COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
Chambre sociale 4-6
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 20 JUIN 2024
N° RG 22/02076 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VJET
AFFAIRE :
[T] [I]
C/
S.A.S. CHARLESTOWN
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 01 Juin 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE
N° Chambre :
N° Section : C
N° RG : 21/01289
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
M. [G] [Z] (Délégué syndical ouvrier)
Me Clarisse TAILLANDIER-LASNIER
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT JUIN DEUX MILLE VINGT QUATRE,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Madame [T] [I]
née le 07 Août 1978 à [Localité 5] - POLOGNE
de nationalité Polonaise
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : M. [G] [Z] (Délégué syndical ouvrier)
APPELANTE
****************
S.A.S. CHARLESTOWN
N° SIRET : 351 82 5 4 19
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Clarisse TAILLANDIER-LASNIER, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 428
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 07 Mai 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Véronique PITE, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Nathalie COURTOIS, Président,
Madame Véronique PITE, Conseiller,
Madame Odile CRIQ, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Isabelle FIORE,
FAITS ET PROCÉDURE
Mme [T] [I] a été engagée par contrat à durée indéterminée à compter du 1er janvier 2011 avec reprise d'ancienneté au 11 septembre 2001, en qualité d'assistante de qualité et de formation, statut agent de maîtrise, par la société Ceritex, aux droits de laquelle vient la société par actions simplifiée Charlestown, qui est une agence spécialisée dans les services d'accueil en entreprise, l'accueil événementiel et l'animation commerciale, emploie plus de dix salariés et relève de la convention collective du personnel des prestataires de services dans le domaine du secteur tertiaire.
Le 1er janvier 2019, à la suite de son congé maternité, Mme [I] a demandé à bénéficier d'un congé parental d'éducation à temps complet prolongé jusqu'au 31 août 2020, dont elle sollicita le 7 juin 2020, le renouvellement jusqu'au 31 août 2021.
Invoquant des difficultés financières, elle a manifesté sa volonté de le rompre de façon anticipée et de réintégrer l'entreprise au 1er mars 2021, ce que la société a refusé.
Mme [I] a saisi, le 15 avril 2021, le conseil de prud'hommes de Nanterre en référé, qui, par ordonnance du 16 juin 2021, a ordonné sa réintégration à son poste de travail à la date du 16 juin 2021, mais a dit n'y avoir lieu à référé sur sa demande de rappel de salaire dès le 1er mars 2021 et a renvoyé les parties à se pourvoir sur le fond.
Mme [I] a saisi, le 22 juin 2021, le conseil de prud'hommes de Nanterre au fond, aux fins de demander de fixer son salaire de référence à 2.415,12 euros et de solliciter le versement des salaires à compter du 1er mars 2021, ce à quoi la société s'est opposée.
Par jugement rendu « en dernier ressort » et notifié le 1er juin 2022, le conseil de prud'hommes a statué comme suit :
Fixe le salaire de référence à 2.415,12 euros ;
Déboute Mme [I] de l'ensemble de ses demandes ;
Déboute la société Charlestown de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile en raison de la situation économique de la partie demanderesse ;
Dit que soient laissés à la charge des deux parties les frais irrépétibles exposés.
Le 28 juin 2022, Mme [I] a relevé appel de cette décision par voie postale, déclaré recevable aux termes de l'ordonnance du 6 février 2023 du conseiller de la mise en état.
Elle a saisi, dans le même temps, le conseil de prud'hommes d'une requête en rectification d'erreur matérielle, et par jugement du 20 octobre 2022, la mention « premier ressort » a été substituée au vocable « dernier ressort ».
Selon ses dernières conclusions remises au greffe le 26 juillet 2022, Mme [I] demande à la cour de :
Constater / rectifier l'erreur matérielle qui entache le jugement rendu, par la section commerce du conseil de prud'hommes de Nanterre du 1er juin 2022, en précisant que ce jugement a été rendu en premier ressort,
Infirmer la décision du conseil de prud'hommes la déboutant de sa demande en versement du salaire du 1er mars 2021 au 15 juin 2021 pour un montant de 8.452,92 euros,
Infirmer la décision du conseil de prud'hommes la déboutant de sa demande de condamner la société Charlestown au paiement de 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Confirmer la décision du conseil de prud'hommes déboutant la société Charlestown de sa demande de condamner Mme [I] au paiement de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
En conséquence :
Condamner la société Charlestown à lui verser 8.452,29 euros à titre de rappel de salaire du 1er mars 2021 au 15 juin 2021,
Condamner la société Charlestown à lui verser 852,29 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur le rappel de salaire du 1er mars 2021 au 15 juin 2021,
Condamner la société Charlestown à lui verser 2.000 euros de dommages et intérêts pour « demandes abusives de justification de revenus à outrance »,
Condamner la société Charlestown à lui verser 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 5 octobre 2022, la société Charlestown demande à la cour de :
Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Mme [I] de l'ensemble de ses demandes,
L'infirmer en ce qu'il a débouté la société Charlestown de la demande qu'elle avait formulée sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et, statuant à nouveau, condamner Mme [I] au paiement de la somme de 2.500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel ainsi qu'aux entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.
Par ordonnance rendue le 7 février 2024, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 7 mai 2024.
MOTIFS
Sur la rectification de l'erreur matérielle
Le jugement du 20 octobre 2022 qui s'incorpore par sa nature à la décision rectifiée ayant modifié la mention erronée du ressort, la demande en ce sens de la partie appelante est devenue sans objet, et ce, d'autant plus que le litige sur la recevabilité de l'appel a déjà été tranché.
Sur le rappel de salaire
Mme [I] se prévaut des dispositions de l'article L.1225-52 du code du travail, en faisant égard à sa requête du 28 janvier 2021, complétée le 3 février, refusée, selon elle, sans droit ni motifs. Elle soutient les difficultés financières alors rencontrées.
La société estime que cette disposition contient la nécessité, en plus de la motivation, de la justification des raisons permettant, à titre exceptionnel, de rompre le congé de manière anticipée, et qu'il ne fut satisfait à cette exigence puisque la baisse des ressources n'était ni contemporaine de la demande ni établie, et qu'elle était au reste connue quand la salariée sollicita le renouvellement de son congé parental. A titre subsidiaire, elle fait valoir l'absence de toute motivation ou documentation avant le 12 mai 2021, date à laquelle s'établit le point de départ du délai d'un mois.
L'article L.1225-52 du code du travail énonce qu'« en cas de décès de l'enfant ou de diminution importante des ressources du foyer, le salarié a le droit :
1° S'il bénéficie du congé parental d'éducation, soit de reprendre son activité initiale, soit d'exercer son activité à temps partiel dans la limite de la durée initialement prévue par le contrat de travail ;
2° S'il travaille à temps partiel pour élever un enfant, de reprendre son activité initiale et, avec l'accord de l'employeur, d'en modifier la durée.
Le salarié adresse une demande motivée à l'employeur un mois au moins avant la date à laquelle il entend bénéficier de ces dispositions. »
Il résulte des pièces versées aux débats que le 28 janvier 2021, Mme [I] remit un courrier à son employeur demandant sa réintégration amiable et anticipée dans l'entreprise en raison des « circonstances actuelles », sans évoquer l'un des motifs requis par la loi.
Par mail du 3 février, elle précisait n'avoir « plus aucun droit d'allocation depuis le mois de septembre 2020 » et ne percevoir que « 300 euros » de la caisse d'allocations familiales, dont elle joignait le relevé conforme. Cependant, elle ne disait rien des ressources de son foyer, et son motif n'était pas utile.
Le 14 avril 2021, elle faisait valoir à son employeur la baisse des ressources de son mari, dont la rémunération passait, selon elle, de 13.500 euros en 2019 à 6.500 euros en 2020, joignant par lettre recommandée une attestation de l'expert-comptable de sa société les rapportant à l'indemnité de gérance, et spécifiant que le chiffre d'affaires passait de 283.625 euros en 2019 à 218.647 euros en 2020.
Si elle prétend avoir adressé d'autres documents les jours suivants, il ne ressort pas distinctement des mails échangés et des pièces versées aux débats que les ressources en 2020 du mari aient été communiquées alors que l'employeur prétend en avoir eu connaissance seulement lors de la procédure de référés et que sa déclaration d'impôt, évoquée dans le mail, n'est pas citée dans les pièces au contraire de la liasse fiscale, dont la communication était refusée, mais qui figure dans les pièces versées aux débats comme ayant été communiquées à cette date.
La société Charlestown reconnaissant avoir connu cette liasse le 12 mai 2021 à l'occasion de la procédure de référés, cette seule date doit être retenue.
Cela étant, si Mme [I] estime que sa demande motivée lui ouvre droit à la rupture anticipée de son congé parental, il n'en reste pas moins qu'évoquant un droit, il lui appartient de justifier en satisfaire les conditions.
Le cas requis portant sur la diminution importante des ressources du foyer, il sera relevé qu'elle n'en fit offre de preuve que le 12 mai suivant et ses droits à rappel de salaire ne peuvent y être antérieurs.
Certes si l'intimée érige à tort en condition formelle de ce droit la contemporanéité de la baisse des revenus et de la demande alors que l'article L.1225-52 précité impose seulement que la cause de la rupture anticipée se trouve dans cette diminution, en revanche, c'est à juste titre qu'elle en évinça de l'appréciation, l'allocation perçue du seul fait du congé parental, et qui était prévisible d'emblée dans son étendue.
Cela étant, si les revenus du mari appréhendés dans l'indemnité de gérance reportée sur la ligne « salaire et traitement » du compte de résultat et déclarée seule à l'impôt sur le revenu avaient baissé de moitié de 2019 à 2020, il n'en reste pas moins qu'elle n'était pas, comme l'employeur le suggère, significative, vu ses montants eu regard de leur train de vie exposé et des ressources des intéressés vivant sur d'autres fonds, Mme [I] parlant de capitaux, et la société Charlestown d'une comptabilité opaque.
Dès lors, la partie appelante ne justifie pas suffisamment réunir les conditions posées par l'article L.1225-52 précité.
Elle sera déboutée de sa demande d'un rappel de salaire et le jugement sera confirmé par substitution de motifs.
Sur la demande de dommages-intérêts
Mme [I] reproche à la société Charlestown son acharnement à solliciter de nombreux justificatifs sans s'en satisfaire.
En application de l'article 1147 du code civil, dans sa version applicable au litige, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.
Cela étant, l'employeur n'ayant commis aucune faute à vérifier si Mme [I] bénéficiait du droit qu'elle lui opposait, il n'a engagé sa responsabilité et la demande de dommages-intérêts pour résistance abusive sera rejetée.
Sur les frais de justice
Il n'y a nul motif présidant à l'infirmation des frais de justice tels que tranchés en première instance.
Il convient de dire, pour le surplus, n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Dit sans objet la demande en rectification matérielle du jugement entrepris ;
Confirme, dans les limites de l'appel, le jugement entrepris dans toutes ses dispositions ;
Y ajoutant ;
Déboute Mme [T] [I] de sa demande de dommages-intérêts pour résistance abusive ;
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Mme [T] [I] aux dépens en cause d'appel.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Nathalie COURTOIS, Président et par Madame Isabelle FIORE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,