COUR D'APPEL D'ORLÉANS
CHAMBRE COMMERCIALE, ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE
GROSSES + EXPÉDITIONS : le 12/09/2019
Me Delphine TOULON
la SELARL LUGUET DA COSTA
ARRÊT du : 12 SEPTEMBRE 2019
No : 278 - 19
No RG 18/02582
No Portalis DBVN-V-B7C-FYUB
DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du Tribunal de Commerce d'ORLEANS en date du 06 Juillet 2017
PARTIES EN CAUSE
APPELANTE :- Timbre fiscal dématérialisé No: 1265230249844678
SARL CIRYA CONSEIL (INDUSTRIE)
Prise en la personne de son liquidateur amiable Madame E... D...
[...]
Ayant pour avocat postulant Me Delphine TOULON, avocat au barreau d'ORLEANS, et pour avocat plaidant Me Olivier AMANN, avocat au barreau de VERSAILLES,
D'UNE PART
INTIMÉE : - Timbre fiscal dématérialisé No: 1265228387953831
La SA CORDONNIER
Agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [...]
Ayant pour avocat postulant Me Arthur DA COSTA, membre de la SELARL LUGUET DA COSTA, avocat au barreau d'ORLEANS, et pour avocat plaidant Me David LACROIX, membre de la SCP MATHOT LACROIX, avocat au barreau de DOUAI,
D'AUTRE PART
DÉCLARATION D'APPEL en date du : 30 Août 2018
ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 15 Mai 2019
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats à l'audience publique du 23 MAI 2019, à 14 heures, Madame Elisabeth HOURS, Conseiller présidant la collégialité, en son rapport, et Monsieur Jean-Louis BERSCH, Conseiller, ont entendu les avocats des parties en leurs plaidoiries, avec leur accord, par application de l'article 786 et 907 du code de procédure civile.
Après délibéré au cours duquel Madame Elisabeth HOURS, Conseiller présidant la collégialité, et Monsieur Jean-Louis BERSCH, Conseiller, ont rendu compte à la collégialité des débats à la Cour composée de :
Madame Elisabeth HOURS, Conseiller présidant la collégialité,
Monsieur Jean-Louis BERSCH, Conseiller,
Madame Fabienne RENAULT-MALIGNAC, Conseiller,
Greffier :
Lors des débats : Madame Marie-Lyne EL BOUDALI
Lors du prononcé : Madame Marie-Claude DONNAT
ARRÊT :
Prononcé le 12 SEPTEMBRE 2019 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
***
EXPOSÉ DU LITIGE :
La société CIRYA CONSEIL INDUSTRIE (CIRYA CONSEIL) qui exerce une activité d'expertise en matière de process, a conclu le 14 février 2008 avec la société anonyme CORDONNIER, qui réalise et fournit des équipements industriels complets pour la production sucrière, notamment la construction de raffineries, un contrat qualifié "contrat d'intervention", aux termes duquel CORDONNIER lui confiait notamment la réalisation des PID (Process Instrumentation Diagram), documents contenant tous les renseignements techniques nécessaires à la construction d'une usine ainsi qu'à son fonctionnement et à son exploitation.
Le contrat précisait que CORDONNIER confiait à Monsieur G... D..., salarié de CIRYA CONSEIL disposant des compétences techniques d'ingénierie en la matière, la mission de :
- réalisation du process d'une raffinerie de sucre roux. Etablissement du bilan prévisionnel flux et qualitatif, définition du matériel, contrôle de la réalisation des PID, analyse fonctionnelle etc.
- assistance ponctuelle au montage, vérification du process,
- assistance aux essais,
- assistance à la mise en route,
- assistance à la production.
Il fixait le début de l'intervention au 4 février 2008, estimait le temps prévisible d'intervention à 3 années, et indiquait que le lieu d'intervention de Monsieur D... était fixé au siège de la société CORDONNIER, alors situé à Orchie dans le département du Nord, sauf la possibilité pour Monsieur D... de travailler ponctuellement depuis son domicile situé dans le Loiret.
Les parties convenaient d'une facturation de 650 euros HT par jour d'intervention, outre les frais de transport et d'hébergement du salarié de CIRYA CONSEIL et d'une faculté de résiliation, celle-ci devant intervenir par lettre recommandée avec accusé de réception, avec préavis d'un an.
La collaboration s'est poursuivie au-delà du délai de trois ans initialement prévu avant que CORDONNIER décide d'y mettre fin par courrier recommandé du 9 avril 2014.
CIRYA CONSEIL a alors engagé une action en référé en réclamant paiement de ses factures et, par arrêt en date du 23 juillet 2015 infirmant la décision rendue le 25 septembre 2014 par le juge des référés du tribunal de commerce d'Orléans, cette cour a condamné la société CORDONNIER au paiement de la facture émise par CIRYA CONSEIL au titre du mois de janvier 2014 pour un montant de 8.400 euros mais a rejeté les demandes de paiement des autres factures en constatant l'existence de contestations sérieuses.
Le 3 janvier 2017, CIRYA CONSEIL a assigné CORDONNIER devant le tribunal de commerce d'Orléans en réclamant paiement de 15.540 euros correspondant aux sommes dues à la date de résiliation du contrat, soit au 9 avril 2014, 34.860 euros au titre des factures postérieures et 89.649,47 euros en réparation de son préjudice ainsi que d'une indemnité de procédure de 5.000 euros.
Par jugement en date du 6 juillet 2017, le tribunal a :
- dit que CIRYA CONSEIL a justifié pour février et mars 2014, les prestations réalisées et ce, selon les mêmes formes qu'en janvier 2014 et qu'en 2013,
- dit que CORDONNIER SA n'apporte pas la preuve qu'elle n'avait pas admis, et ce depuis 2013, que les prestations de Monsieur D... pouvait se réaliser à distance par une connexion Internet,
- condamné CORDONNIER à payer à CIRYA CONSEIL la somme de 15.540 euros TTC, outre les intérêts calculés au taux BCE plus 10 points, à compter du 27 mai 2014,
- dit que CIRYA CONSEIL est mal fondée à réclamer le paiement des factures d'avril à août 2014 puisque la réalité et l'effectivité des prestations n'est pas démontrée, - dit que CIRYA CONSEIL ne détermine pas de manière détaillée le montant de son préjudice et l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes et condamné CORDONNIER SA à verser à CIRYA CONSEIL une indemnité de procédure de 1.000 euros ainsi qu'à supporter les dépens.
CIRYA CONSEIL a formé un appel limité aux dispositions du jugement ayant retenu qu'elle est mal fondée à réclamer le paiement des factures d'avril à août 2014 et l'ayant déboutée de sa demande en paiement de dommages et intérêts. Elle demande à la cour de condamner l'intimée à lui verser :
- 34.860 euros TTC au titre des factures d'avril 2014 à août 2014 avec intérêts de retard au triple taux légal, à compter du 27 mai 2014 sur la somme de 26.000 euros, et à compter de l'assignation au fond devant le tribunal de commerce d'Orléans pour le surplus,
- 58.800 euros TTC en réparation du préjudice résultant du non respect du préavis ou, si la cour rejetait la condamnation au paiement des factures d'avril 2014 à août 2014, somme de 94.080 euros TTC en réparation de ce même préjudice,
- 60.735 euros TTC au titre de l'indemnisation des conséquences sur sa situation économique,
- 4.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les dépens dont distraction au profit de Maître Delphine TOULON.
Elle soutient qu'en juin 2013 eu égard à l'ancienneté de la convention, les parties avaient convenu de porter le montant du forfait journalier à la somme de 700 euros HT et qu'à compter de septembre 2013, il a été convenu que Monsieur D... travaille de son domicile pour limiter les frais liés à son intervention sur site et elle précise que son salarié a bénéficié d'une connexion Internet vers les ressources informatiques de CORDONNIER pour avoir à disposition l'ensemble des données techniques nécessaires à la bonne conduite de sa mission.
Elle fait valoir que CORDONNIER a commencé à compter de la même période à avoir du retard dans le règlement de ses factures mensuelles ; qu'en janvier 2014, Messieurs Bruno et Eric CORDONNIER, qui avaient fait l'acquisition de l'intégralité des parts sociales de la société CORDONNIER SA qui dépendait auparavant de la société des Sucreries du Marquenterre, ont décidé de remettre unilatéralement en cause le mode de collaboration avec elle ; qu'elle a reçu le 9 avril 2014 un courrier de résiliation de la convention mais n'a pas pour autant été réglée des factures antérieures. Elle précise qu'en application du contrat qui prévoyait un préavis d'un an elle a continué ses prestations d'ingénierie notamment sur la définition des matériaux et équipements, à partir des données dont elle disposait, et qu'elle a en conséquence émis des factures pour les mois d'avril 2014 à août 2014 pour un montant total de 31.710 euros HT avant de suspendre ses activités faute de paiement.
En ce qui concerne les deux factures de février et mars 2014, elle rappelle qu'elles ont été émises antérieurement à la rupture des relations contractuelles et qu'elles ont donné lieu à l'envoi de plannings et de relevés de diligences qui n'ont pas été contestés par CORDONNIER. Elle soutient que l'accord de l'intimée pour que Monsieur D... travaille depuis son domicile est démontré par le fait que jusqu'en septembre 2013 ses factures comportaient une partie de frais relative aux déplacements et à l'hébergement de son salarié, partie qui ne figure plus sur sa facturation à compter de septembre 2013 et que CORDONNIER a payé ses factures de septembre à décembre 2013 sans contester que Monsieur D... ait, au cours de cette période, exclusivement travaillé depuis son domicile. Elle soutient que, bien que CORDONNIER ait fermé en février la connexion Internet dont disposait son salarié, ce dernier a pu continuer à travailler grâce aux données qu'il avait déjà enregistrées sur un process qu'il connaissait parfaitement ; qu'au surplus, CORDONNIER s'était limitée à supprimer l'autorisation d'accès au répertoire qui lui était dédié sur le serveur, mais pas l'accès à distance à son poste de travail, de sorte que Monsieur D... pouvait toujours continuer à consulter la masse de documents et d'études stockée sur ce poste pour lequel la suppression de l'accès à distance est intervenue ultérieurement. Elle souligne que le courrier daté du 9 janvier qu'elle a reçu de CORDONNIER se borne à lui demander un programme prévisionnel des journées de travail pour le premier semestre ; que si l'intimée avait alors considéré que les prestations avaient déjà été totalement délivrées et que, si sa mission était terminée en raison de l'absence commercialisation des installations, elle ne lui aurait pas demandé un programme prévisionnel. Et elle précise justifier avoir adressé ce planning, soulignant qu'avant mars 2014 et son exigence de paiement, CORDONNIER n'avait jamais remis en cause le nombre de jours de travail facturé.
En ce qui concerne le paiement des factures d'avril à août 2014, elle fait valoir que CORDONNIER SA ne peut prétendre que son courrier de résiliation du 9 avril 2014 entraînait l'arrêt de ses prestations puisqu'un préavis d'un an était contractuellement prévu. Elle précise que les prestations qu'elle a listées dans son courrier du 28 avril 2014 correspondent à la phase d'étude, et non de montage, de mise en service ou de production ; que CORDONNIER avait passé commande de ces prestations et ne pouvait refuser de les recevoir, bien qu'elle ait tenté de le faire en coupant le canal de transmission informatique, ce qui n'a pas été suffisant pour empêcher Monsieur D... de travailler ; que si d'avril à août, CORDONNIER n'a pas réglé ses factures, elle n'a cependant pas protesté à leur réception.
En ce qui concerne le non respect du préavis, elle reproche au tribunal d'avoir retenu l'attitude fautive de l'appelante mais de l'avoir déboutée de sa demande en paiement de dommages et intérêts au motif qu'elle ne détaillait pas et ne justifiait pas son préjudice. Elle fait valoir que la convention du 14 février 2008 ne prévoyait pas un terme précis ; que l'intimée ne pouvait lui annoncer début avril 2014 que sa mission était achevée depuis la fin du mois de janvier pour justifier l'arrêt immédiat de la collaboration et que CORDONNIER avait bien la volonté de l'empêcher d'exécuter ses prestations avant même toute résiliation puisqu'elle a supprimé les accès Internet de Monsieur D.... Elle fait valoir qu'elle a subi un préjudice résultant de la perte des recettes escomptées pendant l'exécution du préavis et de sa déconfiture puisqu'elle n'a eu d'autre choix, CORDONNIER représentant 80% de son chiffre d'affaires, que de se placer en liquidation amiable, toute la disponibilité de trésorerie étant absorbée par les charges fixes à telle enseigne que les associés ont été dans l'obligation de contribuer aux dettes via leur compte courant. Et elle détaille les sommes dont elle réclame paiement.
CORDONNIER a formé un appel incident en demandant à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté CIRYA CONSEIL de ses demandes relatives aux factures d'avril à août 2014 et au paiement de dommages et intérêts mais à son infirmation pour le surplus, sollicitant le rejet de la demande en paiement des factures de février et mars et elle réclame paiement d'une indemnité de 5.000 euros pour la procédure d'appel.
Elle soutient qu'à compter de septembre 2013, en violation du contrat, qui ne prévoyait le travail à domicile qu'à titre exceptionnel, Monsieur D..., qui était le gérant de CIRYA CONSEIL et son unique salarié, a systématiquement travaillé depuis son domicile et que CIRYA CONSEIL a continué à émettre des factures après le 1er janvier 2014 alors même que la phase de réalisation du process était achevée et que, faute de commande effective d'une raffinerie, la seconde phase n'avait pas à être mise en oeuvre.
Elle fait valoir que son courrier du 9 avril 2014 expliquait clairement qu'elle n'était pas encore parvenue à commercialiser la raffinerie sur laquelle travaillait Monsieur D... de sorte que la mission d'assistance ponctuelle au montage, aux essais, à la mise en route et à la production, ne pouvait être accomplie ; qu'elle a en conséquence notifié sa décision de résilier le contrat, moyennant le préavis d'un an fixé par les parties et a précisé à que, si, d'ici là, elle recevait une commande de raffinerie de sucre roux, elle solliciterait CIRYA CONSEIL pour mettre en œuvre la seconde partie de sa mission ; que CIRYA CONSEIL lui a répondu que la phase de conception de process n'était pas achevée en lui adressant un "planning prévisionnel d'intervention" qu'elle avait déterminé unilatéralement et qui s'étendait d'avril à septembre 2014, soutenant qu'il restait à effectuer dans la phase de conception de process :
- les codifications des tuyauteries,
- la liste des équipements,
- les fournisseurs de matériels,
- la réalisation des raccordements ;
Qu'elle a répondu dès le 9 mai 2014 en contestant que ces tâches se rattachent à la phase de conception de process de raffinerie puisqu'elles ne doivent être réalisées qu'au cas où une raffinerie est commercialisée et en offrant de payer la facture du 31 janvier 2014 dans la mesure où le process se trouvait achevé à la fin de ce mois.
En ce qui concerne les factures de février et mars 2014, elle soutient que leur émission ne fait pas la preuve de la prestation et qu'elles ont été dès le début contestées. Elle reproche au tribunal d'avoir retenu que CIRYA CONSEIL avait justifié pour février et mars 2014 les prestations réalisées selon les mêmes formes qu'en janvier 2014 et que durant l'année 2013 alors que, si elle n'avait pas contesté ces factures, c'est précisément parce qu'elle avait pu s'assurer que les prestations qui y figuraient avaient bien été exécutées, ce qui n'est pas le cas des prestations ensuite facturées, et elle souligne que l'appelante n'a pu produire ni plans ni nomenclatures justifiant d'un travail effectué. Elle soutient démontrer l'absence de travaux par l'absence de facturation de frais de déplacement et d'hébergement de Monsieur D... qui n'est pas venu travailler sur son site comme cela était contractuellement prévu ; et elle précise qu'elle a toujours voulu éviter le travail à domicile parce que la coordination avec ses équipes était plus difficile et le contrôle de l'effectivité du travail plus compliqué ; qu'elle s'est certes acquittée des factures de septembre à décembre 2013 mais ne l'a fait qu'en décembre 2013, après que son dirigeant ait vérifié le travail effectué, et qu'il ne saurait être déduit de cette tolérance de trois mois la preuve de son acceptation d'un travail à domicile de Monsieur D....
Elle affirme qu'en tout état de cause, Monsieur D... n'a pas pu continuer à travailler à son domicile après mars 2014 dans la mesure où, considérant que la prestation de CIRYA CONSEIL était achevée dans l'attente d'une commande effective d'une raffinerie de sucre roux, elle a supprimé la connexion à distance à son réseau informatique dont disposait sa cocontractante, ce dont celle-ci s'est d'ailleurs plainte l'appelante dans son courrier du 28 avril 2014 dans lequel elle écrit "depuis plusieurs semaines, en contradiction avec l'article 4, Monsieur Jean Pierre D... ne semble plus avoir accès par connexion à distance au réseau informatique de votre société et au fichier réservé pour cette affaire". Elle souligne que l'appelante s'est contredite à plusieurs reprises quant à cette impossibilité d'accéder à son réseau puisqu'elle prétend aujourd'hui qu'elle n'empêchait cependant pas son salarié d'avoir accès à son bureau virtuel sans expliquer comment, n'ayant plus accès au réseau, il aurait pu accéder à un poste de travail situé au sein de ce réseau ; qu'en tout état de cause, reconnaissant aujourd'hui elle-même que la coupure définitive et l'accès au réseau informatique est au moins intervenue en juillet 2014 elle facture sans cohérence 6 journées de travail en août 2014.
Elle précise que lorsqu'elle a, en janvier 2014, réclamé "un programme prévisionnel des journées de travail pour notre société pour le premier trimestre, ainsi que le contenu du travail prévu pour cette période", elle demandait en réalité des comptes à l'appelante puisqu'elle estimait que CIRYA CONSEIL avait entièrement terminé la première partie de la mission ; qu'il en est de même de son courrier électronique du 14 mars 2014 dans lequel elle s'interrogeait sur la clef de répartition des semaines de travail en février et mars alors même qu'elle venait d'apprendre d'un tiers que Monsieur D... était en cure en mars. Et elle soutient que le seul élément produit pour démontrer la réalité d'un travail durant ces deux mois est un échange de mails et un rapport technique que Monsieur D... a, de sa propre initiative, commenté alors qu'il s'agissait de tout autre chose que le projet qui lui avait été confié, CIRYA CONSEIL lui ayant au surplus facturé deux jours de travail pour un conseil non demandé qui a consisté en un rapport technique de deux pages contenant un tableau et une trentaine de lignes. Elle affirme qu'il résulte d'un courriel de Monsieur D... en date du 7 mars 2014 qu'il n'avait pas de mission à accomplir pendant les trois semaines à venir, ce qui démontrerait, selon elle, qu'il ne travaillait plus sur le projet de la raffinerie.
Subsidiairement, elle conteste le nombre de jours facturés, qui n'est pas justifié, le tarif de 700 euros appliqué alors qu'il était prévu 650 euros et la facturation d'un conseil non réclamé.
En ce qui concerne les factures d'avril à août 2014, elle fait valoir qu'aucune prestation n'a pu être accomplie par CIRYA CONSEIL pendant cette période ; que l'appelante ne produit même pas d'emploi du temps pour juillet et août ; qu'elle était parfaitement informée par le courrier qu'elle avait reçu que sa cocontractante estimait sa mission terminée et ne pouvait unilatéralement décider de la proroger.
En ce qui concerne la résiliation du contrat, elle soutient que la convention faisait état d'une durée prévisible de trois années et que l'appelante a été rémunérée pendant six ans ; qu'elle a bien indiqué appliquer un préavis d'un an et qu'elle n'est pas responsable de l'absence de commande pendant ce délai ; qu'elle n'avait plus aucune mission à confier à CIRYA CONSEIL qui ne peut dès lors lui reprocher de ne pas l'avoir fait travailler.
En tout état de cause, elle fait valoir que son adversaire ne justifie d'aucun préjudice ; qu'elle verse quant à elle les derniers comptes déposés par CIRYA CONSEIL au greffe du tribunal de commerce qui démontrent que l'activité était déficitaire au 30 juin 2013, pour se solder par une perte de 1.406 euros, la quasi -intégralité du chiffre d'affaires étant absorbée par la rémunération de Monsieur D... ; qu'il en résulte que CIRYA CONSEIL ne réalisait aucun bénéfice de telle sorte que la résiliation du contrat ne lui a fait perdre aucune marge. Elle soutient par ailleurs que l'appelante ne pourrait se plaindre que d'une perte de chance de réaliser du chiffre d'affaires mais que cette perte de chance ne présente aucun caractère sérieux puisqu'elle n'avait plus de travail à lui confier. Elle affirme que la liquidation amiable de la société résulte de ce que CIRYA CONSEIL n'employait qu'un salarié, Monsieur D... ; que les statuts de la société permettent de constater que ses associés étaient l'épouse de Monsieur D..., Madame Sylvia B..., les enfants de Madame B... et les propres enfants de Monsieur D... ; que l'appelante prétend que son salarié aurait fait le choix de démissionner de son poste au 9 août 2014 pour éviter la déconfiture de la société mais que cette démission s'explique parce que Monsieur D... âgé de 68 ans, était en position de faire valoir ses droits à la retraite. Et elle prétend enfin que le chiffrage du préjudice lié à la liquidation amiable est fantaisiste ; qu'on ne peut additionner une baisse de disponibilités en banque à une baisse des créances CORDONNIER qui auraient été exigibles ainsi qu' à une augmentation de la dette de compte courant d'associé tandis que la ligne "Créance CORDONNIER exigible" est incompréhensible puisqu'on ne comprend pas pourquoi ce poste passerait de 23.800 euros à zéro.
CELA ETANT EXPOSE, LA COUR :
- Sur les factures de février et mars 2014 :
Attendu que les pièces communiquées par les parties démontrent que CORDONNIER n'a fait état d'une fin des travaux confiés à CIRYA CONSEIL que le 14 mars 2014 ;
Qu'auparavant, elle n'a jamais évoqué, ni la fin du process conception, ni l'absence de vente de la raffinerie sur laquelle travaillait le salarié de l'intimée ;
Attendu que CORDONNIER n'ayant fait connaître que le 14 mars 2014 à CIRYA CONSEIL qu'elle entendait résilier le contrat les liant, il lui appartient de justifier de manquements de l'appelante pour refuser de payer les factures émises par celle-ci en février et mars 2014 au titre de travaux antérieurs à cette résiliation ;
Et attendu que c'est sans bonne foi que l'intimée prétend qu'elle n'avait pas accepté que Monsieur D... travaille à domicile alors qu'il est justifié qu'elle l'avait accepté depuis septembre 2013 en payant sans observations et jusqu'en janvier 2014 les factures adressées par CIRYA CONSEIL au titre des travaux réalisés par son salarié depuis son domicile ;
Que, si elle estimait que cet essai de quatre mois n'était pas concluant et ne lui permettait pas d'apprécier la réalité du travail accompli, il lui appartenait de le faire connaître à CIRYA CONSEIL en décembre 2013, date à laquelle elle a réglé les factures, et d'imposer le retour de Monsieur D... à son site social ;
Que ne l'ayant pas fait, elle a implicitement mais nécessairement accepté le travail à distance de Monsieur D... et se prévaut aujourd'hui sans bonne foi d'une modification des conditions d'exécution du contrat qu'elle avait parfaitement acceptée et qui lui était favorable puisqu'elle la dispensait du paiement de frais de transport et d'hébergement ;
Attendu par ailleurs qu'il est surprenant que l'intimée ait attendu plusieurs mois pour se plaindre du contenu du travail réalisé pour son compte et qu'elle souligne malicieusement que Monsieur D... s'est absenté en mars 2014 pour faire une cure alors qu'au titre de ce mois une seule semaine de travail lui a été facturée ;
Attendu enfin que CORDONNIER ne saurait prétendre que ses courriels de l'année 2014 "demandaient en réalité des comptes à l'appelante puisqu'elle estimait qu'elle avait entièrement terminé la première partie de la mission" puisque le 9 janvier 2014 elle écrivait "A l'aube de cette nouvelle année, je souhaiterais pouvoir obtenir un programme prévisionnel de vos journées de travail pour notre société pour le premier trimestre ainsi que le contenu de travail prévu pour cette période" ;
Que Monsieur D... radressait un courriel de réponse indiquant qu'il interviendrait trois semaines en février et une seule semaine en mars ;
Que Bruno CORDONNIER lui répondait le 14 mars 2014 en lui indiquant qu'il avait effectivement reçu son planning avec la clé de répartition de ses semaines de travail en février et mars mais qu'il avait omis d'en prendre connaissance, ce qui démontre de plus
fort que, s'il s'interrogeait sur la réalité du travail accompli à domicile et voulait la vérifier, cette interrogation n'était aucunement lancinante puisqu'il n'a procédé à aucune vérification ;
Que Monsieur CORDONNIER précisait qu'il faisait le nécessaire pour le règlement et informait CIRYA CONSEIL avoir racheté "avec Eric" 100% de la société CORDONNIER " avec des conséquences évidemment au niveau de notre coopération dès le 31 mars 2014" ;
Qu'il résulte de ces courriers contemporains à l'émission des factures par CIRYA CONSEIL que CORDONNIER n'a jamais contesté avoir missionné Monsieur D... pour les mois de février et de mars 2014 ; qu'elle n'a pas plus contesté la qualité et l'importance du travail effectué par le salarié de l'appelante depuis son domicile ; qu'elle a au contraire précisé " faire le nécessaire" pour le paiement de ses factures et mentionné un changement de stratégie à compter du 31 mars 2014 seulement ;
Attendu par ailleurs qu'il n'est pas nécessaire d'entrer dans le débat qui s'est instauré entre les parties sur la fin ou l'absence d'achèvement de la première partie de la phase des travaux relatifs à la raffinerie ;
Qu'en effet, à supposer même la première phase de la mission confiée à Monsieur D... ait été achevée dès la fin de janvier 2014, CORDONNIER ne pourrait s'en prévaloir pour refuser de payer le travail accompli après cette date alors même qu'elle avait été destinataire du planning des travaux prévus en février et mars 2014 mais qu'elle n'avait pas fait connaître à sa cocontractante que les tâches qui y étaient précisées étaient inutiles et que sa mission s'achevait avec l'achèvement de la première phase ;
Que, si elle prétend aujourd'hui que la deuxième et la troisième phases n'avaient de sens qu'après vente de la raffinerie, elle se devait d'en informer sa cocontractante dès le mois de décembre 2013 en lui demandant de cesser de travailler dès qu'elle aurait terminé la première phase ;
Que ne l'ayant pas fait mais lui ayant au contraire expressément demandé de continuer à travailler au moins jusqu'au 31 mars 2014 elle est bien redevable des factures émises par CIRYA CONSEIL au titre des mois de février et mars 2014 ;
Attendu que c'est sans pertinence que CORDONNIER soutient aujourd'hui qu'il n'existait pas d'accord pour porter de 650 à 700 euros le coût quotidien de la mission de Monsieur D... puisqu'elle s'est acquittée d'un tel montant depuis le mois de juin 2013 ;
Qu'enfin CORDONNIER ne peut sérieusement pas contester devoir à CIRYA CONSEIL la somme facturée au titre du travail de conseil réalisé par Monsieur D... au titre d'un autre projet, Monsieur D... n'ayant aucun motif de recevoir ce projet si ce n'était pour l'examiner et donner son avis technique sur sa faisabilité ;
Que le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a condamné l'intimée à payer les factures émises par CIRYA CONSEIL au titre des mois de février et mars 2014 ;
- Sur les factures d'avril à août 2014 :
Attendu qu'il est démontré qu'à la fin du mois de mars 2014, CORDONNIER a fait connaître à sa cocontractante qu'elle entendait cesser les relations contractuelles puisque CIRYA lui a répondu par un courrier du 31 mars 2014 que "faute d'avenant, nos prestations continueront à être effectuées selon le contrat daté du 14 février 2008" ;
Que, par courrier recommandé en date du 9 avril 2014, CORDONNIER a notifié à sa cocontractante qu'elle considérait qu'elle avait achevé le process de raffinerie, qu'elle n'était pas parvenue à commercialiser cette dernière de telle sorte que la mission d'assistance ponctuelle au montage, aux essais, à la mise en rote et à la production ne pouvait être accomplie et qu'elle lui notifiait sa décision de procéder à la résiliation du contrat moyennant un préavis d'un an, précisant que si d'ici là elle recevait une commande de la raffinerie de sucre roux dont CIRYA CONSEIL avait réalisé le process elle lui demanderait de mettre en oeuvre la seconde partie de sa mission ;
Attendu que ce courrier était clair et que les deux parties ont ensuite agi sans bonne foi, CORDONNIER en empêchant Monsieur D... d'accéder à son réseau pour mettre fin, de force, aux relations contractuelles, et CIRYA CONSEIL en continuant à travailler sur la mission, selon des moyens peu précis et peu vraisemblables, pour contraindre sa cocontractante à maintenir ces mêmes relations ;
Que l'attitude de CORDONNIER sera examinée lorsqu'il sera statué sur le préjudice subi par l'appelante ;
Que l'attitude de CIRYA CONSEIL ne saurait être approuvée, l'appelante ne pouvant sérieusement prétendre être rémunérée pour avoir travaillé sur un projet sans avoir accès aux documents le concernant et au mépris des instructions de son donneur d'ordre qui lui avait signifié que la première phase était terminée ;
Qu'étant soumise aux directives de CORDONNIER, elle ne pouvait s'affranchir du lien de subordination qui la liait à cette dernière pour considérer, de son seul chef, que sa mission n'était pas achevée et décider de la mener à bien alors que plus rien ne lui était demandé, étant au surplus relevé qu'informée de sa décision de continuer sa mission, l'intimée a clairement et expressément réitéré le 9 mai 2014 qu'elle estimait que celle-ci était complètement achevée et ne souhaitait plus avoir recours à ses services avant une éventuelle vente de la raffinerie ;
Que l'existence d'un préavis d'un an ne justifie pas l'attitude de l'appelante, aucune disposition contractuelle ne lui imposant de travailler, au surplus de son propre chef, pendant le délai de préavis et que la décision attaquée sera également confirmée en ce qu'elle l'a déboutée de sa demande en paiement des factures émises au titre des mois d'avril à août 2014 ;
- Sur la rupture des relations contractuelles :
Attendu que le contrat conclu entre les parties, qui s'est tacitement renouvelé, prévoyait que la résiliation du contrat pourrait intervenir à tout moment en respectant un préavis d'un an ;
Que le préavis est l'information officielle que transmet une personne à une autre pour faire cesser à l'échéance d'un certain terme les effets d'une convention à durée indéterminée comportant des prestations successives ;
Que les parties n'avaient pas prévu de modalités concernant le préavis mais qu'il ne peut être retenu, sous peine de vider la clause de préavis de tout sens, qu'elles avaient convenu que CORDONNIER pourrait cesser les relations sans respecter le moindre délai s'il désirait interrompre la mission confiée à CIRYA CONSEIL ;
Que c'est pourtant ce qui est soutenu par CORDONNIER qui prétend pouvoir arrêter du jour au lendemain l'exécution du contrat conclu avec CIRYA CONSEIL au motif qu'elle n'avait plus de travail à lui confier ;
Attendu qu'il appartenait à l'intimée de prévoir à l'avance la résiliation du contrat, ce qu'elle n'a pas fait, et qu'elle ne peut prétendre qu'elle n'aurait appris que le 31 mars 2014 que la sucrerie sur laquelle travaillait Monsieur D... n'était pas vendue ;
Que le contrat conclu avec CIRYA CONSEIL devait la conduire à montrer plus de prudence dans les relations contractuelles, à confier à Monsieur D... d'autres missions ou, si cela lui était impossible, de tenter de se faire substituer par une autre cocontractante jusqu'à la fin du préavis, ce qu'elle n'a pas fait ;
Qu'elle n'a donc pas exécuté la convention de bonne foi et que c'est à raison que l'appelante fait valoir que la rupture des relations contractuelles sans respect du préavis d'un an lui a causé un préjudice résultant de la diminution de 80% des sommes qu'elle percevait au cours d'une année ;
Et attendu que, pendant la durée d'un préavis, les relations contractuelles doivent se poursuivre selon les conditions antérieures ;
Qu'il n'est pas contesté que CIRYA CONSEIL a passé en moyenne 112 jours par an à travailler pour le compte de CORDONNIER ;
Qu'il en résulte que si le préavis avait normalement été exécuté entre le 31 mars 2014 et le 30 mars 2015, elle aurait dû percevoir 78.400 euros HT ;
Que cette somme lui sera en conséquence allouée à titre de dommages et intérêts ;
Que le caractère indemnitaire de cette condamnation conduit à ne pas appliquer la TVA;
Attendu qu'il importe peu de savoir comment l'appelante aurait utilisé cette somme puisqu'elle aurait dû la percevoir et qu'elle lui aurait permis de payer ses charges, notamment salariales ;
Qu'elle fait à raison valoir que c'est l'absence de ressources qui l'ont conduite à se séparer de son salarié et que, si ce dernier a pu faire valoir ses droits à la retraite, il n'en demeure pas moins qu'il n'avait pas indiqué auparavant souhaiter cesser son activité et que la cessation d'activité de CIRYA CONSEIL est directement liée à la rupture des relations contractuelles sans préavis ;
Mais attendu que l'appelante ne démontre aucunement avoir elle-même subi un préjudice résultant de sa liquidation amiable ; qu'elle ne peut se prévaloir de l'obligation, pour ses associés, d'alimenter leurs comptes courants, ce qui ne lui a causé à elle-même aucun dommage ;
Qu'elle ne conteste pas que son activité était déficitaire au 30 juin 2013, avec une perte de 1.406 euros ;
Qu'elle ne justifie donc d'aucun préjudice résultant de sa liquidation prématurée et sera déboutée de sa demande d'indemnisation de ce chef ;
- Sur les autres demandes formées par les parties :
Attendu que CORDONNIER devra supporter les dépens de la procédure d'appel et qu'il sera fait application, au profit de l'appelante, des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
Statuant par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,
CONFIRME la décision entreprise, hormis en ce qu'elle a débouté la société CIRYA CONSEIL INDUSTRIE de sa demande en paiement de dommages et intérêts,
STATUANT À NOUVEAU,
CONDAMNE la société CORDONNIER SA à payer à la société CIRYA CONSEIL INDUSTRIE la somme de 78.400 euros HT à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par le non respect du délai de préavis,
PRÉCISE que le caractère indemnitaire de cette condamnation conduit à ne pas l'assortir de la TVA,
DÉBOUTE la société CIRYA CONSEIL INDUSTRIE de sa demande tendant à l'indemnisation des conséquences de sa liquidation amiable,
Y AJOUTANT,
CONDAMNE la société CORDONNIER SA à payer à la société CIRYA INDUSTRIES la somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du
code de procédure civile pour la procédure d'appel,
CONDAMNE la société CORDONNIER SA aux dépens d'appel,
ACCORDE à Maître Delphine TOULON, avocat, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Arrêt signé par Madame Elisabeth HOURS, Conseiller présidant la collégialité,
et Madame Marie-Claude DONNAT, Greffier auquel la minute de la décision a été
remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT