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04/07/2024 | FRANCE | N°22/00484

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre sociale 4-6, 04 juillet 2024, 22/00484


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 89K



Chambre sociale 4-6



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 04 JUILLET 2024



N° RG 22/00484 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VAFR



AFFAIRE :



[R] [E]



C/



S.A. [11]



S.A. [19]





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 19 Janvier 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de NANTERRE

N° Chambre :

N° Section : I

N° R

G : F 17/00042



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :





Me Frédéric QUINQUIS de

la SCP MICHEL LEDOUX ET ASSOCIES



Me Sophie BRASSART de

la ASSOCIATION Toison - Associés







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NO...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 89K

Chambre sociale 4-6

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 04 JUILLET 2024

N° RG 22/00484 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VAFR

AFFAIRE :

[R] [E]

C/

S.A. [11]

S.A. [19]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 19 Janvier 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de NANTERRE

N° Chambre :

N° Section : I

N° RG : F 17/00042

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Frédéric QUINQUIS de

la SCP MICHEL LEDOUX ET ASSOCIES

Me Sophie BRASSART de

la ASSOCIATION Toison - Associés

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUATRE JUILLET DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [R] [E]

de nationalité Française

[Adresse 5]

[Localité 1]

Représentant : Me Frédéric QUINQUIS de la SCP MICHEL LEDOUX ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Stéphanie GONSARD avocat au barreau de PARIS

APPELANT

****************

S.A. [11]

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentant : Me Sophie BRASSART de l'ASSOCIATION Toison - Associés, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R087 - substitué par Me Arnaud CAMUS avocat au barreau de PARIS

S.A. [19]

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentant : Me Sophie BRASSART de l'ASSOCIATION Toison - Associés, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R087 - substitué par Me Arnaud CAMUS avocat au barreau de PARIS

INTIMEES

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 23 Avril 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nathalie COURTOIS, Président chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Nathalie COURTOIS, Président,

Madame Véronique PITE, Conseiller,

Madame Odile CRIQ, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Isabelle FIORE,

FAITS ET PROCÉDURE

Pour une meilleure compréhension du litige et du statut des entreprises intimées, il convient de faire un bref rappel historique, tel que rappelé par les premiers juges et le salarié, non remis en cause par l'employeur:

Le 8 avril 1946, la loi de nationalisation a créé des établissements public à caractère industriel et commercial (EPIC) : [10] et [16] sont deux entités juridiques distinctes, tout en partageant des directions gérant notamment le personnel.

Dès 1947, la construction d'infrastructures de production et de transport de grande capacité est mise en chantier avec d'importants ouvrages.

A partir de 1957, les centrales de charbon prennent le relais de l'hydraulique. Puis le faible coût des hydrocarbures permet la construction de centrales thermiques au fioul, ainsi [Localité 8] ou à [Localité 22].

A partir de 1974, suite à la crise pétrolière, la France se tourne vers l'électricité nucléaire et annonce la construction de 13 centrales nucléaires en 2 ans.

Le 1er juillet 2004, 70% du marché de l'électricité est ouvert à la concurrence: le 19 novembre 2004, [10] devient une société anonyme.

Les dispositions européennes prévoient la séparation juridique des activités concurrentielles et des activités gestionnaires de réseau de distribution de sorte que les activités de distribution d'[10] et de [16] devenu [17] puis [13] ont été filialisées au profit d'[14] pour la première et de [19] pour la seconde le 1er janvier 2008.

Du fait du traité d'apport partiel d'actifss en date du 25 juin 2007 à effet au 31 décembre 2007, [14] vient aux droits d'[10].

De même, suite au contrat de cession d'activité de gestionnaire de réseau de distribution de gaz naturel en date du 20 juillet 2007, [19] vient aux droits de [17] à compter du 1er janvier 2008.

Le 12 janvier 1976, M.[R] [E] a travaillé au sein de la société [9] et a occupé le poste de monteur électricien puis de contrôleur de travaux à la subdivision de [Localité 20] jusqu'au 30 juin 2008, date de son départ.

Le 18 juin 2013, M. [R] [E] a saisi le conseil des prud'hommes de Nanterre des demandes suivantes :

15 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice d'anxiété

12 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice découlant du bouleversement dans les conditions d'existence

la délivrance des fiches individuelles d'exposition à l'amiante et aux CMR assortie d'une astreinte de 80 euros par jour de retard

2000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Le 17 décembre 2014, l'affaire a été radiée faute de diligence des parties.

Après réinscription de l'affaire, par décision du 4 janvier 2018, le conseil s'est déclaré en partage de voix.

Par jugement de départage en date du 19 janvier 2022, le conseil a statué comme suit :

rejette la fin de non-recevoir tirée de l'existence de demandes nouvelles

rejette les demandes de mise hors de cause

déboute M.[R] [E] de toutes ses demandes

déboute les parties du surplus de leurs demandes

dit que chacune des parties supportera la charge de ses frais irrépétibles

condamne M.[R] [E] aux dépens.

Le 16 février 2022, M.[R] [E] a relevé appel de cette décision par voie électronique.

Selon ses dernières conclusions transmises par RPVA du 5 mars 2024, il sollicite de la Cour de voir :

déclarer recevable et non prescrite son action

confirmer le jugement rendu par le conseil des prud'hommes de Nanterre le 19 janvier 2022 en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par l'employeur

infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Nanterre le 19 janvier 2022 concernant le rejet liée à la demande de réparation du préjudice d'anxiété et à la délivrance des attestations d'expositions aux CMR

Et statuant à nouveau,

Sur le préjudice d'anxiété

dire et juger que M.[R] [E] a été exposé à l'inhalation de fibres d'amiante au sein de la société [11] (anciennement [14])

dire et juger que la société [11] a manqué à son obligation de sécurité en ne mettant pas en 'uvre de façon complète et effective, au bénéfice du concluant, toutes les mesures de prévention du risque amiante visées aux articles L4121-1 et L4121-2 du code du travail, (ancien L. 230-2)

dire et juger qu'il a subi en conséquence un préjudice d'anxiété qu'il convient de réparer

en conséquence, condamner la société [11] à lui verser la somme de 15 000 euros en réparation de son préjudice d'anxiété

Sur la délivrance des attestations

ordonner à la société de remettre au requérant l'attestation d'exposition à l'amiante conforme aux dispositions des articles D461-25 du code de sécurité sociale et à l'ancien article R4412-58 du code du travail visé par le décret n°2012-134 du 30 janvier 2012

ordonner à la société de remettre au requérant les attestations d'exposition aux agents CMR et agents chimiques dangereux conforme aux dispositions des articles D461-25 du code de la sécurité sociale, et à l'ancien article R4412-58 du code du travail visé par le décret n°2012 ' 134 du 30 janvier 2012

prononcer à l'encontre de la société [11] une astreinte de 80 euros par jour de retard concernant la remise de ces attestations, la Cour se réservant le droit de liquider la dite astreinte

dire et juger que faute de disposer de cette attestation, le salarié n'est pas en droit de solliciter le bénéfice d'un suivi post professionnel spécifique aux agents cancérogènes pris en charge par la sécurité sociale

dire et juger que le concluant subit en conséquence un préjudice du fait de l'absence de délivrance des fiches et des attestations d'exposition

en conséquence, condamner la société à lui verser la somme de 4 000 euros en réparation du préjudice découlant de cette absence de délivrance

en tout état de cause, condamner la société à lui verser la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par RPVA du 3 août 2022, la société [19] demande à la cour de :

infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir tirée de l'existence de demandes nouvelles

rejeter les demandes de mise hors de cause

Et, statuant à nouveau,

débouter M.[R] [E] de ses demandes nouvelles en départage aux fins d'obtenir condamnation des sociétés défenderesses:

au paiement de 15 000 euros au titre du préjudice d'anxiété

au paiement de 4 000 euros en réparation du préjudice découlant de l'absence de délivrance des fiches et attestations d'exposition

prononcer la mise hors de cause de [19]

confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M.[R] [E] de toutes ses demandes, dit que chacune des parties supportera la charge de ses frais irrépétibles et condamné M.[R] [E] aux dépens

y ajoutant, condamner M.[R] [E] à payer à [19] la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

le condamner aux dépens d'appel.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par RPVA du 4 août 2022, la société [11] (anciennement [14]) SA demande à la cour de :

infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir tirée de l'existence de demandes nouvelles

rejeter les demandes de mise hors de cause

Et, statuant à nouveau,

débouter M.[R] [E] de ses demandes nouvelles en départage aux fins d'obtenir condamnation des sociétés défenderesses :

au paiement de 15 000 euros au titre du préjudice d'anxiété

au paiement de 4 000 euros en réparation du préjudice découlant de l'absence de délivrance des fiches et attestations d'exposition

prononcer la mise hors de cause de [19]

confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M.[R] [E] de toutes ses demandes, dit que chacune des parties supportera la charge de ses frais irrépétibles et condamné M.[R] [E] aux dépens

y ajoutant, condamner M.[R] [E] à payer à [11] la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

le condamner aux dépens d'appel.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.

Par ordonnance rendue le 6 mars 2024, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 23 avril 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la fin de non-recevoir tirée de l'existence de demandes nouvelles

Les sociétés intimées exposent que le salarié a formulé des demandes nouvelles à l'occasion de l'instance de départage à savoir la réparation d'un préjudice d'anxiété et la délivrance des fiches et attestations d'exposition. Elles soutiennent que l'instance a été réintroduite le 19 décembre 2016 après radiation, de sorte que la règle de l'unicité de l'instance n'était plus applicable et que faute d'avoir réitéré ses demandes devant le conseil des prud'hommes avant départage, il ne pouvait plus le faire devant le juge départiteur, ce que conteste M.[R] [E].

Selon l'ancien article R1452-7 du code du travail, 'Les demandes nouvelles dérivant du même contrat de travail sont recevables même en appel. L'absence de tentative de conciliation ne peut être opposée.

Même si elles sont formées en cause d'appel, les juridictions statuant en matière prud'homale connaissent les demandes reconventionnelles ou en compensation qui entrent dans leur compétence'.

Il convient de rappeler que la réinscription d'une affaire après radiation ne vaut pas nouvelle instance mais bien continuité de l'instance initiale, sauf péremption, la radiation n'étant qu'une mesure d'administration judiciaire, ne mettant pas fin à l'instance, de sorte que cette affaire n'est pas soumise au décret n°2016-660 du 20 mai 2016 portant suppression de la règle de l'unicité de l'instance et abrogeant l'article R1452-7 précité.

En l'espèce, il n'est pas contesté par les sociétés que M.[R] [E] a formulé ses demandes dans sa requête initiale, de sorte qu'il était recevable à les réitérer devant le juge départiteur, peu importe qu'elles aient été formulées dans la requête initiale.

En conséquence, il convient de rejeter la fin de non recevoir par confirmation du jugement.

Sur la demande de mise hors de cause de la société [19]

Les sociétés intimées soutiennent que la société [19] ne peut pas voir sa responsabilité engagée, l'activité de M.[R] [E] ne relevant pas de son domaine de compétence et donc de sa responsabilité, ce à quoi s'oppose le salarié.

Selon l'article 31 du code de procédure civile, 'L'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé'.

Selon l'article 32 du code précité, ' Est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir'.

Elles rappellent que les EPIC [10] et [16] assuraient historiquement des activités de production, de commercialisation, de transport et de distribution d'électricité pour le premier et de gaz pour le second; qu'en application de la loi n° 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz, les EPIC [10] et [16] ont été transformés en deux sociétés anonymes; que parallèlement, et afin de garantir un accès transparent et non discriminatoire au réseau public de distribution dans les conditions fixées par la directive européenne 2003/54/CE, la seconde transposition en droit français de la directive européenne 2003/54/CE par la loi du 7 décembre 2006 a modifié la loi du 9 août 2004 :

- en prévoyant la séparation juridique entre les entreprises de production / vente et les

entreprises gestionnaires des réseaux de transport et de distribution ;

- en prescrivant des règles d'indépendance fonctionnelle lorsque ces gestionnaires de

réseaux font partie d'une entreprise verticalement intégrée.

C'est ainsi que les activités de distribution d'[10] et de [16] ' devenu [18] puis [13] ont été transférées à des entreprises juridiquement distinctes.

Elles précisent que cette séparation de l'activité de distribution a été réalisée par le biais d'un traité d'apport partiel d'actifs en date du 25 juin 2007 à effet au 31 décembre 2007 par lequel [11] (anciennement [14]) vient aux droits d'[10] et d'un contrat de cession d'activité de gestionnaire de réseau de distribution de gaz naturel en date du 20 juillet 2007 à effet au 31 décembre 2007 entre [19] et [13]; qu'en application de l'article 5 de la loi du 9 août 2004 précitée, codifié à l'article L111-71 du code de l'énergie, il a été prévu que les sociétés chargées de la distribution assument les conséquences juridiques passées, présentes et futures relevant de leurs activités réalisées soit directement par elles-mêmes soit dans le cadre de services communs à d'autres entreprises non dotées de la personnalité morale. Elles en concluent que lorsque les conditions sont réunies, l'obligation de délivrance d'attestations d'exposition pèse sur l'employeur concerné par les expositions ou, en cas de restructuration (type fusion, apport partiel d'actifss...) sur la personne morale qui a repris dans son patrimoine les obligations de l'employeur concerné. Elles soutiennent que les opérations de restructuration entraînant une transmission universelle du patrimoine (fusion, apport d'actifs soumis au régime des scissions etc) obligent l'entreprise bénéficiaire de répondre du passif de la société apporteuse.

Elles rappellent que M.[R] [E] a effectué sa carrière au sein d'[10] et de [16] dans des centres de distribution en tant que monteur électricien puis contrôleur travaux à la subdivision de [Localité 20], effectuant des interventions sur les réseaux de distribution d'électricité, de sorte que ces interventions relevant de l'activité de distribution électrique, la responsabilité de la société [19], ayant pour activité la distribution de gaz, ne peut être recherchée pour des faits qui ne relèvent pas de ses activités.

Au vu des textes et des transformations juridiques des différentes entités, c'est à tort que les premiers juges ont rejeté la demande de mise hors de cause de la société [19] au motif que qu'elle ne démontrait pas avoir porté à la connaissance du salarié les changements issus de la loi de 2004 et qu'ils en ont déduit que ces changements n'étaient pas opposables au salarié alors que, comme relevé par les intimées, il s'agit de textes de loi dûment publiés au journal officiel de la

République française, les modifications concernant notamment la création de la société [19] étant publiée au BODAC.

En effet, la mise hors de cause de la société [19] s'imposait par l'application d'une part, de la loi 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz et les conséquences de cette loi telles que rappelées par la société [19] et d'autre part, le contrat de cession de l'activité précité d'où il ressort :

- paragraphe 3.2 'substitution': 'En application de la loi du 9 août 2004 précitée et notamment son article 14-1, le cessionnaire est substitué dans l'ensemble des droits et obligations dont le cédant est titulaire ou redevable au titre de l'activité.

Le cessionnaire sera notamment débiteur, aux lieu et place du cédant, des dettes de celui-ci qu'il prend en charge, sans qu'il en résulte novation à l'égard des créanciers [...]'

- paragraphe 4.1 ' prise en charge du passif': '[...] (i) que le cessionnaire assumera seul l'intégralité des dettes et charges du cédant se rapportant à l'activité, y compris celles qui pourraient remonter à une date antérieure à la date de signature du présent contrat et qui auraient été omises dans la comptabilité du cédant, de sorte que le cédant s'en trouvera déchargé [...]'.

- paragraphe 4.3: 'Absence de recours': '[...]Le cessionnaire fera également son affaire personnelle aux lieu et place du cédant sans recours contre celui-ci pour quelque cause que ce soit de l'exécution ou de la résiliation à ses frais, risques et périls de tous accords, traités, contrats ou engagements qui auront pu être souscrits par le cédant au titre de l'activité [...]'. - paragraphe 4.7.1 'contrats de travail': ' Le cessionnaire reprendra les droits et obligations découlant des contrats de travail auxquels le cédant est partie concernant le personnel du cédant attaché à l'activité. Conformément aux dispositions de l'article 14-1 de la loi du 9 août 2004 précitée, et à l'article L122-12 alinéa 2 du code du travail, le cessionnaire se substituera purement et simplement au cédant, par le seul fait de la réalisation de la présente cession, dans le bénéfice et la charge des stipulations des contrats de travail des salariés transférés.

Les parties rappellent expressément que le cessionnaire se substituera au cédant dans ses droits et obligations au titre de la convention du 18 avril 2005, notamment les droits et obligations relatifs aux salariés de l'activité qui sont co-employés par le cédant et [10], et dont [10] prend en charge tout ou partie du salaire et des charges sociales et impôts relatifs dans les conditions rappelées dans ladite convention [...]'.

Il résulte de la fiche carrière produite par la société, non contestée par le salarié, que ce dernier a travaillé durant toute sa carrière en centre de distribution électrique, de sorte que ces interventions relevant de l'activité de distribution électrique, la responsabilité de la société [19], ayant pour activité la distribution gaz, ne peut être recherchée pour des faits qui ne relèvent pas de ses activités.

Le salarié ne formule aucune observation, se limitant à demander la confirmation du jugement.

En conséquence, il convient de mettre hors de cause la société [19] par infirmation du jugement, faute de qualité à défendre.

Sur l'action en responsabilité contractuelle à l'encontre de la société [11]

Sur la recevabilité

Il résulte de l'arrêt de l'assemblée plénière du 5 avril 2019 (n°18-17.442, publié) que 'l'article 41 de la loi n°98-1194 du 23 décembre 1998 modifiée a créé un régime particulier de préretraite permettant notamment aux salariés ou anciens salariés des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante figurant sur une liste établie par arrêté ministériel de percevoir, sous certaines conditions, une allocation de cessation anticipée d'activité (ACAATA), sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle ; que, par un arrêt du 11 mai 2010 (Soc., 11 mai 2010, n° 09-42.241), adopté en formation plénière de chambre et publié au rapport annuel, la chambre sociale de la Cour de cassation a reconnu aux salariés ayant travaillé dans un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi précitée et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel, le droit d'obtenir réparation d'un préjudice spécifique d'anxiété tenant à l'inquiétude permanente générée par le risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante ; que la chambre sociale a instauré au bénéfice des salariés éligibles à l'ACAATA un régime de preuve dérogatoire, les dispensant de justifier à la fois de leur exposition à l'amiante, de la faute de l'employeur et de leur préjudice, tout en précisant que l'indemnisation accordée au titre du préjudice d'anxiété réparait l'ensemble des troubles psychologiques, y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d'existence ;

Qu'elle a néanmoins affirmé que la réparation du préjudice d'anxiété ne pouvait être admise, pour les salariés exposés à l'amiante, qu'au profit de ceux remplissant les conditions prévues par l'article 41 susmentionné et l'arrêté ministériel pris sur son fondement et dont l'employeur entrait lui-même dans les prévisions de ce texte, de sorte que le salarié qui n'avait pas travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 modifiée ne pouvait prétendre à l'indemnisation d'un préjudice moral au titre de son exposition à l'amiante, y compris sur le fondement d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité (Soc., 26 avril 2017, n° 15-19.037) ;

Qu'il apparaît toutefois, à travers le développement de ce contentieux, que de nombreux salariés, qui ne remplissent pas les conditions prévues par l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 modifiée ou dont l'employeur n'est pas inscrit sur la liste fixée par arrêté ministériel, ont pu être exposés à l'inhalation de poussières d'amiante dans des conditions de nature à compromettre gravement leur santé ;

Que dans ces circonstances, il y a lieu d'admettre, en application des règles de droit commun régissant l'obligation de sécurité de l'employeur, que le salarié qui justifie d'une exposition à l'amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, peut agir contre son employeur, pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité, quand bien même il n'aurait pas travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 modifiée'.

Il convient de rappeler que la société [10], aux droits desquels vient la société [11], n'était pas inscrite sur la liste des établissements visés par l'article 41 de la loi du 21 décembre 1998 et que le salarié demandeur n'entre pas dans le champ d'application de ce texte, ce qui n'est d'ailleurs pas prétendu.

Ainsi, la demande de M.[R] [E] est recevable dès lors que le régime général de la responsabilité demeure applicable aux salariés exposés à l'amiante, travaillant pour des entreprises 'non listées' et que les salariés qui ont été exposés à l'inhalation de poussières d'amiante sont en mesure, sous certaines conditions, d'éprouver, eux aussi, l'inquiétude permanente de voir se déclarer à tout moment l'une des graves maladies liées à cette inhalation.

Sur les conditions de mise en cause de la responsabilité contractuelle de la société [11]

Au vu de ce qui précède et en application du droit commun de la responsabilité contractuelle, il appartient au salarié de rapporter la preuve de son exposition à l'amiante, de l'existence d'un manquement de l'employeur à son obligation de prévention et de sécurité, l'existence d'un préjudice d'anxiété et l'existence d'un lien de causalité entre la faute et le préjudice.

Sur la preuve de l'exposition à l'amiante générant un risque élevé de développer une pathologie grave

Selon l'article L4121-1 du code du travail dans sa rédaction applicable lors de la requête initiale, ' L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ;

2° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes'.

Selon l'article L4121-2 du code précité, ' L'employeur met en oeuvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :

1° Eviter les risques ;

2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

3° Combattre les risques à la source ;

4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;

6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral, tel qu'il est défini à l'article L. 1152-1 ;

8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs'.

Au regard de ces dispositions et du contexte particulier de ce litige, il convient donc de vérifier si le salarié pouvait, dans le cadre de ses fonctions, être en contact avec l'amiante et dans l'affirmative, si l'employeur avait pris des mesures nécessaires pour assurer la prévention des dangers liés à l'inhalation de poussières d'amiante par la mise à disposition effective de moyens de protection (masques et combinaisons de travail) et par la mise en oeuvre d'actions d'information et de formation adaptées au profit de ses salariés.

Au cours de sa carrière, telle que décrite dans les écritures de la société et non remise en cause par le salarié, M. [R] [E] a exercé au sein de [10] :

- janvier 1976 à février 1977: relève de compteurs (subdivision de [Localité 20])

- février 1977 à décembre 1977: monteur électricien branchements-travaux réseaux (subdivision de [Localité 20]). Cette fonction se divise en 2 catégories :

* monteur électricien 'exploitation' niveau 4-5 : ouvrier qualifié exécutant notamment, seul ou au sein d'une équipe, la totalité ou la plupart des travaux tels qu'ils se présentent dans son exploitation. Il a pour mission la recherche de défaut et le dépannage immédiat sur des lignes hautes tensions ou basses tensions

* monteur électricien 'branchements-travaux réseau' niveau 4-5: ouvrier qualifié placé sous l'autorité d'un agent de maîtrise ou d'un chef ouvrier, exécutant des travaux de branchement et d'entretien sur les réseaux aériens. Il peut être appelé à exécuter, occasionnellement ou en complément de charge, des tâches relevant de son niveau, soit au titre de l'exploitation soit au titre des interventions chez les abonnés

- décembre 1977 à octobre 1980 : agent distribution accueil-programmation - agent d'accueil TGA-GF6 (subdivision de [Localité 20]): agent chargé essentiellement de répondre aux demandes courantes de la clientèle relatives à l'électricité BT et au gaz (accueil physique, téléphonique ou par correspondance) et ayant à sa disposition, pour ce faire, un ensemble écran-clavier susceptible de lui fournir toutes les informations issues des fichiers 'ordinateurs'.

- octobre 1980 à janvier 1986: agent administratif-bureau technique (subdivision de [Localité 20])

- janvier 1986 à novembre 1989: agent technique bureau technique : fonction mixte de commandement et de technicité (subdivision de [Localité 20])

- novembre 1989 à janvier 1996: surveillant travaux (subdivision de [Localité 20])

- janvier 1996 à mai 2000: agent technique -étude exécution (subdivision de [Localité 20])

- mai 2000 à mai 2005: chargé d'affaires-projets en construction d'ouvrages (groupe ingénierie réseaux à [Localité 20])

- mai 2005 à janvier 2006: chargé d'affaires et projets (unité réseaux électricité Poitou Charentes)

- janvier 2006 à juin 2008: technicien maîtrise d'ouvrage-distribution électricité (unité réseaux électricité Poitou Charentes).

Comme relevé par la société, ces postes consistaient pour l'essentiel à intervenir à l'extérieur, sur la voie publique, et parfois dans des fouilles en extérieur c'est-à-dire des tranchées ouvertes sur la voie publique, dans lesquelles une ventilation naturelle est assurée.

La société fait valoir que le décret du 17 août 1977 a fixé une valeur limite d'exposition au-delà de laquelle, l'exposition à l'amiante a été jugée possiblement dangereuse pour la santé, ce taux ayant été abaissé de manière successive pour passer de 2 fibres par centimètre cube sur 8 heures de travail de 1977 à 1987 à une fibre de1987 à 1996, puis 0,1 fibre de 1996 au 1er juillet 2015 et enfin 0,01 fibre à compter du 1er juillet 2015, ce dont il résulte selon elle que la dangerosité de l'amiante dépend à la fois de la durée d'exposition et du taux de concentration de fibres d'amiante dans l'air, les taux définis par ce décret devant être pris en compte pour déterminer la dangerosité de l'exposition. Elle souligne que ce décret du 17 août 1977 a été modifié à plusieurs reprises et notamment par décret n°92-634 du 6 juillet 1992 dispensant l'employeur de mettre en oeuvre des mesures et équipements de protection individuelle lorsque les niveaux d'empoussièrement sont faibles.

La société relève, en se fondant sur le rapport de 1997 de l'Inserm (pièce 10G), que le risque de développer un cancer de poumon ou un mésothéliome est augmenté de 30'% environ pour une personne exposée professionnellement de façon continue pendant 40'ans à raison de 40 heures par semaine 48 semaines par an à raison de 10 fibres par millilitres tandis que ce même risque n'est que de 0,297 % en cas d'exposition dans les mêmes conditions de durée à 0,1 fibre par millilitres. Il en résulte que le risque élevé, doit être associé aux conditions d'exposition suivantes cumulatives :

- une exposition pendant 40 ans,

- une exposition continue sur une base de 1920 heures par an (40 heures x 48 semaines),

- une exposition à hauteur de 10 fibres par millilitres soit une exposition cinq fois supérieure à la valeur limite d'exposition du décret du 17 août 1977 (de 2 fibres par cm3).

Comme relevé par l'employeur, outre le fait que les centres de distribution d'[9], devenue [12], étaient des centres en charge de la distribution de l'énergie électrique et du gaz, qui n'ont jamais eu pour activité de produire ou transformer de l'amiante et n'ont jamais été répertoriés comme des établissements ouvrant droit à la pré-retraite amiante (ACAATA), M. [R] [E] intervenait principalement sur la voie publique, en extérieur et à l'air libre.

Afin de comprendre les conditions de travail au sein d'un centre de distribution mixte, la société fait valoir que les relevés d'empoussièrement effectués dans ces centres démontrent que la présence de fibres d'amiante dans l'atmosphère correspond à ce que l'on peut retrouver dans des locaux tertiaires et/ou en zone urbaine à l'époque : soit 0,6 fibres par litre d'air (quantité mille fois inférieure à la limite fixée par le décret du 7 février 1996) au sein du centre de distribution mixte d'[Localité 7] par exemple, ou 0,057 fibres par centimètre cube, toutes fibres confondues, au sein du centre [9] Périgord.

Elle expose que M.[R] [E] n'a jamais été en situation de travail en présence de matériaux pouvant être qualifiées de friables au sens de la circulaire 98/10 du 5 novembre 1998 (pièce 3G), ce que conteste en vain M.[R] [E] puisque les joints invoqués par lui sont expressément classifiés par ladite circulaire dans les matériaux non friables outre le fait que, dans son rapport établi en mai 1977, le docteur [I], médecin du travail, chargé des problèmes de toxicologie dans le service général de médecine du travail d'[10], ' des joints en fibres céramiques, garnitures, isolation, peuvent remplacer avantageusement l'amiante. Cependant, les joints en amiante caoutchouc, notamment lors du découpage, ne produiraient pas de concentrations dangereuses de poussières d'amiante car le caoutchouc joue un 'effet de liant'.

Ainsi, elle soutient que dans ce contexte, quand bien même, le salarié serait intervenu occasionnellement sur des matériaux contenant de l'amiante, un amalgame ne doit pas être fait entre la présence éventuelle d'amiante et l'inhalation de fibres d'amiante. Elle explique que seule l'inhalation de fibres d'amiante est dangereuse pour la santé et non le travail en présence ou à proximité d'installations, de matériaux ou de matériels susceptibles d'en contenir.

Elle fait remarquer que le docteur [I] souligne que la problématique de l'amiante concerne pour l'essentiel les salariés travaillant en centrale de production thermique à flamme (soit la génération de centrale avant les centrales nucléaires) et qu'il ne fait pas référence aux salariés des centres de distribution.

La société [11] en conclut que le salarié ne justifie pas avoir été exposé à des agents chimiques dangereux (agents ACD) et des agents Cancérogènes, Mutagènes, toxiques pour la Reproduction (agents CMR) et notamment à l'inhalation de fibres d'amiante dans le cadre de ses fonctions au sein d'[9] et donc à une exposition revêtant un important degré d'intensité et de durée de nature à engendrer un risque élevé de développer une pathologie grave.

Le salarié soutient qu'il a été en contact permanent, et sans protection, avec la poussière d'amiante, ce que conteste la société.

Il résulte de la jurisprudence que le salarié doit justifier d'une exposition à l'amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave (Cour de cassation, ass.plén. du 5 avril 2019 n°18-17442).

Pour prouver qu'il a été soumis habituellement à une exposition à l'amiante engendrant un risque élevé de développer une pathologie grave, M.[R] [E] verse :

- des attestations d'autres salariés telles que celles de M. [B] (pièce 5), de M. [W] (pièce 6), M. [M] (pièce 7) M.[N] (pièce 8) M.[Z] (pièce 9) qui listent des tâches réalisées par M. [R] [E] mais aucun matériaux, excepté pour certains, des plaques de fibrociment et sans autre précision ni de périodicité, ni d'intensité, le terme d'amiante n'étant pas expressément mentionné.

- le rapport du Dr [I], médecin du travail, chargé des problèmes de toxicologie dans le service général de médecine du travail d'[10], établi en mai 1977 et qui souligne la présence de l'amiante au sein de la société [10] notamment dans les joints et garnitures d'étanchéité.

Néanmoins, si ces attestations et ces rapports sont suffisants pour établir que le salarié a été amené à travailler en présence de l'amiante au sein de la société [9], le salarié doit démontrer, au-delà de la simple présence d'amiante, que l'exposition subie était de nature à engendrer un risque élevé de développer une pathologie grave, condition retenue par l'arrêt de 2019 précité.

Or, M.[R] [E] se réfère de façon générale aux risques aujourd'hui connus engendrés par l'amiante tels que décrits dans le rapport de l'Inserm, le rapport du Dr [I] précité et le procès-verbal n°234 de délibération du comité national hygiène, sécurité et conditions de travail en date du 13 avril 2000, cité dans les écritures du salarié, concernant les centres de distribution dans lequel un délégué indique qu'une vingtaine de centres est toujours en cours de signalisation du danger, et que dans certaines unités à ce jour, il est possible qu'il y ait eu exposition volontaire des agents au risque amiante.

Comme rappelé à juste titre par les premiers juges, les centres de distribution étaient des centres en charge de la distribution de l'énergie électrique et du gaz auprès des clients qui regroupaient des agences clientèles qui offraient aux abonnés un service de proximité. Ces centres n'avaient pas pour activité la production ou la transformation de l'amiante et n'ont jamais été répertoriés comme des établissements ouvrant droit à la pré-retraite amiante (ACAATA). Les relevés d'empoussièrement effectués au centre de distribution précités, dont il n'est pas invoqué de différence avec celui de [Localité 20], démontrent que la présence de fibres d'amiante dans l'atmosphère des centres de distribution était de l'ordre de 0,6 fibres par litre d'air soit 0,0006 fibres par cm3, ce qui correspond à une concentration près de 1000 fois inférieure à la limite fixée par le décret du 7 février 1996 (0,1 fibre par cm3).

Par ailleurs, M.[R] [E] ne démontre pas qu'il a été en présence de matériaux friables au sens de la circulaire 98/10 du 5 novembre 1998. Il convient de rappeler que la valeur limite d'exposition professionnelle est fixée, selon l'article R4412-100 du code du travail, à dix fibres par litre sur huit heures de travail. Or, M.[R] [E] intervenait sur le réseau électrique principalement sur la voie publique, en extérieur et à l'air libre de sorte qu'il ne démontre pas qu'il était exposé à l'inhalation de fibres d'amiante au-delà des seuils réglementaires et dans des conditions susceptibles de porter atteinte à sa santé.

En effet, les éléments invoqués par le salarié sont insuffisants pour démontrer que le risque encouru de développer une pathologie grave était élevé au regard notamment de la durée dans le temps de l'exposition sur laquelle M.[R] [E] ne produit aucun élément ou sa fréquence celles-ci ne pouvant se confondre nécessairement avec la durée de sa carrière au sein de la société, ou de l'ampleur de l'exposition.

Sur l'obligation de sécurité et de prévention

La société démontre avoir respecté son obligation de sécurité et de prévention, notamment en produisant :

- le rapport d'étude' problèmes posés par l'utilisation de l'amiante notamment à électricité et gaz de France-orientation en matière de prévention' du docteur [I], médecin du travail [9], qui évoque en page 12 la 'notion de concentration Maxima Permissible' et écrit ' Une donnée importante servira de base et permettra d'orienter la prévention: le niveau de sécurité en matière d'exposition à l'amiante. Les experts du B.I.T.recommandent, dans l'état actuel de nos connaissances, de considérer le niveau 2 fibres au cm3 comme l'objectif à atteindre. Encore s'agit-il d'un niveau maximum en matière d'Asbestose, aucun niveau ne pouvant être fixé quant aux risques cancérigènes. En fait, le risque est fonction du type d'amiante, du degré de pollution de l'atmosphère, de la durée d'exposition. La notion d'exposition 'cumulative' est ainsi introduite et la tendance générale est actuellement d'admettre non seulement une concentration maximale de 2 fibres/cm3 mais plus encore une 'exposition maximale permissible' de 100 fibres/cm3 au cours d'une carrière professionnelle, tout au moins pour les seuls risques d'Asbestose. Ceci signifie qu'un travailleur pourrait manipuler l'asbeste et y être exposé pendant 50 ans sous réserve que la concentration ne dépasse pas 2 fibres/cm3. Pour des expositions plus courtes, cette concentration moyenne pourrait être plus élevée toutefois sans dépasser 12 fibres/cm3 et sans dépasser le taux cumulatif de 100 fibres/années/cm3 '. Cette étude a donné lieu à 10 recommandations de prévention et de surveillance médicale.

- la note KR760 de mai 1988 du service de prévention de sécurité qui après un rappel des principales utilisations de l'amiante à [10] et au [16] et des indications permettant de répertorier les travaux susceptibles d'entraîner la dispersion dans l'atmosphère, de fibres d'amiante, recommande un certain nombre de dispositions pratiques à adopter dans le cadre de la réglementation notamment suite aux modifications apportées en 1987 concernant la fixation de nouvelles limites d'exposition et la distinction faite entre les fibres de crocidolite et les autres fibres d'amiante et la fixation d'un seuil en dessous duquel les principales dispositions du décret ne s'appliquent pas. Cette note vise expressément la prévention des risques dûs à l'inhalation des poussières d'amiante au regard des nouvelles limites d'exposition de 1987.

- des carnets de prescription remis au personnel afin d'alerter les agents sur les dangers de l'amiante et sur les précautions à prendre en 1982 et en 1988, cette démarche de prévention étant attestée par le docteur [P], médecin du travail [15] [Localité 21] de 1978 à 2009.

En conséquence, le préjudice d'anxiété n'étant pas établi, il convient de débouter M. [R] [E] de sa demande de dommages-intérêts par confirmation du jugement.

Sur les demandes de délivrance d'attestation

Sur la demande de remise de l'attestation d'exposition à l'amiante

Selon l'article R4412-120 du code du travail, 'L'employeur établit, pour chaque travailleur exposé, une fiche d'exposition à l'amiante indiquant :

1° La nature du travail réalisé, les caractéristiques des matériaux et appareils en cause, les périodes de travail au cours desquelles il a été exposé et les autres risques ou nuisances d'origine chimique, physique ou biologique du poste de travail ;

2° Les dates et les résultats des contrôles de l'exposition au poste de travail ainsi que la durée et l'importance des expositions accidentelles ;

3° Les procédés de travail utilisés ;

4° Les moyens de protection collective et les équipements de protection individuelle utilisés'.

Cette attestation a pour finalité la prise en charge financière par les organismes de sécurité sociale de la surveillance médicale post professionnelle.

En l'espèce, M.[R] [E] invoque d'une part, l'accord collectif national du 15 juillet 1998 pour la prévention et la réparation du risque amiante qui prévoit notamment la délivrance d'une fiche d'exposition par le chef d'établissement à tout agent qui effectue des activités relevant du secteur 3, d'autre part, l'avenant au protocole amiante du 7 juin 2002 qui prévoit la délivrance d'une fiche d'exposition par le responsable hiérarchique direct de tout agent qui effectue des activités susceptibles de l'exposer à l'amiante, cette fiche étant remise à l'agent et une copie est envoyée au médecin du travail et une seconde conservée dans le dossier de l'agent.

La société conclut au débouté en faisant valoir que :

- la réalité d'une exposition avérée à un risque pour la santé n'est pas rapportée,

- en cas d'exposition à un risque faible, elle n'est pas tenue de délivrer des fiches et attestations d'exposition.

Il convient de relever que l'accord national du 15 juillet 1998 précité et son avenant du 7 juin 2002 prévoient que l'attestation d'exposition concerne les salariés séjournant dans les locaux révélant un taux d'empoussièrement supérieur à 100 fibres par litres (article 4.2). Néanmoins, dès lors qu'il a été retenu que M.[R] [E] avait été exposé à un risque amiante à l'occasion de ses fonctions, même si la cour a considéré que le salarié ne prouvait pas que cette exposition engendrait un risque élevé de développer une pathologie grave, étant observé que la notion de risque élevé est distincte du seul dépassement du taux ci-dessus mentionné, c'est donc à l'employeur de démontrer que le taux d'empoussièrement était inférieur à 100 fibres par litre dans les centres de distribution où a précisément travaillé M. [R] [E].

Si la comparaison avec les centres de distribution dans lesquels des prélèvements ont été effectués ont permis de considérer que le risque de développer une pathologie grave était écarté, pour autant ces prélèvements ne suffisent pas à permettre à l'employeur de justifier du taux d'empoussièrement auquel a effectivement été exposé M.[R] [E] et par conséquent de se libérer de son obligation de fournir l'attestation sollicitée.

En conséquence, il convient de faire droit à la demande et d'ordonner à la société [11] de délivrer à M.[R] [E] l'attestation sollicitée par infirmation du jugement sans qu'il ne soit nécessaire d'assortir cette condamnation d'une astreinte.

Sur l'attestation concernant les autres agents chimiques dangereux et CMR

Selon l'ancien article R4412-41 du code du travail, applicable aux situations antérieures au 1er  janvier 2012, 'L'employeur établit, pour chacun des travailleurs exposés aux agents chimiques mentionnés à l'article R. 4412-40, une fiche d'exposition indiquant :

1° La nature du travail réalisé, les caractéristiques des produits, les périodes d'exposition et les autres risques ou nuisances d'origine chimique, physique ou biologique du poste de travail;

2° Les dates et les résultats des contrôles de l'exposition au poste de travail ainsi que la durée et l'importance des expositions accidentelles'.

Selon l'article R4412-40 du code précité, 'L'employeur tient une liste actualisée des travailleurs exposés aux agents chimiques dangereux pour la santé.

Cette liste précise la nature de l'exposition, sa durée ainsi que son degré, tel qu'il est connu par les résultats des contrôles réalisés'.

L'objet de la délivrance d'une attestation d'exposition est la prise en charge financière par les organismes de sécurité sociale de la surveillance médicale post-professionnelle des salariés ; la production d'une telle attestation permet de faire procéder à des examens médicaux très réguliers pour permettre de dépister précocement une éventuelle pathologie, et ne pas faire supporter aux salariés le coût des examens.

Il convient de distinguer les agents ACD des agents CMR :

Selon l'article R.4412-3 du code du travail, 'Pour l'application du présent chapitre, un agent chimique dangereux est :

1° Tout agent chimique mentionné à l'article R. 4411-6 ;

2° Tout agent chimique qui, bien que ne satisfaisant pas aux critères de classement, en l'état ou au sein d'un mélange, peut présenter un risque pour la santé et la sécurité des travailleurs en raison de ses propriétés physico-chimiques, chimiques ou toxicologiques et des modalités de sa présence sur le lieu de travail ou de son utilisation, y compris tout agent chimique pour lequel des décrets prévoient une valeur limite d'exposition professionnelle'.

Selon l'article R4412-4 du code précité, 'Pour l'application du présent chapitre, on entend par:

1° Danger, la propriété intrinsèque d'un agent chimique susceptible d'avoir un effet nuisible ;

2° Risque, la probabilité que le potentiel de nuisance soit atteint dans les conditions d'utilisation et/ou d'exposition ;

3° Surveillance de la santé, l'évaluation de l'état de santé d'un travailleur en fonction de son exposition à des agents chimiques spécifiques sur le lieu de travail ;

4° Valeur limite biologique, la limite de concentration dans le milieu biologique approprié de l'agent concerné, de ses métabolites ou d'un indicateur d'effet ;

5° Valeur limite d'exposition professionnelle, sauf indication contraire, la limite de la moyenne pondérée en fonction du temps de la concentration d'un agent chimique dangereux dans l'air de la zone de respiration d'un travailleur au cours d'une période de référence déterminée'.

Selon l'article 7.1 de la circulaire DRT n°12 du 24 mai 2006, ' Les valeurs limites d'exposition professionnelle (VLEP) servent de référence dans l'évaluation de l'exposition des travailleurs aux polluants présents dans l'atmosphère. Le mesurage des concentrations pour lesquelles il existe une VLEP est un indicateur essentiel de l'exposition professionnelle, ses résultats doivent donc être intégrés dans l'évaluation des risques, et permettre ainsi de déterminer les mesures de prévention adéquates à mettre en 'uvre'.

Selon l'article R4412-13 du code précité, 'Lorsque les résultats de l'évaluation des risques montrent que les quantités dans lesquelles un agent chimique dangereux est présent sur le lieu de travail ne présentent qu'un risque faible pour la santé et la sécurité des travailleurs et que les mesures de prévention prises en application des articles L. 4121-1 à L. 4121-5 et R. 4412-11 sont suffisantes pour réduire ce risque, les dispositions de l'article R. 4412-12 ne sont pas applicables'.

Les agents CMR, substances cancérogènes mutagènes et reprotoxiques, sont une catégorie d'ACD, définis par l'article R4412-60 du code précité selon lequel, 'On entend par agent cancérogène, mutagène ou toxique pour la reproduction les substances ou mélanges suivants :

1° Toute substance ou mélange qui répond aux critères de classification dans la catégorie 1A ou 1B des substances ou mélanges cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction définis à l'annexe I du règlement (CE) n° 1272/2008 ;

2° Toute substance, tout mélange ou tout procédé défini comme tel par arrêté conjoint des ministres chargés du travail et de l'agriculture'.

Selon l'ancien R4412-58 du code du travail, applicable aux situations antérieures au 30 janvier 2012, 'Une attestation d'exposition aux agents chimiques dangereux mentionnés à l'article R4412-40, remplie par l'employeur et le médecin du travail, est remise au travailleur à son départ de l'établissement, quel qu'en soit le motif.

Un arrêté conjoint des ministres chargés du travail et de l'agriculture détermine les conditions de remise de cette attestation en cas d'exposition à des agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction'.

La valeur limite d'exposition professionnelle est définie par l'article R4412-100 du code précité selon lequel, 'La concentration moyenne en fibres d'amiante, sur huit heures de travail, ne dépasse pas dix fibres par litre. Elle est contrôlée dans l'air inhalé par le travailleur' et est précisé pour les agents ACD et CMR aux articles R4412-149 à R4412-151 du code du travail.

M.[R] [E] ne rapporte aucun justificatif quant à la nature des agents qu'il a réellement utilisés durant sa carrière professionnelle et à son niveau d'exposition, les attestations de ses collègues ne faisant que reprendre la liste des tâches effectuées par M.[R] [E] avec une évocation de plaques fibrociment sans autre mention d'agent ACD et CMR.

En conséquence, M.[R] [E] ne rapporte pas la preuve de son exposition auxdits agents, la seule communication de documents généraux sur les agents utilisés par l'entreprise étant insuffisante, de sorte que sa demande de remise d'une attestation d'exposition sous

astreinte est rejetée par confirmation du jugement ainsi que sa demande de dommages-intérêts.

Sur l'article 700 du code de procédure civile

La société [11] sera condamnée à payer la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Sur les dépens

Il convient de condamner la société [11] aux dépens de l'appel.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de mise hors de cause de la société [19] et la demande d'attestation d'exposition à l'amiante;

Confirme le surplus;

Statuant à nouveau et y ajoutant;

Met hors de cause la société [19];

Ordonne à la société [11] de délivrer à M.[R] [E] l'attestation d'exposition à l'amiante sans qu'il ne soit nécessaire d'assortir cette condamnation d'une astreinte;

Condamne la société [11] à payer à M.[R] [E] la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société [11] aux dépens.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Nathalie COURTOIS, Président et par Madame Isabelle FIORE Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre sociale 4-6
Numéro d'arrêt : 22/00484
Date de la décision : 04/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 15/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-04;22.00484 ?
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