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27/03/2008 | FRANCE | N°07/00894

France | France, Cour d'appel d'Orléans, 27 mars 2008, 07/00894


COUR D'APPEL D'ORLÉANS
CHAMBRE COMMERCIALE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE



GROSSES + EXPÉDITIONS
la SCP LAVAL-LUEGER
Me Estelle GARNIER
Me BORDIER
la SCP DESPLANQUES DEVAUCHELLE

27/03/2008
ARRÊT du : 27 MARS 2008


No :

No RG : 07/00894

DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : Tribunal de Commerce de TOURS en date du 02 Mars 2007

PARTIES EN CAUSE

APPELANTE :
Earl DOMAINE DE LA COMMANDERIE, La Commanderie - 37220 PANZOULT
représentée par la SCP LAVAL-LUEGER, avoués à la Cour
ayant pour avocat le Cabinet SOULEZ-LARI

VIERE & Associés du barreau de PARIS.
D'UNE PART

INTIMÉES :
Sas SYNGETA AGRO prise en la personne de son Président, domicilié en cette ...

COUR D'APPEL D'ORLÉANS
CHAMBRE COMMERCIALE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE

GROSSES + EXPÉDITIONS
la SCP LAVAL-LUEGER
Me Estelle GARNIER
Me BORDIER
la SCP DESPLANQUES DEVAUCHELLE

27/03/2008
ARRÊT du : 27 MARS 2008

No :

No RG : 07/00894

DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : Tribunal de Commerce de TOURS en date du 02 Mars 2007

PARTIES EN CAUSE

APPELANTE :
Earl DOMAINE DE LA COMMANDERIE, La Commanderie - 37220 PANZOULT
représentée par la SCP LAVAL-LUEGER, avoués à la Cour
ayant pour avocat le Cabinet SOULEZ-LARIVIERE & Associés du barreau de PARIS.
D'UNE PART

INTIMÉES :
Sas SYNGETA AGRO prise en la personne de son Président, domicilié en cette qualité audit siège, 20 rue Marat - 78210 ST CYR L ECOLE
représentée par Me Estelle GARNIER, avoué à la Cour
ayant pour avocat la SELARL HAUSMANN & Associés du barreau de PARIS

COOPERATIVE DES AGRICULTEURS DU CHINONAIS ( COPAC ) prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège, Le Moulin du Pont - 37500 LA ROCHE CLERMAULT
représentée par Me Elisabeth BORDIER, avoué à la Cour
ayant pour avocat la SCP COTTEREAU-MEUNIER du barreau de TOURS

Société ISK BIOSCIENCES EUROPE SA ITT TOWER prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège, 480 avenue Louise - Boîte 12 B 1050 BRUXELLES ( BELGIQUE ) -
représentée par la SCP DESPLANQUES - DEVAUCHELLE, avoués à la Cour
ayant pour avocat la SCP GIDE LOYRETTE NOUEL, du barreau de PARIS

D'AUTRE PART

DÉCLARATION D'APPEL EN DATE DU 06 Avril 2007

COMPOSITION DE LA COUR

Lors des débats et du délibéré :
Monsieur Jean-Pierre REMERY, Président de Chambre,
Monsieur Alain GARNIER, Conseiller,
Monsieur Thierry MONGE, Conseiller.

Greffier :
Madame Nadia FERNANDEZ, lors des débats et du prononcé de l'arrêt.

DÉBATS :

A l'audience publique du 14 FEVRIER 2008, à laquelle, sur rapport de Monsieur RÉMERY, Magistrat de la Mise en Etat, les avocats des parties ont été entendus en leurs plaidoiries.

ARRÊT :

Lecture de l'arrêt à l'audience publique du 27 MARS 2008 par Monsieur le Président REMERY, en application des dispositions de l'article 452 du Nouveau Code de Procédure Civile.

EXPOSÉ :

La Cour statue sur l'appel, interjeté par l'Earl Domaine de la Commanderie suivant déclaration enregistrée au greffe le 6 avril 2007, d'un jugement rendu le 2 mars 2007 par le tribunal de commerce de Tours qui a mis hors de cause la société ISHIAHARA SANGYO KAISHA en constatant qu'elle n'avait pas été assignée, qui a dit la procédure opposable à la société ISK BIOSCIENCES EUROPE, qui a débouté celle-ci de sa demande de nullité de la procédure, et qui a débouté l'Earl Domaine de la Commanderie de tous ses chefs de prétentions.

Pour l'exposé complet des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions des plaideurs, signifiées et déposées

- le 4 décembre 2007 (par l'Earl Domaine de la Commanderie)

- le 10 octobre 2007 (par la Coopérative agricole COPAC)

- le 11 octobre 2007 (par la société ISK BIOSCIENCES EUROPE SA ITT TOWER)

- le 9 janvier 2008 (par la société SYNGETA AGRO).

Dans le présent arrêt, il sera seulement rappelé qu'imputant au désherbant de marque "Mission" acquis auprès de la coopérative des agriculteurs du Chinonais dite "COPAC"un blocage végétatif des vignes qu'elle exploite en A.O.C. "Chinon" sur le territoire des communes de Cravant les Vignes et de Panzoult (Indre et Loire), l'Earl Domaine de la Commanderie a obtenu le 26 septembre 2000 du président du tribunal de grande instance de Tours, saisi en référé le 21 septembre, la désignation d'un expert judiciaire en la personne de monsieur X... au contradictoire de la COPAC, laquelle a elle-même assigné d'heure à heure le lendemain devant ce magistrat la société de droit japonais ISHIAHARA SANGYO KAISHA dite "ISK' qui est le propriétaire de la molécule active "flazasulfuron", la société de droit belge ISK BIOSCIENCES EUROPE SA ITT TOWER dite "I.B.E." qui en est l'importateur et qui l'utilise pour fabriquer l'herbicide, la société ZENECA SOPRA -aux droits de laquelle vient désormais la société SYNGETA AGRO- qui le conditionne et le distribue en France sous les appellations "Mission" et "Katana", et la société ZENECA INSURANCE COMPANY, auxquelles le magistrat a le jour même 27 septembre 2001, déclaré communes les opérations d'expertise ordonnées la veille en leur prescrivant d'assister à la réunion prévue sur place le 28 septembre à 9 heures, cette décision désignant en outre monsieur de WARREN en qualité de co-expert ; que les experts ont déposé leur rapport définitif le 30 avril 2003 ; que l'Earl Domaine de la Commanderie a fait assigner par actes des 22 et 23 octobre 2003 la COPAC et la société SYNGETA AGRO devant le tribunal de commerce de Tours afin d'obtenir leur condamnation solidaire à lui payer 82.074 € à titre d'indemnisation de sa perte d'exploitation, au principal sur le fondement du manquement à l'obligation de sécurité prévue aux articles 1386-1 et suivants du Code civil et subsidiairement pour manquement à leur obligation d'information et de conseil; que la COPAC a appelé en intervention forcée et garantie la société I.B.E. par acte délivré le 14 décembre 2003 et la société ISK, à laquelle aucun acte d'assignation ne s'avère avoir été délivré, et que c'est dans ces conditions qu'a été rendu le jugement entrepris.

L'Earl Domaine de la Commanderie demande à la Cour de confirmer la décision déférée en ce qu'elle a retenu que les sociétés ISK et I.B.E. avaient été régulièrement associées à l'expertise et que la procédure était valide à l'égard d' I.B.E. et de l'infirmer pour le surplus en condamnant in solidum les sociétés COPAC, I.B.E. et SYNGETA AGRO à lui payer 82.074 € en réparation de son préjudice et 4.708 € en remboursement du prix du désherbant, outre 30.000€ d'indemnité de procédure.
L'appelante, en substance, argue à titre principal d'un défaut de sécurité du produit "Mission" sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du Code civil -selon elle applicables à la COPAC en l'absence de rétroactivité de la loi du 5 avril 2006 que celle-ci invoque- en soutenant que son utilisation était plus fine et délicate que ne l'indiquait l'emballage, seule indication dont elle affirme avoir bénéficié et qui le présentait comme un désherbant "miracle"efficace sur tous les terrains et quelles que soient les conditions climatiques, alors que l'expertise judiciaire a conclu à l'impossibilité pour certains ceps de métaboliser assez rapidement la matière active de la molécule et que des études scientifiques conduites sur des désordres comparables constatés en 2000 dans le vignoble champenois ont clairement confirmé la phytotoxicité du produit -au point que le fabricant a transigé à grands frais avec des centaines de viticulteurs locaux, ce qui constitue une reconnaissance de responsabilité- le défaut étant en tout état de cause avéré dès lors que le produit porte atteinte à l'intégrité de la plante et met en péril la vendange ; elle affirme en réponse aux objections adverses que ce défaut est bien la cause exclusive de son dommage en niant toute incidence des modalités d'emploi, de la qualité du sol, de l'état sanitaire de ses vignes ou du climat, et elle fait valoir qu'en tout état de cause l'équivalence des conditions retenue en jurisprudence fait que la responsabilité des intimées est engagée quand bien même ce défaut du produit se trouverait en concours avec une ou plusieurs autres causes, voire s'il n'avait été qu'une simple cause aggravante.
À titre subsidiaire, l'Earl Domaine de la Commanderie impute aux sociétés COPAC, I.B.E. et SYNGETA AGRO un manquement à leurs obligations d'information, de conseil et de mise en garde en affirmant qu'il leur appartenait de ne pas vendre ce produit ou de le déconseiller dans les situations où il est inapproprié, et elle se prévaut à cet égard des conclusions des experts judiciaires selon lesquelles elle n'a pas reçu des mises en garde suffisantes.
Dans tous les cas, l'appelante justifie le montant sa demande en affirmant que la déclaration de récolte sur laquelle elle calcule sa perte de récolte est fiable contrairement aux insinuations calomnieuses adverses, et elle rappelle que les experts ont entériné cette évaluation.

La COPAC conclut à la confirmation pure et simple du jugement déféré et sollicite 6.000€ d'indemnité de procédure en faisant valoir qu'ISK n'a en effet jamais été assignée ; qu'I.B.E. est irrecevable en son exception de nullité de l'expertise et de la procédure faute de l'avoir soulevée avant toute défense au fond et à défaut d'établir le grief qu'elle aurait subi à ne pas recevoir une assignation traduite en japonais alors qu'elle est une société belge ; que l'appelante est irrecevable à rechercher sa responsabilité sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du Code civil faute de mise en cause préalable et vaine du fabricant comme prévu par la loi du 5 mars 2006 qui a modifié en ce sens l'article 1386-7, et que pour le cas où ce texte serait écarté il y aurait alors lieu d'appliquer la jurisprudence européenne ; que cette demande est en tout état de cause mal fondée car le produit n'est nullement défectueux puisque les experts concluent à son absence de toxicité directe et que si la cour jugeait le contraire il y aurait alors lieu de l'exonérer quand même en application de l'article 1386-11 car l'état des connaissances ne permettait pas de déceler l'éventuel défaut lorsque le produit fut mis sur le marché ; qu'il n'existe ni lien de causalité avéré ni préjudice propre, alors que les experts concluent au contraire que le "Mission a révélé en 2000 des désordres existants.

La COPAC rejette également l'imputation de manquement à son devoir de conseil en demandant à la cour de retenir comme les premiers juges que les précautions d'emploi étaient clairement inscrites sur l'emballage, que l'appelante n'en a pas tenu compte et qu'en sa qualité de professionnel devant apprécier l'opportunité d'un traitement elle a commis une faute qui est à l'origine du dommage qu'elle allègue.
Elle nie en tout état de cause la réalité d'un dommage propre en soutenant que les vignes étaient en mauvais état sanitaire, épuisées par les précédentes récoltes, et que le préjudice pré-existait.
À titre subsidiaire, pour le cas où sa responsabilité serait retenue, elle demande entière garantie aux sociétés SYNGETA AGRO et I.B.E. en se prévalant de l'opinion des experts selon laquelle celles-ci n'auraient pas prodigué une information et une sensibilisation suffisantes aux distributeurs du désherbant.

La société SYNGETA AGRO conclut à la confirmation du jugement entrepris et réclame 40.000 € d'indemnité de procédure.
Elle soutient que les analyses conduites par les experts judiciaires ont exclu tout défaut du produit, dont l'innocuité est aussi démontrée par son homologation administrative, laquelle n'est accordée qu'aux termes d'essais très sévères ; que les éléments invoqués par l'appelante sont dépourvus de caractère probant car aucun parallèle ne peut être opéré entre les vignobles chinonais et champenois alors qu'au contraire il est éclairant de constater que l'Earl Domaine de la Commanderie est l'unique viticulteur à se plaindre en Touraine où le produit s'est bien vendu, et car l'étude critique invoquée, fondée sur des données connues des experts puisqu'antérieures à 2003 mais que ceux-ci n'ont pas reprises, conclut en termes évasifs que les raisons de la phytotoxicité accidentelle du flazasulfuron dont elle fait état "restent à expliquer".
Elle nie avoir manqué à son devoir d'information en objectant que l'expertise confirme l'existence de notices et plaquettes détaillées et leur connaissance par l'Earl Domaine de la Commanderie, qui selon l'intimée s'en est affranchie.
Elle invoque l'absence de lien de causalité en faisant valoir en droit qu'il n'existe aucune présomption de défectuosité du produit, et en fait que des études récentes conduites par le comité des produits phytosanitaires ont conclu à l'absence de phytotoxicité et qu'il est inexplicable que les experts retiennent un rôle causal du produit au vu de tous les facteurs de causalité qu'ils ont mis en lumière du fait des conditions climatiques, de l'infestation de la vigne par le mildiou et de la méconnaissance des précautions d'emploi, qui suffisent à expliquer le blocage végétatif.
Elle conteste subsidiairement l'existence d'un préjudice indemnisable en objectant que la demande est dépourvue de justificatifs comptables et qu'elle repose sur une déclaration de récolte non contradictoire, tardive, invérifiable et même suspecte car les participants à la réunion tenue le 28 septembre, en pleine vendange, n'avaient envisagé aucun risque de perte de récolte.

La société I.B.E. conclut à la confirmation du jugement entrepris et réclame 40.000 € d'indemnité de procédure.
Elle conteste l'opposabilité de l'expertise à son égard en niant avoir participé à la réunion du 27 septembre 2000 où elle est notée présente, et reproche aux experts d'avoir procédé le 9 janvier 2001 à des prélèvements non contradictoires de rameaux à fins d'analyse, de ne pas lui avoir transmis des documents reçus des autres parties et dont ils ont tenu compte, de ne pas avoir répondu à tous les chefs de la mission notamment du chef de l'étude des données climatiques, géologiques et culturales et de s'être déterminés par voie d'hypothèses, et elle se prévaut d'une contre-analyse de l'INRA qui contredit selon elle les thèses des experts judiciaires.

Elle nie que le "Mission" soit au sens des exigences légales un produit défectueux au regard des circonstances, en observant que l'expertise exclut tout défaut intrinsèque et que la décision administrative d'homologation a été précédée et suivie d'études approfondies qui toutes ont exclu sa phytotoxicité. Elle estime que fait défaut la preuve d'un quelconque lien de causalité entre l'utilisation du produit et les phénomènes constatés, au vu de tous les éléments qui peuvent à eux seuls les expliquer, tels la qualité du sol, le mauvais état sanitaire des ceps et de leur système racinaire et l'épuisement de la vigne du fait des rendements importants antérieurs.
Elle rejette le grief de manquement à son obligation d'information et de conseil en assurant que toutes les indications requises figuraient clairement sur les emballages cartons, plaquettes commerciales, guides et brochures ainsi que les experts l'ont admis, et elle fait valoir qu'en sa qualité de professionnel de la vigne l'appelante était apte à apprécier les précautions d'emploi portées à sa connaissance.

Elle estime que l'Earl Domaine de la Commanderie est par sa faute responsable du dommage qu'elle invoque, et elle conteste l'existence même d'un préjudice indemnisable en mettant en doute la fiabilité de la déclaration de récolte et en rappelant que lors de la réunion tenue le 28 septembre aucun des participants n'avait envisagé une perte et que les experts n'avaient pas estimé devoir compter le raisin encore sur pied pour évaluer la récolte imminente.

L'instruction a été clôturée par une ordonnance du 30 janvier 2008, ainsi que les avoués des parties en ont été avisés.

Par transmission du 15 février 2008, lendemain de l'audience, dont copie à ses contradicteurs, l'avoué de la société I.B.E. a adressé à la cour deux pièces numérotées 19 et 20, sur quoi l'avoué de l'Earl Domaine de la Commanderie a demandé par courriers contradictoires des 15 et 19 février que ces deux pièces soient écartées des débats au motif qu'elles n'avaient pas été communiquées.

A l'issue des débats, le président d'audience a indiqué aux parties que l'arrêt serait rendu le 27 mars 2008.

MOTIFS DE L'ARRÊT :

Attendu qu'il n'est pas justifié par la société I.B.E. d'une transmission en temps utile des pièces no19 et 20 adressées en cours de délibéré à la cour avec un bordereau de communication daté du 15 février c'est à dire postérieur à l'ordonnance de clôture ; qu'il y a donc lieu d'écarter des débats ces deux pièces et la note qui les accompagnait ;

Attendu ensuite que la coopérative COPAC est mal fondée en son moyen d'irrecevabilité tiré de l'article 1386-7 du Code civil et tenant à ce que l'action ne pourrait être exercée à son encontre sur le fondement du régime de responsabilité des produits défectueux puisque le fabricant du produit litigieux est identifié, dès lors que cette disposition légale a été introduite par la loi no2006-46 du 5 mars 2006, non susceptible de s'appliquer à une situation juridique acquise et à une instance initiée antérieurement à son entrée en vigueur, ainsi que le commandent l'article 2 du Code civil et le principe de sécurité juridique qui est le corollaire de l'exigence de procès équitable posée à l'article 6§1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Attendu encore que tout en protestant contre les conditions dans lesquelles elle a été amenée à participer à l'expertise judiciaire et tout en maintenant des contestations sur le caractère selon elle non contradictoire, tardif ou non probant de certaines opérations des techniciens, la société I.B.E. ne reprend pas devant la cour les demandes qu'elle avait formulées avant toute défense au fond devant les premiers juges tendant à voir dire qu'elle n'avait pas été attraite en la cause selon les règles légales et à voir déclarer nulles à son égard l'ordonnance de référé du 27 septembre 2000 ainsi que les opérations d'expertise et procédure au fond subséquentes ; qu'elle sollicite la confirmation du jugement entrepris, lequel l'a déboutée de ces chefs de prétentions ; que la cour n'a donc pas à statuer sur ce moyen de nullité, dont elle n'est pas saisie;

Attendu, sur le fond, que l'Earl Domaine de la Commanderie invoque à titre principal la responsabilité du fait des produits défectueux ;

Qu'aux termes de l'article 1386-4 du Code civil, un produit est défectueux au sens de ce régime légal de responsabilité lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre et qui s'apprécie en tenant compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation ; qu'en application de l'article 1386-9 de ce même code, c'est au demandeur qu'il incombe de prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage ;

Attendu que l'appelante ne rapporte pas cette preuve en l'espèce ;

Attendu en effet que s'il est certes constant aux débats que certaines vignes exploitées par l'Earl Domaine de la Commanderie et dans lesquelles elle avait employé le désherbant "Mission" ont présenté au printemps et durant l'été 2000 des symptômes atypiques de blocage végétatif et de décoloration du feuillage (cf p.32 du rapport), il n'en résulte aucune présomption de causalité et le demandeur doit rapporter la preuve positive d'un défaut du produit incriminé ;

Attendu en premier lieu que les analyses du produit conduites sous l'autorité des deux experts judiciaires ont démontré sans réfutation ni contestation que la composition de l'herbicide employé était conforme à celle du produit homologué et ont exclu un accident de fabrication (cf p. 14, 42 et 90) ; qu'ainsi, il n'est pas prouvé que le produit aurait présenté un défaut intrinsèque;

Attendu que s'agissant de ses propriétés actives, les experts ont conclu que les désordres observés ne relèvent pas d'une toxicité directe du flazasulfuron sur la vigne (cf p.51);

Qu'aucun caractère probant ne peut être attribué aux trois études universitaires relatives à la question de la phytotoxicité de la molécule flazasulfuron produites par l'appelante (pièces 21,22, 23) dont le domaine est circonscrit à un vignoble champenois qui est différent du terroir chinonais, dont la méthodologie ne peut primer sur les analyses et examens contradictoires très développés et argumentés des experts judiciaires spécifiques aux parcelles litigieuses et dont l'une conclut au demeurant que les phénomènes constatés "restent à expliquer" ;

Qu'est tout aussi dépourvue de caractère probant la circonstance que les fabricants du produit "Mission" auraient conclu avec des viticulteurs champenois un accord transactionnel au vu de doléances portant également sur des symptômes chlorotiques et des perturbations physiologiques apparus après pulvérisation, cette transaction n'étant pas produite de sorte que ses termes demeurent totalement ignorés, concernant un vignoble très différent et paraissant, au vu des quelques pièces versées aux débats, s'être faite sans reconnaissance de responsabilité, de sorte que cet élément ne peut pas même être regardé comme ayant la nature d'un indice ;

Qu'ainsi, aucun défaut du produit n'a été positivement établi ;

Attendu que l'Earl Domaine de la Commanderie invoque les conclusions expertales selon lesquelles les dommages constatés sont dus à des "causes cumulatives" au nombre desquelles "le flazasulfuron est un des éléments à l'origine des désordres" (cf notamment p.74), avec une pluviométrie abondante, un état sanitaire déficient des ceps, une situation des vignes sur un sol asphyxiant, lourd et non drainant et des conditions climatiques défavorables (cf p.91) ;

Attendu cependant que la simple implication du produit dans la réalisation du dommage ne suffit pas à établir son défaut au sens des articles 1386-1 du Code civil, ni le lien de causalité entre ce défaut et le dommage ;

Qu'en l'espèce, les experts -qui ont bien pris soin de rappeler qu'il ne leur appartenait pas d'en tirer les conséquences de droit (cf p. 86)- expliquent qu'ils mentionnent le produit comme l'une des causes cumulatives dans la mesure où la molécule active flazasulfuron qu'il contient a agi comme "révélateur des désordres existants (cf p.53) ; mais attendu qu'il ne s'agit pas là de la démonstration requise du caractère défectueux du produit, laquelle ne peut se déduire de la seule constatation qu'il a été le facteur déclenchant ;

Que de même, si les experts présentent également la molécule comme un facteur aggravant (p.53, repris p.86) en ce que l'emploi du "Mission" exposait la vigne à une contrainte supplémentaire puisqu'elle devait synthétiser de nouvelles molécules chimiques, c'est pour exprimer, comme ils s'en expliquent en réponse à un dire (page 79),que le traitement a pu faciliter ou favoriser l'apparition de désordres physiologiques en relation avec d'autres facteurs de sensibilisation dans le sens où l'on dit qu'une personne fatiguée est plus sensible à la grippe qu'un individu en pleine forme mais que ce n'est pas la fatigue qui est la cause de la grippe ; que cette considération, qu'ils qualifient eux-mêmes au surplus d' "hypothèse de travail", ne caractérise pas davantage par elle-même la preuve d'un défaut avéré du produit au regard des circonstances ;

Attendu ensuite que l'Earl Domaine de la Commanderie ne prouve pas non plus que le dommage qu'elle invoque résulterait d'un manquement des intimées à leur devoir d'information et de conseil ;

Attendu en effet que sont produits aux débats les emballages, plaquettes commerciales, guides et brochures qui décrivaient de façon détaillée les conditions d'utilisation et les précautions d'emploi du désherbant "Mission" ;

Attendu que l'expertise a permis de vérifier que la COPAC a vendu le produit au Domaine de la Commanderie en remettant la brochure technique fournie par le fabricant SOPRA devenue SYNGETA AGRO (p.59) , et que les brochures techniques et commerciales présentent tous les aspects du produit et de son mode d'emploi, que les emballages individuels font référence aux indications portées sur les cartons d'emballage et que les indications sur les cartons sont plus nombreuses et détaillées (p.16) ;

Attendu que les experts judiciaires reproduisent et étudient ces indications en les rattachant aux circonstances de l'utilisation du produit par le Domaine de la Commanderie (p 17 à 19 puis 54 à 56) ; qu'il ressort de ces éléments et de leurs commentaires que l'attention de l'utilisateur était attirée sur la nécessité d'éviter un emploi sur des vignes "en mauvais état sanitaire", ce qui était le cas de celles du Domaine selon les experts (p.54) ; de conduire le traitement "selon la bonne pratique agricole en tenant compte de tous les facteurs particuliers concernant l'exploitation tels que la nature du sol, les conditions météorologiques, les méthodes culturales, les variétés végétales, la résistance des espèces" alors qu'en l'occurrence les experts estiment que les facteurs particuliers n'ont pas été pris en compte (p.54) ; de "ne pas traiter les vignes en conditions difficiles (asphyxie racinaire, mauvais état sanitaire (eutypiose), mauvais enracinement...) avec cette mise en garde que "la détoxification du flazasulfuron par la vigne serait d'autant ralentie", alors que selon les techniciens les vignes du Domaine étaient au printemps 2000 sur certaines parcelles en conditions difficiles, que les risques de détoxification étaient clairement mentionnés et que cette mise en garde s'est révélée exacte (p.55 et p. 56) ; qu'il ne fallait "pas traiter sur un sol gorgé d'eau", ce qui n'a pas été pris en compte (p.55) ; qu'ils estiment globalement que l'appelante a utilisé le produit sans véritablement être sensible et attentive aux limites et précautions d'emploi (p.59) ;

Attendu que les commentaires des co-experts dont l'appelante se prévaut relativement aux conditions de lancement commercial du produit, à l'engouement dont il bénéficia (cf p.57), aux faits que les différents intervenants n'auraient pas eu conscience des limites d'emploi de ce nouveau désherbant, que la connaissance de ce nouveau produit était limitée en cette première année de commercialisation, que les prescripteurs techniques n'auraient pas réellement joué leur rôle de conseil à quelques rares exceptions près (cf p.59) et que les présentations du produit lors de sa mise sur le marché ne mirent pas suffisamment l'exergue sur les conditions d'emploi à respecter strictement, outre qu'elles sont à rapprocher de ce qu'ils disent aussi sur la très large diffusion dont les brochures et documents techniques relatifs au "Mission" firent l'objet auprès des exploitants (cf p.19), constituent des considérations trop générales pour caractériser la démonstration d'un manquement avéré imputable aux intimées ou à l'une d'entre elles ;

Qu'il en va ainsi du fabricant et du distributeur, dont les documentations et préconisations d'emploi revêtent nécessairement un caractère standard ; qu'il en va de même de la coopérative COPAC, vendeur du produit qui connaissait certes les particularités globales du vignoble chinonais mais dont l'obligation n'allait pas, en dehors de tout rapport contractuel autre que celui d'une simple vente, jusqu'à devoir s'informer sur ces spécificités sanitaires, géologiques et hydrologiques des vignes du Domaine de la Commanderie dont dépendait l'emploi du désherbant, et que cette dernière, en sa qualité de professionnel averti de la vigne, devait prendre en considération afin d'adapter aux circonstances particulières de son exploitation les conditions d'utilisation du produit ; qu'il est significatif à cet égard de relever que les désordres n'ont atteint que certaines parcelles, et encore seulement partiellement (cf p.20), ce qui corrobore l'importance déterminante en l'espèce de la prise en compte de données extrêmement spécifiques;

Attendu qu'avertie d'avoir à tenir compte des facteurs particuliers de son exploitation, l'Earl Domaine de la Commanderie, qui était à même de les connaître et de les apprécier, n'est pas fondée à imputer aux intimées des désordres survenus en raison de la méconnaissance de ces données ;

Attendu qu'il y a lieu dans ces conditions de débouter l'appelante de tous ses chefs de prétentions et de confirmer le jugement entrepris ;

PAR CES MOTIFS
la Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort :

ÉCARTE des débats les pièces no19 et 20 et la note en délibéré de la société ISK BIOSCIENCES EUROPE SA ITT TOWER

CONFIRME le jugement entrepris

CONDAMNE l'Earl Domaine de la Commanderie aux dépens d'appel ET A PAYER une indemnité de 1.200 € (MILLE DEUX CENTS EUROS) chacune à la Coopérative agricole COPAC, à la société ISK BIOSCIENCES EUROPE SA ITT TOWER et à la société SYNGETA AGRO

ACCORDE à maître GARNIER, à maître BORDIER et à la SCP DESPLANQUES & DEVAUCHELLE, titulaires d'un office d'avoué, le droit à recouvrement direct reconnu par l'article 699 du Code de procédure civile.

Et le présent arrêt a été signé par Monsieur Rémery, Président et Madame Fernandez, Greffier ayant assisté au prononcé de l'arrêt.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Orléans
Numéro d'arrêt : 07/00894
Date de la décision : 27/03/2008

Références :

Décision attaquée : Tribunal de commerce de Tours


Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2008-03-27;07.00894 ?
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