COUR D'APPEL D'ORLÉANS
CHAMBRE DE LA FAMILLE
ARRÊT du : 08 AOUT 2006 No : No RG : 05/01619
Grosses + Expéditions
la SCP LAVAL-LUEGER
Me Estelle GARNIER
APPEL d'un jugement du Juge aux affaires Familiales du Tribunal de Grande Instance de TOURS en date du 14 mars 2005.
PARTIES EN CAUSE :
APPELANT
Louis X..., né le 04 Octobre 1942 à COLOMB BECHAR (ALGERIE)
...
37550 ST AVERTIN
Représenté par la SCP LAVAL-LUEGER, avoués à la Cour
Assisté de la SCP CHAUTEMPS, avocats au barreau de TOURS
INTIMÉE
Messaouda Y... épouse X...
...
37550 ST AVERTIN
Représentée par Me Estelle GARNIER, avoué à la Cour
Assistée de la SCP CONSEILS SYNERGIE, avocats au barreau de TOURS
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2005/005294 du 08/12/2005 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de ORLEANS)
COMPOSITION DE LA COUR :
Monsieur GOUILHERS, Conseiller faisant fonction de Président de Chambre, désigné par ordonnance du Premier Président en date du 22 décembre 2005,
Madame GONGORA, Conseiller,
Monsieur PICQUE, Conseiller,
Les débats ont eu lieu en Chambre du Conseil le 09 Mai 2006 après rapport de Monsieur GOUILHERS, Président de Chambre.
L'arrêt a été prononcé, en audience publique, le HUIT AOUT DEUX MILLE SIX (08/08/2006), par Monsieur GOUILHERS, Conseiller faisant fonction de Président de Chambre, qui a signé la minute.
La Cour a été assistée lors des débats par Madame PIERRAT, Greffier et lors du prononcé de l'arrêt par Madame DUVAL, Adjoint assermenté faisant fonction de Greffier.
Vu le jugement contradictoire rendu entre les parties le 14 mars 2005 par le Tribunal de Grande Instance de TOURS, dont appel ;
Vu les conclusions déposées le 24 avril 2006 par Louis X..., appelant, incidemment intimé ;
Vu les conclusions déposées le 28 mars 2006 par Messaouda Y... épouse X..., intimée, incidemment appelante ;
LA COUR,
Attendu que Louis X... est régulièrement appelant d'un jugement du 14 mars 2005 par lequel le Tribunal de Grande Instance de TOURS a :
- prononcé le divorce des époux A... aux torts du mari par application de l'ancien article 242 du Code Civil,
- condamné Louis X... à payer à Messaouda Y... la somme de 2 000 € à titre de dommages et intérêts par application de l'ancien article 266 et de l'article 1382 du Code Civil,
- débouté Messaouda Y... de sa demande de provision ad litem,
- condamné Louis X... à payer à Messaouda Y... pour sa contribution à l'entretien et à l'éducation de leurs deux enfants majeurs, une pension alimentaire mensuelle de 300 € pour chacun d'eux, soit en tout 600 € par mois,
- condamné le même à lui payer la somme de 70 000 € à titre de prestation compensatoire,
- rejeté les demandes de remboursement concernant les enfants présentée par Messaouda Y... ;
Attendu, sur la demande principale en divorce de la femme, que celle-ci reproche à son conjoint d'avoir exercé de façon habituelle sur elle et sur leurs enfants des violences physiques et morales, d'avoir détourné des fonds communs à son profit personnel ainsi que d'avoir violé son devoir de fidélité en vivant maritalement avec une autre femme dont il a eu deux enfants ;
Attendu, sur le premier de ces trois griefs, que l'intimée verse aux débats deux certificats médicaux des 18 mars 1994 et 14 avril 2001 dont il ressort qu'elle présentait des hématomes et contusions multiples à la suite de coups reçus ;
que dans une attestation du 13 mai 2002, le Docteur B... rapporte avoir donné ses soins à plusieurs reprises à Messaouda Y... à la suite de coups reçus dans le cadre de conflits familiaux ;
que Pierre C... et Liliane D... épouse E... attestent avoir dû l'un et l'autre recueillir chez eux de façon inopinée l'intimée qui fuyait les sévices que lui infligeait son époux ;
que Georgette F... épouse G... atteste également avoir constaté que Louis X... abreuvait quotidiennement sa femme d'insultes et de reproches et qu'il lui portait fréquemment des coups, Messaouda Y... s'étant d'ailleurs réfugiée chez elle à plusieurs reprises pour échapper à la violence de son conjoint ;
qu'enfin le 19 décembre 2001, le Juge des Enfants de TOURS a ordonné le placement provisoire des enfants Nadia et Karim en refusant tout droit de visite au père en raison du climat de violence qu'il faisait régner au sein de la famille ;
Attendu que la réunion de ces divers éléments permet à la Cour de considérer que la preuve des violences physiques et morales imputées à l'appelant par son épouse est rapportée, Louis X... qui se borne à dénier les faits qui lui sont reprochés ne fournissant aucune explication sur la répétition des lésions médicalement constatées sur le corps de sa femme ni sur les déclarations précises et concordantes des témoins précités, tous voisins du couple ;
Attendu par ailleurs que Louis X... verse lui-même aux débats les actes de naissance des enfants Nizar et Adam, issus de sa relation avec la dame Fatma ZAAF les 28 avril 2004 et 13 juin 2005 et qu'il a reconnus ;
qu'il est ainsi établi qu'il a gravement manque à l'obligation de fidélité entre époux ;
Attendu en conséquence, et sans qu'il soit nécessaire d'examiner le second grief articulé par l'intimée contre son époux qui a trait à des difficultés liées à la gestion du patrimoine commun qui devront trouver leur solution dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial, qu'il échet de confirmer la décision critiquée en ce qu'elle a accueilli la demande principale en divorce de la femme ;
Attendu, sur la demande reconventionnelle en divorce du mari, que celui-ci reproche à son épouse d'avoir abandonné le domicile conjugal sans raison ainsi que d'avoir détourné les recettes du magasin qu'ils exploitaient ensemble, de lui avoir laissé assumer seule les dettes communes et notamment les dettes fiscales ;
Attendu, sur le premier de ces griefs, qu'eu égard aux violences physiques et morales habituelles qu'elle subissait de la part de son mari ainsi qu'elle en a rapporté la preuve, le fait pour Messaouda Y... d'avoir quitté le domicile conjugal sans y être judiciairement autorisée le 11 décembre 2001 ne saurait être considéré comme fautif dès lors qu'elle n'avait pas d'autre moyen pour assurer sa propre sécurité ;
que ce grief ne peut donc être retenu ;
Attendu, sur le second grief, que le fait que l'intimée se soit inscrite à l'examen du permis de conduire et qu'elle ait suivi à cet effet, en septembre 2001, les cours d'une auto-école ne constitue pas la preuve des détournements qui lui sont reprochés ;
qu'aucune des pièces versées aux débats ne démontre que l'intimée ait refusé de contribuer aux dettes communes à proportion de ses facultés ;
que ce second grief ne saurait donc être accueilli ;
Attendu qu'il résulte de ce qui précède que sont établis à l'encontre du seul appelant des faits constitutifs de violations graves et renouvelées des devoirs et obligations du mariage rendant intolérable le maintien de la vie commune et que c'est par conséquent à bon droit que le Juge du premier degré a prononcé le divorce à ses torts exclusifs ;
Attendu, sur la demande de dommages et intérêts, que les violences habituelles dont l'intimée a été victime de la part de son mari pendant de très nombreuses années lui ont causé un préjudice moral important qui a été sous-estimé par le Tribunal ;
qu'il y a donc lieu de réformer de ce chef et de condamner Louis X... à payer à Messaouda Y... la somme de 5 000 € à titre de dommages et intérêts par application de l'article 1382 du Code Civil ;
Attendu, sur la contribution du père à l'entretien et à l'éducation des deux enfants communs aujourd'hui majeurs, que s'il a été justifié en première instance de ce que Nadia poursuivait des études supérieures, tel n'est pas le cas en cause d'appel puisque seul un certificat d'inscription à l'université pour l'année 2004-2005 est versé aux débats ;
qu'il n'est pas non plus démontré que cette jeune fille serait toujours à la charge de sa mère ;
que dans ces conditions, la pension alimentaire sera supprimée en ce qui la concerne ainsi que l'appelant le demande, et ce à compter du présent arrêt ;
Attendu, s'agissant de l'enfant Karim, qu'il n'est pas contesté que la mère en assume toujours la charge, mais que l'appelant sollicite la réduction de la pension alimentaire à la somme mensuelle de 200 € ;
Attendu que l'intimée, aujourd'hui âgée de cinquante-deux ans, a successivement tenu plusieurs magasins d'alimentation générale avec son époux ;
qu'à la suite de la séparation, elle est sans emploi et qu'étant dépourvue de toute qualification professionnelle il lui sera très difficile de retrouver du travail ;
qu'elle est actuellement sans ressources, ne percevant plus de prestations familiales ;
Attendu que l'appelant a déclaré au fisc, au titre de l'année 2004, des revenus commerciaux pour 10 793 € ainsi que des revenus fonciers et locatifs pour 12 263 €, soit un revenu total de 23 056 € représentant une moyenne mensuelle de 1 921,33 € ;
qu'il fait état de charges importantes constituées comme suit :
- emprunt immobilier 917,00 €
- E.D.F. 278,00 € -------------
Total 1 195,00 €
Attendu cependant que l'emprunt dont s'agit a été contracté le 30 mai 2002 par l'appelant, déjà propriétaire de plusieurs immeubles, alors que les époux étaient autorisés à résider séparément depuis le 15 février 2002 et que l'assignation en divorce avait été délivrée le 4 avril 2002 ;
qu'il n'est donc pas démontré que cet emprunt ait été contracté dans l'intérêt de la famille et qu'il n'y a par conséquent pas lieu d'en tenir compte ;
Attendu sur les dépenses d'électricité qu'il s'agit là d'une charge de la vie courante ;
Or attendu que l'appelant vit en concubinage avec la dame Fatma ZAAF et qu'il est donc censé partager avec elle toutes les charges liées à leur communauté de vie et ce à concurrence de la moitié ;
que les dépenses d'électricité alléguées ne peuvent donc être retenues qu'à hauteur de 139 € par mois ;
Attendu, dans ces conditions, que le jugement entrepris ne pourra qu'être confirmé en ce qu'il a fixé la pension alimentaire due pour l'enfant Karim à la somme mensuelle de 300 € ;
Attendu, sur le caractère rétroactif de la pension alimentaire et le remboursement des dépenses exposées par la mère pour l'entretien et l'éducation des enfants communs, que Messaouda Y... expose que par ordonnance du 15 décembre 2003, Louis X... a été condamné à lui payer une pension alimentaire mensuelle de 200 € par enfant à compter du 1er août 2003, mais qu'elle a assumé leur charge effective depuis le 21 juin 2002 de sorte qu'il y a lieu de réformer la décision attaquée en ce qu'elle lui a refusé la rétroactivité de cette condamnation ;
Mais attendu que le Tribunal n'avait pas le pouvoir de conférer un effet rétroactif à une ordonnance rendue par le Juge aux Affaires Familiales et ayant de surcroît acquis l'autorité de chose jugée ;
qu'à cet égard la Cour n'a pas davantage de pouvoirs ;
que si la demande de l'intimée qui n'est pas clairement formulée porte sur le remboursement des dépenses qu'elle a engagées à ce titre, il lui appartiendra de la faire valoir devant le Juge compétent qui n'est pas celui du divorce ;
que le jugement dont appel sera donc confirmé sur ce point ;
Attendu, sur la prestation compensatoire, que les époux A... sont mariés depuis vingt-trois ans, la durée du mariage ne se réduisant pas à celle de la vie commune et devant seule être prise en considération par application de l'ancien article 272 du Code Civil contrairement à ce que soutient l'appelant ;
que les époux sont respectivement âgés de soixante-trois ans pour le mari et de cinquante-deux ans pour la femme ;
que deux enfants aujourd'hui majeurs sont issus du mariage dont l'un est encore à charge ;
que les revenus respectifs des conjoints ont été ci-dessus analysés ;
Attendu que de 1985 à 1989, l'intimée a exploité sous son seul nom un fonds de commerce d'alimentation générale ;
qu'elle indique avoir en réalité servi de prête-nom à son mari et n'avoir ainsi pas cotisé au régime de retraite des commerçants ;
que quoi qu'il en soit, la responsabilité de verser des cotisations à un régime de retraite lui incombait personnellement pendant cette période ;
qu'après 1989, Louis X... a repris l'exploitation de ce fonds de commerce et soutient avoir employé son épouse en qualité de conjoint collaborateur ;
que l'intimée indique que jamais son mari n'a cotisé pour elle à un régime de retraite et que force est de constater que l'appelant n'est pas en mesure de rapporter la preuve de ce qu'il aurait rempli ses obligations à cet égard ;
qu'ainsi les droits à pension de retraite de l'intimée sont nuls ;
Attendu que l'appelant fait encore valoir que l'exploitation du fonds de commerce aurait permis à son épouse de se constituer des économies importantes ;
que cependant il indique avoir lui-même mobilisé les fonds ainsi placés pour solder les emprunts bancaires contractés pour l'acquisition de plusieurs immeubles, de sorte qu'actuellement l'intimée ne dispose plus de ces capitaux ;
Attendu que l'appelant exerce la profession de commerçant ambulant ;
que ses droits à pension de retraite sont pour l'heure évalués à quelque 700 € par mois;
qu'il perçoit des revenus fonciers et locatifs dont le montant a été précisé supra ;
qu'il y a lieu de prendre en considération le fait qu'il vit en concubinage et partage donc les charges de la vie courante avec une autre personne ;
que de cette relation sont issus deux enfants, observation étant toutefois faite que cette charge nouvelle ne saurait en rien préjudicier aux droits de son épouse dès lors qu'elle a été contractée en violation de l'obligation de fidélité liant les conjoints ;
Attendu que les époux étaient à la tête d'un important patrimoine immobilier ;
que certains de ces biens ont été vendus et que d'autres doivent l'être à leur tour ;
que quoi qu'il en soit le partage du prix de vente de ces immeubles n'atténuera en rien la disparité très importante que le divorce crée au détriment de l'intimée dans les conditions de vie respectives des époux ;
Attendu que c'est par conséquent encore à bon droit que le Juge de première instance a alloué une prestation compensatoire à la femme ;
que cependant le montant en paraissant nettement insuffisant au regard des éléments ci-dessus analysés, il échet de réformer sur ce point et de porter le montant de la prestation compensatoire à la somme de 100 000 € ;
Attendu, sur les dommages et intérêts pour procédure abusive réclamés à l'appelant, que l'appel de Louis X... étant reconnu partiellement fondé, il ne peut de ce fait revêtir un caractère abusif ;
que cette demande sera par conséquent rejetée ;
Attendu que pour assurer la défense de ses intérêts devant la Cour, l'intimée a été contrainte d'exposer des frais non inclus dans les dépens qu'il paraît équitable de laisser, au moins pour partie, à la charge de l'appelant ;
que celui-ci sera donc condamné à lui payer une indemnité de 2 000 € par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Attendu que l'appelant qui succombe pour l'essentiel supportera les dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, après débats en chambre du conseil et après en avoir délibéré conformément à la loi,
En la forme, déclare recevables tant l'appel principal que l'appel incident ;
Au fond, les dit l'un et l'autre partiellement justifiés ;
Réformant, condamne Louis X... à payer à Messaouda Y... la somme de 5 000 € à titre de dommages et intérêts par application de l'article 1382 du Code Civil ;
Supprime, à compter du présent arrêt, la pension alimentaire due par le père du chef de l'enfant majeure Nadia ;
Condamne Louis X... à payer à Messaouda Y... la somme de 100 000 € à titre de prestation compensatoire ;
Confirme pour le surplus le jugement déféré ;
Y ajoutant, déboute Messaouda Y... de sa demande de dommages et intérêts pour appel abusif ;
Condamne Louis X... à lui payer une indemnité de 2 000 € par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Le condamne aux dépens qui seront recouvrés conformément à la loi no 91-647 du 10 juillet 1991 sur l'aide juridictionnelle.
Et le présent arrêt a été signé par Monsieur GOUILHERS, Président de Chambre et par Madame DUVAL, Adjoint assermenté faisant fonction de Greffier.
J.C GOUILHERS C. DUVAL