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04/07/2024 | FRANCE | N°22/01357

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre sociale 4-6, 04 juillet 2024, 22/01357


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80C



Chambre sociale 4-6



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 04 JUILLET 2024



N° RG 22/01357 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VFCU



AFFAIRE :



[Z] [Y]





C/



S.A.S. CEMIS SYSTEMES DE SECURITE INCENDIE









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 14 Mars 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

N° Chambre :

° Section : I

N° RG : F20/00006



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Mohamed DIARRA



Me Corinne BEAUCHENAT de la AARPI BLM ASSOCIES



EXPEDITION NUMERIQUE

FRANCE TRAVAIL

(POLE EMPLOI)



le :





RÉPUBLIQUE ...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

Chambre sociale 4-6

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 04 JUILLET 2024

N° RG 22/01357 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VFCU

AFFAIRE :

[Z] [Y]

C/

S.A.S. CEMIS SYSTEMES DE SECURITE INCENDIE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 14 Mars 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

N° Chambre :

N° Section : I

N° RG : F20/00006

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Mohamed DIARRA

Me Corinne BEAUCHENAT de la AARPI BLM ASSOCIES

EXPEDITION NUMERIQUE

FRANCE TRAVAIL

(POLE EMPLOI)

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUATRE JUILLET DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant initialement prévu le 20 JUIN 2024 prorogé au 04 JUILLET 2024 dans l'affaire entre :

Monsieur [Z] [Y]

né le 14 Janvier 1978 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentant : Me Mohamed DIARRA, avocat au barreau d'ESSONNE -

APPELANT

****************

S.A.S. CEMIS SYSTEMES DE SECURITE INCENDIE

N° SIRET : 391 734 696

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentant : Me Corinne BEAUCHENAT de l'AARPI BLM ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R121

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 18 Mars 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Odile CRIQ, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Nathalie COURTOIS, Président,

Madame Véronique PITE, Conseiller,

Madame Odile CRIQ, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Isabelle FIORE,

FAITS ET PROCÉDURE

M. [Z] [Y] a été engagé en qualité de technicien bureau d'études, statut non-cadre, par la société Cemis Systèmes de Sécurité Incendie, selon contrat à durée indéterminée à compter du 1er août 2016.

La société Cemis Systèmes de Sécurité Incendie est spécialisée dans le secteur des activités liées aux systèmes de sécurité incendie, emploie plus de dix salariés et relève de la convention collective de la métallurgie de la région parisienne.

Du 16 mars 2018 au 30 juin 2018, M. [Y] a été placé continûment en arrêt maladie.

Le salarié considérant faire l'objet de manquements de la part de son employeur, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) a été saisi, en vue de diligenter une enquête.

Dans son compte-rendu de réunion du 25 septembre 2019, le CHSCT a conclu ne pas considérer les faits reprochés comme des actes de harcèlement envers M. [Y].

Convoqué le 15 janvier 2019 à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 28 janvier suivant, M. [Y] a été licencié par courrier du 1er février 2019 énonçant une cause réelle et sérieuse.

M. [Y] a saisi, le 6 janvier 2020, le conseil de prud'hommes de Nanterre aux fins d'obtenir la requalification de son licenciement en un licenciement nul, ou à titre subsidiaire, sans cause réelle et sérieuse, ainsi que la condamnation de la société au paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire, ce à quoi la société s'est opposée.

Par jugement rendu le 14 mars 2022, notifié le 25 mars 2022, le conseil a statué comme suit :

Dit que le licenciement de M. [Y] notifié le 1er février 2019 repose sur une cause réelle et sérieuse est justifié ;

Déboute M. [Y] de sa demande de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité de résultat ;

Déboute M. [Y] de sa demande d'indemnité pour licenciement nul ;

Déboute M. [Y] de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Déboute M. [Y] du surplus de ses demandes ;

Condamne M. [Y] aux entiers dépens ;

Déboute les deux parties de leurs demandes faites au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le 25 avril 2022, M. [Y] a relevé appel de cette décision par voie électronique.

Selon ses dernières conclusions remises au greffe le 13 juin 2022, M. [Y] demande à la cour de :

Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Nanterre en ce qu'il a :

Dit que le licenciement de M. [Y] notifié le 1er février 2019 repose sur une cause réelle et sérieuse et est justifié.

Débouté M. [Y] de sa demande de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité de résultat.

Débouté M. [Y] de sa demande d'indemnité pour licenciement nul.

Débouté M. [Y] de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Débouté M. [Y] du surplus de ses demandes.

Condamné M. [Y] aux entiers dépens.

Débouté M. [Y] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Statuant à nouveau :

Fixer le salaire mensuel moyen de M. [Y] à la somme de : 2.800 euros

Dire que le licenciement de M. [Y] est nul, et à tout le moins dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Condamner la société Cemis Systèmes de Sécurité Incendie à verser à M. [Y] la somme de 25.000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité de résultat.

A titre principal :

Condamner la société Cemis Systèmes de Sécurité Incendie à verser à M. [Y] la somme de 33.600 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul.

A titre subsidiaire :

Condamner la société Cemis Systèmes de Sécurité Incendie à verser à M. [Y] la somme de 9.800 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Condamner la société Cemis Systèmes de Sécurité Incendie à verser à M. [Y] la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamner la société Cemis Systèmes de Sécurité Incendie au remboursement des indemnités Pôle Emploi dans la limite de six mois, conformément à l'article L1235-4 du code du travail.

Assortir l'ensemble des condamnations des intérêts légaux à la date de la saisine avec capitalisation.

Condamner la société Cemis Systèmes de Sécurité Incendie aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 22 août 2022, la société Cemis Systèmes de Sécurité Incendie demande à la cour de :

Confirmer le jugement rendu le 14 mars 2022 en toutes ses dispositions, sauf en ce qui concerne le montant de la condamnation prononcée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

En conséquence :

Constater l'absence de tout harcèlement moral de la part de la société Cemis à l'égard de M. [Y] ;

Constater l'absence de tout manquement de la part de la société Cemis à son obligation de sécurité ;

Dire et juger que le licenciement de M. [Y] repose sur une cause réelle et sérieuse ;

Débouter M. [Y] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

Condamner M. [Y] à payer à la société Cemis la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner M. [Y] aux entiers dépens.

Par ordonnance rendue le 10 janvier 2024, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 18 mars 2024.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.

MOTIFS

Sur le licenciement :

Sur la nullité du licenciement :

Le salarié invoque la nullité du licenciement, en faisant valoir qu'il a subi des agissements de harcèlement moral, et que la rupture de son contrat de travail fait suite à sa dénonciation de ces agissements de harcèlement moral.

Sur le harcèlement moral.

M. [Y] expose avoir connu dès son arrivée au sein de l'entreprise des difficultés liées à son intégration non réalisée par la société. Il affirme avoir dû composer avec le manque de coopération des techniciens qui lui fournissaient régulièrement des dossiers incomplets et que progressivement M. [I] son responsable hiérarchique s'est déchargé de la responsabilité du bureau d'études. M. [Y] ajoute avoir subi des insultes, brimades et vexations notamment de la part de M. [T] et avoir vu réduit son périmètre d'action.

M. [Y] indique que malgré ses nombreuses alertes, la société Cemis est restée inerte avant de finalement déclencher une enquête tout en refusant de lui en communiquer les conclusions le concernant.

La société réplique que M. [Y] qui l'a régulièrement interpellée sur la dégradation de ses conditions de travail, n'a jamais fait état de son défaut d'intégration non plus qu'une réduction de son périmètre d'action. La société fait valoir avoir procédé aux diligences nécessaires afin de comprendre la situation évoquée par le salarié pour y apporter des solutions adéquates.

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L. 1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe alors à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail.

Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

M. [Y] ne produit aucun élément sur les insultes, brimades et vexations qu'il aurait subies, le manque de coopération des techniciens, et sur le désengagement de M. [I] de la responsabilité du bureau d'études.

La réduction de son périmètre d'action par le retrait de la gestion des demandes BE, n'est pas établie au regard des pièces n° 3 et 4 du salarié produites aux débats. En effet, si selon un courriel du 16 novembre 2017 adressé à M. [U], M. [Y] indique ne plus gérer les demandes BE, cette information confortée par aucun élément extérieur est contredite 2 mois plus tard par courriel du 15 janvier 2018 que M. [Y] adressait à M. [F], en sollicitant s'agissant de la gestion bureau d'études, la répartition prévisionnelle des dossiers entre lui-même et un de ses collègues, prénommé [C].

Les interrogations de M. [Y] quant à son périmètre d'action ne sont pas davantage objectivées au regard de la seule pièce n° 5 produite qui est un courriel du salarié adressé à M. [M] aux termes duquel le salarié indique avoir compris que le poste de responsable de bureau ne lui sera pas attribué.

S'agissant de la détérioration de son état de santé, M. [Y] justifie ( pièces n° 6,7,8 et 9) que la médecine du travail a retenu le 15 mars 2018 que son état de santé n'était pas compatible avec la poursuite du travail pour présenter un syndrome anxio- dépressif probablement en rapport avec une situation conflictuelle au travail, qu'il a présenté en décembre 2014 un syndrome coronarien aigu et qu'il a fait l'objet d'un arrêt de travail du 16 mars au 30 juin 2018 motivé par un syndrome anxieux dépressif lié au travail.

Certes, la dégradation de l'état de santé du salarié à compter du mois de mars 2018 est établie, mais en l'absence de preuve de la matérialité des éléments de faits invoqués au soutien du harcèlement moral dénoncé, lesquels, pris dans leur ensemble, en feraient présumer l'existence, c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté les demandes de reconnaissance formulées de ces chefs. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté le salarié à ce titre.

Sur la dénonciation du harcèlement moral :

Le salarié soutient que ses dénonciations multiples et son insistance pour obtenir des réponses à ses demandes légitimes ont été la cause impulsive de son licenciement. Il affirme n'avoir jamais fait l'objet d'aucune observation particulière sur la qualité de son travail et son investissement avant d'avoir dénoncé les faits.

Il résulte des pièces du dossier que c'est par mails des 19 et 25 juillet 2018, que le salarié a alerté personnellement sa hiérarchie sur ses conditions de travail et son sentiment d'être rejeté et humilié (pièce n° 16 du salarié.) Ces éléments font présumer que l'engagement de la procédure disciplinaire pourrait être liée à ce contexte de dénonciation de harcèlement, ce qui commande d'examiner le caractère réel et sérieux du licenciement.

Sur la cause du licenciement :

La lettre de licenciement est ainsi libellée :

« Monsieur,

1. Depuis plusieurs semaines, nous sommes contraints de constater que vous avez pris le parti de vous affranchir des obligations inhérentes à votre contrat de travail en adoptant un comportement particulièrement désinvolte et désorganisateur du Bureau d'Etudes et même de l'entreprise.

A ce titre, nous avons eu la désagréable surprise d'apprendre que vous étiez parti, le 19 décembre dernier, alors même que vous deviez finaliser le DOE de l'hôtel Best Western de [Localité 6] en vue de sa réception le lendemain matin par le client.

Bien que vous ayez été alerté par plusieurs collaborateurs sur la nécessité impérieuse de finaliser ce dossier dans le délai imparti, vous avez pris la liberté de demander à un autre collaborateur de finir votre travail à votre place, et pire encore sans aucune directive et/ou précision autre « qu'il n'y a plus d'encre dans l'imprimante » !

Les intervenants sur ce dossier ainsi que votre collègue du bureau d'étude, M. [C] [S], bien que n'ayant pas été en charge de ce dossier, ont été contraints de pallier votre défaillance et de reprendre dans l'urgence, pour respecter le délai impératif, votre travail pour le finaliser. En outre, il est apparu qu'il manquait certains documents obligatoires : - le Synoptique Asservissements - les plans de zones plastifiés - la note de calcule DI notifiée sur la nomenclature.

Votre désinvolture est particulièrement inadmissible, surtout dans une communauté restreinte de travail. Elle révèle de surcroit un manque total de considération pour vos collègues qui sont obligés de pallier vos carences, ce qui induit pour ces derniers une surcharge de travail et des tensions.

Dans le même registre, il est constaté que vous vous saisissiez du moindre prétexte pour ne pas effectuer vos tâches et missions.

L'épisode de la panne de chauffage fin novembre dernier en est l'exemple le plus révélateur.

En effet, sous couvert d'une panne de chauffage dans les locaux, durant une demi-journée, vous avez cru pouvoir ne travailler qu'une seule heure et ce, sur 2 jours complets, sous prétexte que vous « sortiez d'une rhinopharyngite » et que vous deviez « préserver votre santé ».

Votre tentative d'explication a posteriori n'est pas audible dans la mesure où votre arrêt de travail n'a pas été prolongé, ce qui induit la fin de votre pathologie. De plus, nous vous rappelons qu'une solution d'installation dans un autre bureau vous avait été proposée et qu'un chauffage d'appoint avait spécifiquement été mise à votre disposition. Enfin, votre collègue du Bureau d'étude, M. [C] [S], qui partage également votre bureau a eu une activité tout à fait normale pendant ces deux jours.

Plus généralement, il apparait que vous faites preuve d'un manque d'engagement professionnel.

A ce titre, nous sommes contraints de constater que depuis votre retour en juillet 2018, vous n'aviez traité que 12 dossiers, ce qui est un rendement très faible. Par comparaison, M. [C] [S], au cours de la même période en a traité 25 ! En d'autres termes, M. [C] [S] a traité plus du double de vos réalisations.

Dans le même temps, vous avez cumulé plus de 152 heures « administratives », c'est-à-dire non facturables, alors que votre collègue, M. [C] [S], en a cumulé que 14 heures et ce sur toute l'année.

Votre inertie a un impact significatif sur l'organisation du bureau d'études et partant sur la productivité dudit bureau, lequel doit également respecter les délais imposés par les clients.

De ce fait, elle implique le transfert des dossiers, qui devaient vous revenir, vers votre collègue, ce qui n'est pas acceptable, compte tenu de la charge de travail déjà importante de ce dernier.

2. Si cela n'était pas suffisant, votre comportement désinvolte s'accompagne d'écarts de comportement de votre part, caractérisés par votre incapacité à établir des relations de travail normales avec vos collègues et votre hiérarchie.

Depuis plusieurs semaines, il est constaté que vous n'hésitiez pas à tenir des propos très souvent polémiques vis-à-vis de plusieurs de vos collègues.

Manifestement, vous n'avez pas jugé utile de faire droit à nos demandes pourtant légitimes de garantir une ambiance de travail sereine, préférant laisser perdurer une situation problématique.

Pire encore, vous persistez à vous montrer réfractaire à toute forme de communication normale avec votre hiérarchie et la Direction des Ressources Humaines, estimant systématiquement, voire de manière quasi-incantatoire, que la société ne poursuivrait d'autre but que de vous licencier.

Même si nous avons pris la peine de dénier vos allégations depuis maintenant plus de 6 mois et de vous assurer que la société n'était pas dans une logique de rupture à votre égard, vous n'avez eu de cesse de vous enferrer dans une situation de blocage, laquelle est devenue aujourd'hui intolérable et perturbe le bon fonctionnement du bureau d'études et plus généralement de l'entreprise.

Dans ces conditions, nous n'avons d'autre choix que de mettre fin à votre contrat de travail et de vous notifier, par la présente, votre licenciement pour motif personnel. [...] ».

Aux termes de l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.

L'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.

S'agissant de l'absence de M. [Y], à son poste le 19 décembre 2019 et de l'absence de finalisation par ses soins, du DOE de l'hôtel Best Western de [Localité 6], la société communique :

-un courriel du 19 décembre 2018 de M. [T], responsable d'affaires, adressé à M.[N] relatant que M. [Y] était parti à 16h30 alors qu'il se trouvait en doublon sur les DOE de [Localité 6], avec un dénommé [P] afin de finalisation et en vue de la réception du lendemain matin, qu'après que le salarié lui ait assuré que tout se passait bien et qu'il avait fait le point avec son collègue dont il attendait les autocontrôles, que [P] était venu le voir en lui disant qu'il devait se substituer à M. [Y] pour terminer les classeurs, que celui-ci venait de partir en lui disant qu'il n'y avait plus d'encre dans l'imprimante et avoir dû reprendre les choses en main avec l'aide d'un dénommé [C] en vérifiant les classeurs. M. [T] précisait qu'il manquait trois éléments à savoir les plans de zone, une note de calcul et le synoptique asservissement. M. [T] concluait son message de la façon suivante :« Je te laisse imaginer si [P] et moi n'avions pas été au bureau à 16h30, les conséquences, le lendemain, avec les DOE incomplets, alors que les engagements avaient été faits de tous. ».

-un courrier de M. [Y] du 20 décembre 2018 adressé à M. [T] ce dernier lui expliquant que les classeurs étaient prêts ainsi que les notices simplifiées et les zonings, qu'il avait lancé l'impression avant de partir pour que son collègue [P] puisse mettre dans les classeurs les dernières modifications qui lui avaient été demandées. Le salarié admettant avoir oublié d'imprimer les synoptiques, en précisant qu'ils étaient sur le réseau en PDF, et que cela aurait pu être imprimé.

Vainement le salarié se borne à contester ce grief sans expliquer son départ à 16 h30 et l'absence dans les classeurs de la « note de calcul DI notifiée sur la nomenclature » dont fait état M. [T]. De plus, l'allégation de M. [Y] selon laquelle son collègue n'est intervenu à aucun moment dans la réalisation de ce dossier est contredite par sa propre réponse à M. [T] aux termes de laquelle il admet un oubli d'impression des synoptiques.

Ce grief est établi dans cette mesure.

S'agissant de l'accomplissement par M. [Y] d'une seule heure de travail les 19 et 20 novembre, au motif d'une panne de chauffage dans les locaux de la société, cette dernière communique sous sa pièce n° 12, plusieurs échanges de courriels desquels il résulte qu'une panne de chauffage a bien eu lieu dans les locaux de la société le 19 novembre 2018 ce dont M. [Y] alertait son supérieur en lui précisant terminer un traitement médical contre une rhinopharyngite, et ne pas pouvoir travailler dans un bureau où il faisait très froid.

Selon un courriel en date du 20 novembre adressé à M. [L], M. [Y] remerciait ce dernier pour son intervention, en lui disant qu'il faisait moins froid dans son bureau, mais qu'il était cependant difficile de rester plus d'une heure au poste de travail en précisant : « Nous sommes obligés d'aller régulièrement nous réchauffer à l'extérieur dans le couloir et en salle de pause. ».

Selon un courriel de M. [W] adressé le 20 novembre 2018 à M. [Y], il était demandé à ce dernier d'acheter un radiateur chez Castorama, en attendant le rétablissement définitif du chauffage.

Par courriel du 25 novembre 2018, M. [Y] précisait encore à M. [W] que le problème d'isolation thermique dans le bureau n'était pas réglé et que lorsque la température extérieure était négative, les postes de travail se situaient dans un courant d'air froid. Il ajoutait que bien que le chauffage central et le radiateur d'appoint étaient en fonction, le froid persistait dans son bureau. Il concluait en disant être dans l'attente d'une intervention durable, avoir terminé un traitement contre la rhinopharyngite et que ses conditions de travail s'étaient aggravées, son état nécessitant un arrêt de travail de trois jours.

Selon courriel de Mme [B] du 28 novembre 2018 adressé à M. [Y], il était reproché à ce dernier de n'avoir effectué pour les journées du 19 au 20 novembre, qu'une heure de travail au motif qu'il n'y avait pas de chauffage dans son bureau, malgré le rétablissement du chauffage le lundi après-midi et la mise en place d'un radiateur supplémentaire.

Certes, il est justifié par la société qu'il a été proposé au salarié pour remédier à l'absence de chauffage de s'installer « dans le petit bureau. », sans pour autant établir qu'il s'agissait d'un remède à la situation, dans la mesure où M. [H], chargé de travaux et maintenance, indiquait par message du 19 novembre 2018, qu'il s'agissait d'une coupure générale sur le parc.

Par ailleurs, il ressort d'un courriel de M. [W] à M. [Y] qui lui était adressé le 20 novembre à 12h46 que le chauffage n'était pas rétabli sur la structure à cette date et qu'il était demandé à ce dernier d'acheter un radiateur et de le passer en note de frais.

Si M. [Y] ne conteste pas avoir moins travaillé sur ces deux jours expliquant qu'il ne pouvait poursuivre une activité professionnelle dans le froid alors qu'il restait souffrant, pour autant la société qui ne produit pas la feuille de temps du salarié pour la semaine 47 ne justifie pas tel que le soutient que M. [Y] n'aurait effectué qu'une heure de travail pour les journées du 19 au 20 novembre.

La société ne justifie pas davantage que le collègue de M. [Y] qui partageait son bureau ait eu une activité normale durant ces deux jours, tel qu'il ressort du courriel de Mme [B].

Ce grief, qui est reconnu par le salarié est matériellement établi, pour autant en raison des circonstances avérées et persistantes de panne de chauffage, il ne lui est pas imputable.

S'agissant du grief du manque d'engagement professionnel pour n'avoir traité que 12 dossiers depuis son retour d'arrêt de travail en juillet 2018 et son faible rendement par rapport aux autres salariés, le salarié oppose sans en justifier la diminution progressive de ses tâches et attributions. La société ne produit aux débats ( pièce n° 13) qu'un tableau non daté avec la mention de divers chantiers et des salariés en charge de ces dossiers sans indication d'aucune période, de sorte qu'un plus faible rendement de M. [Y] par rapport à ses collègues n'est pas objectivé.

Alors que le salarié s'est trouvé en arrêt de travail du 16 mars au 30 juin 2018, son faible rendement par rapport à ses collègues n'est pas objectivé au regard des tableaux produits qui ne comportent la mention d'aucune période. De la même façon il n'est pas justifié par la société d'une moindre productivité de M. [Y] par rapport à M. [S], le tableau produit par la société (pièce n° 14) sur les heures de travail déclarées par les deux salariés n'étant pas daté et les périodes travaillées n'étant pas renseignées. Le salarié soulignant à juste titre que ces tableaux ne reposent sur aucun élément tangible.

Ainsi, ni l'inertie reprochée au salarié ni selon la lettre de licenciement, son impact significatif sur l'organisation du bureau d'études ne sont établis par la société qui ne produit aucune pièce.

Sur les propos polémiques que M. [Y] aurait tenus vis-à-vis de plusieurs de ses collègues, la société communique (pièce n° 20) un courriel de Mme [B] adressé à M. [Y] le 28 septembre 2018 lui faisant part de l'absence de reconnaissance par le CHSCT au terme de son enquête de l'existence de tout harcèlement moral à son encontre et en lui demandant « de faire preuve dorénavant de plus de tempérance dans vos propos et dans vos réactions à l'égard de votre hiérarchie, mais également à l'égard de vos collègues ».

Sans justifier de tout propos polémique tenu par M. [Y] ou de son manque de tempérance rapporté par Mme [B], force est de constater, dans un contexte de dénonciation par le salarié d'un harcèlement moral le concernant, que ce courriel fait le lien entre les conclusions de rejet de tout harcèlement par le CHSCT et le comportement et les propos du salarié qui lui sont reprochés à l'encontre de ses collègues et de sa hiérarchie.

Lien qui est également mis en avant par M. [T] (pièce n° 15 de la société intimée) selon un courriel du 14 septembre 2018 adressé à M. [M] et à M. [N], sur lequel se fonde la société et aux termes duquel M. [T] dénonce l'attitude de M. [Y] depuis que la société a ouvert une enquête interne le concernant en indiquant qu'elle est négative et nuisible au bon fonctionnement de l'équipe.

Ce grief n'est pas établi.

En considération du seul grief, dont la matérialité est avérée, mais qui est insuffisamment sérieux pour justifier d'un licenciement, du reproche infondé des propos polémiques du salarié dans le contexte de la dénonciation expresse de harcèlement moral faite par ce dernier contre sa hiérarchie et ses collègues, le licenciement initié moins de quatre mois après l'absence de reconnaissance par le CHSCT du harcèlement moral sera considéré comme une mesure de rétorsion venant sanctionner le fait que le salarié a dénoncé des faits de harcèlement moral.

Alors que la société n'établit aucunement que le licenciement serait objectivé par une raison étrangère à cette dénonciation de harcèlement moral, et quand bien même le harcèlement moral dénoncé n'est pas avéré, il convient de retenir la nullité du licenciement de M. [Y] en application de l'article L .1152-3 du code du travail et d'infirmer le jugement déféré.

Sur les conséquences de la nullité du licenciement :

Le salarié dont le licenciement est nul, et qui ne demande pas sa réintégration, a droit, en toute hypothèse, en plus des indemnités de rupture, à une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à six mois de salaire, quels que soient son ancienneté et l'effectif de l'entreprise.

A la date du licenciement, M. [Y] percevait une rémunération mensuelle brute de 2 800 euros. Il était âgé de 41 ans et bénéficiait au sein de l'entreprise d'une ancienneté de 2 ans et 6 mois.

Le salarié ne communique aucun élément de nature à justifier de l'évolution de sa situation professionnelle.

En considération de l'ensemble de ces éléments, le préjudice subi par M. [Y] sera réparé à hauteur de la somme de 25 000 euros.

Compte tenu de l'effectif de l'entreprise et de l'ancienneté du salarié, il y a lieu de faire application des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail.

Sur les intérêts :

Conformément à l'article 1231-7 du code civil, les créances indemnitaires porteront intérêt au taux légal à compter de la décision qui les ordonne.

La capitalisation des intérêts sera ordonnée en application de l'article 1343-2 du code civil.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Nanterre le 14 mars 2022 en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Dit nul le licenciement de M. [Z] [Y] par la société Cemis Systèmes de Sécurité Incendie,

Condamne la société Cemis Systèmes de Sécurité Incendie à payer à M. [Z] [Y] les sommes suivantes :

- 25 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul,

- 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,

Dit que les créances indemnitaires porteront intérêt au taux légal à compter de la décision qui les ordonne,

Ordonne la capitalisation des intérêts en application de l'article 1343-2 du code civil,

Ordonne le remboursement par l'employeur aux organismes concernés de tout ou partie des indemnités de chômage payées au salarié licencié du jour de son licenciement au jour du prononcé de la présente décision, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage, sous déduction de la contribution prévue à l'article L. 1233-69 du code du travail, et dit qu'une copie certifiée conforme de la présente sera adressée à ces organismes conformément aux dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail,

Condamne la société Cemis Systèmes de Sécurité Incendie aux entiers dépens.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Nathalie COURTOIS, Président et par Madame Isabelle FIORE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre sociale 4-6
Numéro d'arrêt : 22/01357
Date de la décision : 04/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-04;22.01357 ?
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