COUR D'APPEL D'ORLÉANSCHAMBRE COMMERCIALE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE
GROSSES + EXPÉDITIONSla SCP LAVAL-LUEGERMe Jean-Michel DAUDÉ
ARRÊT du : 27 NOVEMBRE 2008
N° RG : 08/00370
DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : Tribunal de Commerce de TOURS en date du 14 Décembre 2007
PARTIES EN CAUSE
APPELANTS :
Monsieur Farid X..., demeurant ...représenté par la SCP LAVAL-LUEGER, avoués à la Courayant pour avocat la SCP BAYLAC-OTTAVY, du barreau de TOURS
EURL ETABLISSEMENT X... agissant poursuites et diligences de son Gérant domicilié en cette qualité audit siège, La Fontaine du Vivier - 37600 LOCHESreprésentée par la SCP LAVAL-LUEGER, avoués à la Courayant pour avocat la SCP BAYLAC-OTTAVY, du barreau de TOURS
D'UNE PART
INTIMÉE :
BANQUE POPULAIRE VAL DE FRANCE prise en la personne de son Président du Conseil d'Administration domicilié en cette qualité audit siège prise en son agence de TOURS (37000) 23 rue Nationale, 9 Avenue Newton - 78180 MONTIGNY LE BRETONNEUXreprésentée par Me Jean-Michel DAUDÉ, avoué à la Courayant pour avocat la SCP SAINT CRICQ - NEGRE, du barreau de TOURS
D'AUTRE PART
DÉCLARATION D'APPEL EN DATE DU 31 Janvier 2008
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats et du délibéré :Monsieur Jean-Pierre REMERY, Président de Chambre,Monsieur Alain GARNIER, Conseiller,Monsieur Thierry MONGE, Conseiller.
Greffier :Madame Nadia FERNANDEZ, lors des débats,
DÉBATS :
A l'audience publique du 23 OCTOBRE 2008, à laquelle, sur rapport de Monsieur RÉMERY, Magistrat de la Mise en Etat, les avocats des parties ont été entendus en leurs plaidoiries.
ARRÊT :
PRONONCE publiquement le 27 Novembre 2008 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
Monsieur X... et l'EURL Etablissement X... étaient titulaires de comptes courants ouverts dans les livres de la Banque Populaire Val de France (BPVF) qui bénéficiaient d'autorisations tacites de découvert. Ces comptes présentant néanmoins des soldes débiteurs permanents et croissants, et des difficultés étant survenues entre les parties sur le montant des agios et des commissions, la banque a dénoncé ses concours sous préavis de deux mois par lettres recommandées du 8 novembre 2006. Monsieur X... et l''EURL X... ont alors assigné l'établissement de crédit, par acte du 9 janvier 2007, en responsabilité pour soutien ruineux et en paiement de dommages et intérêts. Reconventionnellement, la BPVF a réclamé le remboursement des soldes débiteurs des deux comptes et du reliquat d'un prêt accordé à Monsieur X....
Par jugement du 14 décembre 2007, le Tribunal de commerce d'ORLEANS a débouté Monsieur X... et la société X... de leurs demandes et a condamné l'EURL X... à payer à la BPVF la somme de 34.347,08 Euros au titre du solde débiteur de son compte avec intérêts au taux de 12,92 % à compter du 30 janvier 2007, et Monsieur X... en paiement de la somme de 18.821,91 Euros avec intérêts au taux de 12,92 % à compter du 15 février 2007 en raison de son compte et de celle de 1.839,51 Euros au titre du solde d'un prêt avec intérêts au taux de 4,40 % à compter de la même date.
Monsieur X... et la société X... ont relevé appel.
Par leurs dernières conclusions signifiées le 30 septembre 2008, ils font valoir que la BPVF leur a consenti des crédits ruineux, en prélevant plus de 22.000 Euros d'agios et de frais financiers en deux ans, sans procéder à aucune analyse financière. Ils reprochent à la banque de ne pas avoir satisfait à son obligation de mise en garde en octroyant des crédits excédants les facultés contributives des emprunteurs, et en s'abstenant de proposer un prêt ou un crédit par découvert en compte à taux réduit. Ils font également grief à la BPVF d'avoir rompu abusivement tout crédit à l'entreprise sans motif tiré de la situation obérée du débiteur, le délai de régularisation imparti étant insuffisant pour retrouver un autre banquier. Ils demandent, en conséquence, la condamnation de la banque à leur restituer les agios indûment prélevés à hauteur de 22.277,32 Euros, au demeurant à un taux usuraire, et à leur payer la somme de 60.000 Euros à titre de dommages et intérêts, avec compensation des créances réciproques.
Par ses dernières écritures du 8 juillet 2008, la BPVF rappelle qu'il appartient aux demandeurs de rapporter la preuve du caractère ruineux d'un crédit et indique que les frais et agios ont été communiqués aux appelants conformément aux conditions tarifaires adressées à la clientèle et aux conventions de compte professionnel. Elle affirme que Monsieur X... n'était pas un simple particulier ignorant des affaires puisqu'il se prévalait de revenus à hauteur de 60.000 Euros et d'un patrimoine immobilier de 537.000 Euros et était à la tête de quatre SCI dont plusieurs avaient pour objet l'acquisition et la gestion de biens immobiliers et l'obtention de crédits, de sorte qu'elle n'était tenue d'aucune obligation de mise en garde à son égard. Elle indique que l'article L. 313-12 du Code monétaire et financier a été respecté et que les appelants avaient déjà trouvé un autre banquier. Elle soutient que les dispositions sur l'usure ne sont pas applicables aux comptes ouverts à des fins professionnelles et qu'au surplus, les taux pratiqués ne sont pas usuraires. Elle conclut à la confirmation du jugement et à la capitalisation des intérêts.
A l'issue des débats, le président d'audience a indiqué aux parties que l'arrêt serait prononcé le 27 novembre 2008, par sa mise à disposition au greffe de la Cour.
SUR QUOI
Sur les crédits ruineux et l'obligation de mise en garde des emprunteurs
Attendu qu'il ressort des pièces du dossier que Monsieur X... était depuis de nombreuses années artisan en matière de tuyauterie, chaudronnerie, plomberie et qu'il avait créé la société X... en mai 2005 en lui donnant son fonds en location gérance ; qu'il était également gérant de plusieurs sociétés civiles immobilières spécialisées dans l'acquisition, la rénovation, la vente de biens immobiliers et l'obtention de crédits ; qu'il doit donc être considéré comme un emprunteur averti d'autant plus que les fiches de renseignements en possession de la banque mentionnent des revenus annuels de 60.000 Euros et un patrimoine immobilier de l'ordre de 600.000 Euros ; qu'en outre, l'analyse financière des activités de Monsieur X... communiquée par la banque pour les années 2003 à 2005 laisse apparaître une forte augmentation du chiffre d'affaires passé de 171.000 Euros à 632.000 Euros ainsi que des résultats qui évoluent de 40.000 Euros à 113.000 Euros ; que, dès lors, ne prétendant pas, tant à titre personnel qu'en sa qualité de gérant de la société, que la banque aurait eu sur sa situation financière ou celle de sa société des renseignements que lui-même aurait ignorés, ou ne démontrant pas que cette banque lui aurait accordé et maintenu des concours dont le coût était insupportable pour l'équilibre de sa trésorerie et incompatible avec toute rentabilité, Monsieur X... est mal fondé à reprocher à la BPVF, qui n'avait aucune obligation de mise en garde à son égard sur les risques des opérations dont il prenait l'initiative, d'avoir toléré les dépassements qu'il s'est lui-même octroyés, étant observé que la banque n'était pas tenue, s'agissant de crédits professionnels ou consentis à une société, de présenter des offres de crédits formalisées ;
Attendu, par ailleurs, que l'appelant était averti des conditions de banque par la réception des tarifs adressés annuellement par la BPVF à ses clients et par la mention du taux effectif global sur les relevés de compte qu'il a reçus sans élever de protestations ;
Attendu, enfin, qu'en vertu de l'article L. 313-5-1 du Code monétaire et financier, la réglementation sur l'usure s'applique aux découverts en compte accordés à une personne physique agissant pour ses besoins professionnels ou à une personne morale se livrant à une activité industrielle, commerciale ou artisanale ; que, toutefois, en dépit des affirmations des appelants, le taux effectif global figurant sur les relevés de compte n'est jamais supérieur, pour les périodes concernées, aux taux d'usure pour ce type de crédit, tels que publiés dans les rubriques du Journal Officiel communiquées par la banque ; qu'il n'y a donc pas lieu à restitution de perceptions d'agios prétendument excessives ;
Sur la rupture abusive de crédit alléguée
Attendu qu'il résulte de l'article L. 313-12 du Code monétaire et financier que tout concours à durée indéterminée, autre qu'occasionnel, qu'un établissement de crédit consent à une entreprise, ne peut être réduit ou interrompu que sur notification écrite et à l'expiration d'un délai de préavis fixé lors de l'octroi du concours, délai qui ne peut être inférieur à une durée fixée, par catégorie de crédits et en fonction des usages bancaires, par décret ;
Attendu que par deux courriers recommandés avec demande d'avis de réception adressés le 8 novembre 2006, respectivement à l'EURL X... et à Monsieur X..., la BBVF a dénoncé les autorisations tacites de découvert, conformément aux dispositions du texte précité, avec effet au 10 janvier 2007 ; que le délai de préavis de 60 jours consenti est conforme au délai minimal prévu à l'article D. 313-14-1 du Code monétaire et financier, applicable en la cause, tandis que l'article L. 313-12 n'exige pas que le banquier invoque, dans la lettre de notification de la rupture, le motif de sa décision ; qu'en outre, la durée du préavis a été suffisante, les appelants ayant transféré leurs opérations financières chez un autre établissement avant même la lettre de rupture ;
Attendu, en toute hypothèse, qu'hors le cas où il est tenu par un engagement antérieur, circonstance qui n'est pas alléguée en l'espèce, un banquier est toujours libre, sans avoir à justifier sa décision qui est discrétionnaire, de proposer ou de consentir un crédit qu'elle qu'en soit la forme, de s'abstenir ou de refuser de le faire ;
Qu'il résulte de tout ce qui précède que la BPVF n'a pas engagé sa responsabilité à l'égard de Monsieur X... et de l'EURL X... et que les créances de la BPVF n'étant pas autrement contestées, le jugement mérite confirmation en toutes ses dispositions ;
Attendu que la capitalisation des intérêts, judiciairement demandée par la BPVF depuis le 19 juin 2008, et conforme aux dispositions de l'article 1154 du Code civil, sera également ordonnée ;
Attendu que Monsieur X... et l'EURL X... supporteront les dépens d'appel et verseront, en outre, à la BPVF la somme de 2.500 Euros chacun sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ;
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant ;
Ordonne la capitalisation des intérêts, dans les conditions de l'article 1154 du Code civil, à compter du 19 juin 2008 ;
Condamne Monsieur X... et l'EURL Etablissement X... aux dépens d'appel et à verser à la Banque Populaire Val de France la somme de 2.500 Euros chacun sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Accorde à Maître DAUDE, Avoué, le droit reconnu par l'article 699 du même code ;
Arrêt signé par Monsieur Jean Pierre REMERY, Président de Chambre et Madame Nadia FERNANDEZ, greffier , auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.