COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
Chambre sociale 4-6
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 27 JUIN 2024
N° RG 22/01332 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VE4H
AFFAIRE :
[N] [W]
C/
S.A.S. AUCHAN RETAIL SERVICES l Venant aux droits de la société SODEC,
...
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 21 Mars 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VERSAILLES
N° Section : AD
N° RG : 20/00342
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Sylvie LAROSE MARTINS de la SELARL MANGIN LAROSE AVOCATS ASSOCIES
Me Vincent DUVAL
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT SEPT JUIN DEUX MILLE VINGT QUATRE,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [N] [W]
né le 08 Juillet 1970 à [Localité 10]
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentant : Me Sylvie LAROSE MARTINS de la SELARL MANGIN LAROSE AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C01622
APPELANT
****************
S.A.S. AUCHAN RETAIL SERVICES l Venant aux droits de la société SODEC,
N° SIRET : 831 888 318
[Adresse 1]
[Localité 12]
Représentant : Me Vincent DUVAL, avocat au barreau de PARIS
S.A.S. AUCHAN RETAIL FRANCE
N° SIRET : 481 986 446
[Adresse 9]
[Localité 2]
Représentant : Me Vincent DUVAL, avocat au barreau de PARIS
INTIMEES
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 26 Mars 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nathalie COURTOIS, Présidente chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Nathalie COURTOIS, Présidente,
Madame Odile CRIQ, Conseiller,
Madame Véronique PITE, Conseiller,
Greffiere lors des débats : Madame Isabelle FIORE,
En présence de Madame [L] [W], greffiere stagiaire
FAITS ET PROCÉDURE
Le 27 octobre 1997, M. [N] [W] a été engagé par contrat de travail à durée indéterminée, par la société ATAC, devenue la société Auchan Supermarché, filiale de la société Auchan Retail France.
En janvier 2016, les fonctions support des différentes entités détenues par Auchan Retail France, parmi lesquelles la société Auchan Supermarché, ont été rationalisées et regroupées au sein d'une seule et même entreprise, la société SODEC.
C'est dans ce cadre que le contrat de travail de M. [W] a été transféré à la société SODEC, aux droits de laquelle vient désormais la SAS Auchan Retail Services, qui a pour activité la grande distribution, emploie plus de dix salariés et est une filiale de la société Auchan Retail France.
En dernier lieu, M. [W] a occupé les fonctions de gestionnaire de paie, statut agent de maîtrise, au sein de la société SODEC, devenue Auchan Retail Services, et a continué de travailler au sein du siège social de la société ATAC, devenue Auchan Supermarché, situé à [Localité 6].
En 2017, le groupe Auchan s'est engagé dans un processus de réorganisation, notamment de regroupement des services d'appui jusque-là répartis entre les différentes sociétés.
Par communiqué de presse du 2 mars 2017, le groupe publiait les grandes lignes de cette réorganisation, annonçant le lancement de la procédure d'information-consultation des représentants du personnel.
Cette réorganisation avait notamment pour objectif de regrouper des services sur le site d'Okabé (« OKB «) situé au [Localité 7], dont le service paie géré par la société SODEC jusqu'alors basé sur le site de [Localité 6].
Le 20 mars 2018, les salariés de la société SODEC du site de [Localité 6] ont réclamé à pouvoir bénéficier du plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) en cours dans cinq des sociétés du groupe Auchan, ce qui leur a été refusé par courrier du 5 avril 2018, adressé par la direction des ressources humaines, pour les motifs suivants : « [..] vous mettez en évidence la situation des collaborateurs du CSP paie basés à [Localité 6]. Cette situation est toute particulière. Dans le cadre de la réorganisation des services d'appui, le CSP paie basé à [Localité 6] sera transféré sur le site du [Localité 7] au 1er juillet 2019 afin de rejoindre la nouvelle direction d'Auchan Retail France en Ile de France. Dans ce contexte, l'entreprise accompagnera ces collaborateurs dans le cadre de la mobilité géographique qu'ils seront appelés à exercer. Ces derniers bénéficieront ainsi de l'ensemble des mesures d'accompagnement à la mobilité interne applicables au regard de leur situation, celle-ci sera présentée par leur manager prochainement. L'entreprise a également décidé de proposer un accompagnement financier jusqu'à la date du transfert afin de prendre en considération la participation aux travaux d'harmonisation et d'organisation auxquels ils sont amenés à participer d'ici à la date du transfert. Par ailleurs, dans le cadre de la proposition de transfert au [Localité 7], qui sera faite au cours du 1er semestre 2019, l'entreprise sera attentive à l'ensemble des situations individuelles pouvant se présenter, dans le respect de nos valeurs et engagements humains. Afin de répondre avec précision aux interrogations, le licenciement pour faute grave serait exclu dans le cas où un collaborateur refuserait son transfert pour des raisons personnelles. Néanmoins, comme nous l'avons toujours affirmé, la situation des collaborateurs du CSP de [Localité 6] dont le lieu de travail est transféré au [Localité 7] et la situation des collaborateurs dont le poste est supprimé n'est pas comparable. Le principe d'égalité de traitement ne peut donc être évoqué dans ce contexte ».
Par courrier du 7 mai 2019, M. [W] a été informé du transfert de son lieu de travail vers [Localité 7] à compter du 24 juin 2019.
M. [W] ayant refusé cette mobilité en ne se présentant pas le 24 juin 2019 sur son nouveau lieu de travail, a été convoqué par courrier du 2 juillet 2019 à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 12 juillet 2019.
Par courrier non daté, M. [W] a été licencié pour cause réelle et sérieuse.
La lettre de licenciement est ainsi libellée :
« Monsieur,
Vous ne nous êtes pas présenté à l'entretien préalable pour lequel vous étiez convoqué le 12 juillet 2019 et dont la convocation vous a été adressée par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 2 juillet 2019.
Nous vous informons par la présente, de notre décision de vous licencier pour les motifs suivants:
Suite à la réorganisation des services d'appui initiée au sein des entités Hypermarché Auchan Supermarché, My Auchan et Auchan E-commerce France, l'ensemble des services d'appui de ces différentes entités ont été regroupés sur les mêmes sites et pour une partie d'entre eux transférés sur le siège à [Localité 12].
La société SODEC occupait pour son équipe basée à [Localité 6] un espace situé dans les locaux d'Auchan Supermarché. Ces locaux ont été fermés à partir du 31 décembre 2018 pour partie et complètement au 24 juin 2019.
Dans le même temps, les équipes des services d'appuis de la région parisienne des différents formats proximité, E-commerce ont été regroupés sur un site situé près du magasin Hypermarché du [Localité 7] (OKB).
Lors d'une réunion du 8 janvier 2019, vous avez été informé en votre qualité de collaborateur de la société SODEC, que votre lieu de travail, auparavant localisé sur le site de [Localité 6], serait transféré au cours des mois de mai ou juin 2019, et au plus tard au 30 juin 2019, sur le nouveau site basé à [Localité 7]. Il vous a été remis un courrier en main propre à cette date.
Suivant courrier remis en main propre contre décharge en date du 7 mai 2019, il vous a été confirmé le transfert de votre lieu de travail à l'adresse suivante à compter du 24 juin 2019 :
OKABE - Centre d'affaires A Droite
[Adresse 4]
[Localité 7]
Aux termes de ce même courrier, vous avez été informé que votre déménagement qui pourrait être occasionné par le transfert des locaux de [Localité 6] au [Localité 7], est éligible aux dispositions en vigueur dans l'entreprise concernant la mobilité professionnelle des collaborateurs.
À compter du 24 juin 2019, vous ne vous êtes plus présenté sur votre lieu de travail, et n'avez dans le même temps ni apporté de réponse au courrier visé ci-dessus daté du 7 mai 2019, ni fourni de justifications à votre absence depuis le 24 juin 2019.
Par ailleurs, vous vous êtes exprimé oralement à plusieurs reprises auprès de la Direction de la SODEC sur votre refus de rejoindre votre nouveau lieu de travail pour des raisons personnelles.
Dans ces conditions, vous vous êtes placé, de manière volontaire, en absence injustifiée depuis le 24 juin 2019.
En conséquence, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour cause réelle et sérieuse. ['] »
Le 10 juin 2020, M. [W] a saisi le conseil de prud'hommes de Versailles aux fins d'obtenir la condamnation solidaire des sociétés Auchan Retail Services et Auchan Retail France et de solliciter, au titre de l'exécution de son contrat de travail, des dommages et intérêts pour exécution déloyale, et, au titre de la rupture de son contrat de travail, la requalification de son licenciement en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que la condamnation desdites sociétés au paiement de diverses sommes, ce à quoi elles se sont opposées.
Par jugement rendu le 21 mars 2022, notifié le 23 mars 2022, le conseil a statué comme suit :
dit que la société Auchan Retail France est mise hors de cause dans cette affaire
fixe la moyenne des salaires à 2 770,10 euros
requalifie le licenciement pour cause réelle et sérieuse en licenciement sans cause réelle et sérieuse
condamne la société Auchan Retail Services à verser à M. [W] une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse pour un montant de 8 337,30 euros
déboute M. [W]
- de sa demande d'indemnité de plan de sauvegarde de l'emploi
- de sa demande de rappel de préavis et les congés payés y afférents
- de sa demande de rappel d'indemnité conventionnelle de licenciement
- sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail
ordonne à la société Auchan Retail Services la remise des documents à M. [W] sans astreinte
condamne la société Auchan Retail Services à verser la somme de 750 euros à M. [W] au titre de l'article 700 du code de procédure civile
déboute M. [W] de sa demande d'exécution provisoire
déboute [la société de sa] demande reconventionnelle
condamne la société Auchan Retail Services aux dépens.
Le 22 avril 2022, M. [W] a relevé appel de cette décision par voie électronique.
Par conclusions, notifiées par RPVA, le 10 novembre 2023, M. [W] demande à la cour de :
déclarer M. [W] recevable et bien fondé en son appel
y faisant droit, confirmer le jugement en date du 21 mars 2022 en ce qu'il a jugé que le licenciement de M. [W] ne reposait sur aucune cause réelle et sérieuse
confirmer le jugement en date du 21 mars 2022 en ce qu'il a condamné la société Auchan Retail Services à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et à un article 700 du code de procédure civile
infirmer le jugement en date du 21 mars 2022 en ce qu'il a débouté M. [W] de ses autres demandes
confirmer le jugement en date du 21 mars 2022 en ce qu'il a débouté la société Auchan Retail Services de ses demandes reconventionnelles
déclarer que la société Auchan Retail France était bien co-employeur de M. [W] et qu'elle doit être mise en cause
déclarer l'ensemble des demandes de M. [W] fondées, justifiées et incontestables
par conséquent, condamner solidairement la société Auchan Retail Services et la société Auchan Retail France à verser à M. [W] les sommes suivantes :
- rappel d'indemnité de préavis : 155,57 euros
- congés payés sur préavis : 15,55 euros
- rappel d'indemnité conventionnelle de licenciement : 3 172,42 euros
- indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 23 931,68 euros
- indemnisation au titre des mesures du Plan de Sauvegarde de l'Emploi : 52 334,24 euros
- dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat : 19 920 euros
fixer la moyenne de salaire de M. [W] à la somme de 3 270,89 euros.
condamner la société Auchan Retail Services à remettre à M. [W], sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document, à compter du prononcé de la décision à intervenir, les pièces suivantes :
- Bulletin de paie rectificatif,
- Attestation Pôle Emploi rectificative,
- Reçu de solde de tout compte rectificatif.
condamner solidairement la société Auchan Retail Services et la société Auchan Retail France à verser à M. [W] la somme de 3 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens
condamner la société Auchan Retail Services et la société Auchan Retail France à supporter les dépens en application des articles 695 et 696 du code de procédure civile
rappeler que l'exécution provisoire est de droit
débouter la société Auchan Retail Services et la société Auchan Retail France de l'intégralité de leurs demandes, fins, écrits et conclusions.
Par conclusions, notifiées par RPVA le 31 octobre 2023, la société Auchan Retail Services et la société Auchan Retail France demandent à la cour de :
confirmer le chef du jugement rendu le 21 mars 2022 par le conseil de prud'hommes de Versailles, en ce qu'il « dit que la société Auchan Retail France est mise hors de cause dans cette affaire »
infirmer les chefs ci-après du jugement rendu le 21 mars 2022 par le conseil de prud'hommes de Versailles, en ce qu'il :
- requalifie le licenciement pour cause réelle et sérieuse en licenciement sans cause réelle et sérieuse
- condamne la société Auchan Retail Services à verser à M. [W] une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse pour un montant de 8 337,30 euros
- ordonne à la société Auchan Retail Services la remise des documents à M. [W] sans astreinte
- condamne la société Auchan Retail Services à verser la somme de 750 euros à M. [W] au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- déboute de la demande reconventionnelle
- condamne la société Auchan Retail Services aux dépens
Et, statuant à nouveau :
débouter M. [W] de l'intégralité de ses demandes, fins, écrits et conclusions
condamner M. [W] aux entiers dépens et à payer à la société Auchan Retail Services la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour plus ample exposé des moyens des parties, il est expressément renvoyé, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, aux conclusions susvisées ainsi qu'aux développements infra.
Par ordonnance rendue le 10 janvier 2024, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 26 mars 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur le co-emploi
M. [W], qui ne conteste pas que son contrat de travail a été transféré de la société SODEC à la société Auchan Retail Services, invoque une situation de co-emploi entre les sociétés Auchan Retail Services et Auchan Retail France, soutenant que les courriers qui lui étaient adressés avaient en tête le logo d'Auchan Retail France et que la direction des ressources humaines d'Auchan Retail France prenait toutes les décisions pour les sociétés filiales, dont Auchan Retail Services.
La société lui oppose d'invoquer une situation de co-emploi sans même évoquer une immixtion permanente de la société Auchan Retail France dans la gestion économique et sociale de la société Auchan Retail Services, soulignant, en tout état de cause, que tous les courriers de procédure ont été signés ou contre-signés par M. [I], directeur de la SODEC (devenue Auchan Retail Services) et qu'Auchan Retail France est une société dépourvue de personnel.
Il convient de souligner que l'ancien critère de la triple confusion d'intérêts, d'activités et de direction, issu d'une jurisprudence de 2014 (Cass. soc., 2 juill. 2014, no 13-15.208) a été abandonné car, selon la Cour de cassation, il « ne permettait en effet plus de circonscrire avec la rigueur nécessaire, des situations qui doivent rester dans le domaine de l'exception » (note explicative accompagnant Cass. soc., 25 nov. 2020, no 18-13.769).
La jurisprudence retient désormais que c'est la perte d'autonomie d'action de la filiale, qui ne dispose pas du pouvoir réel de conduire ses affaires dans le domaine de la gestion économique et sociale, qui est déterminante dans la caractérisation d'une immixtion permanente anormale de la société-mère, constitutive d'un co-emploi.
La notion de co-emploi suppose donc établie, soit que le salarié exécutait le contrat de travail sous la subordination conjointe des deux sociétés, soit la perte totale d'autonomie d'action d'une société par rapport à une autre dans le domaine de la gestion économique et sociale.
L'existence d'un contrat de travail se caractérisant par le lien de subordination instauré entre l'employeur et le salarié, deux personnes morales, juridiquement distinctes, peuvent être qualifiées de co-employeurs lorsque, en raison d'une immixtion permanente anormale de l'une par rapport à l'autre, elles se trouvent détenir ensemble le pouvoir de direction sur le salarié.
Il convient de rappeler que le lien de subordination se caractérise par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
C'est sur le salarié qui invoque le co-emploi et notamment le lien de subordination que repose la charge de la preuve.
En l'espèce, si les courriers adressés à M. [W] ont pour en-tête le logo de la société Auchan Retail France, ils sont cependant signés par M. [I], directeur de la société SODEC, les pieds de page desdits courriers rappelant l'entité juridique employeur (la société SODEC) et les bulletins de paie étant établis sur en-tête de la société SODEC.
L'argument de M. [W] qui consiste à dire que la société Auchan Retail France était « la présidente » de la société Auchan Retail Services, de sorte qu'elle en assurait nécessairement la gestion et l'organisation quotidienne, ne suffit pas à caractériser une situation de co-emploi, aucune immixtion ni confusion d'intérêts, d'activités et de direction entre les deux sociétés n'étant démontrée, pas plus qu'un quelconque lien de subordination entre la société Auchan Retail France et M. [W], ce dernier n'établissant ni avoir reçu des ordres et des directives de la société Auchan Retail France, ni que celle-ci disposait de la possibilité d'en sanctionner les éventuels manquements.
Au vu des éléments ci-dessus développés, il convient de dire que M. [W] est déficient dans l'administration de la preuve du co-emploi, de sorte que le jugement du conseil de prud'hommes sera confirmé en ce qu'il a mis hors de cause la société Auchan Retail France et débouté le salarié de ses demandes dirigées contre celle-ci.
Sur le licenciement
Sur la cause
M. [W] invoque l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement, contestant le motif personnel soutenu par la société, la raison de la rupture reposant, selon lui, sur un motif économique.
Il résulte de l'article L1232-1 du code du travail que tout licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.
Le motif inhérent à la personne du salarié doit reposer sur des faits objectifs, matériellement vérifiables et qui lui sont imputables.
L'article L1235-1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
Il appartient au juge, le cas échéant, de donner sa véritable qualification au licenciement.
Il incombe au juge saisi d'un litige relatif à l'appréciation de la cause réelle et sérieuse d'un licenciement de rechercher, au-delà des énonciations de la lettre, la véritable cause du licenciement, notamment lorsque le salarié soutient devant le juge que les motifs véritables de son licenciement ne sont pas ceux énoncés dans la lettre de rupture, tel que lorsque le salarié soutient que le véritable motif est de nature économique.
Sur le motif économique
M. [W] affirme que la fermeture du site de [Localité 6] et le transfert de son lieu de travail sur le site du [Localité 7] constituaient nécessairement une modification de son contrat de travail devant entraîner la mise en 'uvre de la procédure de licenciement pour motif économique et l'application des mesures du Plan de Sauvegarde de l'Emploi (PSE). Il précise que seuls les salariés de la société SODEC étaient exclus du PSE et que le transfert d'activité d'un site à l'autre s'est accompagné d'une suppression de postes puisque les 14 salariés du service paie du site de [Localité 6] ont refusé la modification de leur contrat de travail et que le nouveau service paie du site du [Localité 7] ne compte plus que 11 salariés.
La société rétorque que les postes du service paie ont été simplement transférés du site de [Localité 6] vers le site du [Localité 7], de sorte que lesdits postes n'ont aucunement été supprimés, la société affirmant avoir dû procéder au remplacement des postes non pourvus.
L'article L1233-3 du code du travail dispose que 'constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment : 1º A des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés ; 2º A des mutations technologiques ; 3º A une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ; 4º A la cessation d'activité de l'entreprise'.
En l'espèce, M. [W] maintient que la fermeture du site de [Localité 6] a eu pour conséquence la suppression des postes affectés à ce site, décomptant une suppression de 7 postes entre 2016 et 2019, et se prévalant de difficultés économiques de la société SODEC.
S'agissant des suppressions de postes invoquées, le salarié se prévaut d'un tableau Excel, dont ni l'auteur, ni la date, ni la provenance ne sont indiqués, répertoriant les salariés du service paie du site [Localité 6] et ceux du site du [Localité 7] (pièce 18), et d'un tableau de la société SODEC daté de 2016 indiquant qu'il y avait 18 salariés SIMPLY sur le site de [Localité 6] (pièce 4 bis), aucune de ces pièces ne permettant toutefois d'établir une quelconque suppression de poste lors du transfert du service paie du site de [Localité 6] au site du [Localité 7], la société se prévalant de son côté du mail envoyé par M. [I], directeur de la société SODEC, le 17 janvier 2019 (pièce n° 18 bis) : « Potentiellement il y aurait quelques personnes qui préféreraient ne pas attendre juin pour déménager. Par ailleurs compte-tenu du nombre de non transfert qui pourrait exister, nous sommes en phase de « recrutement » de l'équipe « remplaçante » ».
S'agissant des difficultés économiques alléguées, lesquelles doivent être caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés, il résulte de la pièce 4 ter à laquelle le salarié se réfère que, sur les années 2016, 2017, 2018, il y a une augmentation du chiffre d'affaires de la société SODEC, mais également une amélioration du résultat, lequel est certes déficitaire, mais enregistre une très nette résorption de son déficit au titre de l'année 2018, de sorte que l'évolution de cet indicateur n'est pas significative, ce seul motif étant insuffisant à caractériser le caractère sérieux et durable des pertes d'exploitation (Cass. soc., 18 oct.2023, nº 22-18.852).
Dès lors, les suppressions de postes résultant du transfert du service paie du site [Localité 6] vers le site du [Localité 7] et les difficultés économiques de la société SODEC n'étant pas établies, la cour retient que la société Auchan Retail Services, venant aux droits de la société SODEC, n'a pas détourné les dispositions légales en matière de licenciement économique pour exclure les salariés du bénéfice des dispositions du PSE.
Il convient de dire que le licenciement n'est pas fondé sur un motif économique, et ce, par confirmation du jugement.
Sur le motif personnel
M. [W] sollicite la confirmation du jugement du conseil de prud'hommes au motif que la nouvelle affectation de son lieu de travail est intervenue en dehors du secteur géographique, de sorte que cela constitue une modification de son contrat de travail, la société n'ayant pas recueilli préalablement son accord clair et non équivoque, privant de ce fait son licenciement de cause réelle et sérieuse.
La société soutient au contraire que le changement d'affectation de M. [W], du site de [Localité 6] vers le site du [Localité 7], intervient au sein du même secteur géographique et que cela constitue un simple changement des conditions de travail relevant du pouvoir de direction de l'employeur et s'imposant aux salariés, dont le refus justifie pleinement leur licenciement.
En l'absence de clause de mobilité, c'est par référence à la notion prétorienne de « secteur géographique « qu'il convient de trancher le litige.
Le secteur géographique constitue une zone à l'intérieur de laquelle s'exerce le pouvoir de direction de l'employeur.
Si la mutation du salarié s'est effectuée en dehors du secteur géographique, elle s'analyse alors en une modification du contrat de travail supposant l'accord du salarié. Si au contraire la mutation s'est effectuée au sein du secteur géographique, alors elle s'analyse en un simple changement des conditions de travail que le salarié ne peut refuser.
Si le secteur géographique ne fait pas l'objet d'une définition précise, l'étude de la jurisprudence de la Cour de cassation permet de rapprocher cette notion des concepts de bassin d'emploi ou de zone urbaine, dont les frontières varient notamment selon la distance kilométrique entre les deux sites, les moyens de transports et la durée des trajets.
En l'espèce, la distance entre l'ancien lieu de travail de M. [W], à [Localité 6] (78), et son nouveau lieu de travail, au [Localité 7] (94), est de 20 à 25 kilomètres.
M. [W] se prévaut d'une part du fait que les deux sites sont situés dans deux départements différents et, d'autre part, qu'ils relèvent d'un bassin d'emploi différent : le site de [Localité 6] relevant du bassin d'emploi de [Localité 11] et celui du [Localité 7] relevant du bassin d'emploi de [Localité 8]. Cependant, les deux sites, distants d'une vingtaine de kilomètres, sont situés tous deux dans la zone sud de la région Ile-France, de sorte qu'ils relèvent bien du même du bassin d'emploi, peu important qu'ils soient situés dans des départements différents.
S'agissant de la distance entre l'ancien et le nouveau site, des moyens de transport et de leur durée, si le salarié se prévaut de la mauvaise circulation en voiture aux heures de pointe et de la mauvaise desserte en transports en commun, la Cour relève au vu des pièces produites par les parties que le site d'affectation est distant de 19,6 km par la route, que la desserte en transport routier est assurée par des axes autoroutiers rapides (A86 et A6), que la circulation en voiture est en moyenne de 35 minutes, celle-ci n'excédant pas 1 heure et 05 minutes en heures de pointe, que la diversité et le nombre des moyens de transport, tout en restant raisonnable et sans qu'il soit justifié des problèmes d'accessibilité, ne constituent pas un obstacle dès lors que les deux sites sont situés dans le même bassin d'emploi.
Dès lors, compte tenu de la faible distance kilométrique entre les sites de [Localité 6] et du [Localité 7], de leur appartenance au même bassin d'emploi et des axes routiers les reliant, il convient de dire que les deux sites sont situés dans le même secteur géographique.
La mutation de M. [W] du site de [Localité 6] à celui du [Localité 7] s'analyse donc en un simple changement de ses conditions de travail, que M. [W] ne pouvait refuser, la société Auchan Retail Services pouvant exercer son pouvoir de direction au sein de ce secteur géographique.
Le licenciement de M. [W], fondé sur son absence à son nouveau poste de travail au [Localité 7], est donc fondé sur une cause réelle et sérieuse.
Par suite, le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il a requalifié le licenciement de M. [W] en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et en ce qu'il lui a octroyé des dommages et intérêts à ce titre.
Sur les dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail
M. [W] se prévaut du manquement de la société aux dispositions d'ordre public qui imposent à tout employeur qui entend modifier le contrat de travail d'un salarié pour un motif économique de mettre en 'uvre la procédure y afférente, le privant du bénéfice du PSE.
En réplique, l'employeur s'oppose à la demande, expliquant que la demande de M. [W] est de pure opportunité et que le salarié ne justifie d'aucun préjudice.
L'article L1222-1 du code du travail prévoit que le contrat de travail est exécuté de bonne foi. En vertu de l'article 2274 du code civil, la bonne foi est toujours présumée, et c'est à celui qui allègue la mauvaise foi à la prouver.
En l'espèce, le motif de son licenciement reposant sur un motif personnel et non sur un motif économique tel qu'il résulte de la présente décision, M. [W] ne pouvait pas bénéficier d'un PSE et ne peut donc pas s'en prévaloir pour tenter d'établir un manquement de l'employeur.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté M. [W] de ce chef de demande.
Sur les conséquences
Sur le rappel d'indemnité compensatrice de préavis
M. [W] sollicite un rappel d'indemnité compensatrice de préavis au motif que le 22 septembre 2019 était un dimanche, de sorte que le terme du préavis devait être reporté au 23 septembre 2019.
La société réplique que M. [W] sollicite un rappel d'indemnité de préavis mais ne justifie aucunement de son calcul, contestant la base de calcul retenue.
En vertu des articles L1234-1 et L1234-5 du code du travail, l'indemnité compensatrice de préavis correspond à la rémunération brute que le salarié aurait perçue s'il avait travaillé pendant la période du délai-congé de deux mois.
En cas de licenciement, c'est la date de présentation de la lettre recommandée qui marque le départ du préavis (article L. 1234-3 du code du travail). L'article R. 1231-1 du code du travail dispose que les délais prévus par le code du travail qui expirent un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé sont prorogés jusqu'au premier jour suivant ouvrable.
En l'espèce, la lettre de licenciement n'étant pas datée, et les parties ne discutant ni de la date de présentation du courrier de licenciement, ni du terme du délai de préavis expirant le dimanche 22 septembre 2019, ledit délai est prorogé au premier jour ouvrable suivant, soit le lundi 23 septembre 2019.
Par suite, la société sera condamnée à verser à M. [W] la somme de 155,57 euros à titre de rappel d'indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 15,55 euros de congés payés afférents.
Le jugement déféré sera infirmé de ce chef.
Sur le rappel d'indemnité conventionnelle de licenciement
M. [W] sollicite un rappel au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement sur la base de la moyenne des salaires perçus au cours des douze derniers mois, incluant dans son calcul la prime de motivation perçue en juin 2019.
La société, retenant également la moyenne des salaires perçus au cours des douze derniers mois, objecte que la prime de motivation, qui a été intégralement versée en juin 2019, pour la période courant entre le 1er septembre 2017 et le 1er semestre 2019, couvre 22 mois et doit donc être proratisée dans le calcul de l'assiette de salaire, seule la valeur correspondant à la période de référence devant être prise en compte.
L'article R. 1234-4 du code du travail énonce que : « Le salaire à prendre en compte pour le calcul de l'indemnité de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié:
1º Soit la moyenne mensuelle des douze derniers mois précédant le licenciement, ou lorsque la durée de service du salarié est inférieure à douze mois, la moyenne mensuelle de la rémunération de l'ensemble des mois précédant le licenciement ;
2º Soit le tiers des trois derniers mois. Dans ce cas, toute prime ou gratification de caractère annuel ou exceptionnel, versée au salarié pendant cette période, n'est prise en compte que dans la limite d'un montant calculé à due proportion ».
Le salaire de référence doit inclure tous les éléments de rémunération y compris les sommes versées au titre des congés payés, les primes et avantages perçus pendant la période de référence; en revanche, si le rappel de salaire, bien que versé sur la période de référence, se rattache à une période antérieure, il n'entre pas en compte dans le calcul du salaire moyen (Cass. soc., 25 mars 2009, n°07-44.854).
En l'espèce, la prime versée intégralement à M. [W] en juin 2019, couvre une période courant entre le 1er septembre 2017 et le 1er semestre 2019, de sorte que seule doit être intégrée dans la base de calcul du salaire moyen la part de rappel de salaire correspondant à la période de référence à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité de licenciement.
Dès lors, la société, qui a pris en compte dans le calcul du salaire moyen, seule la valeur de la prime correspondant à la période de référence sur les douze derniers mois (soit 12/22ème), a correctement évalué le salaire de référence à partir duquel a été calculée l'indemnité conventionnelle de licenciement versée à M. [W].
Par suite, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [W] de sa demande au titre de rappel d'indemnité de licenciement.
Sur la demande relative à la fixation de la moyenne des salaires
Cette demande sera rejetée, comme étant sans objet, dès lors qu'il n'y a pas lieu à exécution provisoire devant la cour et que l'article R. 1454-28 du code du travail imposant au juge de fixer la moyenne des salaires n'est donc pas applicable.
Sur les autres demandes
Il y a lieu de faire droit à la demande de M. [W] de remise de documents de fin de contrat mais sans fixation d'une astreinte laquelle n'est pas nécessaire à assurer l'exécution de cette injonction.
Il convient de condamner la SAS Auchan Retail Services à verser à M. [W] la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de la condamner aux dépens.
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Versailles en date du 21 mars 2022, en ce qu'il a requalifié le licenciement de M. [N] [W] en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, octroyé à M. [N] [W] la somme de 8 337,30 euros d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, débouté M. [N] [W] de ses demandes au titre du rappel de préavis et des congés payés afférents;
Confirme le surplus ;
Statuant à nouveau sur les chefs de jugement infirmés et y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu à fixation du salaire ;
Dit le licenciement de M. [N] [W] fondé sur une cause réelle et sérieuse ;
Condamne la SAS Auchan Retail Services à verser à M. [N] [W] 155,57 euros à titre de rappel d'indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 15,57 euros de congés payés afférents ;
Ordonne à la SAS Auchan Retail Services la remise de documents à M. [N] [W] sans astreinte;
Rejette le surplus des demandes des parties ;
Condamne la SAS Auchan Retail Services à verser à M. [N] [W] la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
Condamne la SAS Auchan Retail Services aux dépens.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Nathalie COURTOIS, Présidente et par Madame Isabelle FIORE Greffiere, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La greffiere, La présidente,