COUR D'APPEL D'ORLÉANS
CHAMBRE COMMERCIALE, ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE
GROSSES + EXPÉDITIONS : le 22/08/2019
la SELARL LEXAVOUE POITIERS-ORLEANS
ARRÊT du : 22 AOUT 2019
No : 243 - 19
No RG 18/01730 - No Portalis
DBVN-V-B7C-FW3Z
DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du Tribunal de Commerce de TOURS en date du 01 Juin 2018
PARTIES EN CAUSE
APPELANTE :- Timbre fiscal dématérialisé No:1265220054504963
la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DE L'IC ET DU GOELO
société coopérative de crédit à capital variable et à responsabilité limitée, prise en la personne de son Président et de ses Administrateurs, en exercice, et de tous représentants légaux domiciliés [...]
Ayant pour avocat postulant Me Isabelle TURBAT, membre de la SELARL LEXAVOUE POITIERS-ORLEANS, avocat au barreau d'ORLEANS, et pour avocat plaidant Me Hervé DARDY, membre de la SELARL KOVALEX, avocat au barreau de SAINT-BRIEUC,
D'UNE PART
INTIMÉ : - Timbre fiscal dématérialisé No: -/-
Monsieur R... W...
[...]
Défaillant
D'AUTRE PART
DÉCLARATION D'APPEL en date du : 21 Juin 2018
ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 14 mars 2019
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats, affaire plaidée sans opposition des avocats à l'audience publique du 16 MAI 2019, à 9 heures 30, devant Madame Elisabeth HOURS, Conseiller Rapporteur, par application de l'article 786 du code de procédure civile.
Lors du délibéré :
Madame Elisabeth HOURS, Conseiller présidant la collégialité,
qui en a rendu compte à la collégialité
Monsieur Jean-Louis BERSCH, Conseiller,
Madame Fabienne RENAULT-MALIGNAC, Conseiller,
Greffier :
Madame Marie-Claude DONNAT, Greffier lors des débats et du prononcé.
ARRÊT :
Prononcé le 22 AOUT 2019 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
EXPOSÉ DU LITIGE :
Selon acte sous seing privé en date du 17 avril 2013, la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DE L'IC ET DU GOELO a consenti à la S.A.R.L. LE BENDINAT un prêt professionnel d'un montant de 51.570 euros remboursable en 84 mensualités au taux nominal de 2,35% l'an.
Par acte séparé conclu le même jour, Monsieur R... W..., gérant de la société, s'est porté caution solidaire des engagements de celle-ci à hauteur de la somme de 61.884 euros incluant principal, intérêts, intérêts de retard, commissions, indemnités, cotisations d'assurance, frais et accessoires pour une durée de 108 mois.
La société LE BENDINAT a été placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Saint Brieuc en date du 4 mars 2015 et cette procédure collective a été convertie en liquidation judiciaire par nouvelle décision en date du 25 juillet 2016 qui a désigné la SELARL T.C.A., représentée par Maître J..., en qualité de liquidateur judiciaire.
Le Crédit Mutuel a régulièrement déclaré sa créance au passif de la liquidation judiciaire où elle a été admise à hauteur de 39.495,33 euros.
Après avoir en vain mis en demeure la caution d'honorer son engagement, le Crédit Mutuel l'a assignée le 15 mars 2017 devant le tribunal de commerce de Tours en réclamant sa condamnation à lui verser la somme de 39.845,91 euros.
Par jugement en date du premier juin 2018, le tribunal a débouté la demanderesse de toutes ses prétentions et l'a condamnée à payer à Monsieur W... une indemnité de procédure de 2.000 euros.
Le Crédit Mutuel a relevé appel de cette décision par déclaration en date du 21 juin 2018.
Il en poursuit l'infirmation en demandant à la cour de condamner l'intimé à lui verser la somme de 39.845,91 euros, majorée des intérêts au taux contractuel de 2,35% à compter du 6 octobre 2016 sur 38.069,85 euros, le tout dans la limite de 61.884 euros, d'ordonner la capitalisation des intérêts, de lui allouer une indemnité de procédure de 3.000 euros et de condamner Monsieur W... à supporter les dépens.
Il fait valoir que, contrairement à ce qu'a soutenu l'intimé, il s'est renseigné, lors de la souscription du cautionnement sur les capacités contributives de Monsieur W... auquel il a fait remplir et signer une fiche de renseignements individuelle; qu'il en résulte que l'intimé déclarait des revenus annuels de 60.000 euros, était propriétaire d'une maison d'habitation, évaluée à 350.000 euros et ayant une valeur nette hors prêt de 150.000 euros, disposait d'une assurance vie d'un montant de 16.000 euros et ne faisait mention d'aucunes charges particulières, hormis le prêt immobilier déjà déduit de la valeur de la maison ; que la caution n'a évoqué dans cette fiche de renseignement ni les prêts MACIF et FRANFINANCE, ni la charge de loyer ; que Monsieur W... y évoquait certes un précédent cautionnement, mais sans indiquer le montant de son engagement mentionnant uniquement le montant de la créance principale garantie et qu'il n'y avait dès lors pas lieu d'en tenir compte ; que même en prenant en considération cet engagement précédent qui était limité à la somme 375.000 euros, il n'y avait aucune disproportion manifeste en l'état de la valeur de la maison, des revenus et de l'épargne d'assurance-vie indiqués par Monsieur W....
Il soutient subsidiairement qu' à la date à laquelle il a été appelé, Monsieur W..., obligé envers elle à hauteur de 39.845,91 euros, pouvait faire face à son engagement puisqu'il est toujours propriétaire du même bien immobilier dont la valeur nette a augmenté en raison du remboursement de l'emprunt et est d'environ 230.000 euros, ce qui est confirmé par le jugement rendu le 30 avril 2018 par le tribunal d'instance de Tours qui a débouté les époux W... de leur demande de rétablissement avec liquidation judiciaire en retenant que leur situation n'est pas irrémédiablement compromise au sens de L.724-1 du code de la consommation.
Elle précise avoir respecté son obligation d'information annuelle de la caution et indique verser aux débats les courriers, listings informatiques et procès-verbaux de constat d'huissier qui le démontrent.
Enfin, elle s'oppose à l'octroi de délais en relevant que l'intimé a bénéficié de délais de fait depuis plus de deux années.
Monsieur W... a été touché par l'assignation et a écrit à la cour qu'il ne pourrait constituer avocat. Le présent arrêt sera donc réputé contradictoire.
CELA ETANT EXPOSE, LA COUR :
Attendu qu'aux termes de l'article L 341-4 devenu L 332-1 du code de la consommation, le créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation ;
Que la disproportion s'apprécie lors de la conclusion du contrat de cautionnement au regard du montant de l'engagement souscrit et des biens et revenus de la caution et que doit être pris en considération l'endettement global de cette dernière et notamment les précédents engagements de caution qu'elle a pu souscrire ;
Attendu que, pour retenir l'existence d'une disproportion manifeste de l'engagement de caution de Monsieur W..., le tribunal a indiqué qu'il "considère que le Crédit Mutuel a fait preuve de beaucoup de négligence en n'assistant pas Monsieur R... W... et le laissant déclarer des biens communs, déjà engagés en garantie d'autres dettes sans obtenir de Madame W... son consentement sur l'engagement de caution donné par son mari" ;
Que cette motivation ne peut être approuvée puisqu'elle semble caractériser un manquement de la banque à une obligation de conseil qui n'existe pas en l'espèce puisque le régime de la disproportion repose exclusivement sur un système déclaratif qui impose à la caution de déclarer scrupuleusement ses revenus et patrimoine sans pouvoir reprocher à la banque de ne pas l'avoir conseillé utilement ; qu'il sera au surplus relevé que l'engagement de la caution commune en biens s'apprécie par rapport aux biens et revenus de celle-ci, sans distinction et sans qu'il y ait lieu de tenir compte du consentement exprès du conjoint donné conformément à l'article 1415 du code civil, qui détermine seulement le gage du créancier, de sorte que devaient être pris en considération tant les biens propres et les revenus de Monsieur W... que les biens communs, incluant les revenus de son épouse (Cf notamment Cass. com. 6 juin 2018, no16-26.182) ;
Mais attendu que le tribunal a également relevé, cette fois à bon droit, que Monsieur W... avait déclaré, sur la fiche de renseignements qu'il a remplie avant de s'engager en qualité de caution, qu'il était déjà caution de la société EVAM;
Qu'en effet, sur cette fiche, Monsieur W... a fait état de revenus annuels de 60.000 euros, d'un patrimoine immobilier ayant une valeur nette de 150.000 euros et d'une assurance vie d'un montant de 16.000 euros, soit d'un patrimoine de 166.000 euros et de ressources mensuelles de 5.000 euros et a déclaré sous la rubrique " engagements donnés" s'être porté caution de la société EVAM au profit du Crédit Agricole pour un montant garanti de 1.200.000 euros, cet engagement venant à échéance en 2019 ;
Que le Crédit Mutuel ne saurait sérieusement prétendre qu'il n'avait pas à prendre en considération ce cautionnement parce qu'il avait interprété la somme déclarée de 1.200.000 euros comme étant le montant du prêt consenti à la société EVAM par le Crédit Agricole mais non le montant du cautionnement ;
Que la déclaration faite par Monsieur W... devait au contraire conduire le prêteur à retenir que la somme de 1.200.000 euros déclarée par Monsieur W... était une charge et que, s'il entendait ne pas prendre en considération cette somme, il lui appartenait de vérifier le montant exact cautionné par l'intimé ;
Que l'intimé a pu être trompé par l'intitulé de l'imprimé qu'on lui demandait de renseigner qui mentionnait "montant garanti" et qu'il a déclaré le montant total du prêt octroyé par le Crédit Agricole à la société EVAM alors qu'il ne s'était pas porté caution pour cet entier montant mais était engagé en qualité de caution envers le Crédit Agricole à hauteur de 375.000 euros ainsi que l'indique l'appelant lui-même en page 4 de ses écritures ;
Qu'il ressort de la fiche de renseignements qu'au regard de ce précédent engagement, qui dépassait déjà de près de trois fois la valeur nette de son patrimoine, et dont il doit être tenu compte puisqu'il a été déclaré au Crédit Mutuel, le nouvel engagement de Monsieur W... à hauteur de 61.884 euros était manifestement disproportionné à ses ressources et à son patrimoine ;
Attendu qu'il résulte de la combinaison de l'article 1315 du code de commerce et de l'article L 341-4 du code de la consommation qu'il incombe au créancier professionnel qui entend se prévaloir d'un contrat de cautionnement manifestement disproportionné aux biens et revenus de la caution lors de sa conclusion d'établir, qu'au moment où il l'appelle, le patrimoine de celle-ci lui permet de faire face à son obligation ;
Et attendu que l'intimé bénéficie d'une procédure de surendettement encore en cours, même si il n'a pas été fait droit à sa demande tendant à bénéficier d'un rétablissement personnel;
Que le rejet de cette demande démontre seulement que le tribunal a considéré que les ressources de Monsieur W... lui permettaient de régler au moins pour partie ses créanciers mais non qu'il pouvait faire face à l'intégralité de son passif ;
Qu'il sera relevé que, contrairement à ce que prétend l'appelant, le tribunal a indiqué dans sa décision qui fait foi jusqu'à inscription de faux que l'immeuble d'habitation de Monsieur W... avait été vendu et que le prix avait entièrement été affecté au remboursement des dettes de l'intimé, étant précisé que le Crédit Agricole était créancier de premier rang sur cet immeuble ;
Que le Crédit Mutuel n'apporte pas donc pas la preuve qui lui incombe que Monsieur W... pouvait faire face à son engagement à la date à laquelle il a été appelé et que le jugement déféré sera entièrement confirmé ;
Attendu que l'appelant, succombant à l'instance, en supportera les dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant par arrêt mis à disposition au greffe, réputé contradictoire et en dernier ressort,
CONFIRME la décision entreprise,
Y AJOUTANT,
CONDAMNE la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DE L'IC ET DU GOELO aux dépens d'appel.
Arrêt signé par Madame Elisabeth HOURS, Conseiller présidant la collégialité et Madame Marie-Claude DONNAT , Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT