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12/06/2024 | FRANCE | N°23/01334

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre civile 1-7, 12 juin 2024, 23/01334


COUR D'APPEL

DE VERSAILLES

Chambre civile 1-7







Code nac : 96E









N° RG 23/01334

N° Portalis DBV3-V-B7H-VWRV



(Décret n° 2000-1204 du 12 décembre 2000 relatif à l'indemnisation à raison d'une détention provisoire)









































Copies délivrées le :

à :

M. [K]

Me KORAITEM

AJE

Me SAIDJI

M

IN. PUBLIC



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE DOUZE JUIN DEUX MILLE VINGT QUATRE



a été rendue, par mise à disposition au greffe, l'ordonnance dont la teneur suit après débats et audition des parties à l'audience publique du 24 avril 2024 où nous étions Jean-François BEYNEL, pre...

COUR D'APPEL

DE VERSAILLES

Chambre civile 1-7

Code nac : 96E

N° RG 23/01334

N° Portalis DBV3-V-B7H-VWRV

(Décret n° 2000-1204 du 12 décembre 2000 relatif à l'indemnisation à raison d'une détention provisoire)

Copies délivrées le :

à :

M. [K]

Me KORAITEM

AJE

Me SAIDJI

MIN. PUBLIC

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DOUZE JUIN DEUX MILLE VINGT QUATRE

a été rendue, par mise à disposition au greffe, l'ordonnance dont la teneur suit après débats et audition des parties à l'audience publique du 24 avril 2024 où nous étions Jean-François BEYNEL, premier président de la cour d'appel de Versailles assisté par Rosanna VALETTE, Greffière, le prononcé de la décision a été renvoyée à ce jour ;

ENTRE :

Monsieur [P] [K]

né le [Date naissance 1] 1972 à [Localité 5] (MALI)

[Adresse 3]

[Localité 4]

comparant, assisté de Me Tarek KORAITEM, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 305, substitué par Me Clémence DREVARD, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 203

DEMANDEUR

ET :

AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

Direction des Affaires Juridiques, Bâtiment CONDORCET

[Adresse 6]

[Localité 2]

représenté par Me Ali SAIDJI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : J076, substitué par Me Divine ZOLA DUDU, avocat au barreau de MEAUX, vestiaire : 7

ET :

Le ministère public pris en la personne de Mme GULPHE-BERBAIN, avocat général

Nous, Jean-François BEYNEL, premier président de la cour d'appel de Versailles, assisté de Rosanna VALETTE, Greffière,

Vu l'arrêt de la cour d'assises des Hauts-de-Seine du 28 octobre 2022 acquittant monsieur [P] [K], devenu définitif par un certificat de non-appel du 10 novembre 2022 ;

Vu la requête de monsieur [P] [K], né le [Date naissance 1] 1972, reçue au greffe de la cour d'appel de Versailles le 23 janvier 2023 ;

Vu les pièces jointes à cette requête, le dossier de la procédure ;

Vu les conclusions de l'agent judiciaire de l'Etat, reçues au greffe de la cour d'appel de Versailles le 25 janvier 2024 ;

Vu les conclusions du procureur général, reçues au greffe de la cour d'appel de Versailles le 18 mars 2024 ;

Vu les lettres recommandées en date du 18 mars 2024 notifiant aux parties la date de l'audience du 24 avril 2024 ;

Vu les articles 149 et suivants et R26 du code de procédure pénale ;

EXPOSÉ DE LA CAUSE

Monsieur [P] [K] sollicite la réparation de sa détention provisoire du 3 juin 2020 au 28 octobre 2022 à la maison d'arrêt des Hauts-de-Seine.

Il sollicite dans sa requête les sommes suivantes :

- 200 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

- 54 597,43 euros en réparation de son préjudice matériel ;

- 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses conclusions reçues le 25 janvier 2024, l'agent judiciaire de l'Etat sollicite une réparation du préjudice moral à hauteur de 65 000 euros. Il fait valoir que le requérant était marié et père de 5 enfants de 3 à 12 ans au jour de son placement en détention. Il ajoute que l'absence d'incarcération précédente et de mention dans son casier judiciaire rendent le préjudice moral incontestable. Il relève néanmoins que le préjudice devra être relativisé compte tenu du fait que l'éloignement familial et la difficulté d'entretenir des relations sont inhérents à sa situation personnelle. Il constate que le délai de 4 mois avant que le requérant ne soit interrogé aggrave le préjudice. S'agissant des conditions de détention, il souligne qu'en l'espèce, le requérant n'apporte aucun élément permettant de singulariser ses conditions de détention propres. Il conclut au rejet de l'aggravation du préjudice en raison de la nature de l'infraction car le requérant ne rapporte aucun fait ni ne produit aucun élément permettant de constater l'influence de la qualification des faits reprochés sur ses conditions de détention. L'agent judiciaire de l'état relève que la méconnaissance de la langue française résulte d'un choix personnel du requérant qui vivait depuis 15 ans en France au jour de son incarcération. Il rejette la prise en compte des refus des différentes demandes de mise en liberté, placement sous contrôle judiciaire comme majoration du préjudice moral. Il considère que le requérant avait la possibilité, dès le jour de sa libération, de renouveler son titre de séjour et en conclut qu'il ne pourra être pris en compte dans l'évaluation du préjudice moral. Au titre du préjudice matériel, l'agent judiciaire de l'Etat conclut, à titre principal, au rejet de l'indemnisation au titre de sa perte de revenus au motif que les bulletins de salaire produits sont partiellement illisibles et ne permettent pas d'établir le montant du préjudice subi. A titre subsidiaire, l'agent judiciaire de l'Etat considère qu'il convient d'appliquer le taux appliqué au salaire minimum interprofessionnel de croissance et propose une indemnisation à hauteur de 34 446,56 euros au titre de la perte des revenus principaux. Il rejette à titre principal, l'indemnisation de la perte des points de retraite au motif que la pièce fournie concerne un tiers et à titre subsidiaire, au motif que le requérant ne communique pas de relevés de cotisation retraite auprès des organismes sociaux. Il rejette également la demande d'indemnisation au titre de sa perte du paiement des heures supplémentaires et la demande d'indemnisation au titre de pouvoir exercer un second emploi. Enfin il sollicite de réduire à de plus justes proportions la somme demandée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses conclusions reçues le 18 mars 2024, le procureur général conclut à la recevabilité de la requête et s'en rapporte à l'appréciation du premier président s'agissant du montant de la réparation du préjudice moral subi. Il précise que le requérant était marié et père de 5 enfants de 3 à 12 ans au jour de son placement en détention. Il ajoute que l'absence d'incarcération précédente et de mention dans son casier judiciaire rendent le préjudice moral incontestable. Le procureur général rejette l'aggravation du préjudice moral en raison de la nature des faits, la méconnaissance de la langue française, l'éloignement familial et le renouvellement de son titre de séjour au motif que le requérant ne rapporte pas d'éléments caractérisant ces chefs de préjudice. Il retient l'aggravation du préjudice moral compte tenu de la période de crise sanitaire qui a affecté les conditions de détention des détenus. Il soutient également que la durée de l'instruction de plusieurs mois doit être pris en compte comme un facteur d'aggravation. Au titre du préjudice matériel, le procureur général s'en rapporte à l'évaluation de l'agent judicaire de l'Etat concernant l'indemnisation de la perte de revenus sur la base du taux appliqué au salaire minimum interprofessionnel. Il constate que le nom d'un tiers figurant sur la demande indemnitaire au titre de la perte des points de retraite constitue une erreur matérielle qui ne doit pas prêter à conséquence. Le procureur général retient l'indemnisation de la demande mais uniquement pour les droits à une retraite complémentaire et s'en rapport à l'appréciation faite par le premier président. Il rejette l'indemnisation de la perte de chance d'exercer un second emploi et de la perte de paiement des heures supplémentaires au motif que la réalité de ces pertes n'est pas établie. Enfin, il sollicite la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité de la requête

Aux termes des articles 149, 149-1, 149-2 et R26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention.

La requête en indemnisation doit contenir l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée, et toutes indications utiles prévues à l'article R26. Elle doit être présentée au premier président de la cour d'appel dans un délai de six mois à compter du jour où la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement acquiert un caractère définitif.

Ainsi, la requête est recevable pour une période de détention provisoire de 2 ans, 2 mois et 25 jours, soit 816 jours.

Sur le préjudice moral

Monsieur [P] [K] a été incarcéré 2 ans, 2 mois et 25 jours, alors qu'il était âgé de 52 ans.

Le choc carcéral subi par le requérant sera retenu comme critère d'aggravation du préjudice moral, du fait de sa première incarcération, qu'il ne parle pas français, qu'il n'avait pas de nouvelles de sa famille et qu'il avait peu de droit de visite.

Le requérant sera donc indemnisé sur ce chef.

S'agissant des conditions de détention, il appartient au requérant de justifier des conditions difficiles qu'il allègue.

En l'espèce, le requérant fournit un rapport de visite du contrôleur général des lieux de privation de liberté et une ordonnance du juge des référés de 2022 faisant injonction au Garde des Sceaux d'améliorer les conditions de détention. Il était incarcéré pendant la période du Covid. Le requérant justifie donc des conditions de détention particulièrement difficiles.

Le requérant sera donc indemnisé sur ce chef.

La nature et la qualification de l'infraction, en l'espèce, de viol, ne peuvent faire l'objet d'un facteur d'aggravation du choc carcéral et donc du préjudice moral subi.

Le requérant sera donc débouté sur ce chef.

La séparation avec les proches est inhérente à la détention mais elle peut faire l'objet d'un facteur d'aggravation du choc carcéral et donc du préjudice moral subi car la réparation du préjudice moral peut tenir compte de certains facteurs personnels et familiaux.

En l'espèce, la famille du requérant vivait au Mali et le requérant leur versait de l'argent.

Le requérant sera donc indemnisé sur ce chef.

Le titre de séjour du requérant a expiré en mai 2022, pendant sa détention. Le requérant aurait dû engager les démarches propres à renouveler son titre de séjour dès le 28 octobre 2022, jour de sa libération. Depuis, aucune pièce justifiant des demandes de renouvellement de titre de séjour ne sont fournies. Si un retard est constaté, celui-ci est imputable à la préfecture et non en lien avec la détention provisoire.

Le requérant sera donc débouté sur ce chef.

L'indemnité due au titre du préjudice moral pour une détention exceptionnellement longue doit faire l'objet d'une majoration.

En l'espèce, le requérant a été détenu provisoirement pendant 816 jours. La détention a donc été particulièrement longue.

Le requérant sera donc indemnisé sur ce chef.

Ainsi, il convient d'allouer à monsieur [P] [K] la somme de 88 000 euros en réparation de son préjudice moral

Sur le préjudice matériel

Sur la perte de revenus principaux

Le requérant a droit à l'indemnisation de l'ensemble des prestations non perçues pendant la période de détention. Il doit néanmoins apporter la preuve qu'il exerçait un travail et percevait des salaires avant son placement en détention.

En l'espèce, le requérant avait un contrat à durée indéterminée en tant que commis de cuisine. Il fournit des bulletins de salaires justifiant qu'il exerçait un travail et percevait des salaires avant son placement en détention provisoire.

Le requérant sera donc indemnisé sur ce chef.

Ainsi, il convient d'allouer à monsieur [P] [K] la somme de 34 446,56 euros en réparation de son préjudice matériel au titre de la perte de revenus principaux.

Sur la perte des points de retraite

Le requérant a droit à l'indemnisation de la perte des points de retraite pendant la période de détention.

En l'espèce, le requérant avait cotisé en 2019 pour une moyenne de 188,11 euros par mois. Or le requérant a été détenu pendant 27 mois.

Ainsi, il convient d'allouer à monsieur [P] [K] la somme de 5 079,10 euros en réparation de son préjudice matériel au titre de la perte des points de retraite.

Sur la perte du paiement des heures supplémentaires

Le requérant a droit à l'indemnisation de la perte de paiement des heures supplémentaires pendant la période de détention s'il apporte la preuve qu'elles auraient été effectuées.

En l'espèce, le requérant ne rapporte aucun élément démontrant que des heures supplémentaires seraient effectuées et ne fournit aucun bulletin de salaire de janvier 2020 à juin 2020.

Le requérant sera donc débouté sur ce chef.

Sur la perte de chance de pouvoir exercer un second emploi

Le requérant a droit à l'indemnisation de la perte de chance de pouvoir exercer un second emploi pendant la période de détention s'il apporte la preuve de la réalité de ce préjudice.

En l'espèce, le requérant était également agent de service hôtelier en intérim. Il avait un contrat à durée déterminée jusqu'au 31 mai 2020 alors qu'il était placé en détention provisoire le 3 aout 2020 soit 3 mois après.

En l'espèce, le requérant ne prouve pas la réalité de son préjudice et qu'il aurait pu exercer ce second emploi.

Le requérant sera débouté sur ce chef.

Ainsi, il convient d'allouer à monsieur [P] [K] la somme de 39 525,66 euros en réparation de son préjudice matériel.

Sur les frais irrépétibles

Il serait inéquitable de laisser à la charge du requérant les sommes qu'il a dû engager dans le cadre de la présente procédure. Il convient donc de lui allouer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant par ordonnance contradictoire,

DÉCLARONS recevable la requête de Monsieur [P] [K];

ALLOUONS à Monsieur [P] [K]:

- La somme de QUATRE VINGT HUIT MILLE EUROS (88 000 euros) en réparation de son préjudice moral ;

- La somme de TRENTE NEUF MILLE CINQ CENT VINGT CINQ EUROS ET SOIXANTE SIX CENTIMES (39 525,66 euros) en réparation de son préjudice matériel ;

- La somme de CINQ MILLE EUROS (5 000 euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

LAISSONS les dépens de la présente procédure à la charge de l'agent judiciaire de l'Etat.

Prononcé par mise à disposition de notre ordonnance au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées selon les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

ET ONT SIGNÉ LA PRÉSENTE ORDONNANCE

Jean-François BEYNEL, premier président de la cour d'appel de Versailles

Rosanna VALETTE, greffier

LE GREFFIER LE PREMIER PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre civile 1-7
Numéro d'arrêt : 23/01334
Date de la décision : 12/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 18/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-12;23.01334 ?
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