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24/09/2008 | FRANCE | N°134

France | France, Cour d'appel d'Orléans, Ct0169, 24 septembre 2008, 134


COUR D'APPEL D'ORLÉANS
CHAMBRE DES AFFAIRES DE SÉCURITÉ SOCIALE
GROSSE à :
CPAM DU LOIRET
EXPÉDITIONS à :
Me Benoît CHAROT Me RIANDEY S. A. S. CORNING A... veuve X... Gaëlle X... épouse Y... Magalie X... épouse Z... D. R. A. S. S. ORLÉANS Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale d'ORLEANS

ARRÊT du : 24 SEPTEMBRE 2008
N° R. G. : 07 / 02603
Décision de première instance : Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale d'ORLEANS en date du 18 Septembre 2007
ENTRE
APPELANTE :
S. A. S. CORNING 7 Bis, Avenue de Valvins 77290 SAMOIS-SUR-S

EINE

Représentée par Me Benoît CHAROT (avocat au barreau de PARIS)
D'UNE PART,
ET
INTIMÉES :
Mad...

COUR D'APPEL D'ORLÉANS
CHAMBRE DES AFFAIRES DE SÉCURITÉ SOCIALE
GROSSE à :
CPAM DU LOIRET
EXPÉDITIONS à :
Me Benoît CHAROT Me RIANDEY S. A. S. CORNING A... veuve X... Gaëlle X... épouse Y... Magalie X... épouse Z... D. R. A. S. S. ORLÉANS Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale d'ORLEANS

ARRÊT du : 24 SEPTEMBRE 2008
N° R. G. : 07 / 02603
Décision de première instance : Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale d'ORLEANS en date du 18 Septembre 2007
ENTRE
APPELANTE :
S. A. S. CORNING 7 Bis, Avenue de Valvins 77290 SAMOIS-SUR-SEINE

Représentée par Me Benoît CHAROT (avocat au barreau de PARIS)
D'UNE PART,
ET
INTIMÉES :
Madame A... veuve X... venant aux droits de Monsieur Alain X...... 45220 SAINT GERMAIN DES PRES

Madame Gaëlle X... épouse Y... venant aux droits de Monsieur Alain X...... 45490 LORCY

Madame Magalie X... épouse Z... venant aux droits de Monsieur Alain X...... 45270 LADON

Représentés par Me Paul RIANDEY (avocat au barreau d'Orléans)
CPAM DU LOIRET 9 Place du Général de Gaulle Service contentieux 45021 0RLEANS CEDEX 1

Représentée par Mme Sylvie F... en vertu d'un pouvoir spécial
PARTIE AVISÉES :
DIRECTION REGIONALE DES AFFAIRES SANITAIRES ET SOCIALES 25 Boulevard Jean Jaurès 45044 ORLEANS CEDEX 1

F. I. V. A. 36 Avenue du Général de Gaulle Tour Galliéni II 93175 BAGNOLET CEDEX

Non comparants, ni représentés,
D'AUTRE PART,
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats et du délibéré :
Monsieur Alain GARNIER, Conseiller, faisant fonction de Président de Chambre, Monsieur Yves FOULQUIER, Conseiller, Monsieur Thierry MONGE, Conseiller.

Greffier :
Madame Sylvie CHEVREAU, faisant fonction de Greffier, lors des débats et du prononcé de l'arrêt.
DÉBATS :
A l'audience publique le 25 JUIN 2008.
ARRÊT :
Lecture de l'arrêt à l'audience publique du 24 SEPTEMBRE 2008 par Monsieur le Conseiller GARNIER, en application des dispositions de l'article 452 du Code de Procédure Civile.
M. Alain X... a travaillé pour la SAS CORNING, fabricant de verres spéciaux et de tubes cathodiques, de mars 1965 jusqu'au 14 octobre 2004, date à laquelle il a fait l'objet d'un licenciement pour inaptitude définitive au travail.
Le 17 décembre 2001, la SAS CORNING a fait parvenir à la Caisse Primaire d'assurance maladie du Loiret une déclaration, assortie de réserves, d'accident du travail en rapport avec un malaise dont M. Alain X... aurait été la victime le 5 décembre 2001 alors qu'il procédait au nettoyage de blocs de verres spéciaux.
Malgré une enquête administrative retenant une forte utilisation de solvants et d'alcool peu de temps avant le malaise, la Caisse Primaire d'assurance maladie du Loiret, après avoir recueilli l'avis négatif du service médical sur l'imputabilité de l'état de l'assuré au travail, a notifié à celui-ci, le 7 mars 2002, un refus de prise en charge au titre de la législation professionnelle.
Cependant, après recours par M. Alain X... à l'expertise médicale et nouvel avis du contrôle médical, la Caisse Primaire d'assurance maladie du Loiret est revenue sur cette décision et lui a notifié, le 5 août 2002, un accord de prise en charge dont un double a été envoyé à la SAS CORNING.
Le 22 mai 2002, M. Alain X... a par ailleurs adressé à la Caisse Primaire d'assurance maladie du Loiret deux déclarations de maladies professionnelles, la première accompagnée d'un certificat médical établi le même jour et faisant état de plaques pleurales bilatérales en lien avec une exposition à l'amiante (tableau n º 30 MP) et la deuxième fondée sur un audiogramme du 9 avril 2002 mettant en évidence un déficit audiométrique par lésion cochléaire irréversible de 37, 5 db sur l'oreille droite et de 38 db sur l'oreille gauche (tableau n º 42 MP).
Après enquête administrative concluant à l'exposition du salarié aux risques définis par les tableaux et avis favorable du contrôle médical, la Caisse Primaire d'assurance maladie du Loiret a pris en charge ces deux affections au titre de la législation professionnelle puis a attribué à M. Alain X... une rente basée sur un taux d'incapacité permanente de 2 % pour les plaques pleurales et de 18 % pour la surdité.
M. Alain X... a saisi, le 15 juillet 2003, la Caisse Primaire d'assurance maladie du Loiret puis, le 19 décembre 2003, le Tribunal des affaires de sécurité sociale d'Orléans d'une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur en vue d'obtenir l'indemnisation de ses préjudices personnels en rapport avec l'accident du travail du 5 décembre 2001 et les deux maladies professionnelles déclarées le 22 mai 2002.
M. Alain X... étant décédé le 13 février 2007, l'instance a été reprise par son épouse Évelyne A... veuve X... et ses deux filles, Gaëlle X... épouse Y... et Magalie X... épouse Z..., qui ont sollicité une indemnité de 20. 000 € en réparation des souffrances physiques et morales endurées par leur époux et père et une autre indemnité de 10. 000 € au titre de son préjudice d'agrément.
La SAS CORNING a conclu au rejet des demandes des consorts X... pour absence de faute inexcusable et, dans ses rapports avec la Caisse Primaire d'assurance maladie du Loiret, a soulevé l'inopposabilité à son égard des décisions de prise en charge de l'accident du travail et des deux maladies professionnelles.
Par jugement du 18 septembre 2007, notifié le 3 octobre 2007, dont la SAS CORNING a régulièrement relevé appel le 26 octobre 2007, le Tribunal des affaires de sécurité sociale d'Orléans a :
- déclaré recevable l'action des consorts X... ensuite du décès de leur époux et père,
- dit que l'accident du travail du 5 décembre 2001, la maladie professionnelle liée à l'inhalation de poussières d'amiante et la surdité bilatérale sont dus à la faute inexcusable de l'employeur,
- fixé à 20. 000 € l'indemnité réparatrice des souffrances physiques et morales endurées et à 10. 000 € celle due en compensation du préjudice d'agrément,
- déclaré inopposable à la SAS CORNING la prise en charge par la Caisse Primaire d'assurance maladie du Loiret de cet accident du travail et de ces maladies professionnelles, ainsi que toutes leurs conséquences financières, y compris en réparation de la faute inexcusable,
- dit que la Caisse Primaire d'assurance maladie du Loiret, tenue de faire l'avance des sommes accordées en réparation du préjudice, en conservera la charge définitive,
- condamné in solidum la SAS CORNING et la Caisse Primaire d'assurance maladie du Loiret à payer aux consorts X... la somme de 2000 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et ordonné l'exécution provisoire de la décision.
La SAS CORNING demande à la Cour de déclarer inopposables à elle-même les prises en charge de l'accident du travail du 5 décembre 2001 et des deux maladies professionnelles, de mettre définitivement à la charge de la Caisse Primaire d'assurance maladie du Loiret toutes leurs conséquences financières, de dire qu'elle n'a commis aucune faute inexcusable et de rejeter les prétentions à indemnités des consorts X... et, dans l'hypothèse où sa faute inexcusable serait retenue, d'ordonner une expertise médicale en vue d'évaluer les préjudices extra-patrimoniaux de M. Alain X....
Sur l'inopposabilité à son égard des décisions de prise en charge, la SAS CORNING fait valoir successivement :
- qu'ayant émis des réserves sur la déclaration d'accident du travail, la caisse primaire ne l'a jamais informée de la clôture de l'instruction mais l'a seulement avertie le 7 mars 2002 de son refus initial de prise en charge, avant de l'aviser, le 5 août 2002 et alors que le délai réglementaire d'instruction était expiré, qu'elle avait reconsidéré sa position, au regard de renseignements complémentaires non communiqués, et admis la prise en charge de l'accident au titre de la législation professionnelle ;
- qu'elle a été totalement tenue à l'écart de l'instruction des demandes de maladies professionnelles et que les diverses formalités mises par la jurisprudence à la charge de la caisse primaire n'ont pas été accomplies, de sorte que les décisions lui sont inopposables faute de respect du principe du contradictoire.
Sur la faute inexcusable qui serait à l'origine de la maladie professionnelle liée à l'inhalation de poussières d'amiante, la SAS CORNING prétend qu'elle ne pouvait avoir conscience du danger occasionné à ses salariés et soutient notamment :
- que la jurisprudence considère que la connaissance des facteurs de risque doit être appréciée objectivement au regard de ce que doit savoir un employeur par rapport à son secteur d'activité ;
- que les scientifiques estimaient jusqu'à une époque récente que les maladies susceptibles d'être provoquées par l'inhalation de poussières d'amiante, en particulier l'asbestose seule désignée dans un premier temps par le tableau n º 30, ne pouvaient apparaître qu'après une exposition continue et habituelle à un empoussiérage massif dans le cadre d'activités telles que celles de production d'amiante ou utilisant l'amiante comme matière première ;
- que l'activité de l'entreprise consistant en la fabrication de pièces en verre au moyen de fours dont la température peut aller jusqu'à 1600 degrés, l'amiante n'a été employé que dans un objectif de protection notamment des salariés contre la chaleur et le feu que seul ce minerai permettait d'assurer avec efficacité ;
- que si le décret de décembre 1996 interdit dans le principe l'utilisation de l'amiante, il permet de déroger jusqu'au 1er janvier 2002 à cette interdiction chaque fois que, pour assurer une fonction équivalente, il n'existe aucun substitut à ce minerai qui garantisse la sécurité de la même façon, notamment pour les dispositifs d'isolation thermique et pour faire face à des températures supérieures à 1 000 degrés ;
- que les travaux nécessitant le port habituel de vêtements contenant de l'amiante, la conduite d'un four, les travaux d'entretien sur des matériels comportant des matériaux à base d'amiante ou encore les travaux d'usinage ou de découpe de matériaux contenant de l'amiante n'ont été intégrés dans la liste des travaux présentant un risque de maladie qu'en vertu du décret du 22 mai 1996 ;
- que dès la fin des années 1970, elle a progressivement cessé l'utilisation des moyens de protection en amiante pour les supprimer définitivement au début du mois de juillet 1996 et que, lors de l'entrée en vigueur du décret du 17 août 1977, son fournisseur d'amiante a garanti que les produits ne libéraient plus de fibres et étaient conformes à la réglementation ;
- que la création d'une commission amiante au sein de l'entreprise avait pour seul but de veiller à ne pas exposer les salariés au risque alors identifié, à savoir un empoussièrement massif, que cet objectif a été précisément atteint et que cette démarche, allant au-delà des exigences de la réglementation, ne peut être retournée contre elle pour tenter de démontrer qu'elle avait conscience du danger ;
- que M. Alain X..., qui n'est pas atteint d'asbestose mais de plaques pleurales, n'a été ponctuellement exposé à l'amiante que jusqu'en 1991 au plus tard ;
- qu'en toute hypothèse, elle a assuré la protection des salariés contre le risque lié à l'amiante en mettant en place des mesures individuelles (port du masque) et collectives (aspiration, prescriptions de stockage et d'usinage, suppression ou réduction des quantités utilisées, mesures toujours négatives de la concentration en fibres).
S'agissant de la surdité, la SAS CORNING conteste que ses locaux aient été bruyants de manière intolérable et continue et affirme que M. Alain X..., durant sa carrière, n'a pas été exposé à un bruit lésionnel de manière habituelle, mais uniquement de façon ponctuelle et sans danger, qu'en tout état de cause des protections adéquates, en l'occurrence des bouchons d'oreille, ont été mises à la disposition du personnel et spécialement de ce salarié qui ne souhaitait pas les utiliser aux dires du médecin du travail. Elle rappelle que la réglementation en matière de bruit ne date que de 1987, que les mesurages de l'ambiance sonore de l'atelier A en 1992 et 2002 ont révélé que l'établissement n'était pas bruyant, que l'opération de sciage à l'occasion de laquelle le bruit pouvait présenter un niveau de risque ( à 90db) ne durait que quelques minutes à raison seulement de deux fois par poste et par jour, et que ni le médecin du travail, ni le CHSCT n'ont émis des réserves sur ce point.
La SAS CORNING soutient enfin qu'aucun élément n'établit que le malaise du 5 décembre 2001 a été causé par la respiration de solvants, que les risques liés à ces produits sont des risques d'inflammation, d'incendie ou de contact avec la peau et non des risques d'imprégnation alcoolique et qu'elle n'utilisait à l'époque que 70 litres d'alcool par an sous forme d'éthanol dont les salariés usaient par petites quantités. Elle affirme que le CHSCT n'a relevé aucune carence dans la sécurité concernant les solvants, que les témoins faisant aujourd'hui état d'un danger ne se sont nullement signalés lors de l'enquête administrative et qu'en toute hypothèse des processus d'aspiration existaient et des protections individuelles (gants, masques) étaient mises à la disposition des salariés à l'occasion de l'utilisation ponctuelle de ces produits. Elle prétend que le risque d'épilepsie présenté par M. Alain X... n'a jamais été porté à sa connaissance et que la lettre du docteur C... datée de 1991 est manifestement destinée à un membre du corps médical et non à l'employeur.
Les consorts X... demandent à la Cour de déclarer irrecevable et en tout cas mal fondé l'appel de la SAS CORNING, de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, subsidiairement d'ordonner une expertise médicale à l'effet de déterminer l'étendue des préjudices extra-patrimoniaux et de leur allouer une provision de 10. 000 € à valoir sur le montant des indemnités et, en tout état de cause, de condamner la SAS CORNING à leur payer une somme supplémentaire de 2000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Les consorts X... soutiennent, de manière préalable, que la SAS CORNING est dépourvue de tout intérêt à relever appel du jugement, dès lors que l'inopposabilité des prises en charge n'est pas remise en cause et qu'elle est donc déchargée de toutes leurs conséquences financières.
Sur le fond, s'agissant en premier lieu de l'accident du 5 décembre 2001 dont l'imputabilité aux conditions de travail a été définitivement reconnue et ne leur paraît plus pouvoir être contestée, les consorts X... font valoir que le médecin du travail avait été avisé, en 1981, 1984 et 1991, de la prescription à M. Alain X..., pour des problèmes d'épilepsie, de Gardénal dont l'association avec l'alcool est fortement contre-indiquée, et que ce même médecin avait par ailleurs donné un avis défavorable à un travail en trois / huit susceptible précisément de rompre l'équilibre de sa comitialité. Ils prétendent que l'employeur était conscient des troubles rencontrés par les polisseurs à l'occasion de l'utilisation des produits toxiques ainsi qu'il résulte d'un rapport annuel d'activité du service médical pour l'année 1999 et d'échanges internes sur ce point, que les conditions dans lesquelles le nettoyage des pièces devait être réalisé étaient déplorables, la machine brassant le solvant étant en panne depuis plusieurs années et le visage du salarié se trouvant penché au-dessus de la pièce placée dans le bain et en dessous de l'aspiration, et que les préconisations recommandant de mettre en place un système efficace d'extraction des vapeurs, avec déménagement de la machine à laver dans un local adapté, n'ont été suivies d'aucun effet.
En deuxième lieu, les consorts X... affirment que M. Alain X... a été exposé aux poussières d'amiante tout au long de sa carrière et jusqu'en 1998, y compris lorsqu'il travaillait au magasin entre 1976 et 1989 au découpage de plaques d'amiante (asbestolith) et par la suite et jusqu'en 1998 à l'atelier sciage et polissage, et qu'aucun dispositif efficace de protection n'était alors prévu pour les salariés directement en contact avec ce produit puisqu'il n'existait aucun système d'aspiration et qu'un balai était même utilisé pour enlever la poussière. Ils prétendent que, nonobstant l'évolution des données scientifiques et de la réglementation applicable, la SAS CORNING ne pouvait qu'avoir conscience des risques encourus dès lors qu'un bilan amiante avait été dressé par le CHSCT à la fin des années 1970, qu'une commission amiante avait par ailleurs identifié les risques et préconisé certaines mesures, notamment des systèmes d'aspiration, qui n'avaient jamais été mises en oeuvre, et que M. Alain X... souffrait d'un certain type de lésions pulmonaires depuis la fin des années 1960, ce que l'employeur n'ignorait pas.
En troisième lieu, s'agissant de la surdité bilatérale, les consorts X... soutiennent que M. Alain X... a travaillé successivement au laboratoire sciage et polissage de 1974 à 1976, puis aux ateliers verres spéciaux (façonnage, polissage et sciage) de 1989 à 2001, et qu'il s'est trouvé exposé, autant dans le laboratoire que dans ce dernier atelier qui n'était pas moins bruyant, à diverses sources de bruit émanant des multiples machines utilisées simultanément et pas seulement de la scie circulaire qui fonctionnait en tout état de cause plus de vingt minutes par jour. Ils ajoutent que l'imputabilité de la surdité aux conditions de travail a été définitivement retenue par la décision de reconnaissance de la maladie professionnelle et ne saurait être contestée par l'employeur, et que celui-ci, compte-tenu de la réglementation applicable, aurait dû avoir conscience du danger, sans pouvoir se retrancher derrière le fait que M. Alain X... ne portait pas ses bouchons d'oreille et alors même qu'aucune observation n'avait été adressée à celui-ci qui, selon les fiches d'appréciation, se montrait habituellement vigilant dans le respect des consignes de sécurité.
Faisant observer enfin qu'ils ne réclament pas, faute de reconnaissance de l'imputabilité du décès aux conditions de travail, la réparation de leur préjudice propre lié au décès de M. Alain X... et se bornent à solliciter l'indemnisation du préjudice personnel subi par celui-ci et entré dans sa succession, ils estiment que l'indemnité demandée au titre des douleurs physiques et morales est tout à fait justifiée au regard du syndrome anxio-dépressif majeur l'ayant conduit à mettre fin à ses jours, des sensations d'étouffement et de la nécessité de s'équiper de prothèses auditives. Ils précisent que M. Alain X... souffrait également d'un préjudice d'agrément, dès lors qu'il ne pouvait plus s'adonner à des activités nécessitant endurance ou concentration, avait perdu la joie de vivre et l'appétit, et n'avait plus de relations intimes.
La Caisse Primaire d'assurance maladie du Loiret s'en rapporte à justice sur l'existence des fautes inexcusables de l'employeur et le montant des indemnités à allouer et, dans l'hypothèse où le jugement serait infirmé, sollicite la restitution par les consorts X... des sommes réglées en vertu du jugement assorti de l'exécution provisoire.
Sans remettre en cause le chef de jugement retenant l'inopposabilité à la SAS CORNING des prises en charge, la Caisse Primaire d'assurance maladie du Loiret rappelle que l'enquête administrative, réalisée en présence de diverses personnes chargées de la sécurité au sein de l'entreprise, a révélé que le jour de l'accident du 5 décembre 2001 M. Alain X... effectuait le nettoyage d'une pièce de verre spécial en utilisant beaucoup de solvants et d'alcool sans précaution particulière. S'agissant des maladies professionnelles, elle fait observer que le médecin du travail propre à la société CORNING a lui-même apporté, dans le cadre de l'enquête administrative, les éléments déterminants propres à retenir l'exposition de M. Alain X... à l'amiante et au bruit et que le contrôle médical a émis un avis favorable à la prise en charge.
LA COUR,
Les consorts X... ne sont pas fondés à soutenir que l'appel ne serait pas recevable, faute d'intérêt à agir pour l'employeur, alors qu'indépendamment de l'absence de préjudice financier pouvant résulter de l'inopposabilité des décisions de prise en charge, non remise en cause par la caisse primaire dans le cadre de la présente instance, la SAS CORNING, à l'encontre de qui l'action doit nécessairement être engagée, justifie d'un intérêt à voir écarter sa faute inexcusable non seulement pour sauvegarder sa réputation et son image mais encore pour éviter que ne devienne définitif un jugement qui pourrait nourrir d'autres contentieux ou lui être opposé dans le cadre d'autres litiges.
Au fond, l'employeur est tenu envers le salarié d'une obligation de sécurité de résultat et le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L 452-1 du Code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
Sur le malaise survenu le 5 décembre 2001 :
Il résulte des dispositions de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale, selon lesquelles « est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs », que toute lésion ou trouble physiologique apparu brusquement au temps et au lieu du travail bénéficie, jusqu'à preuve contraire incombant à l'employeur, d'une présomption d'imputabilité, dès lors que se trouve démontrée la matérialité d'une telle situation ;
Ainsi, dès lors qu'il est constant que M. Alain X... a été victime, au temps et au lieu du travail, d'un malaise ayant nécessité l'intervention de l'infirmière d'entreprise puis des pompiers et son transport immédiat au centre hospitalier, la SAS CORNING, qui n'établit pas l'existence d'une cause totalement étrangère au travail, n'est pas fondée à contester que celui-ci a bien été victime d'un accident du travail.
En revanche, il lui est loisible de soutenir que, nonobstant la présomption d'imputabilité, les causes de ce malaise demeurent non élucidées et que, par suite, la victime ou ses ayants droits ne démontrent pas qu'il a eu conscience d'exposer le salarié à un danger et n'a pas pris de dispositions pour l'en préserver.
L'enquête administrative, réalisée en présence d'un chef d'atelier, d'un responsable du service sécurité, de l'animateur du service des verres spéciaux, du médecin du travail et du secrétaire du CHSCT, a permis d'établir que M. Alain X... avait utilisé ce jour-là une forte quantité de solvants et d'alcool éthylique, sans précautions particulières, pour procéder au nettoyage d'un gros disque de verre de 480 mm de diamètre et qu'il s'était alors trouvé dans un état qualifié d'ébrieux, étant observé que toutes les personnes présentes ont cependant reconnu à l'unanimité qu'il n'était en aucun cas un alcoolique et que l'infirmière de l'entreprise a déclaré qu'elle n'avait constaté alors ni haleine alcoolisée, ni odeur d'alcool.
Il n'est pas indifférent de relever que M. D..., dans un message interne daté du 20 octobre 1999, signalait déjà la dangerosité à l'inhalation des solvants utilisés pour le polissage des verres en précisant que les opérateurs se plaignaient d'être comme saouls au bout de quelques heures de travail, tandis que les MM. E... et B..., aux termes d'attestations régulièrement produites aux débats, affirment également avoir constaté, en plusieurs autres circonstances, des symptômes proches d'un état d'ébriété apparaissant en fin de journée de travail chez la victime ou d'autres salariés.
Enfin, le tableau n º 84 des maladies professionnelles désignant le syndrome ébrieux ou narcotique pouvant aller jusqu'au coma comme une affection susceptible de résulter de l'emploi de solvants et alcools, il est suffisamment établi que le malaise survenu à M. Alain X... le 5 décembre 2001 trouve bien son origine dans l'inhalation des produits dont il a fait usage en grande quantité pour nettoyer un important morceau de verre.
Même si le médecin du travail laisse entendre que l'accident ne s'est pas produit dans le local réservé aux opérations de nettoyage mais sur une table non spécialement affectée à cet effet et disposée dans une autre pièce, il résulte de l'enquête administrative que les conditions habituelles de nettoyage du verre n'offraient pas plus de garanties de sécurité puisque la machine en circuit fermé brassant le solvant était en panne depuis plusieurs années et que l'opérateur, après avoir soulevé le capot, devait se pencher au-dessus de la pièce placée dans le bain pour gratter et enlever la colle et que le visage se trouvait alors en dessous de l'aspiration qui permettait d'évacuer les vapeurs.
Ainsi, M. Alain X... a été amené à travailler, tant au moment de son malaise que dans les jours ou même les heures ayant précédé, dans des conditions qui ne répondaient pas aux exigences d'une réglementation imposant à l'employeur de veiller à ce que les émissions polluantes provenant de tels produits soient captées à la source au moyen d'un système d'extraction d'air mécanique.
Dès lors, il est établi que l'employeur avait conscience du danger auquel étaient exposés les utilisateurs habituels de ces solvants et alcools et notamment M. Alain X..., et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour en préserver ce dernier, de sorte que le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il a retenu la faute inexcusable.
Sur la maladie professionnelle liée à l'inhalation de poussières d'amiante :
Il est constant que l'activité de la SAS CORNING a consisté, tout au long de la période en litige, en la fabrication de verres spéciaux destinés à l'industrie de la lunetterie ainsi que de tubes cathodiques, au moyen de divers minéraux portés dans des fours à des températures pouvant atteindre 1 600 degrés, et que l'amiante n'a été employé que dans un objectif de protection des salariés et des processus de fabrication contre la chaleur et le feu.
L'enquête administrative et l'attestation délivrée en application de l'article 16 du décret du 7 février 1996 font ressortir que M. Alain X... a été exposé à l'inhalation des poussières d'amiante entre 1965 et 1967 à l'atelier de videur d'arches d'écrans (gants en amiante, cordons d'amiante autour des paniers d'écrans qui étaient refroidis à l'aide de gros ventilateurs), entre août et novembre 1967 à l'atelier recuisson (gants en amiante et joints en amiante qui étaient changés lors de leur détérioration), de décembre 1967 jusqu'en 1973 à l'atelier de découpe (protections pour le verre chaud en toile d'amiante), de 1974 à 1976 au laboratoire sciage et polissage (joints en amiante sur les portes de fours, gants en amiante, plaques et cartons en amiante qui étaient découpés), de 1976 à septembre 1989 au magasin (distribution de produits à base d'amiante) et d'octobre 1989 jusqu'en 1998 à l'atelier à froid des verres spéciaux (découpage et carottage à l'eau de plaques d'asbestolith jusqu'en 1994 et carottage à l'eau des ferrodos contenant 2 % d'amiante jusqu'en 1998).
Certes, la connaissance des facteurs de risque doit être appréciée objectivement au regard du secteur d'activité considéré et des connaissances scientifiques qui, jusqu'à une époque récente, ne retenaient un lien entre certaines maladies et l'inhalation de poussières d'amiante qu'en présence d'un empoussiérage massif dans le cadre d'activités telles que la production d'amiante ou son utilisation comme matière première.
En outre, le décret du 3 octobre 1951 mentionnait dans la liste des travaux susceptibles de provoquer l'asbestose, seule maladie à figurer alors au tableau n º 30 avec certaines complications cardiaques, les seuls travaux relatifs à l'extraction du minerai et à son utilisation pour des travaux de calorifugeage ou comme matière première pour la fabrication notamment d'amiante ciment, de joints en amiante ou de garnitures de friction et de bandes de frein en amiante.
Ainsi, la conduite de fours, les travaux d'équipement, d'entretien ou de maintenance effectués sur les matériels revêtus ou contenant des matériaux à base d'amiante et les travaux d'usinage ou de découpe de matériaux contenant de l'amiante, tels ceux exécutés au sein de la SAS CORNING, n'ont figuré au tableau n º 30 des maladies professionnelles que depuis la promulgation du décret du 22 mai 1996.
Cependant, le décret du 17 août 1977, relatif aux mesures d'hygiène applicables dans les locaux où le personnel est exposé à l'inhalation de poussières d'amiante du fait de travaux de manipulation ou de transformation de cette substance, fait obligation à l'employeur de vérifier, au moins une fois tous les trois mois, que la concentration moyenne dans l'atmosphère inhalée par un salarié pendant sa journée de travail ne soit pas supérieure à deux fibres d'amiante par millilitre, de s'assurer également que les déchets susceptibles de contenir ce produit soient conditionnés de manière à ne pas provoquer d'émission de fibres ou encore de remettre à toute personne affectée à de tels travaux des consignes écrites à propos notamment des précautions à prendre pour éviter les risques encourus.
Il importe également de rappeler que la loi du 12 juin 1893 et son décret d'application du 10 mars 1894 ont instauré une réglementation plus générale prévoyant que les substances dangereuses pour la santé des travailleurs doivent être évacuées directement en dehors de l'atelier au fur et à mesure de leur production et que l'article R 232-5-7 quatrième alinéa du code du travail dispose que les installations de captage et de ventilation doivent être réalisées de telle sorte que les concentrations dans l'atmosphère ne soient dangereuses en aucun point pour la santé et la sécurité des travailleurs et restent inférieures aux valeurs limites fixées à l'article R. 232-5-5.
Ainsi, le décret du 17 août 1977 doit être considéré comme un instrument de détection des dysfonctionnements les plus graves et vient seulement compléter la législation plus générale et beaucoup plus ancienne relative à la protection des travailleurs contre les poussières sur les lieux du travail, de sorte que tout employeur qui se soustrait à l'une ou l'autre de ces réglementations a nécessairement conscience d'exposer le salarié à un risque, indépendamment des pathologies dont il est aujourd'hui admis qu'elles peuvent être occasionnées par un empoussièrement même léger de particules d'amiante.
Dès lors, il suffit de rechercher si la SAS CORNING a manqué aux obligations mises à sa charge par l'un ou l'autre des textes susvisés, peu important qu'elle n'ait été ni fabricant ni utilisateur d'amiante comme matière première, ou qu'elle justifie que les quantités utilisées n'aient pas excédé 14 tonnes par an avant l'entrée en vigueur du décret du 17 août 1977, et non plusieurs centaines de tonnes comme retenu à tort par le premier juge, que ces quantités n'aient ensuite cessé de décroître en raison des mesures mises en oeuvre ou encore que l'approvisionnement ait été modifié sous l'impulsion de la société FERLAM qui lui a proposé, dès la parution ce texte, des produits garantis en amiante stabilisé.
Or, il est établi, à l'examen des témoignages de MM. E..., G...et H..., que M. Alain X... a transporté sans précautions particulières des produits à base d'amiante dans un véhicule ordinaire, que ces derniers ont été stockés, et pour certains découpés avec des ciseaux avant d'être livrés à leurs utilisateurs finaux, dans un magasin ne disposant d'aucune ventilation, ni d'aucun système d'aspiration mécanique, qu'enfin le seul mode de nettoyage disponible consistait à passer le balai.
Il ressort des procès-verbaux de la commission spéciale amiante du CHSCT que cette dernière a été créée en 1982 de manière à veiller aux objectifs fixés par le décret du 17 août 1977 (recensement des postes de travail utilisant l'amiante, stockage des produits, aspiration des poussières, évacuation des déchets, désignation du personnel concerné …), lesquels n'étaient manifestement pas atteints à l'époque et ne l'étaient encore qu'imparfaitement en 1983 puisque ces documents font état de postes mal utilisés, mal équipés ou encore non aménagés, de chutes non récupérées ou de déchets non déposés dans des conditionnements hermétiques, de mesures d'empoussièrement d'amiante certes inférieures à la norme dans certains locaux (TV) mais non étendues à tous les lieux où l'amiante était travaillé, enfin d'une information des personnels concernés à l'état embryonnaire.
Ainsi, il résulte de l'ensemble de ces éléments que la SAS CORNING, malgré les efforts non négligeables accomplis pour se mettre en conformité avec la nouvelle réglementation résultant du décret du 17 août 1977, a laissé M. Alain X... continuer à travailler pendant plusieurs années dans un local exposé aux poussières d'amiante, sans prendre en ce qui le concerne les mesures prescrites non seulement par ce dernier texte mais également par les textes relatifs aux poussières ou substances dangereuses pour la santé des travailleurs.
La SAS CORNING s'est donc abstenue de prendre les mesures prescrites pour préserver M. Alain X... des risques liés aux poussières en général et limiter ceux qui pouvaient être pressentis du fait d'une exposition aux poussières d'amiante en particulier, de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu la faute inexcusable de l'employeur.
Sur la maladie professionnelle liée à la surdité :
Le tableau n º 42 des maladies professionnelles permet la prise en charge, dans un délai d'un an après la cessation de l'exposition au risque, de toute atteinte auditive caractérisée par un déficit d'au moins 35 décibels sur la meilleure oreille lorsque le salarié a été notamment exposé, pendant au moins un an, à des travaux de verrerie à proximité des fours ou machines de fabrication ou encore au sciage de produits minéraux.
Il résulte de l'enquête administrative que M. Alain X... a travaillé successivement au laboratoire sciage et polissage de 1974 à 1976, puis aux ateliers verres spéciaux (façonnage, polissage et sciage) de 1989 à 2001, et qu'il s'est trouvé exposé, autant dans le laboratoire que dans ce dernier atelier, à diverses sources de bruit émanant de machines sur lesquelles il était amené à travailler tour à tour, telles que carotteuse, scie parallèle, doucisseuse ou scie circulaire.
Les mesures effectuées dans les ateliers de façonnage et sciage en 1992 puis dans le laboratoire sciage et polissage en 2002, dont les matériels ne diffèrent pas, selon l'enquête administrative, de ceux présents dans l'atelier verres spéciaux, ont révélé que le niveau sonore d'ambiance était inférieur à 70 db (A), que tous les appareils produisaient, lors de leur utilisation ponctuelle, un bruit inférieur à 90 db (A), seuil de danger fixé pour une exposition permanente de huit heures par jour, à l'exception de la scie, elle-même utilisée par le salarié une vingtaine de minutes par jour, dont le niveau sonore de 91, 5 db A demeurait très inférieur au seuil de danger pour une exposition ponctuelle (140 db A), l'ensemble de ces données amenant l'organisme de contrôle à conclure que le port de protections auditives n'était pas obligatoire.
Il importe également de rappeler que ces normes de lutte contre le bruit n'étaient pas applicables à l'époque où M. Alain X... travaillait au laboratoire sciage et polissage entre 1974 et 1976 et que celui-ci a par ailleurs cessé d'être exposé au bruit pendant plus d'un an, lors de son emploi au magasin entre 1976 et 1989, de sorte qu'il ne saurait être fait grief à l'employeur de n'avoir pas effectué de mesures à l'occasion de cette première exposition au bruit dont le lien avec la maladie professionnelle, reconnue en 2002 seulement, ne peut être retenu.
Par ailleurs, en présence de mesures effectuées avec des appareils agréés, le premier juge pouvait difficilement se fonder sur les appréciations, nécessairement approximatives et subjectives de certains salariés, camarades de travail de M. Alain X..., qui ont attesté que le bruit était intense et constant compte tenu du nombre de machines tournant parfois en même temps, à tel point qu'il fallait s'arrêter de travailler pour s'entendre.
Enfin, le jugement entrepris ne pouvait reprocher à la SAS CORNING de n'avoir pas veillé au port effectif des bouchons d'oreille qui, selon les salariés et le médecin du travail lui-même, étaient mis à la disposition de M. Alain X... qui aurait été réticent à les porter, alors que les mesures n'ont pas mis en évidence une exposition sonore quotidienne dépassant le niveau de 90 db (A) au-delà de laquelle l'employeur est tenu non pas seulement de fournir des protecteurs individuels (seuil supérieur à 85 db A) mais de prendre toutes dispositions pour qu'ils soient réellement utilisés.
Ainsi, il n'est pas établi que l'employeur s'est abstenu, en violation de la réglementation applicable, de prendre les mesures propres à préserver le salarié du risque lié au bruit, de sorte qu'il convient d'écarter sa faute inexcusable et d'infirmer sur ce point le jugement entrepris.
Sur l'indemnisation des préjudices :
En application des articles L. 452-1 et suivants du code de la sécurité sociale, lorsque l'accident du travail est dû à la faute inexcusable de l'employeur, la victime a droit à une réparation complémentaire de son préjudice consistant notamment en l'indemnisation des souffrances physiques et morales endurées, et de son préjudice d'agrément.
Les consorts X... ne peuvent, sans se contredire, tout à la fois admettre que l'imputabilité du suicide de M. Alain X... aux conditions de travail ne peut être retenue, ce qui les amène à ne solliciter que la réparation du préjudice personnel subi par celui-ci et entré dans sa succession, et prétendre que l'indemnité demandée au titre des souffrances physiques et morales endurées est notamment justifiée au regard du syndrome anxio-dépressif majeur l'ayant conduit à mettre fin à ses jours.
À cet égard, le rapport d'évaluation du taux d'incapacité résultant de l'exposition à l'amiante, établi le 17 février 2003 et transmis par le service médical à M. Alain X... à sa demande, relève que les épaississements pleuraux sont sans véritable retentissement fonctionnel respiratoire et que les symptômes dont se plaint la victime (oppression et douleurs thoraciques, dyspnée aux efforts importants) sont à considérer dans le cadre d'une personnalité angoissée qui est suivie au plan neurologique avec prise régulière de Témesta et de Mépronizine.
En outre, l'incapacité attribuée à M. Alain X... du fait des deux maladies professionnelles demeure limitée, notamment en ce qui concerne les plaques pleurales (2 %), et n'explique pas en toute hypothèse le licenciement pour inaptitude totale au travail intervenu le 14 octobre 2004 après une très longue absence, tandis que les véritables conséquences de l'accident du travail du 5 décembre 2001 demeurent incertaines au regard des comptes-rendus des consultations de pathologie professionnelle effectuées par la victime auprès de l'hôpital Fernand WIDAL et n'ont donné lieu, en l'état des documents produits, à l'attribution d'aucune rente d'incapacité.
Il n'apparaît pas qu'une expertise médicale sur pièces soit de nature, compte tenu de ces incertitudes, à apporter de plus amples éléments d'information permettant d'apprécier l'étendue des préjudices personnels auxquels ouvre droit la reconnaissance des deux fautes inexcusables de l'employeur.
Ainsi, prenant en considération les éléments ci-dessus développés et faisant abstraction des conséquences de la surdité reconnue non imputable à la faute inexcusable de l'employeur, la Cour estime excessives les indemnités allouées par le premier juge aux consorts X... et en réduira le montant à 10 000 € pour les souffrances physiques et morales endurées et à 10 000 € pour le préjudice résultant de la perte ou de la diminution des agréments mêmes ordinaires de la vie.
En application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, il est équitable de condamner la SAS CORNING à payer aux consorts X... une somme globale de 2500 € en compensation des frais qu'ils ont été contraints d'exposer pour faire valoir leurs droits en justice tant en première instance qu'en appel.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Réforme le jugement rendu le 18 septembre 2007 par le Tribunal des affaires de sécurité sociale d'Orléans ;
Dit que seuls l'accident du travail du 5 décembre 2001 et la maladie professionnelle liée à l'inhalation de poussières d'amiante sont dus à la faute inexcusable de la SAS CORNING ;
Fixe ainsi qu'il suit la réparation des préjudices personnels subis par M. Alain X... ensuite de cet accident et de cette maladie professionnelle :
- au titre des souffrances physiques et morales endurées, la somme de 10 000 € (Dix mille euros) de dommages-intérêts ;
- au titre du préjudice d'agrément, la somme de 10 000 € (dix mille euros) de dommages-intérêts ;
Ordonne, en tant que de besoin, la restitution par les consorts X... à la Caisse Primaire d'assurance maladie du Loiret des sommes versées au titre de l'exécution provisoire du jugement et excédant les montants fixés ci-dessus ;
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré inopposable à la SAS CORNING la prise en charge de l'accident du travail et des maladies professionnelles, ainsi que toutes leurs conséquences financières, y compris en réparation de la faute inexcusable, et a dit que la Caisse Primaire d'assurance maladie du Loiret conservera la charge définitive des sommes fixées en réparation des préjudices et dont elle fera l'avance ;
Condamne la SAS CORNING à payer aux consorts X... la somme de deux mille cinq cents euros (2500 €) au titre de ses frais irrépétibles exposés tant en première instance qu'en appel.
Et le présent arrêt a été signé par Monsieur GARNIER, Président et Madame CHEVREAU, faisant fonction de Greffier, présent lors du prononcé.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Orléans
Formation : Ct0169
Numéro d'arrêt : 134
Date de la décision : 24/09/2008

Références :

Décision attaquée : Tribunal des affaires de sécurité sociale d'Orléans, 18 septembre 2007


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.orleans;arret;2008-09-24;134 ?
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