COUR D'APPEL D'ORLÉANS
CHAMBRE COMMERCIALE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE
GROSSES + EXPÉDITIONS
SCP LAVAL-LUEGER
Me BORDIER
ARRÊT du : 13 SEPTEMBRE 2007
No RG : 06 / 03122
DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : Tribunal de Commerce de TOURS en date du 03 Novembre 2006
PARTIES EN CAUSE
APPELANTS :
Monsieur Tony DE B..., demeurant... 37700 LA VILLE AUX DAMES
représenté par la SCP LAVAL-LUEGER, avoués à la Cour
ayant pour avocat la SCP COTTEREAU-MEUNIER, du barreau de TOURS
Monsieur Carlos DE B..., demeurant... 37370 ST PATERNE RACAN
représenté par la SCP LAVAL-LUEGER, avoués à la Cour
ayant pour avocat la SCP COTTEREAU-MEUNIER, du barreau de TOURS
D'UNE PART
INTIMÉS :
Maître Nadine Z... pris en sa qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la SARL CBEM nommée à cette fonction par jugement du Tribunal de Commerce de TOURS en date du 05 octobre 2004,...37043 TOURS
représenté par Me Elisabeth BORDIER, avoué à la Cour
ayant pour avocat la SCP LALOUM-ARNOULT, avocats au barreau de TOURS
MADAME LA PROCUREURE GENERALE,
D'AUTRE PART
DÉCLARATION D'APPEL EN DATE DU 22 Novembre 2006
DOSSIER RÉGULIÈREMENT COMMUNIQUÉ AU MINISTÈRE PUBLIC LE 20 décembre 2006
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats et du délibéré :
Monsieur Jean-Pierre REMERY, Président de Chambre,
Madame Odile MAGDELEINE, Conseiller,
Monsieur Alain GARNIER, Conseiller.
Greffier :
Madame Nadia FERNANDEZ, lors des débats et du prononcé de l'arrêt.
DÉBATS :
A l'audience publique du 06 Septembre 2007, à laquelle, sur rapport de Monsieur RÉMERY, Magistrat de la Mise en Etat, les avocats des parties ont été entendus en leurs plaidoiries.
ARRÊT :
Lecture de l'arrêt à l'audience publique du 13 Septembre 2007 par Monsieur le Président REMERY, en application des dispositions de l'article 452 du Nouveau Code de Procédure Civile.
EXPOSÉ DU LITIGE
La Cour statue sur l'appel d'un jugement rendu le 3 novembre 2006 par le tribunal de commerce de Tours, tel que cet appel est interjeté par MM. Carlos et Tony de B... (les consorts B...), suivant déclaration du 22 novembre 2006, enregistrée au greffe de la Cour sous le no3122 / 2006.
Pour l'exposé complet des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions des parties signifiées et déposées les :
* 24 juillet 2007 (par les consorts de B...),
*26 juillet 2007 (par Me Z..., ès qualités de liquidateur judiciaire de la S. A. R. L. Couverture-bardage-étanchéité-maintenance, ci-après : société CBEM).
Dans le présent arrêt, il sera seulement rappelé ici que, par jugement du 5 octobre 2004, le tribunal de commerce de Tours a mis la société CBEM en liquidation judiciaire et désigné, en qualité de liquidateur, Me Z.... Celle-ci, par actes d'huissier de justice des 18 & 22 novembre 2005, a fait assigner les consorts de B... en comblement de l'insuffisance d'actif et sanctions.
Par le jugement déféré à la Cour dans la présente instance, le tribunal, après avoir validé un rapport de la société d'expertise comptable Fidulor Grant Thornton (société Fidulor), a retenu la gérance de fait de M. Carlos de B..., l'a condamné solidairement avec son fils Tony, gérant de droit, à payer partiellement l'insuffisance d'actif de la société à concurrence de la somme de 100. 000 € et a prononcé à l'encontre des deux dirigeants la sanction personnelle de l'interdiction de gérer pour une durée de 10 ans.
Les consorts de B... ont relevé appel principal, tandis que Me Z... a formé un appel incident sur le montant de la condamnation qu'elle demande à la Cour de porter à la somme de 166. 612,46 € avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation.
En cause d'appel, chaque partie a présenté, plus précisément, les demandes et moyens qui seront exposés et discutés dans les motifs ci-après.
La cause a été communiquée au Procureur général.
L'instruction a été clôturée par ordonnance du magistrat de la mise en état du 28 août 2007, dont les avoués des parties ont été avisés.
Par note conjointe du président et du greffier adressée la veille de la date du présent arrêt, les avoués des parties ont été également avisés que le prononcé de l'arrêt était avancé à cette date.
MOTIFS DE L'ARRÊT
Sur l'annulation, demandée par les dirigeants poursuivis, du rapport Fidulor et ses conséquences éventuelles :
Attendu qu'il résulte des pièces au dossier que la société d'expertise comptable Fidulor a reçu une mission de vérification des comptes, du compte courant de M. Tony B..., des immobilisations et cessions d'actifs et des emplois et salaires ; que cette mission lui a été confiée par une ordonnance sur requête du 4 novembre 2006 signée du président du tribunal de commerce de Tours au visa des articles L. 621-12 du Code de commerce et 31 du décret no 85-1390 du 27 décembre 1985 fixant le tarif des administrateurs et mandataires judiciaires ; que, cependant, le président du tribunal de commerce de Tours, qui n'a pas ordonné ainsi une expertise judiciaire-aucune des règles gouvernant celle-ci n'a d'ailleurs été observée-, mais le dépôt d'un simple rapport d'investigations comptables, n'avait pas, dans la liquidation judiciaire concernant la société CBEM, la qualité de juge-commissaire, qui appartenait exclusivement à M. C... ou à Mme D..., celle-ci comme juge-commissaire suppléant ; que, dès lors, le visa des dispositions de l'article L. 621-12 du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi no 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, qui concerne les pouvoirs généraux de surveillance du juge-commissaire, ne pouvait servir de fondement à la désignation de la société Fidulor ; que, de même, l'article 31 précité n'a pas de rapport avec la question ici litigieuse ; qu'en effet, ce dernier texte n'envisage la désignation par le président du tribunal d'une personne autre qu'un expert que pour l'accomplissement de tâches techniques prévues à l'article L. 814-6 du Code de commerce et qui n'entrent pas dans la compétence habituelle des mandataires judiciaires ; que l'article L. 814-6 lui-même ne se réfère qu'à des tâches techniques effectuées au profit de l'entreprise, ce qui ne recouvre pas une mission d'investigation comptable comme celle de l'espèce ; qu'en conséquence, le rapport dit d'audit déposé par la société Fidulor le 18 janvier 2005, qui n'avait pas été régulièrement saisie d'une mission de justice, doit être annulé ;
Que si cette nullité atteint toutes les parties du rapport, y compris ses annexes composées de diverses pièces tirées des archives ou de la comptabilité de l'entreprise, ces pièces ne sont pas nulles par elles-mêmes, au motif qu'elles auraient été collectées par la société Fidulor ; qu'il en résulte que Me Z... est fondée, en les communiquant et produisant séparément, ce qu'elle fait, à les utiliser dans la présente procédure ;
Sur le bien-fondé de l'appel des consorts de B... :
Sur l'insuffisance d'actif
Attendu que les consorts de B... estiment que l'existence et le montant de cette insuffisance ne sont pas justifiés ; que, cependant, s'agissant du passif, le liquidateur produit l'état même des créances vérifiées, d'où il ressort que le passif s'élève à la somme de 206. 846,01 € ; que, s'agissant de l'actif réalisé, tandis que les consorts de B... ne prétendent pas qu'il subsisterait des actifs résiduels à vendre, Me Z... fait état d'un actif réalisé de 37. 071,51 € ; que, dans sa déclaration de cessation des paiements, (qui constitue, avec ses annexes, la pièce no 8 du liquidateur), M. Tony de B... indiquait lui-même que l'actif à réaliser comprenait pour 47. 852 € des créances clients à recouvrer et la valeur d'un matériel dont la liste exhaustive mentionnait seulement : 2 bureaux,1 armoire de rangement,2 fauteuils,1 ordinateur,1 téléphone / fax,1 tronçonneuse,3 visseuses,1 perceuse et 1 niveau, le tout effectivement vendu aux enchères publiques par un commissaire-priseur pour 1. 332 € ; qu'en toute hypothèse, l'insuffisance d'actif est donc d'au moins 206. 846,01-(47. 852 + 1. 332) = 157. 662,01 €, somme qu'en tout état de cause la cour d'appel n'entend pas dépasser, si elle devait confirmer le principe de la condamnation ;
Sur la direction de fait imputée à M. Carlos de B...
Attendu que M. Carlos de B..., qui exerçait auparavant, en tant qu'artisan, la même activité de bardage, étanchéité et couverture que la société CBEM a déjà été mis deux fois en liquidation judiciaire personnelle, le 12 juin 1990 et le 9 janvier 2001, cette seconde ouverture coïncidant avec la création, selon statuts du 25 janvier 2001, enregistrés le lendemain, de la société CBEM dont, selon une étude prévisionnelle faite par le Centre d'économie rurale pour son compte (pièce no 15 de Me Z...) le 12 janvier 2001, il apparaît qu'elle n'a été constituée que pour prendre aussitôt le contrôle et poursuivre l'activité individuelle de M. Carlos de B... ; que son fils, Tony, jusqu'en octobre 2003, était salarié, à temps complet, chez un architecte dans le département du Loir-et-Cher et a conservé la même activité à temps partiel pendant la dernière année d'existence de la société CBEM ; qu'il n'était pas en mesure de gérer cette société, comme le démontre le fait que, dans les archives de celle-ci, ont été retrouvés de nombreux chèques signés à l'avance en blanc, sa signature étant clairement identifiable au vu des statuts enregistrés ;
Que l'activité de la société CBEM s'exerçant principalement en sous-traitance, quasiment tous les contrats de sous-entreprise étaient signés par M. Carlos de B...-dont la signature est également clairement identifiable au vu des statuts qu'il a signés pour consentir à l'apport fait par son épouse, seule associée apparente de son fils-et, à part un, aucun ne mentionne qu'il aurait ainsi agi en qualité de mandataire ; que pratiquement tous les entrepreneurs principaux ont signalé qu'ils ne traitaient qu'avec M. Carlos de B... qui passait aussi les commandes aux fournisseurs et que, même les deux seules entreprises ayant indiqué qu'elles avaient eu des rapports avec Tony de B... ont précisé qu'elles avaient aussi pour interlocuteur son père ; que c'est encore celui-ci qui mettait fin aux chantiers ; que, dans l'incapacité, en raison de son emploi du temps, où se trouvait Tony de B... de gérer, pendant la plus grande partie de la vie de la société CBEM, celle-ci, c'est son père qui la faisait fonctionner, dépassant ainsi de loin sa position salariée de simple chef d'équipe ;
Que c'est donc à juste titre que le tribunal a retenu qu'il avait dirigé en fait la société CBEM ;
Sur les fautes de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif
Attendu qu'il résulte des pièces communiquées, et ne fait pas l'objet de contestation par les appelants, que, depuis le premier trimestre 2003, voire avant, la société débitrice laissait impayées ses cotisations sociales (URSSAF, caisse de retraite et ASSEDIC), la TVA et la rémunération due à son association de gestion, l'ensemble de ces organismes ayant déclaré une créance globale de l'ordre de 130. 000 €, représentant les 3 / 4 du passif reconnu par M. Tony de B... lui-même dès le dépôt de la déclaration de cessation des paiements plus d'un an et demi après et plus de la moitié de celui vérifié ; que, lors de ce dépôt, le gérant de droit a lui-même admis qu'il n'honorait plus ses factures depuis mars 2003 ; qu'un tel retard aussi long à déclarer un état avéré de cessation des paiements constitue, dans les circonstances de la cause, une faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif par l'accumulation de charges sociales et fiscales durant une très longue période, certaines de ces charges-URSSAF-ayant même donné lieu à des majorations de retard aggravant la dette et à des poursuites en recouvrement par huissier de justice dès la fin du premier semestre 2003, ce qui n'a fait plus réagir les dirigeants ;
Qu'en outre, en janvier 2002, M. Tony de B... avait conclu un contrat de bail mixte, professionnel (pour l'installation du siège de la société CBEM) et d'habitation (pour lui-même), dont le loyer mensuel (733,43 €), ainsi qu'il n'est pas, non plus, contesté, a été pris en charge pour la quasi totalité (610 €) par la société, alors que, à part la surface d'un bureau, les locaux étaient affectés à un usage d'habitation ; que ce second fait constitue aussi une faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif, la société supportant les charges personnelles de l'un de ses dirigeants ;
Qu'encore, et contrairement à ce qu'il soutient, il résulte du Grand Livre Général comptable de la société, que le compte courant de M. Tony de B... présentait toujours un solde débiteur, dont le montant n'a été réduit, mais pas en totalité au demeurant, que par de prétendus apports en nature de matériels, dont la trace n'a pas été retrouvée dans l'inventaire ;
Qu'enfin, si on ne peut reprocher ici à M. Carlos de B... d'avoir mis à disposition de la société CBEM, même si c'est dans des circonstances douteuses, du matériel provenant de son ancienne activité liquidée, constitue, en revanche, une faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif, le fait, pas davantage contesté, d'obtenir de la société CBEM le remboursement de frais de déplacement concernant cette ancienne activité ;
Attendu qu'il résulte de tout ce qui précède que c'est à juste titre que le tribunal a condamné solidairement les consorts B... à supporter l'insuffisance d'actif à hauteur de la somme de 100. 000 €, qu'il n'y a pas lieu d'augmenter sur l'appel incident de Me Z... ; qu'en revanche, il conviendra de préciser que cette somme sera productive d'intérêts à compter, non de l'assignation comme demandée, mais du jugement, en raison du caractère indemnitaire de la condamnation et de la règle énoncée à l'article 1153-1, alinéa 1er du Code civil, à laquelle il n'y a pas lieu de déroger en l'espèce ;
Sur l'interdiction de gérer
Attendu que la non-déclaration de la cessation des paiements dans le délai légal constitue un cas d'interdiction de gérer qu'il convient, comme le premier juge, de retenir ; qu'il sera observé que M. Carlos de B... connaît sa troisième liquidation judiciaire, tandis que son fils n'a pas exercé ses fonctions de gérant, laissant ainsi toute latitude à son père pour poursuivre sa mauvaise gestion ;
Sur les demandes accessoires
Attendu que les dépens d'appel seront supportés solidairement par les consorts B... qui devront verser, en outre, à Me Z... la somme complémentaire de 2. 000 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
STATUANT publiquement, par arrêt contradictoire et rendu en dernier ressort :
INFIRME le jugement déféré en ce qu'il a constaté « la validité du rapport effectué par le Cabinet Fidulor Grant Thornton » et ANNULE le rapport d'audit déposé le 18 janvier 2005 ;
JUGE que Me Z..., ès qualités de liquidateur judiciaire de la S. A. R. L. Couverture-bardage-étanchéité-maintenance (CBEM), est cependant fondée à s'appuyer sur les pièces constituant les annexes de ce rapport, communiquées et produites séparément de celui-ci ;
CONFIRME le jugement en ce qu'il a retenu que M. Carlos de B... avait dirigé en fait la société CBEM, condamné solidairement MM. Carlos et Tony de B... à supporter l'insuffisance d'actif de cette société à concurrence de la somme de 100. 000 €, sauf à préciser que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 3 novembre 2006, date du jugement, et prononcé l'interdiction de gérer de chaque dirigeant pour une durée de 10 ans ;
CONDAMNE solidairement les consorts de B... aux dépens d'appel et à payer à Me Z..., ès qualités, la somme complémentaire de 2. 000 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, s'ajoutant à celle allouée par le premier juge ;
ACCORDE à Me Bordier, titulaire d'un office d'avoué près la cour d'appel, le droit à recouvrement direct reconnu par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile ;
ET le présent arrêt a été signé par M. Rémery, Président et Mme Fernandez, Greffier ayant assisté au prononcé de l'arrêt.