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02/05/2024 | FRANCE | N°22/01176

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre sociale 4-6, 02 mai 2024, 22/01176


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



Chambre sociale 4-6



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 02 MAI 2024



N° RG 22/01176 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VEEU



AFFAIRE :



[V] [P]





C/



STE COOPÉRATIVE BANQUE Pop. CREDIT COOPERATIF









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 08 Mars 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

N° Chambre :

Section : C

N° RG : F 21/01755



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Emmanuelle BOQUET de la SCP BOQUET-NICLET-LAGEAT





Me Martine RIVEREAU TRZMIEL







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇ...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

Chambre sociale 4-6

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 02 MAI 2024

N° RG 22/01176 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VEEU

AFFAIRE :

[V] [P]

C/

STE COOPÉRATIVE BANQUE Pop. CREDIT COOPERATIF

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 08 Mars 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

N° Chambre :

N° Section : C

N° RG : F 21/01755

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Emmanuelle BOQUET de la SCP BOQUET-NICLET-LAGEAT

Me Martine RIVEREAU TRZMIEL

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DEUX MAI DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame [V] [P]

née le 29 Avril 1985 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentant : Me Emmanuelle BOQUET de la SCP BOQUET-NICLET-LAGEAT, avocat au barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 155 -

APPELANTE

****************

STE COOPÉRATIVE BANQUE POP. CREDIT COOPERATIF

N° SIRET : 349 974 931

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Martine RIVEREAU TRZMIEL, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B0380 - substitué par Me Nicolas DURAND avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 05 Février 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Odile CRIQ, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Nathalie COURTOIS, Président,

Madame Véronique PITE, Conseiller,

Madame Odile CRIQ, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Isabelle FIORE,

FAITS ET PROCÉDURE

Mme [V] [P] a été engagée à compter du 7 septembre 2009 en qualité d'agent principal crédit A, par la société Crédit Coopératif, selon contrat de travail à durée déterminée, puis selon contrat à durée indéterminée, à compter du 21 juin 2010.

La société Crédit Coopératif a une activité de banque coopérative, de bourse et de crédit, emploie plus de dix salariés et relève de la convention collective de la Banque Populaire (BPCE).

En dernier lieu, à compter du 1er octobre 2015, Mme [P] occupait les fonctions de chargée de gestion service client au sein de l'unité de gestion centralisé (UGC), statut technicien.

A compter du 1er novembre 2019, Mme [P] a bénéficié de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé.

Le 30 août 2021, Mme [P] a pris acte de la rupture de son contrat de travail, reprochant à son employeur d'avoir manqué à son obligation de sécurité et d'avoir exercé à son encontre une discrimination en raison de son handicap.

Mme [P] a saisi le 1er septembre 2021, le conseil de prud'hommes de Nanterre aux fins d'obtenir la requalification de sa prise d'acte en licenciement nul et la condamnation de la société au paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire, ce à quoi la société s'est opposée.

Par jugement rendu le 8 mars 2022 et notifié le 15 mars 2022, le conseil a statué comme suit :

Dit que la prise d'acte du 30 août 2021 de Mme [P] produit les effets d'une démission.

Rejette les demandes plus amples ou contraires des parties,

Condamne Mme [P] aux entiers dépens.

Le 12 avril 2022, Mme [P] a relevé appel de cette décision par voie électronique.

Selon ses dernières conclusions remises au greffe le 7 juillet 2022, Mme [P] demande à la cour de :

Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Nanterre,

Statuant de nouveau :

Dire que la prise d'acte de rupture s'analyse en un licenciement nul ;

Condamner la société Crédit Coopératif à payer à Mme [P] les sommes suivantes :

6.905,82 euros à titre d'indemnité de préavis (3 mois),

690,58 euros de congés payés sur préavis,

6.522,11 euros à titre d'indemnité de licenciement,

55.246,56 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

27.623,28 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,

5.000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner la société Crédit Coopératif aux entiers dépens ;

Subsidiairement,

Dire que la prise d'acte de rupture s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Condamner la société Crédit Coopératif à payer à Mme [P] la somme de 25.321,34 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Selon ses dernières conclusions remises au greffe le 27 septembre 2022, la société Crédit Coopératif demande à la cour de :

Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil des prud'hommes de Nanterre le 8 mars 2022 en ce qu'il a :

« Dit que la prise d'acte du 30 août 2021 de Mme [P] produit les effets d'une démission ;

Condamner Mme [P] aux entiers dépens ».

Statuant à nouveau,

Débouter Mme [P] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

A titre subsidiaire,

Limiter le montant de l'indemnité pour licenciement nul à 6 mois de salaire, soit 13.811,64 euros ;

A titre infiniment subsidiaire,

Limiter le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à 3 mois de salaire, soit 6.905,82 euros ou au plus à

10,5 mois de salaire soit, 24.170,37 euros

Débouter Mme [P] du surplus de ses demandes ;

En tout état de cause,

Condamner Mme [P] à payer à la société une somme de 1.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

La condamner en tous les éventuels dépens.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.

Par ordonnance rendue le 22 novembre 2023, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 5 février 2024.

MOTIFS

Sur l'obligation de sécurité de l'employeur :

Mme [P] fait valoir que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité en prenant acte d'une levée des préconisations médicales du médecin du travail, alors que ce dernier avait fixé des préconisations et n'avait pas pris de nouvel avis.

La salariée fait valoir que l'employeur ne s'est pas conformé à l'avis du médecin du travail et a commis une faute manifeste affectant directement son état de santé.

La société objecte s'être conformée aux préconisations du médecin du travail en soutenant que la salariée n'a pas accepté que le nouveau médecin du travail ne maintienne pas les préconisations de son prédécesseur. La société observe que Mme [P] n'a pas contesté, l'avis du médecin qu'elle remettait pourtant en cause.

En vertu des articles L.4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, l'employeur est tenu à l'égard de son salarié d'une obligation de sécurité dont il doit assurer l'effectivité. Il doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs (actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail, actions d'information et de formation, mise en place d'une organisation et de moyens adaptés) en respectant les principes généraux de prévention, tels que éviter les risques, évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités, combattre les risques à la source, adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production (...).

Il appartient à l'employeur de rapporter la preuve qu'il a mis en place toutes les mesures de protection et prévention nécessaires, conformément à ses obligations, surtout lorsqu'il a connaissance des risques encourus par le salarié.

Mme [P] soutient que le docteur [M] avait rétabli des mesures d'aménagement à la suite de son attestation de suivi du 21 janvier 2021, et ce dès le 4 février 2021.

Il ressort de l'attestation de suivi du 21 janvier 2021 de Mme [P] par la médecine du travail, (pièce n° 7 de l'appelante) qu'il était indiqué par le médecin du travail, « à revoir dans deux mois » sans qu'aucune préconisation ne soit formulée à cette date.

Selon l'attestation de suivi de Mme [P] en date du 4 février 2021, le médecin du travail indiquait : « à partir de ce jour jusqu'au 31 mars 2021 : éviter le port de charge de façon répétitive et les gros efforts de manutention. En attente des résultats d'analyses complémentaires, à revoir 3/ 2021. ».

Selon l'article R. 4624-34 indépendamment des examens d'aptitude à l'embauche et périodiques ainsi que des visites d'information et de prévention, le travailleur bénéficie, à sa demande ou à celle de l'employeur, d'un examen par le médecin du travail.

Certes, l'application des préconisations du médecin avait pour date butoir le 31 mars 2021, cependant, alors que le médecin du travail avait mentionné la nécessité de revoir la salariée au mois de mars 2021, dans l'attente des résultats d'analyses complémentaires, au regard de l'ambiguïté du terme, il appartenait à l'employeur avant de lever les restrictions appliquées à la salariée, de se rapprocher du médecin du travail pour solliciter des précisions sur la pérennité de ses préconisations et de faire bénéficier Mme [P] d'une nouvelle visite médicale à la demande auprès de la médecine du travail.

Dans la mesure où le médecin avait estimé nécessaire de revoir la salariée au mois de mars 2021, c'est à bon droit que Mme [P] ajoute que la levée des mesures ne pouvait être effectuée avant un nouvel avis du médecin du travail.

Au regard de l'attestation de suivi de la médecine du travail en date du 4 février 2021, force est de constater que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité en s'abstenant de faire convoquer l'intéressée à une visite médicale de travail de suivi préalablement à la levée des mesures.

Mme [P] a été placée continûment en arrêt de travail à compter du 23 avril 2021 jusqu'à la prise d'acte.

La dégradation de l'état de santé de Mme [P] dès avril 2021 est établie au regard du certificat du docteur [I] du 13 août 2021, (pièce n°53 de l'appelante), qui indique que « suite à un retrait des préconisations d'adaptation de son travail relatif à son handicap avec mise en place du télétravail son état de santé s'est dégradé sur le plan physique, avec recrudescence des douleurs et nécessité de mise en place d'un traitement antalgique et sur le plan psychologique avec une nécessité de mise en place d'un traitement psychotrope et un suivi psychologique. ».

Le préjudice de la salariée est établi.

Le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité sera réparé par l'allocation à la salariée de la somme de 2 000 euros de dommages d'intérêts.

En conséquence, le jugement du conseil de prud'hommes est infirmé en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande de dommages et intérêts à ce titre.

Sur l'existence d'une discrimination en raison du handicap :

L'article L. 1132-1 du code du travail dispose qu'aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'adaptation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, notamment en raison de son ['] état de santé ou de son handicap.

L'article L. 1134-1 prévoit que lorsque survient un litige, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Selon l'article L. 5213-6 du code du travail, afin de garantir le respect du principe d'égalité de traitement à l'égard des travailleurs handicapés, l'employeur prend en fonction des besoins dans une situation concrète, les mesures appropriées pour permettre aux travailleurs reconnus handicapés par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées d'accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification de l'exercer ou de progresser ou pour une formation adaptée à leurs besoins leur soit dispensée.

Ces mesures sont prises, sous réserve que les charges consécutives à la mise en 'uvre, ne soient pas disproportionnées, compte tenu de l'aide prévue à l'article L. 5213-10 qui peuvent compenser en tout ou partie les dépenses supportées à ce titre par l'employeur.

Le refus de prendre des mesures au sens du premier alinéa peut être constitutif d'une discrimination au sens de l'article L 1133-3.

Selon l'article L 4624-6 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, qui a repris pour l'essentiel les dispositions jusqu'alors mentionnées à l'article L. 4624-1, l'employeur est tenu de prendre en considération l'avis et les indications ou les propositions émis par le médecin du travail en application des articles L. 4624-2 à L. 4624-4. En cas de refus, l'employeur fait connaître par écrit au travailleur et au médecin du travail les motifs qui s'opposent à ce qu'il y soit donné suite.

La salariée estime présenter des éléments de fait qui, dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'une discrimination en raison de son état de santé et de son handicap, sans que la société n'en justifie par des raisons objectives étrangères à son état de santé. Elle invoque les faits suivants :

- une stagnation de son salaire malgré une demande d'augmentation et de changement d'échelon le 29 novembre 2017,

- l'absence de toute augmentation individuelle et un revenu de la salariée inférieur au salaire médian pour sa classification et son ancienneté,

- un matériel inadapté à sa situation de santé,

- une exécution des missions en inadéquation avec son état de santé,

- des missions insuffisantes sur le poste auquel elle était affectée, entraînant un mal-être important,

- une absence de nouvelle affectation et un refus de formation.

La société conteste qu'une absence d'augmentation individuelle remontant à des années antérieures à 2019, constitue une discrimination en raison du handicap de la salariée.

Elle objecte avoir aménagé le poste de travail de Mme [P] conformément aux préconisations du médecin du travail en mettant à sa disposition une agrafeuse électrique.

La société fait valoir que les propres pièces de Mme [P] établissent que ses tâches étaient parfaitement adaptées à ce qui lui était possible de faire.

La société affirme que les demandes de mobilité internes formées par Mme [P] passaient aussi par une validation du médecin du travail, que cette dernière refusait de revoir.

La société conteste ne pas avoir donné suite aux demandes de formations sollicitées par Mme [P].

La salariée n'établit pas avoir perçu un salaire inférieur à la rémunération mensuelle moyenne par ancienneté pour la classification D.

En effet, si la salariée dont le salaire mensuel moyen est de 2 301,94 euros produit sous sa pièce n° 28 un tableau des rémunérations moyennes mensuelles indiquant pour une ancienneté comprise entre 10 et 15 ans un salaire mensuel de 2 543 euros et sous sa pièce n° 29 un tableau duquel il résulte que le salaire médian est de 2 500 euros pour la catégorie D, la force probante de ces pièces est contredite par les propres tableaux de rémunération produits par l'employeur (pièce n°34), desquels il ressort une rémunération moyenne mensuelle en janvier 2020 pour les femmes relevant de la classification D de 2 367 euros.

La salariée établit les faits suivants :

Ne pas avoir bénéficié d'augmentation individuelle ni de changement d'échelon, qui lui ont été refusés ( pièce n°27) malgré ses demandes en ce sens ( pièces n° 23 et 26).

Avoir bénéficié en novembre 2020, soit plus d'un an après la préconisation du médecin du travail en ce sens le 12 septembre 2019 (pièces 61 et 62) d'une agrafeuse électrique livrée sans les agrafes.

Avoir alerté sa hiérarchie sur le manque de travail confié suite aux contraintes médicales entraînant un mal-être important (Pièces 35 et 25)

Le refus de ses demandes de changement de service pour des raisons médicales (pièces n°36, 37,38 et 40) malgré les préconisations du médecin du travail à deux reprises en ce sens.

Le refus de sa demande de formation le 3 mai 2019, (pièce n° 41).

Ces éléments de fait sont de nature à laisser supposer l'existence d'une discrimination en raison de la situation de handicap de la salariée.

Les demandes d'augmentation de salaire de Mme [P] sont bien postérieures à sa RQTH pour avoir été présentées à sa hiérarchie en 2020 et 2021.

Les situations des trois collègues de Mme [P] citées par la société ne sont pas comparables à celle de cette dernière pour avoir une classification inférieure (C) à celle de la salariée .

Force est de relever que la réponse dont se prévaut la société, donnée à Mme [P], le 20 janvier 2021 par M. [S] (pièce n° 27) , responsable des ressources humaines, à sa demande d'augmentation de salaire qui se limite à invoquer le bénéfice d'augmentations collectives en 2014, 2016, 2017, 2018 et 2020 en évoquant seulement de façon vague le parcours de la salariée, sa classification et sa rémunération, n'apporte contrairement à ce qui est soutenu par la société, aucune justification cohérente, au positionnement salarial de Mme [P], notamment au regard de son ancienneté.

Force est de constater que la société ne produit aucun élément de nature à démontrer que la baisse des tâches confiées à la salariée, au regard des capacités restantes de celle-ci, et de l'étude de poste établie par le docteur [Z], médecin du travail, le rejet de ses demandes de mobilité interne malgré les préconisations réitérées du médecin du travail et le refus de sa formation étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

L'employeur ne justifie pas davantage du retard de l'attribution à la salariée d'une agrafeuse électrique tel que préconisée par la médecine du travail.

Si l'employeur explique ne pas avoir reçu le courrier que Mme [P] indique lui avoir transmis le 9 novembre 2020 comportant son dossier Transition Pro et une demande d'autorisation d'absence, et ajoute que cette dernière n'a pas donné suite à l'invitation qui lui était faite de renouveler sa demande auprès du service Formation concerné, pour autant, s'agissant de la candidature de Mme [P] à la campagne diplômante 2021/ 2022, il ne justifie objectivement par un motif étranger à tout discrimination pour quelle raison et sur le fondement de quel élément sa candidature n'a pas été retenue.

En état de l'ensemble de ces éléments, la discrimination sera retenue.

Sur la prise d'acte :

La prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur empêchant la poursuite du contrat de travail. Elle produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, voire nul, si les faits invoqués la justifiaient ou, dans le cas contraire, d'une démission.

En l'espèce, la cour qui a retenu que la salariée a été victime de discrimination en raison de son état de santé et de son handicap et que l'employeur n'avait pas satisfait à son obligation de sécurité, considère que ce faisant, l'employeur a commis des manquements graves justifiant la prise d'acte du contrat de travail aux torts de ce dernier.

La prise d'acte de la rupture du contrat de travail intervenue dans ces conditions produit les effets d'un licenciement nul en application de l'article L. 1152-3 du code du travail.

Le jugement déféré sera infirmé de ce chef.

Sur les conséquences indemnitaires de la rupture :

La rupture étant imputable à l'employeur la salariée a droit conformément à l'article L. 1234-5 le code du travail à une indemnité compensatrice de préavis pour une durée de préavis devant correspondre à la rémunération brute que la salariée aurait perçue si elle avait travaillé pendant la période de délai congé. En l'espèce au vu des bulletins de paye, il convient de faire droit à sa demande en paiement de la somme de 6 905,82 euros bruts, outre 690,58 euros bruts au titre des congés payés afférents.

L'article L. 1234-9 du code du travail dispose que le salarié titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée, licenciée alors qu'il compte huit mois d'ancienneté ininterrompus au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement.

Selon l'article R. 1234-2 du code du travail, l'indemnité de licenciement ne peut être inférieure à un quart de mois de salaire par année d'ancienneté, jusqu'à 10 ans auquel s'ajoutent un tiers de mois de salaire par année à partir de dix ans.

Dans les limites de la demande, il sera alloué à Mme [P] la somme de 6 522,11 euros à titre d'indemnité de licenciement.

La rupture du contrat de travail de Mme [P] ouvre droit à cette dernière, à une indemnité pour licenciement nul qui ne peut être inférieure au salaire des six derniers mois. Au jour de la rupture, Mme [P] âgée de 36 ans, détenait une ancienneté de 12 ans au terme du préavis. Son salaire s'établissait à la somme de 2 301,94 euros.

La salariée ne justifie pas de sa situation professionnelle, ni personnelle depuis sa prise d'acte de la rupture de son contrat de travail.

Par suite, il conviendra de l'indemniser à hauteur de 22 000 euros de dommages intérêts correspondant à un peu plus de neuf mois de salaire.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Nanterre rendu le 8 mars 2022, en toutes ses dispositions.

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Juge que Mme [V] [P] a été victime de discrimination en raison de son handicap et de son état de santé,

Juge que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par Mme [V] [P] produit les effets d'un licenciement nul,

Condamne la société Crédit Coopératif à payer à Mme [V] [P] les sommes suivantes :

- 2 000 euros de dommages d'intérêts au titre du manquement à l'obligation de sécurité par l'employeur,

- 6 905,82 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 690,58 euros bruts au titre des congés payés afférents,

- 6 522,11 euros à titre d'indemnité de licenciement,

- 22 000 euros de dommages intérêts pour licenciement nul,

- 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Crédit Coopératif aux entiers dépens.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Nathalie COURTOIS, Président et par Madame Isabelle FIORE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre sociale 4-6
Numéro d'arrêt : 22/01176
Date de la décision : 02/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-02;22.01176 ?
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