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28/03/2024 | FRANCE | N°21/03229

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre sociale 4-6, 28 mars 2024, 21/03229


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



Chambre sociale 4-6



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 28 MARS 2024



N° RG 21/03229 - N° Portalis DBV3-V-B7F-U2AS



AFFAIRE :



[V] [U]





C/



S.A.S.U. PHILIPS FRANCE COMMERCIAL









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 07 Octobre 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

N° Section : E

N° RG : F

18/00029



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Françoise DE SAINT SERNIN de

la SCP SAINT SERNIN





Me Caroline BARBE de

la SELARL SOLUCIAL AVOCATS







le :



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇA...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

Chambre sociale 4-6

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 28 MARS 2024

N° RG 21/03229 - N° Portalis DBV3-V-B7F-U2AS

AFFAIRE :

[V] [U]

C/

S.A.S.U. PHILIPS FRANCE COMMERCIAL

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 07 Octobre 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

N° Section : E

N° RG : F18/00029

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Françoise DE SAINT SERNIN de

la SCP SAINT SERNIN

Me Caroline BARBE de

la SELARL SOLUCIAL AVOCATS

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT HUIT MARS DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame [V] [U]

née le 06 Mai 1965 à [Localité 3]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentant : Me Françoise DE SAINT SERNIN de la SCP SAINT SERNIN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0525 - Représentant : Me Sylvie KONG THONG de l'AARPI Dominique OLIVIER - substitué par Me Alexandra DESMEURE avocat au barreau de PARIS

APPELANTE

****************

S.A.S.U. PHILIPS FRANCE COMMERCIAL

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentant : Me Caroline BARBE de la SELARL SOLUCIAL AVOCATS, avocat au barreau de LILLE, vestiaire : 0244 -

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 16 Janvier 2024, Madame Nathalie COURTOIS, président ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Nathalie COURTOIS, Président,

Madame Véronique PITE, Conseiller,

Madame Odile CRIQ, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier lors des débats : Madame Isabelle FIORE

Greffier lors du prononcé : Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI

FAITS ET PROCÉDURE

Mme [V] [U] a été engagée par contrat de travail à durée indéterminée d'ingénieur position I, à compter du 1er septembre 1989, par la société Compagnie Philips France, aux droits de laquelle vient désormais la société par actions simplifiée Philips France Commercial, qui a pour activité l'étude, le développement, la fabrication et la commercialisation de tous matériels et produits électriques et électroniques, emploie plus de dix salariés et relève de la convention collective nationale de la métallurgie.

En dernier lieu, à compter de 2011, Mme [U] exerçait les fonctions de « Senior Director Business Creation Center PCCI, GSSI », statut cadre.

Le 8 décembre 2017, alors en arrêt maladie, Mme [U] a dénoncé des faits de harcèlement moral à son encontre de la part de sa supérieure hiérarchique, Mme [Y], auprès du service des ressources humaines.

Mme [U] a saisi, le 8 janvier 2018, le conseil de prud'hommes de Nanterre, aux fins de voir juger les agissements de la société, constitutifs, selon elle, de harcèlement moral générateur d'une dette de dommages-intérêts.

Le 14 mars 2019, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, saisi de l'affaire, rendait les conclusions de son enquête, basée sur les témoignages de l'intéressée et sa supérieure, l'opinion écrite de divers collaborateurs, et concluait ne pas pouvoir se prononcer sur la réalité de la performance de Mme [U] dont Mme [Y] lui reprochait l'insuffisance, tout en soulignant qu'elle subissait des reproches et que « la situation entre Mme [U] et sa manager nous parait trop dégradée et avec peu de perspectives d'amélioration. Elle ne doit pas perdurer et impose à la Direction Philips de trouver rapidement une solution permettant de préserver la santé de Mme [U] en état de souffrance. »

Convoquée le 27 mai 2019 à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 11 juin suivant, Mme [U] a été licenciée par courrier du 25 juin 2019 énonçant une insuffisance professionnelle. 

Mme [U] a saisi de nouveau le conseil de prud'hommes de Nanterre, en vue de solliciter la requalification de son licenciement en un licenciement nul, ou, à titre subsidiaire, en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que la condamnation de la société au paiement de diverses sommes, salariales et indemnitaires, ce à quoi la société s'opposait.

Par jugement rendu le 7 octobre 2021, notifié le 12 octobre suivant, le conseil a statué comme suit :

Prononce la jonction de l'affaire RG N°19/02068 à l'affaire RG N°F 18/00029 ;

Déboute Mme [U] de l'intégralité de ses demandes sauf en ce qui concerne le bonus 2019 ;

Condamne la société Philips France Commercial à verser à Mme [U] 13.520 euros au titre du bonus 2019 et 1.352 euros au titre des congés payés afférents ;

Condamne la société Philips France Commercial à verser à Mme [U] 1.600 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la société Philips France Commercial de ses demandes reconventionnelles ;

N'ordonne pas l'exécution provisoire du présent jugement ;

Condamne la société Philips France Commercial aux éventuels dépens.

Le 28 octobre 2021, Mme [U] a relevé appel par voie électronique de cette décision.

Selon ses dernières conclusions remises au greffe le 18 décembre 2023, elle demande à la cour de :

Débouter la société Philips France Commercial de son appel incident,

La dire et juger recevable et bien fondée en son appel,

Y faisant pleinement droit,

Réformer le jugement en ce qu'il a :

À titre principal, débouté Mme [U] de sa demande tendant à obtenir la nullité de son licenciement et sa réintégration avec paiement d'une indemnité égale au montant de la rémunération brute mensuelle de 17.282 euros x le nombre de mois entre le 21 juin 2019 (date de son licenciement) et le jour de sa réintégration effective,

À titre subsidiaire, débouté Mme [U] de sa demande de 345.650 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Débouté Mme [U] de sa demande de 51.846 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,

Débouté Mme [U] de sa demande de 103.692 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice distinct causé par les circonstances vexatoires du licenciement,

Débouté Mme [U] de sa demande de 51.846 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par les manquements de la société Philips France Commercial à son obligation de prévention des agissements de harcèlement moral (article L.1152-4 du code du travail),

Débouté Mme [U] de sa demande de 56.627 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié à la perte de chance d'avoir pu bénéficier des long term incentive,

Limité le montant du rappel de bonus 2019 à la somme de 13.520 euros, outre la somme de 1.352 euros au titre des congés payés afférents,

Limité à la somme de 1.600 euros la condamnation de la société Philips France Commercial au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Statuant à nouveau,

A titre principal, sur la nullité du licenciement

Dire et juger le licenciement de Mme [U], sans cause réelle et sérieuse,

Dire et juger que Mme [U] a été licenciée notamment pour avoir dénoncé des agissements de harcèlement moral et saisi la justice,

Constater dire et juger que la véritable cause du licenciement de Mme [U] réside,

A titre principal, dans sa saisine judicaire et que le licenciement porte atteinte au droit d'agir en justice,

A titre subsidiaire, dans la dénonciation faite par le salarié des agissements de harcèlement moral de son employeur,

Prononcer en conséquence la nullité de son licenciement,

Ordonner la réintégration de Mme [U] à son poste ou à un poste équivalent,

Condamner la société Philips France Commercial à payer à Mme [U] une indemnité de réintégration d'un montant de 17.282 euros multiplié par le nombre de mois entre le 25 juin 2019 et le jour de sa réintégration effective,

A titre subsidiaire, sur le licenciement sans cause réelle et sérieuse

Dire et juger que le licenciement ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse,

Condamner la société Philips France Commercial à payer à Mme [U] les sommes de :

345.650 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (20 mois),

51.846 euros en réparation de son préjudice moral,

En tout état de cause,

Condamner la société Philips France Commercial à payer à Mme [U] les sommes suivantes :

103.692 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice distinct causé par les circonstances vexatoires et les motifs du licenciement,

51.846 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par les manquements de la société Philips France Commercial à son obligation de prévention des agissements de harcèlement moral (art L.1152-4),

56.627 euros à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice lié à la perte de chance d'avoir pu bénéficier des long term incentive,

Confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société à payer à Mme [U] son bonus 2019, sauf en ce qui concerne le quantum qui sera réévalué à la somme de 27.040 euros au titre du bonus 2019, outre la somme de 2.704 euros au titre des congés payés afférents.

A tout le moins, confirmer le quantum de 13.520 euros alloué en première instance, outre les 1.352 euros de congés payés afférents,

Assortir les condamnations des intérêts au taux légal, et prononcer la capitalisation des intérêts,

Condamner la société Philips France Commercial à payer à Mme [U] la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 7 décembre 2023, la société Philips France Commercial demande à la cour de :

Infirmer le jugement contesté en ce qu'il l'a condamnée à payer à Mme [U] les sommes suivantes :

o 13.520 euros bruts à titre de rappel de bonus 2019

o 1.352 euros bruts à titre de congés payés sur rappel de bonus

o 1.600 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Infirmer le jugement contesté en ce qu'il l'a condamnée aux dépens

Confirmer le jugement rendu pour le surplus

En conséquence, statuant à nouveau :

Débouter Mme [U] de l'intégralité de ses demandes

Ordonner le remboursement, par Mme [U], des sommes perçues en exécution du jugement

Condamner Mme [U] à payer à la société Philips France Commercial la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner Mme [U] aux dépens.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.

Par ordonnance rendue le 20 décembre 2023, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries à l'audience collégiale du 16 janvier 2024.

Par note en délibéré reçue le 22 janvier, les parties ont adressé la traduction de leur pièce n°56 ou 131, conformément à la demande faite par la cour.

MOTIFS

Sur le licenciement

La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est ainsi libellée :

« Vous avez été embauchée par la Compagnie française PHILIPS suivant contrat à durée indéterminée du 1er septembre 1989 en qualité « d'Ingénieur Position I ».

« Senior Director », niveau Cadre position 3B & Corporate Grade 90 au sein de la société Philips France Commercial.

À ce titre, vous avez notamment pour mission de :

« Définir, qualifier, développer, suivre, piloter la création et la commercialisation de solutions intégrées ou groupées afin de transformer les soins et de conduire à une valeur différenciée pour les consommateurs et à de la profitabilité / croissance pour PHILIPS. »

Et plus particulièrement de :

«- Définir le business case pour les solutions confiées, y compris le budget et les ressources nécessaires,

- Développer, tracer et piloter les solutions intégrées ou groupées qui lui sont confiées jusqu'à la commercialisation. S'assurer que les idées sont qualifiées et que toutes les questions clés en termes de marketing ont fait l'objet d'une réponse du « design » pour livrer une partie des plans de marketing,

- Fournir des points d'étape au management ainsi qu'aux parties prenantes clés sur les progrès, les freins, les points de passage et les livrables des solutions,

- Piloter et communiquer avec les parties prenantes clés pour le développement de solutions réussies,

- Conduire les étapes du budget,

-' »

Depuis 2015, vous occupez le poste de marketing Program Manager Senior Director au sein de la division Acute Care Solutions et vous êtes responsable de la conduite du programme LOTUS, de la genèse du projet jusqu'à la mise sur le marché et la commercialisation de la solution.

Or, depuis 2017, nous avons été amenés à constater et à vous faire remarquer des dysfonctionnements dans la réalisation de vos missions, notamment lors des entretiens annuels et de mi- année, faisant ressortir des insuffisances persistantes au regard des responsabilités confiées.

Afin de pallier aux difficultés rencontrées, nous avions alors mis en place un accompagnement renforcé qui se traduisait notamment par :

- Des entretiens réguliers « one to one » avec votre manager, Madame [W] [Y] ;

- Des formations dont notamment « Finance for non-Financial Managers » et « VPC » [value proposition creation], auxquelles votre participation était plus que recommandée pour améliorer vos performances mais que vous avez délibérément choisi de ne pas suivre ;

- Une proposition de coaching personnalisé en mai dernier par [R] [O] (Directrice du Customer Service et coach certifié qui a sous sa responsabilité environ 300 personnes et qui a déjà accompagné des salariés Philips) que vous avez déclinée.

Aujourd'hui, le constat est le suivant : malgré nos différentes alertes sur votre niveau de performance en baisse et l'accompagnement privilégié (et quasi inédit compte tenu de votre positionnement hiérarchique (grade 90)) que nous avons déployé, nous avons le regret de constater que vous n'arrivez toujours pas à reprendre la situation en main et votre absence de leadership ralentit fortement la conduite du projet LOTUS et ses chances de succès.

A titre d'exemple, ces derniers mois, votre insuffisance professionnelle s'est traduite notamment par les difficultés suivantes :

- Manque d'anticipation lors de votre participation au séminaire HIMSS organisé la semaine du 8 février 2019 : en effet, vous avez attendu la dernière minute pour demander des équipements non adaptés à la finalité de ce séminaire, ce qui n'est pas acceptable compte tenu de votre rôle de leader.

En outre, vous avez sollicité [P] [D], Directeur Solutions, Stratégie et Marketing Health Systems, [T] [S] Responsable Commercial HI et [Z] [A] (Président de la société) une semaine avant votre venue pour les informer de votre présence à ce séminaire et leur demander si des discussions étaient envisageables avec leurs clients. Cette demande, qui a été effectuée en dernière minute et sans explication ni du contexte du projet LOTUS ni du type de clientèle que vous souhaitiez rencontrer, est caractéristique de votre incapacité à mener le projet au niveau attendu et est de nature à porter atteinte à l'image du projet en interne.

- Mauvaise gestion du « proofing », (évaluations du business case par des tests utilisateurs) : en effet, la phase ALPHA du programme LOTUS aurait dû être terminée fin 2018. Or, vous n'êtes pas parvenue à élaborer le modèle financier à inclure dans la tarification dans le timing qui vous était fixé. Compte tenu du retard accumulé, votre manager a dû faire appel cette année à un prestataire extérieur (budget de 80.000 dollars) pour le faire à votre place, ce qui n'est pas admissible compte tenu de votre expérience et de votre niveau de responsabilités.

- Absence de leadership dans la création et la conduite des « business case » : en effet, malgré votre position de leader, et bien que vous ayez été alertée à de nombreuses reprises sur ce sujet, nous ne pouvons que constater que vous vous positionnez davantage en chef de projet qu'en tant que Directeur de Programme senior. Ceci ressort notamment des retours qui peuvent être faits par les intervenants du projet, qui confirment qu'il manque une vision globale, ainsi qu'une définition plus claire des étapes et une plus grande anticipation des points bloquants, votre conduite de réunion conduisant à rentrer dans un niveau de détail qui n'est pas pertinent pour les intervenants. De la même manière, le fait que vous ayez cru devoir solliciter les autres membres du projet LOTUS 2h par semaine pendant 10 semaines démontre que vous attendez d'eux une co-construction du projet plutôt qu'un apport sur les points où leur expertise est pertinente, alors que c'est bien vous qui êtes en charge de définir la stratégie et les objectifs, en utilisant l'équipe sur leurs domaines de compétence mais pas pour définir le business case à votre place.

Ce manque de leadership et d'anticipation, qui a contribué au retard pris dans le programme, vous a été souligné à plusieurs reprises, sans changement de votre part.

Nous aurions souhaité recueillir vos explications sur ces différents points et sur d'autres encore mais le fait que vous ayez mis un terme précipité à nos échanges lors de l'entretien préalable ne nous en a pas laissé la possibilité.

Par ailleurs, nous avons pris le temps de recueillir le feedback de personnes travaillant à vos côtés et ces derniers nous ont confirmé votre manque de vision stratégique, d'anticipation et de leadership dans la conduite du projet LOTUS.

Vous n'êtes pas assez orientée résultats et vos difficultés récurrentes pour élaborer des « business case » et des « business plan » n'est plus acceptable à ce stade de l'avancée du projet.

L'ensemble de ces éléments caractérise une insuffisance professionnelle. »

En vertu de l'article L.1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par un motif réel et sérieux, et l'article L.1235-1 du même code impartit au juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs fondés sur des faits précis et matériellement vérifiables invoqués par l'employeur, de former sa conviction en regard des éléments produits par l'une et l'autre partie. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

L'insuffisance professionnelle, qui se caractérise par une mauvaise qualité du travail due à une incompétence professionnelle ou une inadaptation à l'emploi, constitue un motif réel et sérieux de licenciement si elle repose sur des éléments précis, objectifs et imputables au salarié.

Sur le bien-fondé du licenciement

Mme [U] plaide la carence probatoire de son colitigant, qu'elle met en perspective avec la reconnaissance préalable de son professionnalisme et avec le rapport final concédant le manque de moyen dévolu au projet, ainsi voué à l'échec.

La société Philips, qui soutient les motifs énoncés dans la lettre de licenciement, fait valoir l'apparition de difficultés dans la concrétisation du projet sur les livrables, et dit l'avis de son insuffisance partagé par d'autres, divers points d'amélioration ayant été notés lors du anytime feedback.

L'accompagnement

Mme [U] souligne la vanité de l'accompagnement renforcé.

Cependant, il n'est pas contesté que tandis que l'entretien annuel d'évaluation de l'année 2018 concédait que des améliorations étaient requises et qu'une solution de coaching était possible, le 14 mai 2019, la salariée refusait le coach interne, certifié, qui lui était proposé par l'entreprise, au motif qu'elle s'interrogeait sur la priorité et la finalité du recours au coaching à l'occasion de sa dénonciation du harcèlement moral subi, en réclamant un coach « externe et neutre », non accepté faute d'utilité puisque la problématique signalisée supposait, selon l'employeur, pour être résolue de connaître les contraintes de l'entreprise et du poste.

En revanche, il ressort des correspondances échangées entre les intéressés que la formation « Finance for non-Financial Managers » à laquelle Mme [U] avait postulé l'été 2017 lui fut refusée, pour des motifs budgétaires, avant de lui être suggérée le dimanche 15 octobre pour la semaine suivante, et qu'elle la déclina au regard de ses contraintes professionnelles, faute de prévenance suffisante.

De même, Mme [U] justifie avoir été en arrêt maladie jusqu'au 12 octobre 2019 et ainsi lors de la formation « VPC » à laquelle elle était inscrite, et qui était organisée des 25 au 27 septembre 2019.

Enfin, la liste dressée par la salariée des réunions tenues en vis-à-vis avec Mme [Y], non contredite, laisse voir qu'elles diminuaient incessamment, passant de 23 en 2015 à 6 en 2019, aucune ne s'étant au demeurant tenue le premier semestre 2018.

La vision défendue par l'employeur de moyens particuliers donnés à la salariée n'est donc pas corroborée par les pièces des parties.

En revanche, il est manifeste, vu les pièces versées aux débats, qu'elle bénéficiait de l'aide logistique de sa supérieure hiérarchique, qui lui adressait des conseils, des pistes de réflexion, divers documents.

Le congrès

Il est constant que le 8 février 2019, une conférence sur les métiers de la santé (HIMSS), tournée vers les technologies et méthodologies innovantes, avait lieu aux Etats-Unis à laquelle la salariée devait participer, et qui était l'opportunité, pour l'entreprise, d'approcher de potentiels clients intéressés par le projet Lotus qu'elle dirigeait, mené dans le domaine de la réanimation en néonatalogie « du futur ».

C'est à juste titre que la société Philips relève que le 4 janvier précédent, la salariée n'avait pas tranché la méthode à entreprendre, d'entretiens, sous traités ou pas, ou d'une démonstration et que le 16 janvier, elle n'avait repéré que 3 potentiels clients anglo-saxons. Le 25 janvier, il résulte des mails échangés qu'elle envisageait de commander du matériel pour une démonstration que personne n'avait envisagée à ce stade du projet, et qu'elle déniait devoir faire le 14 janvier (« our target is to do proofing at HIMSS, not demos as mentionned by Carla »).

Il est avéré que le 5 février, elle écrivit notamment au directeur commercial France, dont elle ne dépendait pas, et au président de la société Philips, pour leur présenter en quelques mots son projet, et leur demander si des entretiens pourraient, à l'occasion de cette conférence, être envisagés avec certains de leurs clients (« dites le moi et nous trouverons un créneau d'interviews (idéalement 1heure) »), dénotant en cela un certain amateurisme.

Mme [U] précise avoir anticipé le congrès mais que l'autorisation d'y assister fut différée 13 jours avant sa tenue, et que la liste des clients pouvant y assister lui fut remise tardivement. Elle souligne son défaut d'information, voire l'obstruction de sa supérieure. Pour autant, il se lit des correspondances échangées entre les intéressés qu'elle avait été mise en garde sur la restriction des moyens accordés à ce projet au sein de la conférence, faute de salles ou de personnel suffisants, et parce que la société Philips était saisie d'autres enjeux.

Par ailleurs, il résulte clairement de l'échange susdit qu'elle obtenait, à 3 jours de la conférence, quelques noms d'hôpitaux français ayant fait le déplacement en Amérique. Si elle affirme avoir ainsi choisi ses cibles en fonction des discussions en cours, non révélées au demeurant par la liste dont elle se prévaut, elle ne prouve pas avoir élaboré une stratégie quelle qu'elle soit, et ainsi discriminé des interlocuteurs avec précision, ses échanges précédents concernant seulement le format envisagé sans contenu associé. Son assertion d'avoir ainsi partagé avec la direction commerciale française une opportunité innovante se heurte à l'absence de toute concertation, en ruinant l'effet.

Dès lors, le grief est avéré.

Le proofing et le leadership

Il ressort des évaluations versées aux débats, portant sur les années 2015 et 2016, que dès 2016, comme le relève l'employeur, l'attention de la salariée était attirée sur la nécessité de transformer les actions suivies en potentiel chiffre d'affaires pour la société Philips, notamment pour le projet Lotus (autrement dénommé NICU of the future), d'amener les concepts au niveau supérieur et d'en faire une réalité. Il était précisé qu'en 2017, le travail restait à faire pour développer la proposition dans une perspective de commercialisation.

Il résulte de l'évaluation à mi-terme de 2017, faite au mois d'août, que sa supérieure hiérarchique mettait en exergue les lacunes de l'intéressée dans la création du projet (« right now she is a part of the vision but not creating it », « related to lead change this si actually an area of would say that [V] has a gap ») dans la voie du changement décisif dont elle aurait tracé et imposé les lignes, et du anytime feedback entrepris à l'automne 2017, auprès de ses différents partenaires internes à la société Philips. Elle lui reprochait d'avoir échoué à mettre sur pied un business case solide, faute de déterminer comment la solution allait bénéficier au consommateur (M. [J], cadre market to order). Elle ajoutait qu'elle ne menait pas le projet mais le coordonnait, qu'ainsi le business case ne comprenait pas toutes les opportunités (M. [C], directeur du service Monitoring et analyses), que les propositions de valeur manquaient, « le business case et la proposition de valeur sont un véritable problème. Ce qu'elle a proposé est 3 fois plus coûteux que les solutions actuelles qu'un hôpital accepterait de payer aujourd'hui » (M. [X], directeur senior R&D), qu'elle « n'était pas capable de répondre à des questions basiques telles que le prix par lit et sur combien de lits le business case qu'elle a présenté était basé » (M. [I], chef des finances), que lui ayant été demandé, en accompagnement, quel problème elle essayait de résoudre, quelle était la valeur ajoutée pour la société Philips, elle « n'a pas été capable de mener çà et de définir le business case » (M. [N], chef du marketing).

Son entretien annuel d'évaluation de l'année 2018 laisse voir de multiples interrogations de Mme [Y] sur la source de croissance pour l'employeur du projet Lotus, sur la détermination de parts de marché, et sur les propositions de valeur répondant aux critères, qu'elle pose comme lacunaires sinon inexistantes. Lors d'un échange de décembre 2018, Mme [U] admettait, comme le relève la société Philips, n'y avoir aucun client soucieux de payer le produit, déjà repéré (« true, no paying costumers yet »), alors que son attention était attirée sur leur nécessité pour conduire le développement du projet dans sa phase suivante.

Les mails échangés à la fin de l'année 2018, entre plusieurs intervenants dont Mme [U], laissent voir qu'une nouvelle version du projet était entreprise, et qu'elle contactait une équipe pour la soutenir, M. [X] leur ayant demandé d'apporter leur aide pour examiner le business case, et faire une évaluation de référence sur le projet actuel. M. [K], directeur général de la division patient care analytics, renchérissait, à ce propos « ma première impression sur le besoin le plus important [de] l'étude d'opportunité est l'OIT/ rampe de revenus : -quel est le cycle de ventes attendu, quel est l'OIT nécessaire, quel est l'entonnoir de ventes nécessaire pour produire l'OIT souhaité ' comment cela se transformera en revenus (timing etc.). Ma première impression sur l'étude d'opportunité était que ce n'était pas présenté d'une façon qui laisse à penser que le projet était réaliste. » Une nouvelle échéance, rapprochée, était fixée, au début de l'année 2019.

Si Mme [U] soutient que le terme de la phase alpha s'établissait ainsi en 2019, souligne sa maladie, voire l'obstruction de Mme [Y], l'ayant retardé, et précise que le plan financier était validé depuis novembre 2017, elle n'établit pas la coïncidence entre ce qui était alors arrêté, et qui, manifestement était insuffisant, et les attentes de l'employeur de documents financiers sur la rentabilité de l'opération, ses perspectives commerciales, sa valeur ajoutée ayant permis de décider s'il devait être mené à son terme, ou interrompu, et qui sont précisément interrogés lors de l'audit réalisé au printemps 2019 sur la pérennité du projet. Cette enquête parlant distinctement de nouveaux paradigmes, d'une version actuelle dépassée, des analyses de rentabilité en cours, des très faibles niveaux d'investissement compte tenu de la quantité de travail restant à accomplir, de l'attente des résultats de « l'étude sur la volonté de payer » obligeant à réexaminer, à terme, les perspectives, rendant incertaines les réalisations en cours. Elle précise néanmoins que le programme est encore au stade SEED et n'est pas prêt à passer au stade Alpha, faute de visibilité sur la stratégie réglementaire, alors que s'agissant d'un dispositif médical, une autorisation est nécessaire et que cet aspect n'était pas approfondi, et faute de preuve de la volonté de payer, une étude marketing étant toujours en cours. Il s'en comprend que le projet avait pris du retard et que ses objectifs d'un premier client payant avant la fin de l'année 2019 était illusoire. Au reste, les propres documents de la partie appelante témoignent d'un passage en phase alpha prévu bien avant, dès 2017, 2018.

Par ailleurs, son mail du 15 janvier 2019 sollicitant en plus, sans précision d'un contenu, la ressource d'autrui, alors que Mme [Y] lui intimait, sans être contredite, d'avoir à établir, comme le lui imposaient ses fonctions, l'analyse de la rentabilité du projet pour laquelle elle lui donnait quelques conseils, en lui déniant le droit de les déléguer, et s'étonnait ensuite de l'intervention d'un tiers « pour faire l'étude d'opportunité », corrobore l'assertion de la société Philips qu'elle s'en défaussait globalement sur d'autres.

Dès lors, il ne suffit de dire qu'elle fut malade, pour en déduire le report du terme du projet, que ralentissait son manque de clarté.

Il n'est au reste pas démontré que Mme [Y] y ait contrevenu par ses délais de réponse, la partie appelante ne citant aucun exemple d'un tel empêchement en dérivant, et sollicitant ses avis mais pas d'autorisation, alors que dès le mois de février 2017, Mme [Y] l'avait invitée à aller de l'avant (« please, go ahead. [L] and I are fully supporting and behind »).

Si Mme [U] ajoute que l'intervenant extérieur est venu corriger l'inadaptation de la méthode Design élue par sa supérieure hiérarchique, elle n'en administre pas la démonstration par les mails versés aux débats, ne serait-ce que sur le choix de ce service par Mme [Y]. Au reste, à le supposer vrai, elle restait redevable de la bonne fin de ce programme, qu'elle pouvait corriger. Il n'est pas non plus acquis qu'elle ait été à l'origine de l'intervention d'un partenaire extérieur.

Par ailleurs, comme le relève justement la société Philips, il revenait à l'intéressée de demander d'autres moyens si nécessaires.

L'ensemble de ces éléments révèle l'insuffisance des travaux réalisés sous l'aspect économique et concret, et qui durent, pour parvenir en leur état, quoique inachevé, au moment de l'audit, être distraits auprès d'un prestataire extérieur, alors qu'il appartenait à la partie appelante d'établir ses potentialités de rentabilité au regard des investissements suscités, et d'être une force décisionnelle sur l'opportunité de la commercialisation de la recherche ainsi entreprise.

Le grief, tel que précisé dans la lettre de licenciement, est ainsi suffisamment établi, tant sur les lacunes du business case, que sur le défaut d'un leadership suffisant, objectivé, et Mme [U] ne saurait y opposer les observations générales faites en d'autres temps sur d'autres sujets, et dont témoignent ses évaluations précédentes ou ses collègues.

Les motifs globalement énoncés, circonscrits, objectifs et imputables à la salariée dont l'attention avait été attirée, formellement, sur la nécessité de faire ses preuves dans la concrétisation de l'ambitieux projet, innovant, qu'elle dirigeait, et qui était complexe, comme le relève l'audit, en raison de la dispersion des équipes autrement occupées dans le monde, et qui fut alertée de possibles errements de sa méthode et de son positionnement dès 2017, sont suffisamment sérieux pour justifier, à son haut niveau de responsabilité, son licenciement pour insuffisance professionnelle décidé deux ans après, sans qu'elle ne puisse sérieusement prétendre n'avoir pas eu les moyens suffisants suite à la réduction générale des coûts ayant grevé les voyages internationaux ou en avoir été empêchée par sa hiérarchie, alors qu'elle ne parvint pas à dresser les possibilités de commercialisation d'un projet ayant séduit de nombreuses personnes, vu les pièces, dans les conférences ou les universités, et qui étaient pourtant les seules utiles à la société Philips, et ce dans un temps adapté.

Sur la nullité du licenciement

Au rappel que l'employeur entreprit une politique de réduction des personnels les plus âgés de ses effectifs, dénoncée par les institutions représentatives du personnel, Mme [U] plaide le harcèlement moral institutionnel pour l'en évincer. Elle voit pour cause de nullité du licenciement sa saisine judiciaire et la dénonciation de ce harcèlement.

Sur la saisine judiciaire

Mme [U] relève la position de l'employeur dans ses premières écritures d'avril 2019, lui reprochant sa malveillance, génératrice, selon lui, d'une dette de dommages-intérêts, et qui fut suivie de sa convocation en vue de son licenciement.

Elle observe que la médiation conventionnelle auparavant suivie, dont se prévaut l'employeur, ne fut initiée qu'à l'invitation du bureau de conciliation et l'orientation.

La société Philips se défend que la preuve, qui incombe au salarié, soit rapportée du lien entre l'action et le licenciement, en relevant que la relation se poursuivit ensuite et qu'elle mit en place l'accompagnement de la salariée.

Il est acquis aux débats que Mme [U] saisit le conseil de prud'hommes d'une requête le 8 janvier 2018, en invoquant le harcèlement moral subi, et que la procédure de licenciement fut enclenchée le 27 mai 2019.

L'article L.1134-4 du code du travail dispose que « est nul et de nul effet le licenciement d'un salarié faisant suite à une action en justice engagée par ce salarié ou en sa faveur, sur le fondement des dispositions du chapitre II, lorsqu'il est établi que le licenciement n'a pas de cause réelle et sérieuse et constitue en réalité une mesure prise par l'employeur en raison de cette action en justice. Dans ce cas, la réintégration est de droit et le salarié est regardé comme n'ayant jamais cessé d'occuper son emploi. »

Cependant, il a été considéré que le licenciement est justement causé.

Or, lorsque les faits invoqués dans la lettre de licenciement caractérisent une cause réelle et sérieuse, il appartient au salarié de démontrer que la rupture de son contrat de travail constitue une mesure de rétorsion à une action en justice introduite pour faire valoir ses droits.

Ici, il convient de relever que se passèrent entre l'action et le début de la procédure de licenciement, un délai de presque un an et demi, pendant lequel, comme le relève justement l'employeur, la relation de travail s'est normalement poursuivie, Mme [U] continuant à occuper ses fonctions.

Si elle indique avoir subi un harcèlement moral dénoncé en décembre 2017, dont aurait résulté, selon elle, la déliquescente de son poste, son isolement par évitement ou faute d'invitation à certaines réunions, des contrôles inappropriés ou l'amputation de sa rémunération variable, les nombreux mails échangés et l'avancement des projets ne plaident pas en faveur d'une éviction de ses tâches ou de son poste. Etant souligné que Mme [U] n'associe aucune demande à ce harcèlement moral, il n'y a pas lieu d'en examiner les contours par ailleurs scindés des griefs fondant le licenciement, portant, dans le détail, sur son impréparation à une conférence majeure pour le développement de son projet en février 2019, et plus généralement, sur les lacunes de sa méthode pour envisager la commercialisation de l'innovation développée faute d'avoir établi à suffisance sa rentabilité ciblée et sur son manque de vision stratégique du projet dont se fit l'écho le rapport d'audit de mai 2019.

Il y a lieu de retenir que la relation perdura, quoique parfois suspendue par la maladie, et que diverses entreprises la traversèrent, comme la médiation conventionnelle à laquelle l'employeur recourut, serait-ce à l'invitation du bureau de conciliation et l'orientation, et à laquelle Mme [U] renonça au motif peu étayé d'une « mascarade », ou l'enquête menée à sa demande par le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail qui rendit en mars 2019 son rapport, sans constat d'une situation d'harcèlement moral dont ne témoignent pas plusieurs de ses membres qui attestent à la procédure, ou la proposition de coaching confidentiel par la société Philips en mai 2019, que la partie appelante déclina le 14 de ce mois.

Ainsi, aucun signifiant ne lie son action à la mesure entreprise, et Mme [U] ne saurait sérieusement y voir la cause dans les conclusions en défense de la société Philips remises, selon elle, en avril 2019, sollicitant reconventionnellement des dommages-intérêts pour procédure abusive, développés en quelques lignes.

Sur la dénonciation du harcèlement moral

Mme [U] souligne avoir dénoncé de bonne foi, le harcèlement moral dont elle se plaignait.

Elle note que le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail a retenu sa souffrance au travail, et des témoins ont attesté de ce harcèlement moral.

Pour faire le lien, elle note la proximité temporelle entre les conclusions du comité et sa convocation en vue d'un éventuel licenciement, alors qu'aucun évènement n'était survenu depuis.

La société Philips, qui dénie les faits de harcèlement moral, note le laps de temps écoulé entre la dénonciation et le licenciement.

Lorsque le licenciement, qui ne mentionne aucune dénonciation de harcèlement, repose sur une cause réelle et sérieuse, il appartient au salarié de démontrer que la rupture du contrat de travail constitue une mesure de rétorsion à une plainte pour harcèlement.

En l'occurrence, le 8 décembre 2017, Mme [U] informait la direction des ressources humaines de l'attitude critique et méprisante de Mme [Y] à l'égard de son travail, devenue « intolérable », et de son délaissement, elle évoque la dégradation de son état de santé, elle conclut : « j'ai pris conscience que j'étais soumise exprès à des procédés de harcèlement moral démissionnaire, le but étant de dégrader mes conditions de travail pour m'obliger à partir de moi-même. »

Elle saisissait le conseil de prud'hommes d'une requête pour en réclamer l'indemnisation.

Dès lors, la situation qui résulte de cette dénonciation ne diffère pas de celle afférente à la saisine judiciaire, et elles ne constituent qu'une seule et même perspective.

Il importe peu par ailleurs que Mme [G] responsable des ressources humaines, ou Mme [M], sa collègue, attestent l'une de la volonté de Mme [Y] de se séparer de la salariée, par ailleurs bien rémunérée, et qui n'atteignait pas ses objectifs, l'autre, de sa défiance envers la salariée, et une fois, lors d'une réunion de sa grossièreté, puisqu'il n'est pas prétendu, au présent litige, que Mme [U] aurait, de mauvaise foi, dénoncé ce harcèlement dont elle aurait connu la fausseté. Il en va de même de l'attestation de M. [F], ancien secrétaire du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail.

Cela étant, le comité n'ayant pas conclu en mars 2019 à un harcèlement moral mais à une souffrance au travail qu'il convenait de faire cesser, il ne se voit pas de lien suffisant, de ce seul motif énoncé, entre sa dénonciation et la procédure de licenciement intentée un an et demi après.

Dès lors, le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation du licenciement et les demandes de Mme [U] subséquentes à sa contestation de son caractère non-fondé.

Sur les autres demandes financières

Sur les circonstances vexatoires du licenciement

Se fondant sur l'article 1240 du code civil, Mme [U] reproche à la société Philips le motif du licenciement qu'elle dit, en son principe, infâmant, au regard de son implication dans l'entreprise.

Cela étant, il ne saurait y avoir de manquement à énoncer une insuffisance dont le bien-fondé a été admis.

Cette demande sera rejetée par voie de confirmation du jugement.

Sur la violation de l'obligation de prévention des agissements de harcèlement moral

Se fondant sur l'article L.1152-4 du code du travail, Mme [U] souligne l'attentisme de l'employeur et dénonce la partialité de la médiation conventionnelle entreprise tardivement, et la société Philips lui objecte n'y avoir pas eu de harcèlement moral.

L'article L.1152-4 du code du travail énonce que « l'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral. »

Il est acquis aux débats que Mme [U] dénonça explicitement le harcèlement moral dont elle se dit victime par lettre datée du 8 décembre 2017, et que la société Philips lui répondit le 22 du mois, être « fortement » surprise, et rester à sa disposition pour échanger sur les éléments indiqués à son retour d'arrêt maladie.

Quoique revenue le 5 janvier 2018, vu l'avis d'arrêt de travail, il est manifeste que la société Philips n'entreprit une médiation conventionnelle que le 30 octobre 2018, 10 mois après, alors que Mme [U] fut placée à plusieurs reprises en 2018 en arrêt maladie, des 1er au 29 mars, 7 au 30 juin, 13 septembre au 12 octobre.

Elle ne justifie pas, ce faisant, avoir mis en 'uvre tous les moyens nécessaires pour prévenir le harcèlement dénoncé et l'argument de l'intimée sur sa fausseté est inopérant.

Etant précisé qu'ici, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, saisi début 2019, conclut à une souffrance au travail mise en perspective avec la dégradation de sa relation avec sa supérieure hiérarchique, et que la société Philips ne satisfit à son obligation que près d'un an après avoir été avisée de la difficulté, il s'en suit nécessairement un dommage qu'il convient de corriger par l'allocation de 2.000 euros.

En revanche, après l'échec de cette médiation, il est constant que l'employeur fit diligenter par le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail une enquête, et au vu de ses conclusions, remises en mars 2019, sollicita un coach certifié au sein de ses effectifs, dans la recherche d'une solution, que Mme [U] refusa. Il ne peut lui être reproché son inaction.

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a rejeté la demande de l'appelante de dommages-intérêts, au titre de ce manquement.

Sur la perte de chance de percevoir les primes du plan de performance à moyen terme

Mme [U] fait valoir sa privation, par le licenciement, d'exercer son droit sur les actions de son plan à moyen terme, sur les actions acquises en 2017 et 2018, libérables en 2020, 2021, et l'employeur lui objecte le bien-fondé de son licenciement.

Cependant, la partie appelante ne s'explique nullement sur les droits qu'elle détiendrait auprès de la société Philips, qu'elle ne détaille pas.

En tout état de cause, l'intimée n'ayant pas commis de faute en la licenciant, elle ne saurait pas avoir engagé sa responsabilité à cet égard. Le jugement sera confirmé en ce qu'il n'a pas fait droit à la demande.

Sur le bonus de 2019

Mme [U] fait valoir la convention de travail stipulant une rémunération variable partiellement adossée à des objectifs individuels, précise qu'aucun objectif ne lui fut fixé en 2019, et se prévaut de la comparaison avec ses bonus antérieurs. L'employeur lui opposant sa mauvaise performance.

C'est à juste titre que le conseil de prud'hommes ayant constaté que le contrat de travail prévoyait une rémunération variable adossée à des objectifs individuels, a considéré que sans preuve de la fixation de ceux-ci pour l'année 2019, que la société Philips ne donne pas plus en cause d'appel, elle était débitrice de la prime due, justement calculée par comparaison avec les années précédentes. Le jugement sera confirmé à cet égard.

Sur les frais de justice

Aucun motif ne préside à la réformation des frais de justice alloués en première instance.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement entrepris dans toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de Mme [V] [U] de dommages-intérêts faute de prévention des agissements de harcèlement moral ;

Infirme le surplus ;

Statuant de nouveau sur le chef infirmé et y ajoutant ;

Condamne la société par actions simplifiée Philips France Commercial à payer à Mme [V] [U] 2.000 euros de dommages-intérêts en réparation de son manquement à avoir prévenu les agissements dénoncés de harcèlement moral avant le 30 octobre 2018, augmentés des intérêts au taux légal dès le prononcé de la présente décision ;

Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil ;

Condamne la société par actions simplifiée Philips France Commercial à payer à Mme [V] [U] 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société par actions simplifiée Philips France Commercial aux dépens.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Nathalie COURTOIS, Président et par Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre sociale 4-6
Numéro d'arrêt : 21/03229
Date de la décision : 28/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 03/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-28;21.03229 ?
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