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04/07/2024 | FRANCE | N°22/01483

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre sociale 4-6, 04 juillet 2024, 22/01483


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80C



Chambre sociale 4-6



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 04 JUILLET 2024



N° RG 22/01483 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VFVC



AFFAIRE :



S.C.I. SOCIÉTÉ SCIC HLM ' AB HABITAT'





C/



[A] [F] épouse [X]









Décision déférée à la cour : Arrêt rendu le 12 Avril 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ARGENTEUIL

N° Chambre : <

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N° Section : E

N° RG : 20/00267



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :





Me Olivier POUEY de

la SELARL POUEY AVOCATS



Me Marie-Laure ABELLA







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

Chambre sociale 4-6

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 04 JUILLET 2024

N° RG 22/01483 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VFVC

AFFAIRE :

S.C.I. SOCIÉTÉ SCIC HLM ' AB HABITAT'

C/

[A] [F] épouse [X]

Décision déférée à la cour : Arrêt rendu le 12 Avril 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ARGENTEUIL

N° Chambre :

N° Section : E

N° RG : 20/00267

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Olivier POUEY de

la SELARL POUEY AVOCATS

Me Marie-Laure ABELLA

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUATRE JUILLET DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant initialement prévu le 20 JUIN 2024 prorogé au 04 JUILLET 2024 dans l'affaire entre :

S.C.I. SOCIÉTÉ SCIC HLM ' AB HABITAT'

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Olivier POUEY de la SELARL POUEY AVOCATS, avocat au barreau de LYON, vestiaire : 1129 -

APPELANTE

****************

Madame [A] [F] épouse [X]

née le 24 Août 1963 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentant : Me Christine MACQUE de la SELAS S.O.P.E.J, avocat au barreau de PARIS - Représentant : Me Marie-Laure ABELLA, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 443 -

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 18 Mars 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Odile CRIQ, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Nathalie COURTOIS, Président,

Madame Véronique PITE, Conseiller,

Madame Odile CRIQ, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Isabelle FIORE,

FAITS ET PROCÉDURE

Mme [A] [X] a été nommée directrice générale, statut cadre, de la société HLM AB Habitat, selon mandat social , à compter du 1er septembre 2016.

La société HLM AB Habitat exerce son activité dans la location de logements, emploie plus de dix salariés et relève de la convention collective nationale du personnel des offices publics de l'habitat et des sociétés de coordination.

Invoquant les manquements de son employeur, Mme [X] a démissionné, par courrier du 28 juillet 2017.

Mme [X] a saisi le conseil de prud'hommes d'Argenteuil, l'affaire ayant été réintroduite le 22 décembre 2020, à la suite de l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 15 octobre 2020 (qui a constaté l'existence d'un lien de salariat entre Mme [X] et la société et a déclaré le conseil de prud'hommes d'Argenteuil compétent). Mme [X] demande que soit constatée l'existence d'un travail dissimulé et sollicite la requalification de sa démission en une prise d'acte, aux torts de la société, produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elle demande enfin la condamnation de la société au paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire, ce à quoi la société s'est opposée.

Par jugement rendu et notifié le 12 avril 2022, le conseil a statué comme suit :

Dit que la démission de Mme [X] est équivoque et qu'il y a lieu de la requalifier en une prise d'acte de rupture avec les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Dit que la société HLM AB Habitat s'est rendue auteur de travail dissimulé

En conséquence, condamne la société HLM AB Habitat prise en la personne de son représentant légal à payer à Mme [X] les sommes suivantes :

21.483,42 euros au titre de dommages intérêts pour un licenciement sans cause réelle et sérieuse

64.450 euros au titre de dommages intérêts pour travail dissimulé.

22.327 euros au titre des salaires du 28 juin au 31 août 2016

2.232 euros au titre des congés y afférents.

10.312,02 euros au titre de l'indemnité de congés payés.

3.070,74 euros au titre de l'indemnité de licenciement.

3.4374,99 euros au titre de l'indemnité contractuelle de départ.

2.604,11 euros au titre du rappel de la rémunération variable

260,41 euros (deux cent soixante euros et quarante et un centimes) au titre des congés y afférents.

Ordonne à la société HLM AB Habitat de remettre à Mme [X] une attestation Pôle-Emploi, un certificat de travail et une fiche de paie récapitulative des sommes prononcées.

Soumet la remise de l'attestation Pôle-Emploi, du certificat de travail et de la fiche de paie récapitulative à une astreinte quotidienne de 150 euros par jour de retard à l'exécution du présent jugement, astreintes qui commenceront à produire leurs effets à compter du 30ème jour de la notification du jugement.

Ordonne que le conseil se réserve le droit de liquider l'astreinte qu'il a prononcée.

Frappe le jugement de l'exécution provisoire fondée sur les dispositions de l'article R 1454-28 du code du Travail et fixe la moyenne des trois derniers mois de la rémunération de Mme [X] à la somme de 11.458,33 euros.

Ordonne que les intérêts légaux produiront leurs effets à compter de la réception par la société HLM AB Habitat de sa convocation à comparaître devant le bureau de conciliation en ce qui concerne les rappels de salaire avec les congés y afférents, le rappel de l'indemnité de congés payés, le rappel de la prime variable avec les congés y afférents et l'indemnité de licenciement. A compter de la notification du jugement sur les dommages intérêts pour le licenciement sans cause réelle et sérieuse et le travail dissimulé ainsi que l'indemnité contractuelle de rupture.

Condamne la société HLM AB Habitat à payer à Mme [X] la somme de 4.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Déboute Mme [X] du surplus de ses demandes

Déboute la société HLM AB Habitat de ses demandes reconventionnelles.

Condamne la société HLM AB Habitat aux entiers dépens de la présente instance et qu'en cas d'exécution forcée, les frais, débours et autres honoraires de l'huissier de justice seront à sa seule charge.

Le 3 mai 2022, la société HLM AB Habitat a relevé appel de cette décision par voie électronique.

Selon ses dernières conclusions remises au greffe le 21 décembre 2023, la société HLM AB Habitat demande à la cour de :

Réformer intégralement le jugement rendu par le conseil de prud'hommes le 12 avril 2022.

Et statuant à nouveau, il est demandé à la cour de :

1. Concernant la demande de travail dissimulé

1.1.A titre principal

Constater que Mme [X] n'était pas salariée de la société HLM AB Habitat du 28 juin au 31 août 2016 ;

Dire et juger que la société HLM AB Habitat ne s'est pas rendue coupable de travail dissimulé du 28 juin au 31 août 2016 ;

1.2.A titre subsidiaire

Minorer le montant des condamnations au titre du rappel de salaire à hauteur de 10.781,16 euros, outre 1.078,12 euros au titre des congés payés afférents.

2. Concernant la demande de requalification de la démission en prise d'acte

Constater que la société HLM AB Habitat n'a commis aucun manquement dans la relation de travail.

Constater que Mme [X] n'a jamais réclamé le paiement de salaires pour la période allant de juin à août 2016, y compris au moment de sa démission.

En conséquence :

Dire et juger que la démission de Mme [X] du 28 juillet 2017 est claire et non équivoque.

Débouter Mme [X] de l'ensemble de ses demandes

3. Reconventionnellement,

Condamner Mme [X] à verser à la société les sommes de :

2.405,69 euros au titre du trop-perçu de congés payés,

1.773 euros au titre du trop-perçu de tickets restaurant,

Condamner Mme [X] à verser à la société HLM AB Habitat la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

'Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 9 janvier 2024, Mme [X] demande à la cour de :

Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes dont appel en ce qu'il a :

Déclaré que la démission de Mme [X] est équivoque et qu'il y a lieu de la requalifier en une prise d'acte de rupture avec les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Déclaré que la société HLM AB Habitat s'est rendue auteur de travail dissimulé ; Ordonné la remise d'une attestation Pôle Emploi, un certificat de travail et une fiche de paie récapitulative des sommes prononcées ;

Soumis la remise de l'attestation Pôle Emploi, le certificat de travail et la fiche de paie récapitulative à une astreinte quotidienne de 150 euros par jour de retard à l'exécution du présent jugement, astreintes qui commenceront à produire leurs effets à compter du trentième jour de la notification du jugement ;

Ordonné que le conseil se réserve le droit de liquider l'astreinte ;

Ordonné que les intérêts légaux produisent leurs effets à compter de la réception de la convocation par la société HLM AB Habitat devant le bureau de conciliation en ce qui concerne les rappels de salaire avec les congés payés afférents, rappel de l'indemnité de congés payés, rappel de la prime variable et congés payés afférents et l'indemnité de licenciement, à compter de la notification dudit jugement sur les dommages et intérêts pour le licenciement sans cause réelle et sérieuse et le travail dissimulé, ainsi que l'indemnité contractuelle de rupture ;

Condamné la société HLM AB Habitat à payer à Mme [X] la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

Débouté la société HLM AB Habitat de ses demandes reconventionnelles ;

Condamné la société HLM AB Habitat aux entiers dépens.

A titre principal,

Réformer la décision dont appel sur les montants alloués à Mme [X]

Y ajoutant, condamner la société HLM AB Habitat à payer à Mme [X] les sommes suivantes :

23.585,12 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

70.755,36 euros à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé ;

24.764,38 euros à titre de salaire du 28 juin 2016 au 31 août 2016 ;

2.476,44 euros au titre des congés payés afférents ;

10.312,02 euros au titre de l'indemnité de congés payés ;

3.160,41 euros au titre de l'indemnité de licenciement ;

106.133 euros au titre de l'indemnité contractuelle de départ ;

2.948,14 euros au titre du rappel de la rémunération variable ;

294,81 euros au titre des congés afférents ;

5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

A titre subsidiaire,

Confirmer la décision dont appel en toutes ses dispositions et en conséquence condamner la société AB HABITAT à payer à Mme [X] les sommes suivantes :

21.483,42 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

64.450 euros à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé ;

22.327 euros à titre de salaire du 28 juin au 31 août 2016 ;

2.232 euros au titre des congés payés afférents ;

10.312,02 euros au titre de l'indemnité de congés payés ;

3.070,74 euros au titre de l'indemnité de licenciement ;

2.604,11 euros au titre du rappel de la rémunération variable ;

260,41 euros au titre des congés afférents ;

34.374,99 euros au titre de l'indemnité contractuelle de départ ;

4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Débouter la société de l'intégralité de ses demandes

En tout état de cause,

Débouter la société AB HABITAT de l'intégralité de ses demandes

Condamner la société AB HABITAT à payer à Mme [X] la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.

Par ordonnance rendue le 10 janvier 2024, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 18 mars 2024.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.

MOTIFS

Sur la relation contractuelle alléguée du 28 juin au 31 août 2016 :

Mme [X] soutient que l'employeur a eu recours au travail dissimulé en la faisant travailler avant sa prise de poste du 1er septembre 2016 soit du 28 juin au 31 août 2016.

La société oppose l'absence de lien de subordination de Mme [X] sur la période.

Le contrat de travail est celui par lequel une personne s'engage à travailler pour le compte et sous la subordination d'une autre, moyennant rémunération.

Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

L'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs.

En l'absence d'écrit, il incombe à celui qui se prévaut d'un contrat de travail d'en rapporter la preuve.

Mme [X] communique, pour preuve de l'existence d'un contrat de travail durant cette période, les éléments suivants :

-un mail du 18 juillet 2016 de Mme [X] adressé à M. [E], vice-président de la société AB Habitat, ayant pour objet une réunion du 19 juillet et la communication " d'une maquette excel pour le CR ", un projet de powerpoint pour les actions concernant l'Ancols, un projet de powerpoint pour la stratégie 2016-2023 avec une proposition d'organisation au vu de l'analyse faite par Mme [X] sur le fichier du personnel.

-une présentation établie par Mme [X] pour le séminaire du 16 septembre 2016.

-un échange de mails en date des 28 et 30 juin 2016 aux termes desquels Mme [X] recherchait des collaborateurs.

-un courriel du 13 juillet 2016 de M. [N] -AB Habitat- adressé à Mme [X] confirmant une réunion de travail pour le 19 juillet à la mairie de [Localité 4] avec pour objet un ordre du jour portant notamment sur un projet " réorganisation DSP ", une réflexion sur la limitation de la filière technique, remplacement de M. [J], les relations sociales CGT et FSU, la délégation de signature aux directeurs, l'opération de rachat de 108 logements, une opération VEFA Cogedim, le bilan social 2015, le rapport Ancols. M. [N] indiquait à Mme [X] " compte tenu du nombre de points à traiter il sera peut-être nécessaire d'organiser une autre journée fin août peu avant ta prise de poste ", il ajoutait " je t'apporterai le téléphone le disque USB externe pour sauvegarder tes données et l'ordinateur portable avec l'accès VPN pour te connecter au système d'information et à la messagerie Lotus " et précisait " ta boîte mail est déjà créée et la synchronisation des mails est programmée sur ton iPhone ".

-un courriel de Mme [X] adressé à la société indiquant avoir avancé sur la lecture du rapport Ancols ainsi que sur l'organisation à mettre en place et concluant de la façon suivante : " On aura largement de quoi travailler le 19 juillet toute la journée. Je t'envoie cet AM mes premières réflexions avec des éléments à compléter. ".

-un courriel du 27 juillet 2016 de Mme [X] adressé à Mme [K] -AB Habitat- lui indiquant avoir étudié différentes options sur les missions liées à la gouvernance et sur les missions concernant des activités techniques.

- le témoignage de M. [O] qui indique avoir été engagé en tant que consultant par le président de AB habitat de mars à août 2016 et être intervenu deux à trois jours par semaine au siège en contact étroit, notamment avec la nouvelle directrice générale et ses équipes.

-un courriel du 22 juillet 2016 de M. [E], vice-président de la société AB Habitat indiquant à Mme [X] que M. [V], président de la société, souhaitait la rencontrer fin août avant leur réunion et qu'un autre rendez-vous était fixé avec Mme [Z], le 31 août à 10h00.

-une analyse de plusieurs pages rédigée par Mme [X] à l'adresse du député [S] [E] envoyée à la société le 20 août 2016 concernant l'opportunité d'acquisition de 515 logements.

-un courriel de Mme [K] -AB Habitat- du 26 août 2016 indiquant à Mme [X], que le vice-président attendait ses remarques sur Ancols pour la réunion du 30 août.

Il ressort de ces pièces que sur toute la période considérée, Mme [X] a effectué un travail effectif conséquent au profit de la société AB Habitat à la demande des dirigeants de cette dernière, sous leur direction, et avec des moyens mis à sa disposition par la société pour le réaliser.

Vainement la société fait elle valoir que les quatre mails produits par Mme [X] du 26 au 31 août 2016 ne suffisent pas à caractériser un travail effectif sur l'ensemble du mois, alors que le travail ayant abouti à la note du 20 août 2016 est une analyse rédigée par l'intimée qui a requis un travail antérieur conséquent.

Il suit de ce qui précède qu'il est établi que la société appelante a fait travailler Mme [X] du 28 juin au 31 août 2016, période pour laquelle l'employeur ne justifie pas avoir établi une déclaration préalable à l'embauche auprès de l'Urssaf ni avoir établi des bulletins de salaire.

Selon l'article L. 8221-5 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :

1°/ soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L.1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;

2°/ soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 3243-2 relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3°/ soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.

L'article L.8223-1 du même code précise qu'en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours en commettant les faits prévus à l'article L.8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

Vainement la société objecte-t-elle le défaut d'élément intentionnel du travail dissimulé pour avoir eu recours au mandat social pour Mme [X], alors que l'inscription de cette dernière au registre du commerce en qualité de directrice générale résulte de la délibération du conseil d'administration du 4 juillet 2016 et non tel que le soutient à bon droit l'intimée de l'exercice effectif d'une prestation de travail dès le 28 juin 2016. La société s'est donc intentionnellement soustraite aux obligations telles que mentionnées par l'article L. 8221-5 du code du travail.

Un lien de subordination entre Mme [X] et la société AB Habitat étant établi à compter du 28 juin 2016, la salariée est donc bien fondée à réclamer l'allocation d'une indemnité pour dissimulation d'emploi salarié.

Mme [X] ayant perçu à titre de revenus d'octobre 2016 à septembre 2017 la somme de 141 510,67 euros, il lui sera alloué la somme de 70 755,36 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé. Le jugement sera réformé de ce chef.

Sur la demande en paiement des salaires du 28 juin au 31 août 2016 :

Mme [X] qui a commencé à travailler le 28 juin 2016, est bien fondée en sa demande en paiement des salaires sur cette période.

La société sera condamnée à payer à Mme [X] la somme de 24 764,38 euros bruts à titre de salaires outre la somme de 2 476,43 euros bruts au titre des congés payés afférents.

Le jugement sera réformé de ce chef.

Sur la demande en paiement du solde des congés payés :

La société fait valoir que Mme [X] a été intégralement remplie de ses droits à repos rémunérés pour avoir pris des congés du 31 juillet au 4 septembre 2017 soit cinq semaines.

Il est établi selon procès-verbal du conseil d'administration du 4 juillet 2016 que Mme [X] disposait de repos rémunérés d'une durée de sept semaines par année civile.

Selon courriel du 11 août 2017 (pièce n° 87 de l'intimée) il est établi que Mme [X] n'avait pas pris ses congés à cette date.

Alors qu'il incombe à l'employeur d'apporter la preuve qu'il a permis à la salariée d'exercer son droit à congés, force est de constater que la société ne satisfait pas à cette exigence par la production de sa seule pièce n° 12 produite aux débats qui se limite à affirmer la prise de congés par la salariée.

C'est à bon droit que les premiers juges ont alloué à Mme [X] la somme de 10 312,02 euros à titre d'indemnité de congés payés.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur la prime variable :

Selon procès-verbal du 4 juillet 2016 du conseil d'administration, il était prévu que Mme [X] recevrait une rémunération annuelle variable égale à 10 % de la rémunération forfaitaire brute calculée à partir de l'atteinte d'objectifs fixés annuellement par le conseil d'administration et relatifs à la mise en 'uvre du plan prévisionnel d'investissement -2014/ 2019, à la mise en 'uvre du plan de développement de logements sociaux et le rachat de patrimoine, ainsi qu'au respect des engagements définis par la Convention d'utilité sociale en matière de politique patrimoniale sociale et de qualité de service.

Vainement, la société oppose que le versement du solde de la prime dépendait de l'approbation par le conseil d'administration de la réalisation par la salariée de ses objectifs de juillet à octobre 2017 sans justifier elle-même que Mme [X] ait failli à cet égard.

Cette dernière est bien fondée en sa demande de rappel de prime, 2017, proratisée au temps de présence sur deux mois et demi à hauteur de la somme de 2 948,14 euros bruts, outre 294,81 euros bruts au titre des congés payés afférents.

Le jugement entrepris sera réformé de ce chef.

Sur la requalification de la démission en prise d'acte :

La démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail.

Lorsque le salarié, sans invoquer un vice de consentement de nature à entraîner l'annulation de sa démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu'à la date à laquelle elle a été donnée celle-ci était équivoque, l'analyser en une prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, voire nul, si les faits invoqués la justifiaient ou, dans le cas contraire, d'une démission.

Il appartient dans ce cas au salarié d'établir les faits qu'il allègue à l'encontre de l'employeur et ceux-ci doivent être suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail.

La lettre de démission est ainsi libellée :

" Monsieur le Président,

Je fais suite à notre échange du 13 juillet 2017 vous informant de ma décision de démissionner de mon poste de Directrice Générale.

Vous comprendrez que la situation actuelle de la gouvernance avec des injonctions paradoxales, des attentes et intérêts contradictoires qui remettent en cause nos décisions, complexifiée par la posture de méfiance de certains représentants syndicaux qui mobilisent une énergie excessive, ne me permet plus d'exercer mes missions avec la sécurité juridique nécessaire à la pérennité de la coopérative et freine mes actions pour atteindre les objectifs fixés.

Toutes ces raisons m'amènent à faire ce choix difficile de me démettre de mes fonctions car je n'ai plus la sérénité qu'il me faudrait pour piloter cette coopérative.

Je tiens à vous remercier pour cette année passée ensemble car j'ai réussi néanmoins grâce à la confiance de la gouvernance, à redresser ABH pour tourner définitivement la page de 2 années éprouvantes au cours desquelles un dialogue social conflictuel avait laissé des blessures profondes et généré une démotivation générale. Vous savez que j'ai mis toute mon énergie, mon enthousiasme, toutes mes compétences ...au service des agents d'ABH, des managers, des administrateurs, y compris des élus locaux et des représentants de l'Etat pour redonner une image professionnelle de notre coopérative. Je me suis attachée à définir un projet d'Entreprise CAP COOP qui donne du sens à l'engagement quotidien de tous au service des locataires.

Toutes les formations, les outils, les supports (que j'ai créés pour mettre en 'uvre cette nouvelle dynamique pour un engagement dans la performance globale) sont une bonne base au service de la coopérative que je laisse dans un meilleur état que je ne l'ai trouvée, même s'il reste encore toujours à faire ....

Attachée à poursuivre le travail engagé, je reste bien évidement disponible pour aider sur n'importe quel sujet dans une volonté de continuer à 'uvrer pour le logement et vous propose d'assurer un accompagnement de mon successeur jusqu'à la fin de l'année pour un transfert de compétences, un tutorat sur les dossiers importants et une prise en main des priorités. ".

Mme [X] allègue avoir démissionné en raison des manquements graves de l'employeur et sollicite la requalification de sa démission en prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur.

La société s'oppose à cette demande et objecte que Mme [X] n'a pas invoqué durant la relation de travail, le moindre travail dissimulé et que les termes de sa démission sont clairs et non équivoques.

L'absence de déclaration de Mme [X] par l'employeur dès le 28 juin 2016 est établie.

Plusieurs mois s'étant écoulés entre l'absence de déclaration par l'employeur et la démission de Mme [X] en juillet 2017 sans que cette dernière ne justifie à ce titre d'aucune réclamation dans l'intervalle et alors que le manquement n'a eu aucune répercussion sur la relation de travail, le manquement avéré de l'employeur à ce titre ne présente pas un caractère suffisamment grave pour justifier la rupture au mois de juillet 2017.

Il appartient à la salariée de démontrer les autres manquements allégués de l'employeur à ses obligations ce qu'elle ne fait pas par des pièces probantes.

Contrairement à ce que soutient l'intimée, il n'est pas justifié au regard des pièces visées d'une dénonciation à l'employeur de problèmes d'organisation, de charge de travail, et d'injonctions contradictoires.

En effet, la pièce n° 35 visée par Mme [X] est une demande d'avis sur deux versions d'un organigramme, les pièces n° 40 à 44 sont des transmissions d'informations par courriels par Mme [X] au président ou au vice-président sur des dossiers prioritaires, sur une demande d'audit et sur une demande de logement par un locataire desquels ne résultent aucune doléance particulière de Mme [X] ou exposé d'aucune plainte.

Mme [X] produit aux débats sous sa pièce n° 62 un courriel qu'elle adressait le 02 août 2017 au président et au vice- président de la société se limitant à faire seulement état et postérieurement à sa démission, d'une divergence de vues entre ces deux derniers sans qu'aucun manquement de la société à son égard n'en soit induit.

Par ailleurs, si selon son attestation, Mme [I], contrôleur de gestion, (pièce n° 79 de la salariée intimée) indique : " Cela n'a pas été simple pour elle, au niveau des relations compliquées entre la gouvernance ", aucun manquement de la société n'est pour autant objectivé à l'égard de Mme [X].

Vainement la salariée, se prévaut-t-elle avoir subi des humiliations, avoir reçu des injonctions contradictoires, d'une ingérence de la gouvernance de la société dans l'exercice des fonctions et d'une relégation à un rôle secondaire dont la justification n'est pas rapportée.

La lettre de démission aux termes de laquelle Mme [X] ne fait le constat d'aucun manquement à son encontre n'est pas équivoque.

Dans ces conditions, la demande de Mme [X] tendant à requalifier sa démission en prise d'acte de la rupture emportant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse doit être rejetée, ainsi que les demandes subséquentes de Mme [X], le jugement étant infirmé sur ces points.

Sur l'indemnité contractuelle de départ :

Il résulte du procès-verbal du 4 juillet 2016 du conseil d'administration qu'il était stipulé au profit de Mme [X] une indemnité de départ en cas de révocation ou non-renouvellement du mandat, hors les cas de décès, incapacité totale ou de démission volontaire.

Le montant de l'indemnité était fixé à trois mois de rémunération mensuelle brute par année de présence avec un plancher de neuf mois et un plafond de 24 mois. L'indemnité étant majorée de 25 % à partir de 55 ans.

La démission de Mme [X] étant volontaire, aux termes du procès-verbal du 4 juillet 2016 du conseil d'administration, l'indemnité contractuelle de départ n'est pas due.

Mme [X] sera déboutée de sa demande et le jugement entrepris infirmé de ce chef.

Sur la demande de remboursement des tickets restaurant par la société AB Habitat :

La société demande le remboursement à la salariée de tickets restaurant en faisant valoir que la délibération du conseil d'administration ne lui octroyait pas un tel avantage.

La société ajoute que sur la même période, Mme [X] sollicitait à la fois le remboursement de frais de restaurant alors qu'elle était en congés tel qu'au mois d'août 2017, et que les salariés de la société ne perçoivent aucun ticket restaurant pendant leur période d'absence.

Il est établi que Mme [X] n'était pas en congé au mois d'août 2017.

Mais, Mme [X] étant liée à la société par un lien de salariat, avait droit de bénéficier de tickets restaurant.

Par ailleurs, il n'est pas justifié par la société que Mme [X] ait été en congé durant le mois d'août 2017.

La demande de la société n'est donc pas fondée, elle en sera déboutée par confirmation du jugement de ce chef.

Sur les autres demandes :

Il n'y a pas lieu de déroger aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil prévoyant que les créances de nature salariale porteront intérêts au taux légal, à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation pour les créances échues à cette date et à compter de chaque échéance devenue exigible, s'agissant des échéances postérieures à cette date, les créances à caractère indemnitaire produisant intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant.

Il sera ordonné à l'employeur de remettre à la salariée les documents de fin de contrat régularisés, mais sans astreinte laquelle n'est pas nécessaire à assurer l'exécution de cette injonction.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement du conseil de prud'hommes d'Argenteuil du 12 avril 2022 en ce qu'il a dit que la démission de Mme [A] [X] était équivoque, et qu'il y avait lieu de la requalifier en une prise d'acte de la rupture avec les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, en ce qu'il a condamné la SCIC HLM AB Habitat à payer à Mme [A] [X] la somme de 21 483,42 euros à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la somme de 3070,74 euros à titre d'indemnité de licenciement, la somme de 34 374,99 euros à titre d'indemnité contractuelle de départ,

Confirme le jugement en ce qu'il a condamné la SCIC HLM AB Habitat à payer à Mme [A] [X] la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, a débouté la SCIC HLM AB Habitat de ses demandes reconventionnelles et en ce qu'il a condamné la SCIC HLM AB Habitat aux dépens de l'instance.

Le réforme pour le surplus et statuant à nouveau des chefs ainsi infirmés et y ajoutant,

Dit que la démission de Mme [A] [X] n'est pas équivoque.

Déboute Mme [A] [X] de sa demande de requalification de sa démission en prise d'acte de la rupture du contrat de travail produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et de ses demandes subséquentes.

Déboute Mme [A] [X] de sa demande d'indemnité de départ.

Condamne la société HLM AB Habitat à payer à Mme [A] [X] les sommes suivantes :

-70 755,36 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé,

-24 764,38 euros bruts au titre de salaires outre la somme de 2 476,43 euros bruts au titre des congés payés afférents,

-10 312,02 euros à titre d'indemnité de congés payés,

-2 948,14 euros bruts au titre du rappel de la rémunération variable, outre 294,81 euros bruts au titre des congés payés afférents.

-2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,

Rappelle que les créances de nature salariale porteront intérêt à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le conseil de prud'hommes, pour les créances salariales échues à cette date et à compter de chaque échéance devenue exigible, s'agissant des échéances postérieures à cette date, alors que les créances indemnitaires porteront intérêt au taux légal à compter de la décision qui les ordonne,

Ordonne à la société HLM AB Habitat de remettre à Mme [A] [X] les documents de fin de contrat régularisés,

Dit n'y avoir lieu à fixation d'une astreinte,

Condamne la société HLM AB Habitat aux dépens d'appel.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Nathalie COURTOIS, Président et par Madame Isabelle FIORE , Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre sociale 4-6
Numéro d'arrêt : 22/01483
Date de la décision : 04/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-04;22.01483 ?
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