COUR D'APPEL D'ORLÉANS
CHAMBRE COMMERCIALE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE
GROSSES + EXPÉDITIONS
SCP DESPLANQUES-DEVAUCHELLE
Me DAUDÉ
ARRÊT du : 10 JUILLET 2007
No :
No RG : 06/02208
DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : Tribunal de Commerce de TOURS en date du 21 Juillet 2006
PARTIES EN CAUSE
APPELANTE :
SA CLINIQUE CHIRURGICALE DE LA LOIRE nouvelle dénomination de la SA Nouvelle CLINIQUE DE BAGNEUX agissant poursuites et diligences en la personne de son Président du Conseil d'Administration, domicilié en cette qualité audit siège, 85 rue du Pont Fouchard - 49400 BAGNEUX
représentée par Me Jean-Michel DAUDÉ, avoué à la Cour
ayant pour avocat Me G. SULTAN du barreau d'ANGERS
D'UNE PART
INTIMÉE :
EURL PATRICK BRUNEL prise en la personne de son gérant domicilié en cette qualité au dit siège, 19 rue de la Chouetterie - 49400 SAUMUR
représentée par la SCP DESPLANQUES - DEVAUCHELLE, avoués à la Cour
ayant pour avocat Me Jacques-Alexandre GENET, du barreau de PARIS
D'AUTRE PART
DÉCLARATION D'APPEL EN DATE DU 28 Juillet 2006
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats et du délibéré :
Monsieur Jean-Pierre REMERY, Président de Chambre,
Madame Odile MAGDELEINE, Conseiller,
Monsieur Alain GARNIER, Conseiller.
Greffier :
Madame Nadia FERNANDEZ, lors des débats et du prononcé de l'arrêt.
DÉBATS :
A l'audience publique du 10 Mai 2007, à laquelle, sur rapport de Monsieur RÉMERY, Magistrat de la Mise en Etat, les avocats des parties ont été entendus en leurs plaidoiries.
ARRÊT :
Lecture de l'arrêt à l'audience publique du 10 Juillet 2007 par Monsieur le Président REMERY, en application des dispositions de l'article 452 du Nouveau Code de Procédure Civile.
EXPOSÉ DU LITIGE
La Cour statue sur l'appel d'un jugement rendu le 21 juillet 2006 par le tribunal de commerce de Tours, tel que cet appel est interjeté par la Société Clinique chirurgicale de la Loire selon deux déclarations des 28 juillet et 16 août 2006, enregistrées au greffe de la Cour sous le no 2208/2006 et sous le no 2317/2006, les deux déclarations étant jointes par ordonnance du magistrat de la mise en état du 21 septembre 2006.
Pour l'exposé complet des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions des parties signifiées et déposées les :
*16 mars 2007 (par la Société Clinique chirurgicale de la Loire),
*21 avril 2007 (par la société Patrick Brunel).
Dans le présent arrêt, il sera seulement rappelé ici qu'en 2001, la société Nouvelle Clinique de Bagneux, ensuite dénommée Société Clinique chirurgicale de la Loire, a confié à la société Patrick Brunel, agence d'architecture, la réalisation des études nécessaires à la construction, à Saumur, d'un bâtiment à usage de clinique chirurgicale, dans le cadre de la politique publique de regroupement des structures de santé, publique et privée. Des études de faisabilité et un avant-projet ont été présentées en 2001 et 2002, et un dossier de permis de construire a été déposé en 2003. Les honoraires que la société d'architecture avait proposés à sa cliente ne lui ayant pas été réglés et diverses difficultés étant nées entre les parties, la société Patrick Brunel a saisi le tribunal de commerce de Tours d'une demande en paiement par assignation du 7 juin 2005.
Après avoir écarté la demande d'annulation pour dol du contrat d'architecte, soutenue par la Société Clinique chirurgicale de la Loire, le jugement déféré a prononcé sa résiliation aux torts de cette société à la date du 21 janvier 2004 et a alloué à la société Patrick Brunel les sommes de 145.390,87 € et 75.365,88 € en paiement de deux notes d'honoraires, avec intérêts au taux légal à compter du 7 juin 2005 - à capitaliser à compter de l'assignation -, toutes autres demandes étant rejetées.
Appel principal a été interjeté par la Société Clinique chirurgicale de la Loire, un appel incident étant formé par la société Patrick Brunel sur le taux des intérêts applicable et le rejet d'une demande complémentaire de dommages-intérêts.
En cause d'appel, chaque partie a présenté, plus précisément, les demandes et moyens qui seront exposés et discutés dans les motifs ci-après.
L'instruction a été clôturée par ordonnance du magistrat de la mise en état du 2 mai 2007, dont les avoués des parties ont été avisés.
Par note conjointe du président et du greffier adressée la veille de la date du présent arrêt, les avoués des parties ont été également avisés que le prononcé de l'arrêt était avancé à cette date.
MOTIFS DE L'ARRÊT
Attendu que, même si les parties n'ont pas formalisé leurs relations contractuelles dans un écrit, en particulier dans le contrat d'architecte du 25 juillet 2003, qui est demeuré à l'état de projet en l'absence de signature du maître d'ouvrage, l'existence d'une convention entre elles résulte de l'ensemble des nombreuses correspondances qu'elles ont échangées au fur et à mesure de l'avancement des travaux du cabinet d'architecture et n'est pas sérieusement contestée par la Société Clinique chirurgicale de la Loire ;
Que, pour s'opposer à la demande en paiement de ses honoraires formée par la société d'architecture, la Société Clinique chirurgicale de la Loire avance trois moyens essentiels ; qu'elle reproche d'abord à son architecte un mauvais calcul de la surface du terrain indispensable à l'exécution du projet ; que, plus précisément, la réalisation du projet de construction d'un pôle de chirurgie sur le site de l'hôpital public de Saumur, au Vigneau, nécessitait la vente par le Centre hospitalier de cette ville d'une portion de terrain dont, dans un premier temps, l'architecte aurait mal apprécié l'étendue par rapport aux documents d'urbanisme, notamment au plan d'occupation des sols de la ville de Saumur, ce qui aurait occasionné à la Société Clinique chirurgicale de la Loire, dans ses relations avec ses divers partenaires, des difficultés ; que, cependant, dans les différents plans élaborés par l'architecte, celui-ci a toujours mentionné la surface de bâtiments à réaliser ainsi que la surface minimum de terrain correspondante, tandis que c'est la Société Clinique chirurgicale de la Loire qui, avec son géomètre et son notaire, a déterminé en concertation avec le Centre hospitalier public les parcelles que celui-ci devait lui céder ; qu'il n'appartenait pas à l'architecte d'indiquer à son client, qui maîtrisait lui-même le foncier avec l'hôpital public et ses conseils en la matière, quelles parcelles devaient être cédées, ce qui, contrairement à ce que soutient la Société Clinique chirurgicale de la Loire n'était même pas inclus dans les missions fixées par le projet de contrat du 25 juillet 2003 ; qu'autrement dit, dans son travail préparatoire, l'architecte n'a pas commis d'erreur sur la surface de terrain nécessaire, mais c'est la Société Clinique chirurgicale de la Loire qui, elle-même et sans consulter son architecte, a mal déterminé les parcelles dont l'acquisition lui permettait d'obtenir une telle surface, en adéquation avec son projet de construction ; que d'ailleurs, au vu des pièces au dossier, la vente du complément de terrain n'a suscité aucun problème particulier, ni retard dans l'instruction de la demande de permis de construire ;
Que la Société Clinique chirurgicale de la Loire reproche ensuite à l'architecte une sous-évaluation massive du coût de la construction ; qu'il résulte, néanmoins, des pièces au dossier que l'architecte a présenté, dès novembre 2001 et janvier 2002, deux études préalables sur l'approche financière du projet fixant, pour un projet quasi identique dans les deux cas, une enveloppe budgétaire réaliste de l'ordre de 7.500.000 à 7.700.000 € hors taxes et hors honoraires d'architecte ; que si, dans le projet de contrat d'architecte, il est exact que le montant total des travaux a été limité à 5.700.000 € HT environ, étant toutefois déjà relevé que le projet de contrat précisait que l'architecte rechercherait et appliquerait les meilleurs solutions afin de respecter cet objectif financier, il n'en ressort pas que l'architecte aurait trompé son client sur le coût réel des travaux, en les sous-estimant ainsi grossièrement, ou n'aurait pas accompli son devoir de conseil à cet égard, dès lors que la société Brunel a, en fait, toujours travaillé sur la même base, au vu et au su de son client, sans rien changer d'essentiel à son projet correctement évalué dès l'origine, et en parfait accord avec son client qui ne pouvait imaginer que le même projet, sur lequel la Société Clinique chirurgicale de la Loire était régulièrement informée jusqu'à demander à son architecte de déposer en urgence la demande de permis de construire sur la même base, pourrait être réalisé dans le cadre d'un budget global réduit d'un quart, sans aucune modification ; qu'en réalité, la Société Clinique chirurgicale de la Loire, qui éprouvait des difficultés avec ses partenaires financiers et l'Agence régionale d'hospitalisation des Pays de Loire, souhaitait présenter un projet financièrement acceptable pour eux, sans pour autant apporter quelque modification que ce soit à son projet sur le plan technique et a donc délibérément demandé à son architecte de minorer le coût global des travaux pour en faire une présentation plus avantageuse dans le cadre des négociations très incertaines qu'elle menait alors, au point, en janvier 2004, d'en informer son architecte pour l'inviter à interrompre temporairement ses études en raison des négociations en cours et de la recherche d'un financement en adéquation avec le coût réel des travaux ; qu'on observera d'ailleurs que la Société Clinique chirurgicale de la Loire, qui ne conteste pas avoir reçu les multiples correspondances que lui adressait son architecte sur l'évolution de ses études, correspondances lui révélant clairement que le projet initialement chiffré à hauteur de 7.500.000 à 7.700.000 € ne subissait aucune modification sensible, de sorte qu'elle ne pouvait ignorer que la minoration de prix de 25 % était artificielle, n'a commencé à se plaindre de l'activité de son architecte qu'en 2004, tandis que, dans le même temps, suivant les articles de journaux versés aux débats, on relève qu'à aucun moment, les dirigeants de la société Clinique chirurgicale de la Loire n'ont imputé, comme ils le font maintenant dans leurs conclusions, à leur architecte les difficultés réelles qu'ils ont rencontrées avec le Centre hospitalier de Saumur ; que le coût réel des travaux estimé dès le départ par l'architecte était d'ailleurs de notoriété publique, puisque, dans une coupure de presse également versée aux débats (pièce no 51 de l'architecte), le directeur de l'hôpital public fait état des "7 millions d'euros de travaux destinés à accueillir un promoteur privé", chiffre encore confirmé récemment par la presse, même si une société dénommée Hospi Développement France vient prétendre, en un feuillet et demi, dépourvu de toute analyse approfondie et sans aucun justificatif, que le coût réel des travaux dépasserait en fait les 11.000.000 € ; que la Société Clinique chirurgicale de la Loire, qui était parfaitement informée de l'évaluation réelle fin 2001-début 2002 ne peut donc reprocher à son architecte de lui avoir sciemment caché le coût des travaux, sur la base duquel il a toujours travaillé, en accord avec elle ; que ce n'est pas, enfin, le rapport établi tardivement - en février 2007 - et produit seulement le 16 mars 2007 par M. Z..., se présentant comme architecte d'intérieur, sans aucune compétence particulière, par conséquent, dans le domaine de la construction hospitalière, qui peut faire douter de la qualité du travail de la société Brunel ; qu'autrement dit, les contraintes financières de la Société Clinique chirurgicale de la Loire ne sont jamais entrées dans le champ contractuel, cette société, connaissant le coût réel des travaux nécessaires, n'ayant, en fait, jamais demandé à son architecte de refaire tout son projet de construction en fonction de la forte réduction de budget qu'elle évoquait pour lui permettre de négocier ;
Qu'enfin, la Société Clinique chirurgicale de la Loire ne démontre pas que le délai de réalisation d'environ 20 mois promis par la société Brunel n'était pas praticable ;
Attendu qu'il résulte de tout ce qui précède que la Société Clinique chirurgicale de la Loire ne rapporte pas la preuve que son architecte l'aurait trompée ou aurait manqué à son obligation de conseil à son égard et, dès lors, sa demande d'annulation du contrat d'architecte pour dol ou de résiliation aux torts exclusifs de l'architecte ne peuvent être accueillies, la Société Clinique chirurgicale de la Loire étant tenue de verser des honoraires correspondant à l'exécution de la mission confiée à l'architecte et accomplie par lui jusqu'au 21 janvier 2004 ;
Qu'en l'absence de tout contrat signé et, par conséquent, d'accord certain du client sur le montant exact des honoraires dus, c'est au juge qu'il appartient, dans un contrat de louage d'ouvrage, de fixer la rémunération du prestataire en fonction des éléments de la cause et de l'importance du service rendu ; que, compte tenu du travail accompli en l'espèce, de l'état d'avancement des travaux de l'architecte, qui a effectué une étude de faisabilité, approché l'enveloppe financière réelle, établi un avant-projet précis et détaillé qui a permis la délivrance, sans obstacle, du permis de construire, ce qui écarte les critiques de l'architecte d'intérieur de la Société Clinique chirurgicale de la Loire, préparé la consultation des entreprises, la Cour dispose des éléments suffisants pour fixer la rémunération de la société Brunel à la somme globale de 200.000 € TTC ; que cette somme ne produira intérêts qu'au taux légal - et non conventionnel, comme demandé, en l'absence de tout écrit le fixant - à compter du 7 juin 2005, date de l'assignation introductive de l'instance devant le premier juge, valant seule mise en demeure en l'espèce, l'architecte ne justifiant par aucun accusé de réception qu'il aurait adressé une mise en demeure antérieure à son client, cette preuve, en l'absence de l'avis de réception, ne résultant pas de la production d'une simple lettre indiquant qu'elle serait expédiée en recommandé ; que la capitalisation des intérêts sera accordée à compter du 7 juin 2006 ;
Que, par ailleurs, la société Brunel ne rapporte aucune preuve de ce qu'elle aurait subi, indépendamment du retard de paiement de ses honoraires, un préjudice économique ou d'image, ses affirmations sur l'embauche d'un salarié supplémentaire, l'absence d'augmentation de salaire ou d'investissement, l'atteinte à son image dans le domaine de la construction hospitalière n'étant appuyées d'aucune pièce quelconque ; que si, par conséquent, la société Brunel n'est en rien responsable des préjudices qu'invoque la Société Clinique chirurgicale de la Loire pour avoir dû modifier son projet d'implantation en fonction des exigences du Centre hospitalier de Saumur ou de l'Agence régionale d'hospitalisation, elle-même ne peut prétendre à dommages-intérêts, mais seulement au paiement des honoraires fixés par le présent arrêt ;
Sur les demandes accessoires
Attendu que l'essentiel des prétentions de la Société Clinique chirurgicale de la Loire étant rejeté, elle supportera les dépens et, à ce titre, sera tenue de verser à son architecte la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
STATUANT publiquement, par arrêt contradictoire et rendu en dernier ressort :
CONFIRME le jugement entrepris, sauf en ce qui concerne le montant des honoraires de la société Patrick Brunel ;
RÉFORMANT sur ce seul point, CONDAMNE la Société Clinique chirurgicale de la Loire à payer à la société Patrick Brunel la somme globale de 200.000 € TTC, à titre de tous honoraires d'architecte, avec intérêts au taux légal à compter du 7 juin 2005, lesquels intérêts seront capitalisés, dans les conditions de l'article 1154 du Code civil, à compter du 7 juin 2006 ;
CONDAMNE la Société Clinique chirurgicale de la Loire aux dépens d'appel et à payer à la société Patrick Brunel la somme complémentaire de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, en remboursement de ses frais hors dépens exposés en appel ;
ACCORDE à la SCP Desplanques-Devauchelle, titulaire d'un office d'avoué, le droit à recouvrement direct reconnu par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile ;
ET le présent arrêt a été signé par M. Rémery, Président et Mme Fernandez, Greffier ayant assisté au prononcé de l'arrêt.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT