mmes H... et T... d'entrer en contact avec les clients et intérimaires de la société Artus Intérim Orléans durant l'exécution de leur contrat de travail, leur a enjoint de respecter la clause de non concurrence figurant dans leur contrat de travail jusqu'à la fin de la période de deux ans et les a condamnées à payer des provisions représentant la contrepartie financière de la clause de non concurrence encaissée jusqu'en avril 2013.

Sur le fond, le conseil des prud'hommes d'Orléans, par deux jugements du 25 juin 2014:
- s'est déclaré incompétent pour trancher le litige entre les sociétés Artus et Coté emploi au profit du tribunal de commerce d'Orléans,
- a dit et jugé valables les clauses de non concurrence liant Mesdames H... et T...,
- a condamné Mme H... à verser à la société Artus la somme de 7246,10€ au titre de l'indemnité de non concurrence,
- a condamné Mme T... à verser à la société Artus la somme de 5139,62€ (dont déduction de la somme de 4680,37€ déjà versée) au titre de l'indemnité de non concurrence,
- a condamné Mme H... à verser à la société Artus la somme de 4000€ à titre de dommages et intérêts pour non respect de l'obligation générale de loyauté et d'exclusivité contractuelle,
- a débouté la société Artus de ses autres demandes.

Par acte du 10 janvier 2017, la société Artus a fait assigner la société Côte emploi devant le tribunal de commerce d'Orléans afin d'entendre, au visa des anciens articles 1382 et suivants du Code Civil devenus les articles 1240 et suivants du même code, dire que la société Côte emploi a commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Artus et la condamner à payer à cette dernière, principalement, la somme de 726 729 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis, ainsi que la somme de 4 632,92 euros HT au titre des frais engagés, outre les intérêts légaux à compter de l'assignation.

Par jugement du 18 octobre 2018, le tribunal de commerce d'Orléans a statué ainsi:
Reçoit la SAS Artus Intérim Orléans en ses demandes et les déclare partiellement fondées,
Constate que la société Coté emploi a commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Artus Intérim Orléans,
En conséquence :
Déboute la SAS Coté emploi de ses demandes,
Déboute la société Artus Intérim Orléans de sa demande d'indemnité au titre du préjudice moral,
Déboute la société Artus Intérim Orléans de sa demande au titre de la perte éprouvée,
Condamne la SAS Coté emploi à payer à la SAS Artus Intérim Orléans la somme de 94 844,30 euros de dommages et intérêts, avec intérêts légaux à compter du 10 janvier 2017,
Condamne la SAS Coté emploi à payer à la SAS Artus Intérim Orléans la somme de 4 632,92 euros au titre des remboursements des frais de procédure avec intérêts légaux à compter du 10 janvier 2017,
Condamne la SAS Coté emploi à payer à la SAS Artus Interim la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du présent jugement,
Condamne la SAS Coté emploi aux entiers dépens, y compris les frais de greffe taxés et liquidés à la somme de 68,02 euros.

Le tribunal a retenu l'existence d'actes de concurrence déloyale au titre d'une désorganisation économique, après avoir relevé que Mme H... était directrice et associée de la société Côté emploi et que cette dernière ne pouvait donc ignorer sa clause de non concurrence. Il a évalué le préjudice subi sur une période de deux ans et sur la base d'une baisse du chiffre d'affaires de 2.709.837€ et a pris en compte une marge brute moyenne dans la profession de 3,5%.

La société Côte emploi a formé appel le 7 décembre 2018 de la décision en intimant la société Artus et en critiquant tous les chefs du jugement. Elle demande à la cour par dernières conclusions du 23 juillet 2019de :
Dire la Société Coté emploi recevable et bien fondée en son appel.
Infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal de Commerce d'Orléans le 18 octobre 2018.
Voir dire et juger que la Société Coté emploi n'a commis aucun acte de concurrence déloyale.
Dire et juger qu'à tout le moins, il n'en résulte aucun préjudice pour la Société Artus Interim.
La débouter par voie de conséquence de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
Condamner la société Artus Interim à payer à la société Coté emploi la somme de 10 000 €, en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamner la société Artus Intérim Orléans aux entiers dépens.

Au soutien de son appel, elle fait valoir :
- qu'elle a été immatriculée le 3 avril 2012, avec un début d'activité le 16 avril 2012 et a pour associés, M et Mme I..., professionnels de l'intérim souhaitant créer une nouvelle agence à Orléans, et Mme H... (à hauteur de 30%)
- que la clause de non concurrence contenue dans le contrat de travail signé par Mme H... le 5 septembre 2005 n'était pas valide, aucune contrepartie financière n'étant prévue en cas de démission de la salariée et que la société Coté emploi n'a eu connaissance de la clause de non concurrence contenue dans le contrat de travail signé le 2 juillet 2008 que dans le cadre de la procédure de référé initiée en juillet 2012, la preuve d'une embauche par la société Coté emploi en connaissance de cette clause faisant dès lors défaut,
- que l'embauche de Mmes H... et T..., qui auraient représenté les deux tiers de l'effectif de l'agence d'Artus ce qui n'est pas établi, n'est pas non plus constitutive d'un débauchage fautif,
- sur le prétendu détournement de fichiers de savoir faire, et le démarchage illicite de clientèle, que l'huissier a outrepassé sa mission en explorant la messagerie personnelle de Mme H..., alors que l'ordonnance visait uniquement les messageries de la société Coté emploi (dirigeants et personnel), de sorte que le procès verbal de constat doit être invalidé comme moyen de preuve ; qu'en outre, les constations de l'huissier sont faites par comparaison aux fichiers qu'il aurait obtenus de la société Artus, mais ceux-ci ne sont pas joints au procès verbal, ni produits par Artus sauf de manière tronquée ; qu'aucun des fichiers de la messagerie personnelle de Mme H... n'est identifiable comme étant un fichier Artus et qu'à supposer que le fichier client soit celui d'Artus, ce fichier contient 202 clients et 15 seulement ont été retrouvés chez Côté emploi,
- que le préjudice allégué n'est pas justifié et le lien de causalité invoqué fait défaut car la société Artus ne justifie en rien que la baisse de son chiffre d'affaires est liée au départ de Mmes H... ou T... et à leur embauche par la société Coté emploi et prend comme référence uniquement le chiffre d'affaires de l'année 2011 alors qu'il s'agissait d'une année exceptionnelle, que le secteur du travail intérimaire a connu une baisse d'activité significative en 2012 et que d'ailleurs le chiffre d'affaire d'Artus en 2012 est en progression par rapport à 2010,
- que rien n'établit que le tribunal de commerce a retenu un taux de marge nette de 3,5%, ni n'impose de calculer le préjudice sur la base d'un taux de marge brute.

La société Artus demande à la cour, par dernières conclusions du 30 août 2019 de :
Dire mal fondé l'appel de la Société Coté emploi et recevable et bien fondé l'appel incident de la société Artus Intérim Orléans
Infirmer le jugement du Tribunal de commerce d'Orléans du 18 octobre 2018 en ce qu'il a :
- limité à la somme de 94 844,30 € l'indemnité allouée à la société Artus Intérim Orléans en réparation de son préjudice financier
- rejeté les demandes indemnitaires de la société Artus Intérim Orléans au titre de la perte éprouvée et du préjudice moral
- limité à la somme de 8 000 € l'indemnité allouée à la société Artus Intérim Orléans au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Condamner la société Coté emploi à payer et porter à la société Artus Intérim Orléans la somme de 726 729 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis, outre intérêts légaux à compter du 10 janvier 2017, date de l'assignation
Condamner la société Coté emploi à verser à la société Artus Intérim Orléans la somme de 10 000 € au titre des frais irrépétibles de première instance.
Confirmer le jugement du Tribunal de commerce d'Orléans du 18 octobre 2018 en ce qu'il a:
- constaté que la société Coté emploi avait commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Artus Intérim Orléans ouvrant droit à indemnité
- débouté la société Coté emploi de ses demandes
- condamné la société Coté emploi à payer à la société Artus Intérim Orléans une somme de 4632,92 € au titre du remboursement des frais avec intérêts légaux à compter du 10 janvier 2017
- condamné la société Coté emploi aux dépens de première instance.
Condamner la société Coté emploi à verser à la société Artus Intérim Orléans la somme de 10 000 € au titre des frais irrépétibles d'appel.
Rejeter l'ensemble des demandes, fins et prétentions de la société Coté emploi
Condamner la société Coté emploi aux dépens d'appel en ce compris les frais de signification du jugement du 18 octobre 2018.

Elle fait valoir sur les actes de concurrence déloyale commis à son préjudice :
- que Mmes H... et T... ont démissionné les 15 février et 8 mars 2012 et se sont vues rappeler leurs clauses de non concurrence par lettres recommandées des 25 avril et 9 mai 2012,
- que la société Coté emploi les a embauchées et conservées à son service alors qu'elle ne pouvait ignorer l'existence de la clause de non-concurrence à laquelle elles étaient tenues, Mme H... étant associée fondatrice de cette société, que les fonctions de responsable et d'assistante d'agence des intéressées chez Artus impliquaient l'existence d'une clause de non concurrence, et que ces clauses lui ont été rappelées en vain par lettre recommandée du 6 juin 2012,
- que Mme H... a oeuvré au débauchage de Mme T... et le départ concomitant de la responsable et de l'assistante de l'agence Artus d'Orléans qui ne comptait que trois salariées et une apprentie, a désorganisé gravement cette agence, malgré l'embauche de deux nouvelles personnes, ce qui a nécessité de nombreux déplacements du gérant de la société Holding du groupe pour assister la nouvelle équipe,
- qu'il ressort du procès verbal de constat d'huissier du 25 mai 2012 que plusieurs fichiers appartenant à la société Artus (fichiers "Prospects", "fichier des intérimaires", "fichier clients"), ainsi qu'un livret d'accueil expliquant la méthodologie et la stratégie de la société Artus ont été retrouvés dans un ordinateur de la société Coté emploi, dans un dossier "intérim", dont l'ouverture était en lien avec la recherches d'actes de concurrence déloyale, et les courriels cités par l'huissier ont été découverts dans les deux messageries professionnelles de Mme H...,
- que la clientèle et les intérimaires d'Artus ont été démarchés par la société Coté emploi, grâce aux fichiers détournés frauduleusement, et celle-ci a en outre dénigré la société Artus pour pouvoir récupérer des clients et intérimaires,
- que ces fautes sont en lien direct avec le préjudice invoqué, le chiffre d'affaires de l'agence ayant été en progression constante en 2010 et 2011 avant de chuter fortement dès mai 2012.

S'agissant de son appel incident, elle reproche au tribunal de commerce :
- d'avoir limité à deux ans la période à prendre en considération pour apprécier la perte de marge alors que les effets des détournements ont perduré dans le temps jusqu'au 31 décembre 2014,
- de s'être référé au chiffre d'affaires global de la société et non au seul chiffre d'affaires produits par les clients perdus, alors que l'auteur des agissements délictuels ne saurait bénéficier de la progression du chiffre d'affaires afférent aux clients non détournés,
- d'avoir appliqué un taux de marge net arbitré à 3,5% alors que l'indemnisation s'effectue sur la base d'une perte de marge brute et qu'elle justifiait d'un taux de marge brute compris entre 13,15 et 13,08%
- d'avoir rejeté sa demande au titre de la perte éprouvée alors qu'elle a dû supporter des frais de fonctionnement non minorés du fait de la baisse de son activité, avant de pouvoir prendre les mesures permettant de les réduire quand c'était possible,
- d'avoir rejeté sa demande au titre du préjudice moral pour absence de preuve alors qu'elle démontre la brutalité de sa perte d'activité et le désarroi de son personnel.

Il est expressément référé aux écritures des parties pour plus ample exposé des faits ainsi que de leurs moyens et prétentions.

La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 5 septembre 2019.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur les actes de concurrence déloyale

Le principe de liberté du commerce et de l'industrie issu de la loi du 17 mars 1791 implique une libre concurrence et seuls les procédés contraires aux usages loyaux du commerce peuvent donner lieu à indemnisation, parmis lesquels, la concurrence déloyale, qui peut résulter de différents comportements tels le dénigrement, l'imitation ou la confusion, le parasitisme, la désorganisation économique.

En application des articles 1240 et 1241 du Code Civil, applicables à la cause, il appartient à celui qui invoque des faits de concurrence déloyale de rapporter la preuve d'une faute constitutive d'une déloyauté, du dommage subi et du lien de causalité entre ce dernier et le comportement économique critiqué.

En l'espèce, la sociéé Artus invoque la désorganisation économique résultant selon elle de l'embauche par Coté emploi de salariés liés par une clause de non-concurrence à leur ancien employeur, du débauchage abusif et massif de salariés et du détournement illicite de fichiers et de savoir-faire et du démarchage illicite de clientèle

- sur l'embauche de Mmes H... et T... par la société Côté emploi

L'embauche d'un salarié est répréhensible quand l'employeur sait qu'il est lié par un contrat de travail à un autre employeur ou par une clause de non concurrence.

Il est établi par les pièces produites par l'intimée :
- que la société Côté emploi a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 3 avril 2012 avec un début d'activité au 16 avril suivant,
- que Mme H... a été embauchée le 5 septembre 2005 par la société Artus interim Nogent, puis à la suite du transfert de son contrat de travail à la société Artus interim Orléans, a signé avec cette dernière le 2 juillet 2008 un contrat de travail en qualité de responsable d'agence, a démissionné de cette société avec un départ effectif au 11mai 2012 puis a été embauchée en qualité de responsable d'agence à compter du 14 mai 2012 par la société Côté emploi dont elle était en outre associée depuis avril 2012, à hauteur de 30% du capital social,
- que Mme T... a été embauchée en qualité d'assistante d'agence par la société Artus interim Orléans le 11 mars 2008, a démissionné de cette société avec un départ effectif le 6 avril 2012 puis a été embauchée à compter du 16 avril 2012 par la société Côté emploi en qualité d'assistante d'agence.

Les contrats de travail conclus par la société Artus avec Mme H... le 2 juillet 2008 et Mme T... le 11 mars 2008, contiennent l'un et l'autre une clause de non concurrence ainsi rédigée: "A la cessation du contrat quelle qu'en soit la cause ou l'auteur, Mme ... s'engage à n'exercer à son compte ou au service d'une autre personne physique ou morale aucune susceptible de concurrencer celle de l'employeur. Elle s'engage à ne s'intéresser directement ou indirectement à aucune affaire ou entreprise exerçant une activité concurrente. Cette obligation s'applique pendant une durée de deux ans à compter de l'expiration du présent contrat et s'étend aux territoires suivants : département de l'établissement où le salarié aura exercé sa fonction au cours de douze derniers mois et les départements limitrophes de celui-ci (...)".
Une contrepartie financière à cette obligation était stipulée.

La validité de ces clauses de non concurrence a été définitivement jugée par deux décisions du conseil de prud'hommes du 25 juin 2014.

La société Côté emploi ne conteste pas avoir embauché Mme T... en connaissance de l'existence de la clause de non concurrence liant cette dernière à son précédent employeur et au surplus il est rappelé que dès avril 2012 et donc lors de l'embauche de Mme T..., elle avait pour associée Mme H..., collègue directe de cette dernière et responsable d'agence et que la société ne pouvait donc ignorer la clause de non concurrence liant Mme T... à Artus.

S'agissant de Mme H..., elle prétend que cette dernière lui a uniquement remis son contrat de travail du 5 septembre 2005 qui stipulait une clause de non concurrence nulle notamment car elle ne prévoyait aucune contrepartie financière en cas de démission du salarié, et conteste avoir été informée, sauf lors de la procédure de référé initiée postérieurement, de l'existence de la clause de non concurrence contenue dans le contrat du 2 juillet 2008.

Ainsi que l'indique l'appelante, il appartient à celui qui demande réparation du dommage causé par l'embauche d'un salarié lié par une clause de non concurrence d'établir que le nouvel employeur connaissait l'existence de cette clause.

Pour autant, et comme le souligne l'intimée, le travail temporaire est un secteur très concurrentiel dans lequel les clauses de non concurrence sont fréquentes et étudiées attentivement, tant par les salariés qui souhaitent ou doivent changer d'entreprise, que par leurs nouveaux employeurs, auxquels il appartient d'effectuer un minimum d'investigations lorsqu'ils embauchent une personne ayant travaillé précédemment dans le même département et dans le même secteur du travail temporaire, notamment quant à l'existence d'une clause de non-concurrence.

En outre, la société Artus a rappelé à Mme H..., dans un courrier du 9 mai 2012, soit avant son embauche par la société Côté emploi, que son contrat de travail contenait une clause de non concurrence d'une durée de deux ans en application de laquelle l'indemnité prévue lui serait versée le 11 de chaque mois.

Il ne peut être sérieusement soutenu par la société Côté Emploi qu'elle n'aurait pas été informée de cette clause par son associée fondatrice également salariée et que celle-ci aurait oublié son existence même, alors qu'il lui était rappelé dans un courrier reçu cinq jours seulement avant son embauche qu'elle allait recevoir une indemnité à ce titre, ce qui n'était pas prévu en cas de démission sous l'empire de la clause contenue dans le contrat du 5 septembre 2005.

Il sera en conséquence retenu que la société Côté emploi avait connaissance de la clause de non concurrence susvisée sans doute dès sa création et son début d'activité en avril 2012, alors que Mme H... faisait encore partie des effectifs de la société Artus, et en tous cas de manière certaine lors de l'embauche de cette dernière le 11 mai 2012.

Cette société a conservé Mme H... et Mme T... à son service en dépit d'une mise en demeure du 6 juin 2012 lui rappelant l'existence de ces clauses, ce jusqu'au 29 novembre 2013 date à laquelle les deux contrats de travail ont été rompus d'un commun accord, à la suite de l'arrêt de la cour d'appel d'Orléans du 14 novembre 2013.

En embauchant Mmes H... et T... en connaissance de l'existence de clauses de non concurrence, dont la validité est établie au jour où la cour statue, la société Côté Emploi a de ce seul fait commis un acte de concurrence de déloyale engageant sa responsabilité délictuelle envers cette dernière, sans que la preuve que cette embauche constituait un acte de débauchage massif et abusif des salariés de l'agence Artus ayant désorganisé cette dernière soit nécessaire.

A titre surabondant, la Cour relève que cette embauche constitue aussi un débauchage massif des salariés de l'agence Artus l'ayant désorganisée car elle constate, comme l'a fait le tribunal:
- qu'il est établi par la déclaration annuelle des données sociales 2012 que Mesdames H... et T... représentaient les deux tiers des effectifs de l'agence Artus d'Orléans, (pièce 56 produite par la société Artus)
- que Mme H... a reconnu dans un courriel adressé à un client (pièce 17 annexe 10) qu'elle avait "emmené" avec elle une partie de son équipe (Vanessa T...),
- que si Mme H... et Mme T... ont été remplacées pendant leur période de préavis, ce changement concernant les deux tiers des effectifs de l'agence a désorganisé cette dernière car le gérant de la société holding du groupe Artus a dû, pour y remédier, procéder à un accompagnement important en se rendant à plusieurs reprises sur place (4 jours de déplacement en mai et juin 2012 et deux en juillet 2012 contre moins d'un jour par mois entre septembre et décembre 2011 : pièces 54 et 57).

- Sur le démarchage et le détournement de fichiers et de savoir-faire

Le démarchage de la clientèle d'un concurrent est une pratique commerciale normale mais est constitutif d'un acte de concurrence déloyale, lorsqu'il s'accompagne de certaines manœuvres notamment en cas de soustraction de documents ou prend un caractère systématique.

En l'espèce, la société Artus se prévaut du constat d'huissier établi par Maître W... huissier de justice le 25 mai 2012, selon lequel la comparaison entre les fichiers clients, intérimaires et prospects de la société Côté emploi retrouvés dans l'ordinateur de cette dernière et les fichiers clients, intérimaires et prospects de la société Artus interim orléans, ainsi que l'examen des contrats de travail conclus, permet de relever :
- que sur les 16 clients de la société Côté emploi, 15 figurent dans le fichier clients de la société Artus,
- que sur les 41 intérimaires en mission depuis l'ouverture de l'agence Côté emploi, 25 sont des employés identifiés sur le listing de Artus,
- qu'entre le 16 avril 2012 et le 25 mai 2012, 43 contrats de mission ont été conclus par la société Côté emploi avec des intérimaires (23) figurant sur la liste des intérimaires de Artus.

L'appelante conteste l'utilisation de ce constat d'huissier au motif, d'une part qu'il ne serait pas licite, l'huissier ayant outrepassé sa mission en explorant la messagerie personnelle de Mme H... qui est aussi celle de son conjoint, d'autre part qu'il serait trompeur et ne contiendrait pas en pièce jointe les fichiers d'Artus avec lesquels l'huissier a effectué ses comparaisons.

Sur le premier point, le Président du tribunal de commerce d'Orléans, par ordonnance du 4 mai 2012, a donné mission à la SCP Vigny huissiers de justice à Orléans, notamment, d'explorer "toutes les messageries de la société Côté emploi, dirigeants et personnel pour retrouver toutes traces permettant de prouverla transmission de fichiers entre la requérante (Artus) et la société Côté emploi". Le périmètre de la mission était donc large.

Il ressort du procès verbal du 25 mai 2012 (9ème page) qu'ont pu être relevées, à partir du poste informatique utilisé par Mme H... au sein de la société Côté emploi, six messageries : deux portant la dénomination "cote-emploi" ([...] et [...]) qui sont des messageries professionnelles et quatre autres messageries accessibles à partir d'un favori inititulé "Messageries Perso France". L'huissier ajoute que Mme H... a indiqué ne connaître que celle intitulée [...], qu'il lui a demandé de frapper à son insu son mot de passe, ce qu'elle a fait, et qu'après avoir constaté que s'y trouvait un dossier intitulé "Artus intérim", en lien direct avec sa mission, il l'a ouvert et découvert à l'intérieur trois fichiers (clients, prospects et intérimaires portant comme dates de création le 22 janvier 2012, le 20 mai 2011et le 22 janvier 2012). Il précise que les courriels qu'il cite dans son constat et joint en annexe 10 ont été découverts dans les deux messageries professionnelles de Mme H....

Ainsi, une partie des constatations de l'huissier dont se prévaut la société Artus provient, d'une part de courriels qu'il a retrouvés dans les messageries professionnels de Mme H..., d'autre part des fichiers (clients, prospects, intérimaires) de la société Côté emploi et des contrats de travail conclus par elle, éléments retrouvés sur l'ordinateur professionnel de cette société.

Par ailleurs, les trois fichiers clients, prospects et intérimaires de la société Artus ont été retrouvés à partir de l'ordinateur professionnel de Mme H... appartenant à la société Côté emploi, dans une messagerie accessible facilement par un "favori" et ne comportant pas le nom de la société Côté emploi, s'agissant d'une messagerie personnelle, mais comportant celui de sa dirigeante France H..., et ils figuraient en outre dans un dossier dont l'intitulé ("Artus intérim") était strictement en lien avec la mission de l'huissier ("retrouver toutes traces permettant de prouver la transmission de fichiers entre la requérante (Artus) et la société Côté emploi"). Par ailleurs, Mme H... était présente lors de cette exploration de sa messagerie personnelle et l'a ouverte en entrant son mot de passe.

En conséquence, l'huissier n'a pas exploité de données personnelles à Mme H... ou à son conjoint et n'a pas non plus outrepassé sa mission.

Sur le second point, le fait que les fichiers clients, intérimaires et prospects imputés à la société Artus ne soient pas joints au procès verbal dressé par Maître W... n'est pas opérant dès lors qu'ils ont été retrouvés dans un dossier conservé par Mme H... intitulé "Artus intérim" ce qui ne laisse pas de doute sur leur propriété et qu'ils ont aussi été retrouvés dans les ordinateurs professionnels de la société Artus selon procès verbal de constat établi le 15 mai 2012 par Maître W... (pièce 16 produite par Artus). En outre, la société Côté emploi ne démontre par aucune pièce que la constatation de l'huissier selon laquelle le fichier client de la société Côte emploi contenait 16 clients (dont 15 retrouvés sur la liste des clients d'Artus) était erronée.

Les moyens soulevés par l'appelante pour contester la licéité et la force probante du constat d'huisser susvisé seront donc écartés.

Il ressort de ce constat d'huissier que les fichiers de la société Artus ont été détournés en 2011 et 2012 à l'insu de cette dernière et que la société Côté emploi les a utilisés en connaissance de leur provenance, par l'intermédiaire de sa salariée également associée, et ce dès sa création en avril 2012, en contactant d'anciens clients de la société Artus en avril et mai 2012 et en concluant entre le 16 avril 2012 et le 25 mai 2012, 43 contrats avec des intérimaires figurant sur la liste de la société Artus.

Ainsi, à titre d'exemples, Mme H... a adressé depuis sa nouvelle messagerie professionnelle ([...]), le 19 avril 2012, soit avant même son embauche par la société Côté emploi et alors qu'elle était toujours en préavis, une proposition commerciale à la société Ineo dont il n'est pas contesté qu'il s'agit d'un client de la société Artus, puis deux courriels en date du 21 mai 2012 à d'autres clients indiquant : "En P.J les coordonnées de ma nouvelle agence, à votre service pour toute demande aux mêmes conditions commerciales que nous avions", conditions commerciales dont elle avait connaissance par son ancienne activité chez Artus. Elle a également adressé à la même date depuis sa nouvelle messagerie professionnelle un courriel dont il ressort qu'elle a convenu avec la société Crescitz, que cinq contrats intérimaires qui avaient été conclus avec la société Artus seraient "repris" à compter du 4 juin 2012 par l'agence Côté emploi (pièce 10 annexé au constat d'huissier produit en pièce 17).

Il est exact que les entreprises utilisatrices et les intérimaires sont libres de contracter avec l'entreprise de travail temporaire de leur choix et l'appelante fournit diverses attestations de représentants de clients et d'intérimaires ayant indiqué avoir choisi librement de travailler avec l'agence Côté emploi.

Néanmoins, en l'espèce, le démarchage d'anciens clients de la société Artus et intérimaires travaillant auparavant avec Artus (au nombre d'environ 15 clients et 25 intérimaires sur la seule période examinée par l'huissier du 16 avril 2012 au 25 mai 2012) a été effectué de manière déloyale, d'une part au mépris d'une clause de non concurrence dont la société Côté emploi avait connaissance en embauchant ses salariées et qui s'avère valide, d'autre part à l'aide de fichiers de la société Artus détournés à son insu et en violation de la clause "matériel et documents" figurant dans le contrat de travail signé par Mme H... avec son ancien employeur (dont la société Côté emploi avait connaissance, cette clause se trouvant déjà dans le contrat de travail du 5 septembre 2005 remis par Mme H...), stipulant que tous les documents confiés au salarié restent la propriété de l'entreprise et devaient lui être restitués dès la cessation des fonctions.

Ces actes sont donc constitutifs d'actes de concurrence déloyale et le jugement sera confirmé sur ce point.

Il n'y a pas lieu de retenir en outre à l'encontre de l'appelante des faits de dénigrement, que la société Artus appuie sur trois pièces (17, 30 et 53).

En effet, le fait pour Mme H... d'avoir indiqué dans un courriel à un client que son départ de chez Artus s'était accompagné de "péripéties" n'est pas en soi dénigrant en l'absence d'éléments plus précis donnés sur la nature de ces péripéties (pièce 17). En outre, l'attestation établie par M. A... (pièce 30) révèle des pressions subies par ce dernier, mais effectuées par une entreprise utilisatrice et non par la société Côté emploi elle-même et sans dénigrement invoqué de la société Artus. Enfin, Mme O..., qui a remplacé Mme H... en qualité de responsable d'agence auprès de la société Artus, évoque dans son attestation "la malveillance manifeste" de Mme H... ainsi que "ses pratiques très éloignées du jeu normal de la concurrence" mais sans caractériser précisément le dénigrement éventuel de la société Artus (pièce 53).

Sur l'indemnisation du préjudice de la société Artus interim Orléans

- sur le lien de causalité

La société Artus produit ses comptes de résultat dont il ressort que son chiffre d'affaires a progressé chaque année de 2009 à 2011 (2009 : 2.154.000€, 2010 : 2.313.700€, 2011 : 3.284.000€) puis a baissé à partir de 2012 de 722.300€ par rapport à 2011 soit une baisse de 22 % (2012: 2.561.700€) puis en 2013 (2.471.901€).

Elle produit aussi le montant de son chiffre d'affaires sur les périodes de juin à mai de l'année suivante, attesté par le commissaire aux comptes, dont il ressort une baisse dès janvier 2012 mais particulièrement nette à partir de juin 2012, au regard des périodes antérieures :
- juin 2011 à mai 2012 : 3.645.977€ (dont 1.139.341€ de janvier 2011 à mai 2011 et 2.144.693€ de juin 2011 à décembre 2011)
- juin 2012 à mai 2013 : 2.114.448€ (dont 1.501.283€ de janvier 2012 à mai 2012, soit une hausse par rapport à la même période de l'année précédente et 1.060.416€ de juin 2012 à décembre 2012, soit une baisse de moitié par rapport à la même période de l'année précédente)
- juin 2013 à mai 2014 : 2.467.669€.

La société Côté emploi prétend que le lien de causalité entre la baisse du chiffre d'affaires de la société Artus et les actes de concurrence déloyale qui lui sont reprochés n'est pas établi car l'année 2011 aurait été pour le travail temporaire une année exceptionnelle sur le plan national, avec une baisse significative en 2012 puis 2013, commune à l'ensemble de l'activité. Elle produit les données du Prisme en 2012 et 2013 (pièces 56 et 57) dont il ressort effectivement une baisse de l'activité de travail temporaire de 2012 par rapport à 2011 (soit en moyenne sur l'année -11,53%) puis de 2013 par rapport à 2012 (baisse moyenne de -8,6%).

La comparaison entre l'échelon national et l'agence Artus d'Orléans doit être effectuée avec prudence car le Prisme compare le nombre des intérimaires embauchés sur ces différentes années et non le chiffre d'affaire des entreprises du secteur. En tout état de cause, en supposant que le chiffre d'affaires des entreprises du secteur ait baissé dans une proportion proche de la baisse du nombre d'intérimaires, il s'en déduit une baisse moyenne nationale théorique du chiffre d'affaires de 11,53% en 2012 par rapport à 2011 alors qu'elle a été de 22 % soit près du double pour la société Artus intérim Orléans.

Les chiffres relatifs aux clients détournés, c'est à dire les 15 clients listés par Maître W... dans le constat susvisé sont également significatifs puisque ces clients ont généré un chiffre d'affaires de 1.941.149€ de juin 2011 à mai 2012 contre 393.659€ de juin 2012 à mai 2013, soit une perte de 1.547.490€ (pièce 32).

L'appelante conteste le sérieux de ces derniers chiffres. Néanmoins, outre le fait que la cohérence et la concordance de ces informations ont été attestées par la société de commissariat aux comptes (pièces 35), la cour constate que ces chiffres n'apparaissent pas "ubuesques" ainsi que la société Côté emploi le soutient, au regard du chiffre d'affaires de la société Côté emploi (pièce 34 info greffe produite par Artus) qui était au 31 décembre 2012, soit sur 8 mois et demi d'activité, de 1.762.448€ puis de plus de 2.300.000€ en 2013, étant rappelé qu'il ressort des constatations de Maître W... qu'en avril et mai 2012 au moins, 15 des 16 clients de la société Côté emploi étaient d'anciens clients de la société Artus.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, il convient de retenir que la société Artus a connu une baisse de son chiffre d'affaires imputable aux actes de concurrence déloyale.

- sur le montant du préjudice réparé

* sur la perte de marge

C'est à juste titre que la société Artus, d'une part calcule ce poste de préjudice à partir de la perte de chiffre d'affaires afférente aux clients détournés et non sur l'ensemble du chiffre d'affaires perdu globalement, d'autre part ne tient pas compte des deux clients ayant des liens directs avec Mme H... (sociétés gérées par son époux et son cousin).

C'est aussi à juste titre qu'elle applique un taux de marge brute, qui tient compte du chiffre d'affaires et du coût des salaires et des charges sociales et non un taux de marge net, ce dernier intégrant en outre les autres frais de la société et notamment ses frais fixes, qui sont des frais relativement constants sans lien direct avec les actes de concurrence déloyale et leur impact.

Le taux de marge brute proposé par la société Artus de 13,08% sera retenu, et non le taux de 3,5% retenu par le tribunal, ce taux de 13,08% ayant été vérifié par le commissaire aux comptes et étant voisin des ratios moyens d'autres entreprises du secteur compris entre 14 et 16 %, selon l'attestation de la Socamett, qui est le garant financier des entreprises de travail temporaire (pièces 35 et 60 produites par la société Artus).

En revanche, le calcul de la perte de marge sera limité à une période de deux ans, soit de juin 2012 à mai 2014, durée de validité des clauses de non concurrence qui constitue un élément objectif, le fait d'arrêter ce calcul au 31 décembre 2014 ainsi que le propose la société Artus, n'étant justifié par aucun élément concret.

Par ailleurs, la société Artus a calculé la perte subie sur les clients détournés à partir du chiffre d'affaires obtenus en 2011 auprès de ces mêmes clients. Or, même en l'absence des actes de concurrence déloyale commis par la société Côté emploi, le chiffre d'affaires aurait vraisemblablement été différent, notamment car cette dernière justifie de ce que certains des 15 clients ont connu des difficultés financières, comme la SDH Ferroviaire placée sous sauvegarde en juillet 2012, et également en raison de la baisse moyenne sur le plan national de l'activité de travail temporaire en 2013 et 2012 par rapport à l'année précédente, dont il n'existe pas de motif de penser qu'elle n'aurait pas aussi touché l'agence Artus d'Orléans.

Les deux parties se référant aux données du Prisme dont il ressort après calcul que l'activité de travail temproaire a baissé de 10,29% en moyenne entre juin 2012 et décembre 2013 (pièces 56 et 57 produites par la société Côte d'emploi), il convient d'appliquer ce taux moyen de baisse sur le chiffre d'affaires réalisé sur la période juin 2011 à mai 2012 par la société Artus avec les clients qui seront détournés (chiffre d'affaires de 1.941.149€).

Ainsi, sur la période de juin 2012 à mai 2014, le chiffre d'affaires théorique qu'aurait réalisé la société Artus, en l'absence des actes de concurrence déloyale commis par la société Côté emploi n'est pas de 2 x 1.941.149€ (3.882.298€) mais de 3.482.809€ (3.882.298 - 10,29 % de 3.882.298), dont il convient de déduire les chiffres d'affaires réellement obtenus (393.659€ pour la période juin 2012 - mai 2013 et 351.983€ pour la période juin 2013 - mai 2014), soit une perte de chiffre d'affaires de 2.737.167€ sur la période de juin 2012 à mai 2014, à laquelle la cour applique un taux de marge brute de 13,08 %, d'où une perte de marge brute de 358.021€.

Le préjudice de la société Artus au titre de la perte de marge brute sera en conséquence fixé à la somme de 358.021€, outre les intérêts au taux légal à compter du présent arrêt en application de l'article 1231-7 alinéa 2 nouveau du Code civil, par réformation du quantum retenu par les premiers juge.

- sur la perte éprouvée

Il est certain que la société Artus a dû supporter sur la période considérée diverses charges fixes de fonctionnement, comme son loyer, la location de matériels informatiques, avant de pouvoir prendre les mesures permettant de les réduire. Ces charges auraient toutefois aussi été supportées sans les actes de concurrence déloyale, mais auraient été réglées grâce au chiffre d'affaires plus important obtenu.

La société Artus établit avoir eu un résultat déficitaire négatif de -140.000€ environ au 31 décembre 2012. (Pièce 33). Elle n'allègue toutefois pas avoir eu recours à des frais notamment d'emprunt ou des frais de retard de paiement, pour régler ses frais de fonctionnement. En conséquence, il ne sera pas fait droit à sa demande d'indemnisation à ce titre.

- sur les autres préjudices

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a alloué à la société Artus la somme de 4.632,92€ correspondant aux frais exposés.

Si la responsable d'agence ayant remplacé Mme H... dans l'agence Artus atteste des difficultés de l'agence à la suite de la création de l'agence Côté emploi, il n'y a pas lieu de retenir pour la société Artus un préjudice moral et d'image qui n'apparaît pas caractérisé, d'autant que les faits de dénigrement alléguées par cette dernière n'ont pas été retenus. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

Sur les autres demandes

Les dispositions du jugement relatif aux frais irrépétibles et aux dépens seront confirmées.

La société Côté emploi succombant en son appel, les dépens exposés devant la cour seront mis à sa charge et elle règlera à la société Artus une somme de 8.000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

- Infirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné la SAS Coté emploi à payer à la SAS Artus Intérim Orléans la somme de 94 844,30 euros de dommages et intérêts, avec intérêts légaux à compter du 10 janvier 2017,

Statuant à nouveau sur ce seul chef,

- Condamne la SAS Côté emploi à payer à la SAS Artus Intérim Orléans la somme de 358.021€ euros de dommages et intérêts, avec intérêtsau taux légal à compter du présent arrêt,

- Confirme le jugement en toutes ses autres dispositions ;

Y ajoutant,

- Condamne la SAS Côté emploi à verser à la SAS Artus intérim Orléans une indemnité de 8.000€ au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamne la SAS Côté emploi aux dépens d'appel.

Arrêt signé par Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, présidant la collégialité et Madame Marie-Claude DONNAT , Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Orléans
Numéro d'arrêt : 19/00019
Date de la décision : 07/11/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-11-07;19.00019 ?
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