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04/07/2024 | FRANCE | N°22/02066

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre sociale 4-6, 04 juillet 2024, 22/02066


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



Chambre sociale 4-6



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 04 JUILLET 2024



N° RG 22/02066 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VJCM



AFFAIRE :



[P] [X] épouse [B]



C/

S.E.L.A.R.L. PJA ès qualité de mandataire liquidateur de la société TOUT SECURITE ET TOUT ACCOMPAGNEMENT PRIVE.



Association AGS CGEA [Localité 4] UNEDIC







Décision déférée à la cour : Jugement

rendu le 01 Juin 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CHARTRES

N° Chambre :

N° Section : AD

N° RG : 20/00298



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Nathalie GAILLARD de

la SE...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

Chambre sociale 4-6

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 04 JUILLET 2024

N° RG 22/02066 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VJCM

AFFAIRE :

[P] [X] épouse [B]

C/

S.E.L.A.R.L. PJA ès qualité de mandataire liquidateur de la société TOUT SECURITE ET TOUT ACCOMPAGNEMENT PRIVE.

Association AGS CGEA [Localité 4] UNEDIC

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 01 Juin 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CHARTRES

N° Chambre :

N° Section : AD

N° RG : 20/00298

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Nathalie GAILLARD de

la SELARL VERNAZ FRANCOIS (HON.) - AIDAT-ROUAULT ISABELLE - GAILLARD N ATHALIE

Me Maxence GENIQUE de

la SCP MERY - RENDA - KARM - GENIQUE

Me Claude-Marc BENOIT

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUATRE JUILLET DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame [P] [X] épouse [B]

née le 25 Décembre 1991 à [Localité 7]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentant : Me Nathalie GAILLARD de la SELARL VERNAZ FRANCOIS (HON.) - AIDAT-ROUAULT ISABELLE - GAILLARD N ATHALIE, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000001 -

APPELANTE

****************

S.E.L.A.R.L. PJA ès qualité de mandataire liquidateur de la société TOUT SECURITE ET TOUT ACCOMPAGNEMENT PRIVE.

[Adresse 6]

[Localité 3]

Représentant : Me Maxence GENIQUE de la SCP MERY - RENDA - KARM - GENIQUE, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000035

Association AGS CGEA [Localité 4] UNEDIC

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Claude-Marc BENOIT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1953

INTIMEES

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 22 Avril 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Odile CRIQ, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Nathalie COURTOIS, Président,

Madame Véronique PITE, Conseiller,

Madame Odile CRIQ, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Isabelle FIORE,

FAITS ET PROCÉDURE

Mme [P] [X], épouse [B], a été engagée par contrat à durée indéterminée à compter du 5 février 2018, en qualité d'agent de sécurité, par la société Toute Sécurité Et Tout Accompagnement Privé (TSA), qui était spécialisée dans la sécurité et le gardiennage de biens, employait plus de dix salariés et relevait de la convention collective des entreprises de prévention et sécurité.

A compter du 27 août 2019, Mme [X] était placée continûment en arrêt de travail jusqu'à la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail.

Par jugement du 25 juin 2020, le tribunal de commerce de Chartres a prononcé la résolution du plan de redressement et la liquidation judiciaire de la société Toute sécurité et tout accompagnement privé, et a désigné la SELARL PJA, prise en la personne de Maître [N], en qualité de mandataire liquidateur.

Par courrier du 23 juillet 2020, Mme [X] a pris acte de la rupture de son contrat de travail.

Mme [X] a saisi, le 23 décembre 2020, le conseil de prud'hommes de Chartres, en vue d'obtenir, au titre de l'exécution de son contrat de travail, un rappel d'heures supplémentaires et des dommages et intérêts pour préjudice moral et, au titre de la rupture de son contrat de travail, elle a sollicité que sa prise d'acte s'analyse en un licenciement nul du fait du harcèlement allégué, ainsi que le versement des indemnités subséquentes, ce à quoi la SELARL PJA, prise en la personne de Maître [N], en qualité de mandataire liquidateur de la société, s'est opposée.

Par jugement rendu le 1er juin 2022, le conseil a statué comme suit :

En la forme

Reçoit Mme [X] en ses demandes.

Reçoit Maître [N] - SELARL PJA ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société TSA en ses demandes reconventionnelles.

Au fond

Dit que la prise d'acte de rupture du contrat de travail de Mme [X] en date du 23 juillet 2020 est requalifiée en démission à compter de cette même date,

En conséquence,

Déboute Mme [X] de l'intégralité de ses demandes.

Déboute Maître [N] - SELARL PJA ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société TSA de ses demandes reconventionnelles.

Condamne Mme [X] aux entiers dépens.

Le 29 juin 2022, Mme [X] a relevé appel de cette décision par voie électronique.

Selon ses dernières conclusions remises au greffe le 23 janvier 2024, Mme [X] demande à la cour de :

Déclarer Mme [X] recevable et bien fondée en son appel et infirmer le jugement de première instance en ce qu'il a requalifié la prise d'acte de rupture en démission.

Faisant droit aux demandes de Mme [X]

Dire et juger que la prise d'acte de rupture du 23 juillet 2020 s'analyse en un licenciement imputable à l'employeur et le déclarer nul du fait du double harcèlement mis en place à l'encontre de Mme [X]

En conséquence

Fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société TSA les créances de Mme [X] aux sommes suivantes, la moyenne de ses six derniers mois de salaire étant de 1.715,67 euros.

21.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul

10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral

1.715,67 euros au titre de l'indemnité de préavis

171,56 euros au titre des congés payés sur préavis

343,12 euros au titre de l'indemnité de licenciement

1.719,72 euros au titre des heures supplémentaires

171,97 euros au titre des congés payés sur heures supplémentaires

3.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Condamner l'AGS CGEA à garantir l'ensemble de ces condamnations à l'exception de l'article 700 du code de procédure civile.

Ordonner la remise des bulletins de salaire et documents de fin de contrat conformes au jugement dans un délai de 15 jours de la notification du jugement à intervenir.

Rejeter la demande de Maître [N], mandataire liquidateur de la société TSA le préavis et les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamner les défendeurs aux entiers dépens qui passeront en frais privilégiés de la liquidation judiciaire.

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 23 décembre 2022, la SELARL PJA, prise en la personne de Maître [N], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société TSA, demande à la cour de :

Déclarer Mme [X] irrecevable et en tout cas mal fondée en son appel.

Déclarer Maître [N] ès-qualités recevable et bien fondé en son appel incident.

Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté Maître [N] en sa demande au titre du préavis.

Statuant à nouveau sur le chef du préavis,

Condamner Mme [X] à payer à Maître [N] ès-qualités la somme de 1.715,67 euros, à titre d'indemnisation pour le préavis non effectué.

Y ajoutant,

Condamner Mme [X] à payer à Maître [N] ès-qualités la somme de 3.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamner Mme [X] en tous dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 27 septembre 2022, l'AGS CGEA d'[Localité 4] demande à la cour de :

A titre principal

Confirmer le jugement en toutes ses dispositions

Débouter Mme [X] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions.

Juger qu'en application de l'article L.3253-8 2°, la garantie de l'AGS ne couvre les créances résultant de la rupture des contrats de travail que dans l'hypothèse où cette rupture est intervenue dans les 15 jours de la liquidation judiciaire.

Constater que la rupture du contrat de travail n'est pas intervenue dans les limites ci-dessus rappelées.

En conséquence, dire et juger inopposable à l'AGS toute fixation au passif d'indemnités de rupture reconnues à Mme [X].

A titre subsidiaire

Fixer au passif de la liquidation les créances retenues,

Dire le jugement opposable à l'AGS dans les termes et conditions de l'article L.3253-19 du code du travail,

Vu les articles L.3253-6, L.3253-8 et L.3253-17 du code du travail.

Dans la limite du plafond toutes créances brutes confondues,

Exclure de l'opposabilité à l'AGS la créance éventuellement fixée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Exclure de l'opposabilité à l'AGS l'astreinte,

Vu l'article L.621-48 du code de commerce,

Rejeter la demande d'intérêts légaux,

Dire ce que de droit quant aux dépens sans qu'ils puissent être mis à la charge de l'AGS.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.

Par ordonnance rendue le 24 janvier 2024, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 22 avril 2024.

MOTIFS

Sur la recevabilité de l'appel de Mme [X] :

Le mandataire liquidateur conclut aux termes du dispositif de ses conclusions à l'irrecevabilité de Madame [X] en son appel sans pour autant motiver cette fin de non-recevoir.

L'appel de Mme [X] sera donc déclaré recevable.

Sur les heures supplémentaires :

Mme [X] sollicite le paiement de la somme de 1 719,72 euros au titre d'heures supplémentaires effectuées entre le 5 février 2018 et le 1er septembre 2019, en précisant avoir tenu compte des heures supplémentaires qui lui avait été parfois réglées.

Il résulte des articles L. 3171-2, L. 3171-3 et L. 3171-4 du code du travail qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d' heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant, la chambre sociale de la Cour de cassation précisant selon une jurisprudence constante que le juge prud'homal ne saurait faire peser la charge de la preuve que sur le seul salarié.

La salariée verse aux débats les éléments suivants :

- un décompte des heures supplémentaires alléguées par semaine du 5 février 2018 au 1er septembre 2019, en ce déduites les heures supplémentaires déjà versées par l'employeur (pièce n° 24 de l'appelante),

- un courrier de la société Tsa Sécurité du 21 novembre 2019 adressé à la société Pacifica, protection juridique de Mme [X] aux termes duquel l'employeur reconnaissait que des heures supplémentaires à 25 et 50 % restaient à régulariser au profit de la salariée.

Alors que ces éléments sont suffisamment précis pour leur permettre de répondre, le mandataire liquidateur et l'Ags se bornent à discuter la force probante des éléments produits.

Nonobstant le paiement de certaines heures supplémentaires par l'employeur tel qu'il ressort des bulletins de paye produits aux débats, le mandataire liquidateur n'établit pas contrairement à ce qu'il soutient, au regard du planning communiqué ( pièces n° 9 de l'intimé ) que les heures supplémentaires réclamées seraient quasiment conformes à celles figurant dans les plannings définitifs.

Tenant compte de l'ensemble des éléments communiqués, la réclamation de la salariée est partiellement justifiée à hauteur de 1 400 euros bruts pour la période du 5 février 2018 au 1er septembre 2019 et 140 euros bruts au titre des congés payés afférents.

Sur le harcèlement moral et sexuel :

La salariée affirme avoir fait l'objet de harcèlement sexuel de la part de M. [C], son chef d'exploitation et de harcèlement moral de la part de M. [Y] et de M. [W] employés de l'entreprise du fait de leurs propos diffamatoires à son égard.

Le mandataire liquidateur oppose un comportement de l'employeur parfaitement adapté au signalement de la salariée pour avoir mené une enquête interne en auditionnant deux salariés ayant pu être témoins des faits. Il ajoute que M. [Y] avait pris des mesures pour que M. [C] ne soit plus en contact avec la salariée.

Le mandataire liquidateur ajoute que la salariée n'avait pas évoqué de fait de harcèlement moral de la part de M. [Y] à l'encontre duquel elle n'exprime aucun reproche précis.

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon les dispositions de l'article L. 1153-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des faits soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétée qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante, soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers.

En application de l'article L. 1154-1 du même code, lorsque survient un litige relatif à l'application de ce texte, le salarié établit des faits précis et concordants qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

La salariée évoque les faits suivants qui sont selon elle, constitutifs de harcèlement moral et/ou sexuel :

-les propos et les gestes à son égard de son responsable hiérarchique,

-les propos diffamatoires de M. [Y] et de M. [W] à son encontre.

L'appelante objective les propos et gestes déplacés à son égard par M. [C] par la communication du témoignage de M. [V] ( pièce n°35) agent de sécurité, qui indique avoir été témoin à de nombreuses reprises de gestes, de phrases et de comportements déplacés de M. [C], envers Mme [X], à savoir des phrases telles que " les roux ça pue " " votre vieux machin ne doit plus bander à son âge ", " je suis sûr que je peux battre votre mari à la course à pied ", ou des gestes comme " remonter le pantalon de Mme [X] à mi-mollet en prétextant vouloir lire la marque de ses chaussettes " " d'essuyer ses mains sur le visage de Mme [X] en sortant des toilettes " ainsi qu'avoir sans cesse des gestes tactiles envers cette dernière à tel point que M. [V] indique qu'il refusait de laisser seule la salariée en présence de M. [C].

Le témoignage de M. [U] produit aux débats ( pièce n° 40 de l'appelante) confirme les propos tenus par M. [C] sur la couleur des cheveux de la salariée et les critiques à connotation sexuelle exprimées à l'encontre du mari de Mme [X].

Il est établi selon le témoignage de M. [V] ( pièce n°34) que M. [W] à diverses reprises, tenait les propos suivants à l'encontre de la salariée " Elle nous casse les couilles à se mettre en arrêt maladie " ou encore " on a un agent qui nous a bien cassé les couilles après les 4 jours de l'aigle ".

M. [F] atteste que M. [Y] lui a demandé de faire un faux témoignage en accusant faussement Mme [X] de l'avoir harcelé moralement au travail après que cette dernière a " saisi les prud'hommes " et qu'elle est en arrêt de travail, M. [Y] lui précisant qu'un tel témoignage lui permettrait de gagner contre Mme [X].

Les propos diffamatoires de M. [Y] et de M. [W] sont établis.

Par ailleurs, la salariée justifie d'une dégradation de son état de santé psychique. C'est ainsi qu'elle communique la décision de la CPAM en date du 18 novembre 2020 de reconnaissance de l'origine professionnelle de sa maladie " anxiété réactionnelle majeure ".

Les éléments de faits dont la matérialité a été retenue ci-dessus, examinés dans leur ensemble laissent effectivement supposer une situation de harcèlement sexuel et moral.

Certes, après avoir été alerté par la salariée par courrier du 02 juin 2019, l'employeur a diligenté une enquête, limitée toutefois à l'audition de deux seuls salariés sans que celle-ci ne donne lieu à aucun compte rendu, et sans contrairement à ce qui est soutenu par le mandataire liquidateur, il ne soit justifié de la prise d'aucune mesure consécutive par la société pour protéger la santé de Mme [X], alors que les réponses à l'enquête d'un des deux salariés interrogés confirmait le comportement harcelant de M. [C] à l'égard de la salariée.

Alors que le harcèlement sexuel subi par la salariée n'est pas contesté par le mandataire liquidateur, il n'est pas établi que l'attitude de M. [Y] et de M. [W] envers Mme [X] était justifiée par des raisons objectives étrangères à tout harcèlement moral.

Le harcèlement sexuel et moral est donc établi.

Sur les effets de prise d'acte de la rupture du contrat de travail :

La prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur empêchant la poursuite du contrat de travail. Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués le justifiaient, voire nul s'agissant d'un salarié protégé, dans le cas contraire, d'une démission.

En l'espèce, il ressort de la lettre de prise d'acte en date du 23 juillet 2020 et de ses écritures que la salariée invoque expressément le harcèlement sexuel et moral et le manquement à l'obligation de sécurité de l'employeur à l'origine de sa prise d'acte.

Il est établi que la salariée a été victime de harcèlement sexuel et moral. Ce faisant, la société a commis un premier manquement grave empêchant la poursuite du contrat de travail doublé d'un second, à savoir la méconnaissance de l'obligation légale de sécurité par la société qui ne justifie pas avoir pris les mesures appropriées pour faire cesser les agissements répréhensibles de M. [C] à l'encontre de la salariée, malgré ses alertes.

Sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres griefs, la prise d'acte de la rupture du contrat de travail pour manquements graves produit les effets d'un licenciement nul conformément à l'article L.1152-3 du code du travail.

Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté Maître [N], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Toute Sécurité Et Tout Accompagnement Privé de de sa demande au titre du préavis.

Sur les conséquences financières de la prise d'acte :

Par ailleurs, en présence d'une prise d'acte requalifiée en licenciement nul, la salariée qui ne demande pas sa réintégration a droit :

- en premier lieu, au paiement d'une indemnité compensatrice de préavis, qui, conformément à l'article L. 1234-5 du code du travail, doit correspondre à la rémunération brute qu'elle aurait perçue si elle avait travaillé pendant la période du délai-congé. En l'espèce, au vu des bulletins de paie et des éléments contractuels, il convient de lui allouer à ce titre la somme de 1 715, 67 euros bruts, outre celle de 171,56 euros bruts au titre des congés payés afférents.

- en second lieu, au paiement d'une indemnité de licenciement, calculée sur la moyenne des salaires des douze derniers mois précédant le licenciement ou sur le tiers des trois derniers mois avec proratisation des éléments de salaire non mensuels, ainsi qu'il résulte de l'article R.1234-4 du code du travail. Compte tenu de sa rémunération et de son ancienneté, il lui sera alloué à ce titre la somme de 343,12 euros bruts.

- en troisième lieu, lorsque le salarié dont le licenciement est nul ne demande pas sa réintégration dans son poste, a droit, en toute hypothèse, en plus des indemnités de rupture, à une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à six mois de salaire, quels que soient son ancienneté et l'effectif de l'entreprise.

A la date du licenciement, Mme [X] percevait une rémunération mensuelle brute de 1 715,67 euros. Elle était âgée de 29 ans et bénéficiait au sein de l'entreprise d'une ancienneté de 2 ans et 6 mois.

Dans ces conditions, il convient de lui allouer une somme de 21 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul.

Le jugement sera infirmé de ces chefs.

Sur la demande pour préjudice moral du fait du comportement du supérieur hiérarchique:

La salariée sollicite le paiement de la somme de 10 000 euros de dommages-intérêts pour préjudice moral en raison des conditions de travail dégradées du fait de ses supérieurs hiérarchiques, les insultes à sa famille et l'atteinte consécutive à son état de santé.

Mme [X] qui a subi un préjudice moral du fait du harcèlement moral et sexuel subi verra son préjudice réparé à hauteur de 5 000 euros.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur les demandes accessoires :

Il sera ordonné au mandataire liquidateur de la société, de remettre à la salariée les documents de fin de contrat régularisés, dans le délai de deux mois à compter de la signification du présent arrêt.

Sur la fixation au passif et la garantie de l'AGS :

En application des articles L. 622-22 et L. 625-3 du code de commerce et de l'article L.3253-8 du code du travail, les créances du salarié seront fixées au passif de la société.

La rupture du contrat de travail étant intervenue le 23 juillet 2020 soit postérieurement au jugement en liquidation judiciaire, conformément à l'article L. 3253-8 du code du travail, l'Ags n'est tenue de garantir que les créances dues en exécution du contrat de travail.

Les créances indemnitaires ne sont pas garanties.

Le présent arrêt sera déclaré opposable à l'AGS CGEA [Localité 4] dans la limite de sa garantie, étant rappelé que les indemnités allouées au titre des frais irrépétibles ne rentrent pas dans le champ de cette garantie.

Sur les dépens :

Les dépens de première instance et d'appel seront fixés au passif de la liquidation judiciaire de la société.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Dit Mme [X] recevable en son appel.

Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Chartres du 1er juin 2022 en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté Maître [N], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Toute Sécurité Et Tout Accompagnement Privé de ses demandes reconventionnelles.

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Juge que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail pour manquements graves par Mme [P] [X] produit les effets d'un licenciement nul.

Fixe les créances de Mme [P] [X] au passif de la société Toute Sécurité Et Tout Accompagnement Privé aux sommes suivantes :

-1 400 euros bruts au titre des heures supplémentaires pour la période du 5 février 2018 au 1er septembre 2019 et 140 euros bruts au titre des congés payés afférents.

- 1 715, 67 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre celle de 171,56 euros bruts au titre des congés payés afférents.

- 343,12 euros à titre d'indemnité de licenciement.

- 21 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul.

- 5 000 euros en réparation du harcèlement sexuel et moral subi.

- 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

Ordonne la remise par Maître [N], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Toute Sécurité Et Tout Accompagnement Privé à Mme [P] [X] des documents de fin de contrat conformes dans le délai deux mois à compter de la signification du présent arrêt,

Dit qu'en application des articles L. 622-28 et L. 641-3 du code de commerce, le jugement d'ouverture de la procédure collective arrête définitivement à sa date, le cours des intérêts au taux légal des créances salariales nées antérieurement,

Dit la décision opposable à l'AGS CGEA [Localité 4] dans la limite de sa garantie,

Dit que les créances indemnitaires ne sont pas garanties par l'AGS CGEA [Localité 4],

Les dépens de première instance et d'appel seront fixés au passif de la liquidation judiciaire de la société.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Nathalie COURTOIS, Président et par Madame Isabelle FIORE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre sociale 4-6
Numéro d'arrêt : 22/02066
Date de la décision : 04/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 11/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-04;22.02066 ?
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