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04/07/2024 | FRANCE | N°22/01522

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre sociale 4-6, 04 juillet 2024, 22/01522


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



Chambre sociale 4-6



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 04 JUILLET 2024



N° RG 22/01522 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VF3B



AFFAIRE :



[I] [M] épouse [F]





C/





S.A.S. COMPASS GROUP FRANCE









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 30 Mars 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT



N° Section : C

N° RG : F19/01492



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :







Me Jean-Christophe BRUN de la SELARL ALERION SOCIETE D'AVOCATS



M. [L] [U]

(Délégué syndical)



le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PE...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

Chambre sociale 4-6

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 04 JUILLET 2024

N° RG 22/01522 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VF3B

AFFAIRE :

[I] [M] épouse [F]

C/

S.A.S. COMPASS GROUP FRANCE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 30 Mars 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT

N° Section : C

N° RG : F19/01492

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Jean-Christophe BRUN de la SELARL ALERION SOCIETE D'AVOCATS

M. [L] [U]

(Délégué syndical)

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUATRE JUILLET DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame [I] [M] épouse [F]

née le 01 Janvier 1969 à

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentant : M. [L] [U] (Délégué syndical ouvrier)

APPELANTE

****************

S.A.S. COMPASS GROUP FRANCE

N° SIRET : 632 041 042

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Jean-Christophe BRUN de la SELARL ALERION SOCIETE D'AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K126

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 02 Avril 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nathalie COURTOIS, Président chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Nathalie COURTOIS, Président,

Madame Odile CRIQ, Conseiller,

Madame Véronique PITE, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Isabelle FIORE,

En présence de Madame [J] [K], greffier stagiaire

FAITS ET PROCÉDURE

A compter du 1er avril 1999, Mme [I] [M], épouse [F], a été engagée par contrat de travail à durée indéterminée , avec reprise d'ancienneté au 17 juin 1991, en qualité d'employée de restauration, par la SAS Compass Group France, qui intervient dans le secteur de la restauration de collectivités, emploie plus de dix salariés et relève de la convention collective nationale de la restauration collective.

En dernier lieu, Mme [I] [M] exerçait les fonctions d'employée de restauration, statut employé.

Par courrier du 6 mars 2018, Mme [I] [M] s'est vu notifier une mise à pied disciplinaire de cinq jours.

Convoquée le 22 février 2019 à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 14 mars 2019, Mme [I] [M] a été licenciée par courrier du 22 mars 2019 énonçant une faute grave.

La lettre de licenciement est ainsi libellée:

'Madame,

Suite à notre entretien qui s'est tenu le 14 mars 2019, auquel nous vous avons convoqué par lettre recommandée en date du 22 février 2019, où vous avez été reçue par Madame [C] [S] et le signataire de la présente, nous vous informons de notre décision de vous licencier pour les motifs suivants:

-Comportements et propos irrespectueux envers vos collègues de travail et votre hiérarchie.

- Insubordinations répétées vis-à-vis de votre hiérarchie, et non-respect des consignes.

Lors de cet entretien, il vous a été indiqué que nous déplorions un comportement général particulièrement insatisfaisant, au regard notamment du fait que vous avez été reçue en entretien de recadrage par vos responsables hiérarchiques à de nombreuses reprises par le passé.

Le caractère répétitif de vos comportements irrespectueux s'est d'ailleurs traduit par une précédente sanction disciplinaire - mise à pied disciplinaire - intervenue en mars 2018, faisant suite à une altercation grave et des faits de violence physique envers l'une de vos collègues de travail.

Lors de ces entretiens de recadrage menés par vos Responsables, et à la suite de votre précédente sanction disciplinaire, vous aviez été clairement mise en garde et alertée sur les suites disciplinaires auxquelles vous vous exposiez si votre comportement ne devait pas s'améliorer.

Au cours de votre entretien préalable du 14 mars 2019, nous vous avons reproché les faits suivants :

- En date du 20 février, à 14h50, c'est-à-dire alors que votre journée de travail n'était pas terminée, vous étiez assise dans un canapé se trouvant sur l'établissement. Votre Gérant, M. [N] est venu vous trouver afin de vous indiquer que ce n'était pas l'heure de la pause, et vous a demandé de reprendre le travail. Vous lui avez répondu: « je ne prends pas de pause, je discute », alors même que vous auriez dû être en train de travail, votre journée de travail n'était pas terminée.

- En date du 19 février, lors au briefing d'équipe, Madame [S] votre Directrice de site, a mentionné la nécessité d'un respect mutuel de tous les collaborateurs sur le lieu de travail. Vous étiez présente, et à ces mots, vous vous êtes mise à rire devant l'ensemble de vos collègues. A la suite de cela, Madame [S] et Monsieur [N] vous ont reçue pour avoir des explications sur votre comportement. Vous avez répondu qu'en effet, ces propos vous faisaient rire. Nous vous avons indiqué que ce comportement n'était pas acceptable, d'autant plus que votre attitude est systématiquement défiante lors des briefings d'équipe, lors desquels vous vous moquez ostensiblement des consignes données par votre hiérarchie, devant l'ensemble de vos collègues de travail.

-Le 15 février, plusieurs faits non professionnels et irrespectueux vous ont été reprochés : vous êtes allée trouver l'une de vos collègues pour lui dire que d'après vous, celle-ci avait « grossi ». Il vous a été précisé que ce type de réflexions n'avaient rien à faire dans un milieu professionnel, et n'étaient pas respectueux pour l'intégrité de vos collègues. Cette même journée, alors que vous étiez dans la légumerie, vous avez lancé un carton à travers le couloir; ce carton a heurté Monsieur [N], votre responsable. Celui- ci vous a fait un rappel à l'ordre sur la sécurité au travail, que vous n'avez pas souhaité écouter. C'est un acte grave, qui n'est pas anodin, et qui démontre le manque de respect flagrant que vous avez pour l'intégrité physique et morale des personnes qui travaillent à vos côtés.

- Toujours en date du 15 février, vous êtes allée à la rencontre de l'une de vos collègues et l'avez interrogée sur sa vie personnelle et affective; à sa réponse, vous lui avez dit « tu es gouine, toi ». Ces propos surviennent alors que vous aviez déjà tenu précédemment des propos à caractère homophobes envers une autre collaboratrice par le passé, et que vous aviez été rappelée à l'ordre. Nous vous avons indiqué que ces propos insultants sont strictement prohibés par la loi, par notre Règlement Intérieur et par les Règles d'Or de notre Entreprise, et sont intolérables. Les propos à caractère discriminatoire et homophobes font l'objet d'une tolérance zéro dans notre Entreprise.

- Le 14 février, vous n'avez pas nettoyé les vitrines dans la distribution, alors que cette mission vous incombe, et est prévue dans votre fiche de poste. Un rappel sur ce point vous a été fait par votre hiérarchie. Ce même jour, vous avez voulu emporter une boisson appartenant à l'Entreprise en quittant le restaurant, à la fin de votre journée de travail, pour l'apporter avec vous à l'extérieur du site. Votre Directrice de site est intervenue en rappelant le Règlement Intérieur en vigueur, et vous a indiqué que les boissons mises à disposition des salariés concernent une consommation sur le lieu et le temps de travail, et non à l'extérieur du site pour sa consommation personnelle ou familiale. En retour à ce rappel, vous avez ouvert la bouteille, l'avez partiellement bue devant Madame [S] de façon ostensiblement provoquante, et êtes partie en emportant le reste.

- Le 11 février dernier, l'une de vos collègues a poussé un chariot que vous aviez laissé dans la circulation; en retour, vous avez poussé ce chariot qui a heurté la cheville de celle-ci. A nouveau c'est une manifestement de votre manque total de considération pour la sécurité au travail et l'intégrité physique de vos collègues.

Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, votre maintien dans l'entreprise est impossible. Votre licenciement prend donc effet immédiatement, sans indemnité de préavis ni de licenciement.

Vous pouvez faire une demande de précision des motifs du licenciement énoncés dans la présente lettre, dans les quinze jours suivant sa notification par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé. [...]'

Le 26 novembre 2019, Mme [I] [M] a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt aux fins de voir juger son licenciement comme étant sans cause réelle et sérieuse et demander le paiement des indemnités afférentes, ce à quoi la société s'est opposée.

Par jugement rendu le 30 mars 2022, notifié le 8 avril 2022, le conseil a statué comme suit :

déboute Mme [I] [M] de ses demandes d'indemnité de licenciement et d'indemnité pour licenciement abusif

confirme le licenciement de Mme [I] [M] pour faute grave

déboute Mme [I] [M] de ses demandes d'indemnité compensatrice de préavis, d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis et de treizième mois sur préavis

déboute Mme [I] [M] de sa demande de remise d'une attestation Pôle Emploi, d'un certificat de travail et d'un bulletin de paie conforme

déboute chacune des parties de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile

dit que chacune des parties aura la charge des dépens

déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Le 3 mai 2022, Mme [I] [M] a relevé appel de cette décision par voie postale.

Selon ses dernières conclusions remises au greffe le 21 juillet 2022, Mme [I] [M] demande à la cour de :

infirmer et réformer le jugement du conseil de prud'hommes de Boulogne Billancourt en ce qu'il a débouté Madame Mme [I] [M] des demandes suivantes:

* indemnité compensatrice de préavis : 3 348,46 euros

* congés payés sur préavis : 334,84 euros

* indemnité de licenciement: 14 119,33 euros

* treizième mois sur préavis: 279,03 euros

* indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :40 000 euros

* article 700 du code de procédure civile : 2 000 euros

condamner la société Compass Group France à payer à Mme [I] [M] les sommes suivantes:

* 3 348 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis

* 334,84 euros au titre des congés payés incidents

* 14 119,33 euros au titre de l'indemnité de licenciement

* 279,03 euros au titre du treizième mois sur le préavis

* 40 000 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

ordonner la remise d'une attestation pôle emploi 'un certificat de travail et d'un bulletin de paie conforme

condamner la société Compass Group France à payer à Mme [I] [M] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 18 octobre 2022, la société Compass Group France demande à la cour de :

recevoir la société Compass Group France en ses écritures

confirmer, dans toutes ses dispositions, le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt le 30 mars 2022

et par conséquent, constater que le licenciement de Mme [I] [M] repose bien sur une faute grave

en conséquence, débouter Mme [I] [M] de l'intégralité de ses demandes

à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour infirmerait le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt le 30 mars 2022 et jugerait le licenciement de Mme [I] [M] fondé sur une cause réelle et sérieuse (faute simple), dire et juger que le licenciement de Mme [I] [M] repose sur une cause réelle et sérieuse

en conséquence, débouter Mme [I] [M] de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

à titre infiniment subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour infirmerait le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt le 30 mars 2022 et jugerait le licenciement de Mme [I] [M] dépourvu de cause réelle et sérieuse, limiter la condamnation de la société au paiement de 4 791,84 euros représentant trois mois de salaire à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en application de l'article L1235-3 du code du travail

en tout état de cause, débouter Mme [I] [M] de sa demande de rappel de salaire au titre du treizième mois

condamner Mme [I] [M] à verser à la Société la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour plus ample exposé des moyens des parties, il est expressément renvoyé, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, aux conclusions susvisées ainsi qu'aux développements infra.

Par ordonnance rendue le 24 janvier 2024, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 2 avril 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le licenciement

Sur la cause

En vertu des dispositions de l'article L1235-1 du code du travail, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute subsiste il profite au salarié.

La faute grave se définit comme étant un fait ou un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et la poursuite du contrat. L'employeur doit rapporter la preuve de l'existence d'une telle faute, et le doute profite au salarié.

La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, porte sur une série de six faits qu'il conviendra d'analyser chronologiquement.

Par ailleurs, il y est rappelé des antécédents disciplinaires dont seuls ceux commis en 2018 seront évoqués conformément à l'article L1332-5 du code du travail.

C'est ainsi que dans un courrier du 6 mars 2018, il a été reproché à Mme [I] [M] plusieurs altercations orales et/ou physiques avec une collègue (Mme [A]), au cours desquelles Mme [I] [M] se serait servie d'un ustensile (rouleau à pâtisserie) 'comme arme', faits ayant donné lieu à une convocation à un entretien préalable à licenciement le 7 février 2018, suivie d'une décision le 6 mars 2018 de mise à pied de 5 jours que Mme [I] [M] n'a pas contestée.

Sur les faits du 11 février 2019 à savoir l'une de vos collègues a poussé un chariot que vous aviez laissé dans la circulation; en retour, vous avez poussé ce chariot qui a heurté la cheville de celle-ci. A nouveau c'est une manifestement de votre manque total de considération pour la sécurité au travail et l'intégrité physique de vos collègues'.

Au soutien de ce grief, la SAS Compass Group France produit une attestation rédigée par M. [N], gérant de restaurant et supérieur hiérarchique de la salariée, qui indique avoir vu Mme [F] (nom d'épouse de Mme [I] [M]) 'envoyé un chariot dans la cheville d'une collègue car celle-ci l'avait déplacé'. L'appelante critique la forme de cette attestation, la déclarant non conforme à l'article 202 du code de procédure civile au motif qu'elle est dactylographée et que la copie de la pièce d'identité du rédacteur n'y est pas jointe. Elle ajoute que le salarié, qui serait concerné, ne s'est pas plaint auprès de l'employeur lequel ne verse pas la déclaration d'accident du travail ni aucune pièce pour établir la matérialité des faits.

Outre le fait que les dispositions de l'article 202 précité ne sont pas prescrites à peine de nullité, il convient de relever que l'appelante ne précise pas en quoi l'irrégularité dénoncée constitue une formalité substantielle ou d'ordre public lui faisant grief. Par ailleurs, aucune disposition ne fait obligation de renseigner l'attestation manuscritement, excepté pour la retranscription des dispositions de l'article 441-7 du code pénal, dont le formulaire précise que cette retranscription se fasse entièrement de la main de son rédacteur, exigence respectée en l'espèce outre le fait que le rédacteur a écrit de sa main son nom avant de signer. Si la carte d'identité du rédacteur n'est pas jointe, pour autant Mme [I] [M] ne soulève aucune usurpation d'identité ni falsification, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'écarter cette attestation des débats.

Enfin, si l'attestation de M.de [N], comme la lettre de licenciement, ne précise pas l'identité de la salariée concernée par les faits du 11 février, pour autant elle est suffisamment précise quand à la date et la nature des faits reprochés pour permettre à Mme [I] [M] d'identifier la collègue concernée, outre le fait que l'appelante ne formule aucune observation sur l'identité de la salariée.

Il convient de dire ce grief établi.

Sur les faits du 14 février 2019 à savoir 'vous n'avez pas nettoyé les vitrines dans la distribution, alors que cette mission vous incombe, et est prévue dans votre fiche de poste. Un rappel sur ce point vous a été fait par votre hiérarchie. Ce même jour, vous avez voulu emporter une boisson appartenant à l'Entreprise en quittant le restaurant, à la fin de votre journée de travail, pour l'apporter avec vous à l'extérieur du site. Votre Directrice de site est intervenue en rappelant le Règlement Intérieur en vigueur, et vous a indiqué que les boissons mises à disposition des salariés concernent une consommation sur le lieu et le temps de travail, et non à l'extérieur du site pour sa consommation personnelle ou familiale. En retour à ce rappel, vous avez ouvert la bouteille, l'avez partiellement bue devant Madame [S] de façon ostensiblement provoquante, et êtes partie en emportant le reste'.

Mme [I] [M] soutient que le nettoyage des vitrines de la distribution est assurée par l'ensemble des employés de restauration; que l'employeur ne verse que l'attestation de M. [N], non conforme à l'article 202 du code de procédure civile pour les mêmes motifs que précédemment, alors qu'elle est supervisée par la chef de groupe et le chef de cuisine; que le règlement intérieur n'interdit pas à un salarié de consommer de l'eau outre le fait qu'elle n'avait pas l'intention d'emporter une boisson à l'extérieur de l'entreprise ni de provoquer Mme [S].

Au soutien de ces différents griefs, la SAS Compass Group France produit l'attestation de M.[N] qui écrit ' le 14 février 2019, Mme [F] a refusé alors que sa fiche de poste le prévoit de nettoyer les vitrines en fin de service'.

Il résulte de la fiche de poste (pièce 3) notamment les missions de 'réapprovisionnement des buffets et des stands, meubles froids, self, pôles de distribution, vitrines' et de 'participation au rangement et débarrassage de la salle et de l'office, au nettoyage de la vaisselle'. Il y est également précisé que s'agissant de la mission 'rangement et nettoyage', l'employé(e) de restauration 'participe au rangement et nettoyage de la salle et des stands en fin de service, participe au nettoyage de la cuisine (locaux et équipements), peut participer à la plonge (tri de la vaisselle en entrée, vérification de propreté et rangement en sortie), participe à l'évacuation des déchets, respecte les consignes d'utilisation des produits lessiviels'.

Ainsi, c'est à tort que Mme [I] [M] a refusé de nettoyer les vitrines, ce qu'elle ne conteste pas.

S'agissant de l'incident de la boisson et de son attitude à l'égard de Mme [S], la SAS Compass Group France n'apporte aucun justificatif, de sorte que les griefs du 14 février sont partiellement établis.

Sur les faits du 15 février 2019

'plusieurs faits non professionnels et irrespectueux vous ont été reprochés : vous êtes allée trouver l'une de vos collègues pour lui dire que d'après vous, celle-ci avait « grossi». Il vous a été précisé que ce type de réflexions n'avaient rien à faire dans un milieu professionnel, et n'étaient pas respectueux pour l'intégrité de vos collègues. Cette même journée, alors que vous étiez dans la légumerie, vous avez lancé un carton à travers le couloir; ce carton a heurté Monsieur [N], votre responsable. Celui- ci vous a fait un rappel à l'ordre sur la sécurité au travail, que vous n'avez pas souhaité écouter. C'est un acte grave, qui n'est pas anodin, et qui démontre le manque de respect flagrant que vous avez pour l'intégrité physique et morale des personnes qui travaillent à vos côtés'.

Au soutien de ce grief, la SAS Compass Group France produit l'attestation de M.[N] qui écrit ' le 15 février 2019, Mme [F] a lancé un carton de la légumerie vers le couloir, ce carton m'est retombé dessus' et ' j'ai entendu Mme [F] dire à Mme [P] que celle-ci avait grossi'.

Mme [I] [M] conteste l'attestation de M.[N] pour les mêmes motifs que précédemment, ajoute que l'employeur ne produit aucune attestation de Mme [P] laquelle n'a pas déposé de réclamation auprès de son employeur, de sorte que l'attestation de M. [N] ne suffit pas à établir les faits et conteste avoir lancé un carton à travers le couloir, soutenant respecter les règles de sécurité.

Néanmoins, Mme [I] [M] ne produit aucun élément de nature à contredire l'attestation de M.[N] s'agissant de l'incident du carton qui le concernait directement et s'agissant des propos tenus à l'égard de Mme [P] qu'il atteste avoir entendus.

Ces griefs sont établis.

'vous êtes allée à la rencontre de l'une de vos collègues et l'avez interrogée sur sa vie personnelle et affective; à sa réponse, vous lui avez dit « tu es gouine, toi ». Ces propos surviennent alors que vous aviez déjà tenu précédemment des propos à caractère homophobes envers une autre collaboratrice par le passé, et que vous aviez été rappelée à l'ordre. Nous vous avons indiqué que ces propos insultants sont strictement prohibés par la loi, par notre Règlement Intérieur et par les Règles d'Or de notre Entreprise, et sont intolérables. Les propos à caractère discriminatoire et homophobes font l'objet d'une tolérance zéro dans notre Entreprise'.

Mme [I] [M] conteste les faits, soutient que la plainte déposée par Mme [P] a été classée sans suite et produit trois attestations de collègues (pièces 29, 37 et 38) affirmant qu'elle n'a jamais proféré de propos xénophobes envers qui que ce soit (Mme [D]), ni homophobes à l'égard de [E] (Mme [V]) ni d'injures ou des propos racistes ou homophobes envers qui que ce soit y compris la pâtissière (Mme [T]).

Au soutien de ces griefs, la SAS Compass Group France produit le dépôt de plainte du 12 mars 2019 de Mme [P], pâtissière, qui déclare ' le 15 février 2019, j'ai subi une insulte de la part d'une collègue de travail, la nominée [F] [I]. Elle m'avait dit ' toi t'es gouine'. Je n'avais pas pris au sérieux cette insulte. Mais depuis, cela a recommencé sous la forme de mots anonymes que j'ai retrouvés dans mon casier. J'ai retrouvé dans mon casier au travail, des mots d'insultes. Le premier du 21/02/2019 'sale gouine prts', le second le 27/02/2019 ' gouine de merde', le troisième le 04/03/2019 'salope', le quatrième le 12 mars 2019 'homo malad'. Je ne peux pas dire si ces mots ont été écrits par la nommée [F] [I]. Je vous remets les mots sus-décrits'.

Néanmoins, s'il n'est pas démontré que les écrits homophobes retrouvés dans le casier de Mme [P] (pièce 12) proviennent de Mme [I] [M] outre le fait qu'ils ne sont pas mentionnés dans la lettre de licenciement, les paroles homophobes tenues en date du 15 février 2019 sont établies. Les attestations produites par Mme [I] [M], dont il convient de relever qu'elles ne répondent pas au formalisme de l'article 202 du code de procédure civile, faute de reproduire les informations fixées par l'alinéa 2 de l'article 202, n'apportent aucune contradiction utile, présentant Mme [I] [M] comme une personne incapable de proférer une insulte, ce que son passé disciplinaire contredit, sans qu'il se déduise de ces attestations que ces salariées étaient présentes le 15 février 2019 et donc témoins de l'absence d'incident ce jour là entre ces deux salariées.

Les griefs sont partiellement établis.

Sur les faits du 19 février 2019: 'lors au briefing d'équipe, Madame [S] votre Directrice de site, a mentionné la nécessité d'un respect mutuel de tous les collaborateurs sur le lieu de travail. Vous étiez présente, et à ces mots, vous vous êtes mise à rire devant l'ensemble de vos collègues. A la suite de cela, Madame [S] et Monsieur [N] vous ont reçue pour avoir des explications sur votre comportement. Vous avez répondu qu'en effet, ces propos vous faisaient rire. Nous vous avons indiqué que ce comportement n'était pas acceptable, d'autant plus que votre attitude est systématiquement défiante lors des briefings d'équipe, lors desquels vous vous moquez ostensiblement des consignes données par votre hiérarchie, devant l'ensemble de vos collègues de travail'.

Mme [I] [M] conteste avoir ri lors de cette réunion et relève que ce n'est pas un motif de licenciement. Elle soutient qu'elle ne s'est jamais moquée des consignes qu'elle recevait de sa hiérarchie, que son employeur ne produit aucune pièce établissant ces faits hormis l'attestation de M.de [N] dont elle conteste la régularité et relève l'absence d'attestation de Mme [S].

La SAS Compass Group France produit l'attestation de M.de [N] qui écrit (pièce 14) 'le 19 février 2019: Mme [S] (directrice de site) parlait de 'respect' lors du briefing, à ces mots Mme [F] s'est mise à rire. En lui demandant des explications au bureau à la fin du briefing elle a dit qu'elle était d'accord avec cela que ça la faisait rire'

Mme [I] [M] ne conteste pas la présence de M.de [N] lors de cet incident, de sorte que son témoignage est suffisant et démontre ce grief.

Sur les faits du 20 février 2019: 'c'est-à-dire alors que votre journée de travail n'était pas terminée, vous étiez assise dans un canapé se trouvant sur l'établissement. Votre Gérant, M. [N] est venu vous trouver afin de vous indiquer que ce n'était pas l'heure de la pause, et vous a demandé de reprendre le travail. Vous lui avez répondu: « je ne prends pas de pause, je discute », alors même que vous auriez dû être en train de travail, votre journée de travail n'était pas terminée'.

Comme relevé par Mme [I] [M], la SAS Compass Group France ne produit aucun justificatif, de sorte que ce grief n'est pas établi.

En conséquence, les griefs étant dans leur grande majorité établis, s'inscrivant dans un contexte d'insubordination, de violences verbales et/ou physiques à l'égard de sa hiérarchie et de ses collègues et dans un contexte d'antécédents disciplinaires de même nature, il convient de dire le licenciement fondé sur une faute grave par confirmation du jugement en ce qu'il a débouté Mme [I] [M] de l'intégralité de ses demandes.

Sur l'article 700 du code de procédure civile

Les demandes de ce chef seront rejetées.

Sur les dépens

Mme [I] [M] sera condamnée aux entiers dépens.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement du conseil des prud'hommes de Boulogne Billancourt du 30 mars 2022;

Y ajoutant;

Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Mme [I] [M] aux entiers dépens.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Nathalie COURTOIS, Président et par Madame  Isabelle FIORE Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre sociale 4-6
Numéro d'arrêt : 22/01522
Date de la décision : 04/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-04;22.01522 ?
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