COUR D'APPEL D'ORLÉANS
CHAMBRE COMMERCIALE, ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE
GROSSES + EXPÉDITIONS : le 07/11/2019
Me Nelly GALLIER
Me Damien VINET
ARRÊT du : 07 NOVEMBRE 2019
No : 351- 19
No RG 18/01205
No Portalis DBVN-V-B7C-FVXP
DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du Tribunal de Commerce de BLOIS en date du 23 Mars 2018
PARTIES EN CAUSE
APPELANTE :- Timbre fiscal dématérialisé No: 1265224399461077
SNC LA GERBE D'OR
Représentée par son liquidateur amiable, Monsieur J... B...
domicilié [...]
[...]
Ayant pour avocat Me Nelly GALLIER, avocat au barreau de BLOIS
D'UNE PART
INTIMÉE : - Timbre fiscal dématérialisé No: 1265220030190167
Madame S... M...
née le [...] à VENDÔME (41100) [...]
[...]
Ayant pour avocat Me Damien Vinet, avocat au barreau de Blois.
D'AUTRE PART
DÉCLARATION D'APPEL en date du : 03 Mai 2018
ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 28 Février 2019
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats à l'audience publique du 19 SEPTEMBRE 2019, à 14 heures, Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, et Madame Fanny CHENOT, Conseiller, en son rapport, ont entendu les avocats des parties en leurs plaidoiries, avec leur accord, par application de l'article 786 et 907 du code de procédure civile.
Après délibéré au cours duquel Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel D'ORLEANS, et Madame Fanny CHENOT, Conseiller, ont rendu compte à la collégialité des débats à la Cour composée de :
Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS,
Madame Fanny CHENOT, Conseiller,
Madame Nathalie MICHEL, Conseiller,
Greffier :
Madame Marie-Claude DONNAT, Greffier lors des débats et du prononcé,
ARRÊT :
Prononcé par arrêt CONTRADICTOIRE le 7 NOVEMBRE 2019 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
***
EXPOSÉ DU LITIGE :
Par acte notarié en date du 30 avril 2013, la SNC La Gerbe d'or a, moyennant le prix de 280 000 euros (230 000 euros pour les éléments incorporels et 50 000 euros pour le matériel), cédé à Madame S... M... :
- un fonds de commerce de bar brasserie hôtel Française des jeux et la gérance d'un débit de tabacs, situés à [...] (41),
- l'enseigne, le nom commercial, la clientèle et l'achalandage qui y étaient attachés,
- le droit au bail pour le temps restant à courir,
- le matériel et le mobilier commercial servant à l'exploitation,
- la licence de quatrième catégorie délivrée le 2 septembre 1987,
- les marchandises existantes au jour de la vente dans le fonds de commerce.
Pour les besoins de son commerce, la SNC La Gerbe d'or avait souscrit le 26 juillet 2011 un contrat de location auprès de la BNP Paribas Lease Group (ci-après dénommée la BNP) pour un matériel multifonctions de marque Strator (lecteur de cartes bancaires), ce pour une durée de 60 mois moyennant le règlement d'un loyer mensuel de 164,95 euros.
Faisant valoir que l'acte de cession prévoyait que la cessionnaire devait effectuer sans délai toutes démarches auprès de cette banque pour être subrogée dans les droits et obligations du cédant afin que celui-ci soit définitivement dégagé de toutes contraintes à ce sujet, ce que Mme M... n'a pas fait, en sorte qu'elle a dû régler à la BNP l'indemnité de résiliation anticipée contractuelle de 8 246,31 euros, la société La Gerbe d'or a fait assigner Madame M... devant le tribunal de commerce de Blois le 27 juin 2016 afin de la voir condamner à lui régler la somme de 8 246,31 euros avec intérêts au taux légal à compter du 14 juin 2013, date de l'opposition au paiement du prix de vente formée par la BNP. Elle a en outre réclamé la remise de la somme de 6 525 euros restant entre les mains du notaire sur celle de 15 000 euros séquestrée pour garantir la réalisation de travaux, la somme de 1 500 euros en remboursement des honoraires de son comptable et 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement en date du 23 mars 2018, le tribunal a débouté Madame M... de sa demande de constat de nullité de l'acte introductif d'instance et de celle tendant au paiement de dommages et intérêts, a débouté la société Gerbe d'or de toutes ses demandes et a condamné cette dernière aux dépens ainsi qu'à verser une indemnité de procédure de 1.000 euros.
La SNC Gerbe d'or a relevé appel de cette décision par déclaration en date du 3 mai 2018, en critiquant tous les chefs du jugement en cause.
Par arrêt du 20 juin 2019, auquel il convient de se référer pour plus ample exposé du litige, la cour a :
- Infirmé la décision entreprise et, statuant à nouveau :
- Dit que Mme M... a manqué à son obligation contractuelle d'effectuer toutes démarches auprès la société BNP Paribas leasing solutions afin d'être subrogée dans les droits de la société La Gerbe d'or dans le contrat de service de distribution électronique de cartes ou services prépayés dématérialisés liant ces deux parties qui mettait à la disposition de la société La Gerbe d'or un terminal multifonctions appartenant à la société Stator,
- Avant dire droit sur le préjudice subi par la société La Gerbe d'or :
- Ordonné la réouverture des débats afin de permettre aux parties de s'expliquer sur l'existence d'une perte de chance, pour la cédante, de ne pas avoir dû régler l'indemnité de résiliation contractuelle,
-Dit que le dossier serait à nouveau examiné à l'audience du 19 septembre 2019,
- Puis, ajoutant à la décision infirmée :
- Ordonné la remise entre les mains de la société La Gerbe d'or de la somme de 6 525 euros restant séquestrée entre les mains de Maîtres X... et H..., notaires successeurs de Maître V... à [...]
- Sursis à statuer sur les demandes formées au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, sur les dépens et sur les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 17 septembre 2019, la SNC La Gerbe d'or, qui déclare s'en rapporter sur la demande de sursis à statuer, fait valoir que si Mme M... avait effectué les démarches nécessaires auprès de la société BNP Paribas Leasing Solutions, elle aurait de toute évidence et sans aucune difficulté obtenu sa subrogation dans ses droits et obligations, puisqu'elle indique elle-même avoir obtenu son propre terminal multifonctions pour les besoins de son activité, ce dont elle déduit que Mme M... avait 100 % de chances d'obtenir la subrogation qu'elle s'était engagée à solliciter. Elle ajoute que le présent litige a empêché la clôture des opérations engagées pour sa liquidation amiable, que son comptable établit encore chaque année un bilan alors qu'elle n'a plus d'activité, ce dont elle déduit que Mme M... devra être condamnée à lui rembourser le montant des honoraires réglés à son comptable depuis 2014.
La SNC La Gerbe d'or demande en conséquence à la cour de :
- Lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte à justice sur les mérites de la demande de sursis à statuer
- Constater que la SNC La Gerbe d'or a perdu 100% de chance de ne pas se voir réclamer le paiement de l'indemnité de résiliation qu'elle a été contrainte de régler à la SA BNP Paribas Lease Group.
En conséquence :
- Condamner Mme M... à lui régler la somme de 8 246,31 € avec intérêts au taux légal à compter du 14 juin 2013, date de l'opposition au paiement du prix de vente
- Condamner Mme M... à lui régler la somme de 4 214,40 € au titre du remboursement des honoraires du comptable
- Débouter Mme M... de toutes ses demandes, fins et conclusions
- Condamner Mme M... à lui verser la somme de 3 000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile
- Condamner Mme M... en tous les dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Maître N. Gallier, avocat.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 12 septembre 2019, Mme M... demande à la cour, au visa des articles 1134 et 1165 anciens du code civil, 1103 et 1199 du même code :
$gt; à titre principal, de :
- Surseoir à statuer dans l'attente de la décision de la Cour de cassation, saisie d'un pourvoi à l'encontre de l'arrêt du 20 juin 2019
$gt; à titre titre subsidiaire, de :
- Débouter la SNC La Gerbe d'or de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions
$gt; condamner la SNC La Gerbe d'or à lui verser la somme de 2 500€ au titre de l'article 700 du code de Procédure Civile, outre les entiers dépens.
A l'appui de ses prétentions, Mme M... fait valoir, à titre principal que le pourvoi qu'elle a formé le 25 juillet 2019 justifie que la cour sursoit à statuer dans l'attente de la décision qui sera rendue par la Cour de cassation ; subsidiairement que la SNC La Gerbe d'Or ne peut en toute hypothèse qu'être déboutée de l'ensemble de ses demandes indemnitaires puisque ladite société n'établit pas que les démarches qu'elle lui reproche de ne pas avoir accomplies lui auraient évité d'avoir à régler l'indemnité de résiliation litigieuse et que l'appelante ne justifie pas davantage du lien de causalité qui pourrait exister entre la faute qui lui est reprochée et l'obligation à laquelle elle pourrait être tenue de supporter le coût d'établissement des bilans comptables de l'appelante.
SUR CE, LA COUR :
Sur la demande de sursis à statuer de Mme M...
Sauf à allonger la durée du procès qui oppose les parties, il ne paraît opportun, pour une bonne administration de la justice, de surseoir à statuer dans l'attente de l'examen par la Cour de cassation du pourvoi formé par Mme M... à l'encontre de l'arrêt rendu le 20 juin dernier par la présente juridiction.
La demande de sursis sera en conséquence rejetée.
Sur le préjudice subi par la société La Gerbe d'or
-sur la perte de chance, pour la cédante, de ne pas avoir dû régler l'indemnité de résiliation contractuelle
Ainsi qu'il a été dit dans l'arrêt du 20 juin 2019, la SNC La Gerbe d'or justifie d'un préjudice certain correspondant à la perte de chance de ne pas s'être vu réclamer paiement de l'indemnité de résiliation qu'elle a dû régler à la BNP à hauteur de 8 246,31 €.
Etant rappelé, d'une part que la charge de la preuve des chances perdues pèse sur le demandeur en réparation ; d'autre part que la réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée, la SNC La Gerbe d'Or ne peut soutenir que Mme M... lui a fait perdre 100% de chance de ne pas se voir réclamer le paiement de l'indemnité de résiliation litigieuse.
Réciproquement, sauf à méconnaître la force de chose jugée le 20 juin 2019, Mme M... ne peut affirmer qu'aucune subrogation n'était possible et qu'il n'y avait en conséquence aucune chance que le contrat puisse lui être transmis, alors que le bailleur, Stator, avait expressément accepté que la BNP PARIBAS LEASE GROUP choisisse de transférer le droit d'usage des logiciels compris dans l'équipement à toute entité venant aux droits du locataire en cas de cession ou cessation d'activité, et ce, « si bon lui semble ».
En l'espèce, la probabilité que la BNP consente à la subrogation de Mme M... apparaît très forte, dans la mesure où cette dernière poursuit la même activité commerciale que la SNC La Gerbe d'or, qu'elle présente des garanties qui lui ont permis de souscrire, ainsi qu'elle l'indique elle-même, un contrat de nature similaire et que la BNP, enfin, a manifesté un intérêt certain pour la poursuite du contrat avec le cessionnaire de sa locataire puisque dans un courrier du 6 juin 2013 adressé au notaire chargé de régulariser la cession du fonds de commerce intervenue entre les parties, la BNP, après avoir rappelé que le terminal multi-fonctions dont elle était propriétaire ne pouvait être cédé par sa locataire avec son fonds de commerce, demandait expressément au notaire de « lui faire connaître la position de l'acquéreur du fonds vis-à-vis de [son] contrat » (pièce 3 appelante).
Au vu de ces éléments, la perte de chance de la SNC La Gerbe d'Or sera fixée à 80 %, en sorte que Mme M... sera condamnée à lui régler, à titre de dommages et intérêts, la somme de 6 597 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter de ce jour conformément aux dispositions de l'article 1153-1 ancien du code civil.
- sur la demande de remboursement des honoraires du comptable
La SNC La Gerbe d'or demande le « remboursement » des honoraires de son comptable, sans expliquer le fondement juridique d'une telle demande en remboursement.
Même à entendre cette demande de remboursement comme une demande indemnitaire, ce sur quoi les parties se sont expliquées contradictoirement, il résulte de l'article 1151 ancien du code civil qu'en matière contractuelle, les dommages-intérêts ne doivent comprendre à l'égard de la perte éprouvée par le créancier et du gain dont il a été privé, que ce qui est une suite immédiate et directe de l'inexécution de la convention.
En l'espèce, la SNC La Gerbe d'Or ne démontre nullement que le préjudice financier qu'elle aurait subi en se trouvant obligée de continuer à régler les honoraires de son comptable postérieurement à la cession de son fonds de commerce et à la décision de liquidation amiable qu'elle indique avoir pris, constituerait un dommage prévisible au sens de l'article 1151 précité.
L'appelante sera en conséquence déboutée de sa demande tendant au remboursement des factures d'honoraires de son comptable.
- sur les demandes accessoires
Mme M..., qui succombe au sens de l'article 696 du code de procédure civile, devra supporter les dépens de première instance et d'appel.
Il serait inéquitable de laisser à la SNC La Gerbe d'or la charge de la totalité de ses frais irrépétibles.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, Mme M... sera en conséquence condamnée à lui régler une indemnité de 2 500 euros.
PAR CES MOTIFS
Vu l'arrêt du 20 juin 2019 ;
Rejette la demande de sursis à statuer de Mme S... M... ;
Condamne Madame S... M... à payer à la SNC La Gerbe d'or la somme de 6 597 euros à titre de dommages-intérêts, avec intérêts au taux légal à compter de ce jour ;
Rejette la demande de la SNC La Gerbe d'or tendant au remboursement des factures d'honoraires de son comptable ;
Condamne Mme S... M... à payer à la SNC La Gerbe d'or la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Mme S... M... aux dépens de première instance et d'appel ;
Accorde à Maître Gallier, avocat, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Arrêt signé par Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, présidant la collégialité et Madame Marie-Claude DONNAT, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT