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11/07/2023 | FRANCE | N°22/06627

France | France, Cour d'appel de Versailles, 13e chambre, 11 juillet 2023, 22/06627


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 4IC



13e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 11 JUILLET 2023



N° RG 22/06627

N° Portalis DBV3-V-B7G-VP5V



AFFAIRE :



[M] [W]



C/



Me [S] [D] [G]

....







Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 21 Octobre 2022 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE

N° Chambre :

N° Section :

N° RG : 2018J00697



E

xpéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :



Me Banna NDAO



Me Stéphanie TERIITEHAU



Me Caroline VARELA



MP



TC NANTERRE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE ONZE JUILLET DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appe...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 4IC

13e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 11 JUILLET 2023

N° RG 22/06627

N° Portalis DBV3-V-B7G-VP5V

AFFAIRE :

[M] [W]

C/

Me [S] [D] [G]

....

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 21 Octobre 2022 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE

N° Chambre :

N° Section :

N° RG : 2018J00697

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Banna NDAO

Me Stéphanie TERIITEHAU

Me Caroline VARELA

MP

TC NANTERRE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE ONZE JUILLET DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [M] [W]

né le [Date naissance 2] 1958 à [Localité 11]

de nationalité Française

[Adresse 5]

[Localité 7]

Représentant : Me Banna NDAO, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 667 - N° du dossier 22/169

Représentant : Me Johann BIOCHE, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1520

APPELANT

****************

Me [S] [D] [G] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société INTERNATIONAL TELECOMMUNICATION NETWORK FRANCE

[Adresse 3]

[Localité 9]

Représentant : Me Stéphanie TERIITEHAU de la SELEURL MINAULT TERIITEHAU, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire: 619 - N° du dossier 20220454

Représentant : Me Isilde QUENAULT, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire: C1515

Monsieur [R] [I]

né le [Date naissance 1] 1975 à [Localité 12]

[Adresse 4]

[Localité 10]

Représentant : Me Caroline VARELA, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 282 - N° du dossier 2022.58

Représentant : Me Christophe LLORCA de l'ASSOCIATION FARTHOUAT ASSELINEAU ET ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R130

LE PROCUREUR GENERAL

POLE ECOFI - COUR D'APPEL DE VERSAILLES

[Adresse 6]

[Localité 8]

INTIMES

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 17 Avril 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marie-Andrée BAUMANN, Conseiller faisant fonction de Président, chargé du rapport et Madame Delphine BONNET, Conseiller.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Marie-Andrée BAUMANN, Conseiller faisant fonction de Président,

Madame Delphine BONNET, Conseiller,

Madame Aurélie DAOUST, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Sabine NOLIN,

En la présence du Ministère Public, représenté par Monsieur Fabien BONAN, Avocat Général dont l'avis du 12/12/2022 a été transmis le 15/12/2022 au greffe par la voie électronique

La SAS International telecommunication network France (société ITN), exerçant sous l'enseigne 'Vivaction' et immatriculée le 20 septembre 1995, était un opérateur téléphonique spécialisé dans le service aux entreprises.

Depuis l'origine de la société, créée d'abord sous forme de SA, M. [M] [W] qui en était l'actionnaire majoritaire (55,3%), en a assuré la direction et en était le président- directeur général depuis sa transformation en SAS ; M. [R] [I], salarié de la société ITN à compter du 4 mai 1998 en qualité de responsable comptable puis de directeur financier, a été nommé directeur général délégué le 30 juin 2016, par décision du président à l'occasion de la transformation de la société en SAS.

La société ITN a sollicité l'ouverture d'une procédure de conciliation qui a été ordonnée par décision du 16 février 2018, maître [U] [V] étant désignée en qualité de conciliateur ; cette procédure n'a pas abouti.

Par jugement du 8 août 2018, le tribunal de commerce de Nanterre, sur déclaration de cessation des paiements de son dirigeant, a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société ITN. La date de cessation des paiements a été fixée, provisoirement, au 8 janvier 2018. La Selarl FHB, en la personne de maître [Y] [B], et maître [S] [D] [G] ont été nommés, respectivement, en qualité d'administrateur et de mandataire judiciaires.

Par jugement du 3 octobre 2018, le tribunal a mis fin à la période d'observation et prononcé la liquidation judiciaire de la société ITN en autorisant une poursuite d'activité jusqu'au 15 novembre 2018.

Par jugement du 8 novembre 2018, ce même tribunal a homologué un plan de cession au profit de la société SEWAN, pour un montant de 900 000 euros HT, avec transfert de dix-neuf contrats de travail.

Maître [D] [G], ès qualités, estimant que les opérations de la procédure collective avaient mis en évidence un certain nombre de fautes de gestion imputables à MM. [W] et [I], dirigeants de droit, justifiant l'application à leur encontre des dispositions prévues par les articles L 651-2 et L 653-1 et suivants du code de commerce, les a assignés le 22 juillet 2021, devant le tribunal de commerce de Nanterre, lequel, par jugement contradictoire assorti de l'exécution provisoire du 21 octobre 2022, a :

- débouté MM. [W] et [I] de l'ensemble de leurs demandes ;

- dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande de rejet des débats des pièces numérotées 5 à 83 de maître [D] [G], ès qualités ;

- condamné M. [W] à payer la somme de 3 600 000 euros entre les mains de maître [D] [G], ès qualités, avec capitalisation des intérêts en application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;

- condamné M. [I] à payer la somme de 800 000 euros entre les mains de maître [D] [G], ès qualités, avec capitalisation des intérêts en application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;

- prononcé la faillite personnelle de M. [W] pour une durée de quinze ans ;

- prononcé à l'égard de M. [I] une interdiction de gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci pour une durée de dix ans ;

- condamné MM. [W] et [I] à payer chacun à Maître [D] [G], ès qualités, la somme de 7 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné MM. [W] et [I], chacun pour moitié, aux dépens, avancés par la procédure ou à défaut

par le Trésor public sur le fondement de l'article L 663-1 du code de commerce, le recouvrement des sommes étant dans ce cas assuré à la diligence du Trésor public.

Le tribunal a débouté M. [I] de sa fin de non-recevoir en lien avec la règle 'una via electa' ; il a également débouté M. [I] de sa demande de sursis à statuer fondée sur la procédure pénale en cours en relevant que le tribunal correctionnel s'était prononcé par jugement du 12 mai 2022.

Le tribunal qui a constaté une insuffisance d'actif s'élevant à 31 431 420,95 euros, a retenu à l'encontre de MM. [W] et [I], les fautes de gestion suivantes :

- la mise en place de financements frauduleux,

- une comptabilité irrégulière, non sincère et non probante,

- la poursuite d'une activité déficitaire dans leur intérêt personnel.

Il a retenu au titre des manquements sanctionnés à titre personnel :

-l'augmentation frauduleuse du passif,

- la poursuite d'une activité déficitaire dans un intérêt personnel,

- la tenue d'une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière.

Par déclaration en date du 2 novembre 2022, M. [W] a interjeté appel du jugement.

Dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 4 janvier 2023, M. [W] demande à la cour de :

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement ;

Et statuant à nouveau,

A titre principal,

- rejeter les demandes de sanction personnelle et pécuniaire formées par le mandataire judiciaire à son encontre ;

A titre subsidiaire,

- faire application du principe de proportionnalité 'en le condamnant de la faute entre tous les intervenants susceptibles d'avoir concouru à l'insuffisance d'actif', soit la Banque postale, le LCL, la Bred, le commissaire aux comptes, l'expert-comptable et M. [I], en retenant à son encontre une contribution à l'insuffisance d'actif dans la limite de sa part virile ;

En tout état de cause,

- condamner le mandataire judiciaire à lui verser la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

M. [I], dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 12 février 2023, demande à la cour de :

- le recevoir en son appel incident ;

- le recevoir en ses demandes et l'y déclarer bien fondé ;

In limine litis,

- déclarer irrecevable l'action initiée par maître [D] [G], ès qualités, devant le juge civil, en violation de la règle 'electa una via' ;

- surseoir à statuer dans l'attente des décisions devant être rendues d'une part par le tribunal de commerce de Paris à l'encontre de la Banque postale, la Bred et le LCL, et d'autre part par le tribunal judiciaire de Paris à l'encontre du commissaire aux comptes et de l'expert-comptable de la société ITN ;

Sur le fond,

A titre principal,

- infirmer en toutes ses dispositions la décision dont appel ;

- juger que le lien de causalité n'est pas établi entre la pratique des chèques de trésorerie mise en place par MM. [W] et lui-même et l'insuffisance d'actif de 14 000 000 euros correspondant à la créance déclarée et admise au passif par le LCL ;

- juger que sa responsabilité ne saurait être retenue au vu de l'absence d'exercice effectif de fonctions liées à sa qualité de mandataire social, de l'absence de toute prérogative de direction et de réel mandat social ;

- exclure toute solidarité passive entre lui et M. [W] ;

A titre subsidiaire,

- limiter sa responsabilité en considération de l'absence d'exercice effectif de fonctions liées à sa qualité de mandataire social, de l'absence de toute prérogative de direction et de réel mandat social, de la durée limitée de son mandat par rapport à M. [W], et de la coopération dont il a fait preuve au cours de la procédure ;

- limiter une éventuelle solidarité à son égard à une part symbolique de l'insuffisance d'actif ;

En tout état de cause,

- condamner maître [D] [G], ès qualités, à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

Maître [D] [G], ès qualités, dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 7 février 2023, demande à la cour de :

- déclarer irrecevable M. [I] en sa demande de sursis à statuer ;

- infirmer le jugement de ce chef et, subsidiairement, le débouter de sa demande de sursis à statuer ;

- débouter M. [I] de son 'exception d'irrecevabilité' fondée sur la règle 'una via electa' ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

* retenu la responsabilité des dirigeants et les fautes de gestion en mettant en place des méthodes de financement frauduleuses, en ayant tenu une comptabilité irrégulière, non sincère et non probante, et en ayant poursuivi abusivement une activité déficitaire dans un intérêt personnel ;

* débouté MM. [W] et [I] de l'ensemble de leurs demandes ;

* condamné M. [W] à une mesure de faillite personnelle de quinze ans et M. [I] à une mesure d'interdiction de gérer de dix ;

* condamné MM. [W] et [I] à lui payer chacun la somme de 7 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- infirmer le jugement sur le quantum de la condamnation et condamner solidairement MM. [W] et [I] à lui payer la somme de 9 429 726, 29 euros avec intérêts au taux légal de droit conformément aux dispositions de l'article 1231-7 du code civil et capitalisation des intérêts, pour ceux échus depuis une année entière au moins, en application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;

- débouter MM. [W] et [I] de l'ensemble de leurs demandes ;

- infirmer le jugement en ce qu'il a jugé que les dépens seront avancés par la procédure collective ;

- condamner solidairement MM. [W] et [I] à lui payer la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et le (sic) condamner aux entiers dépens dont distraction est requise au profit de la Selarl Minault-Teriitehau, avocat, pour ceux dont elle a fait avance.

Dans son avis notifié par RPVA le 15 décembre 2022, le ministère public demande à la cour de confirmer le jugement concernant M. [W].

Il considère que :

- les modes de financement frauduleux, que M. [W] a admis avoir utilisés (utilisation de chèques comme instruments de crédits dans le cadre d'un 'carrousel de trésorerie' et mise en place de crédit-bails dépourvus de cause), ont contribué à l'insuffisance d'actif, en dissimulant le passif et en entretenant des dettes auprès de diverses banques ;

- la mise en place d'une comptabilité irrégulière qui, par la falsification des comptes annuels par de fausses factures clients et fournisseurs, a permis de dissimuler le passif et d'afficher au contraire un chiffre d'affaires en progression entre 2014 et 2016, constitue une faute de gestion contribuant à l'insuffisance d'actif de la société, le dirigeant ne bénéficiant pas d'un outil lui permettant de connaître la situation de son entreprise, et le liquidateur judiciaire ne pouvant pas exercer un contrôle sur les mouvements financiers ;

- la falsification des comptes témoigne de la volonté de M. [W] de dissimuler le caractère déficitaire, depuis 2014, de l'activité, laquelle a été poursuivie dans l'intérêt de ce dernier qui a continué de se verser son salaire.

Considérant que ces fautes de gestion d'une particulière gravité constituent également des griefs justifiant des sanctions personnelles, le ministère public en conclut qu'au vu également de la difficulté de M. [W] à gérer une société et à la pérenniser, il serait inopportun de ne pas le condamner à une mesure de faillite personnelle d'une durée de quinze ans, ainsi qu'à la somme de 3 600 000 euros en comblement de l'insuffisance d'actif.

A l'audience, il a indiqué s'en rapporter à la sagesse de la cour sur les sanctions pécuniaire et personnelle à appliquer à M. [I].

L'ordonnance de clôture a été rendue le 6 mars 2023.

Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières écritures conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE,

Aucun moyen n'étant soulevé ou susceptible d'être relevé d'office, il convient de déclarer recevables l'appel principal de M. [W] et des appels incidents de M. [I] et maître [D] [G].

Sur le sursis à statuer sollicité par M. [I] :

M. [I] sollicite le sursis à statuer au regard de toutes les instances initiées par maître [D] [G] qui, en plus de la demande d'indemnisation à titre de partie civile dans le cadre de l'instance pénale actuellement pendante devant la présente cour, poursuit :

* une instance en responsabilité à l'encontre des commissaires aux comptes et expert-comptable de la société ITN devant le tribunal judiciaire de Paris ;

* une instance en responsabilité à l'encontre de la Banque postale, le LCL et la Bred, pendante devant le tribunal de commerce de Paris.

Il observe que n'y étant pas partie, il ne détenait qu'une information parcellaire sur ces procédures et qu'en tout état de cause, quand bien même maître [D] [G] ne demande pas à chacun l'intégralité du passif, la responsabilité des professionnels, en particulier des banques, ne peut être sans conséquence sur sa propre responsabilité.

Maître [D] [G] soulève l'irrecevabilité de cette exception de sursis à statuer, soumise à l'article 74 du code de procédure civile, à un double titre dès lors qu'elle a été soulevée après une fin de non-recevoir et qu'elle n'a pas été invoquée en première instance dans les dernières conclusions de M. [I], s'agissant a minima des instances concernant les banques ou les professionnels du chiffre, la demande de sursis à statuer n'ayant été soutenue qu'oralement et uniquement au regard de la procédure pénale.

Après avoir expliqué qu'il a été contraint d'engager des procédures distinctes compte tenu de règles de compétences exclusives, il conclut en tout état de cause au rejet de cette demande en relevant notamment que la faute des autres intervenants ne conditionne pas la responsabilité des dirigeants. Faisant état de la 'ventilation' de ses demandes qu'il a opérée entre les différentes procédures en imputant à chacun uniquement une partie de l'insuffisance d'actif, il observe que chacun des différents intervenants a sollicité des sursis à statuer qui ont d'ailleurs été prononcés par deux des différentes juridictions saisies au risque d'aboutir à un déni de justice ; il fait valoir qu'il n'est pas raisonnablement contestable que les dirigeants, seuls décisionnaires dans l'intérêt de la société, sont les premiers responsables des fautes de gestion commises.

Le sursis à statuer qui suspend le cours de l'instance conformément à l'article 378 du code de procédure civile, constitue une exception de procédure telle que définie par l'article 73 du même code. Conformément à l'article 74, les exceptions doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir du code de procédure civile.

Outre que dans ses conclusions, M. [I] a soulevé une fin de non-recevoir avant l'exception de sursis à statuer, il ressort de plus des mentions du jugement critiqué par M. [I] qu'en première instance il n'a motivé sa demande de sursis à statuer que sur l'existence du risque de contradiction pouvant intervenir avec la décision pénale, alors qu'il avait connaissance des procédures engagées devant le tribunal de commerce et le tribunal judiciaire de Paris.

En effet, la cour observe que si ce dernier prétend n'avoir disposé que d'une information parcellaire sur les procédures engagées à l'encontre des hommes du chiffre et des banques, il ne discute pas avoir eu connaissance de leur existence, celles-ci ayant déjà été engagées lorsqu'il a régularisé ses premières conclusions devant le tribunal de commerce, pour l'audience du 2 novembre 2021, maître [D] [G] précisant en page 10 de ses écritures avoir fait état de ces procédures dans ses conclusions du 11 octobre 2021, ce qui n'a fait l'objet d'aucune observation contraire.

Maître [D] [G] indique d'ailleurs, dans l'historique de la procédure repris dans ses dernières écritures, que l'instance actuellement pendante devant le tribunal de commerce de Paris à l'encontre des banques a été engagée par la société ITN elle-même, avant l'ouverture de la procédure collective, ce qui est confirmé en page 18 de ses conclusions par M. [I], lequel ne pouvait donc ignorer cette procédure poursuivie par le liquidateur.

Par conséquent, sa demande de sursis à statuer soutenue devant la cour, après avoir soulevé une fin de non-recevoir et conclu sur le fond en première instance, est irrecevable. Il est ajouté au jugement de ce chef.

Sur la fin de non-recevoir soulevée par M. [I] :

Après avoir souligné que les trois types de fautes de gestion qui lui sont imputées correspondent en réalité très exactement aux faits qui ont été pénalement poursuivis et qui ont été examinés par le juge pénal et précisé que le liquidateur judiciaire a agi au civil, par l'assignation en insuffisance d'actif le 22 juillet 2021, avant sa constitution de partie civile au pénal par conclusions déposées le 7 octobre 2021, M. [I] fait valoir que le liquidateur judiciaire qui a fait le choix de maintenir sa constitution de partie

civile devant le juge pénal, est irrecevable à continuer d'agir dans la présente instance au regard de la règle 'una via electa'; il conteste la répartition qu'il estime approximative et injustifiée que le liquidateur a faite de ses demandes financières devant le juge pénal (25 % de l'insuffisance d'actif) et le juge civil (30 % de l'insuffisance d'actif).

Maître [D] [G] souligne que M. [I], en méconnaissance de la règle de droit, ne peut pas soulever l'irrecevabilité de ses demandes dans la mesure où l'action en comblement de passif a été engagée préalablement à sa constitution de partie civile. Il rappelle aussi que la règle invoquée ne peut l'être qu'en cas d'identité de cause, d'objet et de partie et que l'action en comblement de passif est une action autonome, soulignant l'absence d'identité d'objet des demandes de réparation du préjudice causé par les infractions pénales et du préjudice résultant des fautes de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif.

L'action en responsabilité pour insuffisance d'actif est une action en responsabilité civile, exclusivement indemnitaire, ayant pour objet la réparation du préjudice subi par la collectivité des créanciers ; l'action civile en réparation du préjudice résultant des délits de banqueroute et d'escroquerie par manoeuvres frauduleuses pour lesquels M. [I] a été poursuivi, est une action distincte qui a un objet différent de celui de cette action en responsabilité pour insuffisance d'actif.

Par conséquent, M. [I] n'est pas fondé en sa fin de non-recevoir opposée à maître [D] [G], ès qualités, comme le tribunal l'a décidé en le déboutant de 'l'ensemble de ses demandes'. Il convient simplement, confirmant le jugement, de préciser que M. [I] est en particulier débouté de la fin de non-recevoir qu'il a invoquée, étant observé que comme précisé par les parties, le liquidateur judiciaire ne poursuit les dirigeants au titre de leur responsabilité pour insuffisance d'actif que pour une partie de celle-ci, celui-ci ayant opéré un 'partage des responsabilités' entre les différents intervenants dont il estime qu'ils ont contribué, chacun pour partie, à l'insuffisance d'actif.

Sur la responsabilité pour insuffisance d'actif de MM. [W] et [I] :

Selon l'article L.651-2 du code de commerce, lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, peut décider que son montant sera supporté, en tout ou partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables.

Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée.

Sur le montant de l'insuffisance d'actif :

L'insuffisance d'actif qui est égale à la différence entre le montant du passif antérieur admis définitivement et le montant de l'actif réalisé de la personne morale débitrice, n'est pas discutée par les anciens dirigeants de la société ITN et elle est justifiée par maître [D] [G].

L'insuffisance d'actif s'établit ainsi à la somme de 31 432 420,95 euros au regard d'une part du montant de l'actif (2 249 034,60 euros) et d'autre part du montant du passif vérifié et admis définitivement à hauteur de 33 681 455,55 euros, après rectification d'une erreur commise sur l'état des créances signé par le juge-commissaire, laquelle porte sur la créance du LCL, mentionnée comme ayant été rejetée alors qu'elle a été admise à hauteur de la somme de 14 745 727,35 euros selon l'ordonnance du juge-commissaire qui est versée aux débats.

Sur la direction de la société et le rôle de M. [I] :

M. [W] qui présente l'organisation de la société ITN dont il confirme avoir été le dirigeant dès l'origine, explique le rôle de M. [I] sur la période du 27 mai 2009 au 30 juin 2016 puis sur la période postérieure, après sa désignation en qualité de directeur général délégué de la société ITN, en soulignant que la cour a confirmé le jugement qui a débouté M. [I] de sa demande de nullité de sa désignation en qualité de mandataire social. Il soutient que durant ces deux périodes, M. [I] disposait d'une autonomie de gestion de la partie financière et comptable de la société et que celui-ci lui soumettait des tableaux de trésorerie lui présentant une image artificiellement bonifiée de la situation financière de l'entreprise, ce qui démontre que lui-même, d'une part, ne disposait pas d'une capacité de supervision et de vérification des activités et travaux de M.[I] et que, d'autre part, il pouvait légitimement considérer que la trésorerie était maîtrisée au regard des projets de développement de la société.

M. [I], à propos de la répartition des degrés de responsabilité entre lui et M. [W], souligne en premier lieu qu'il n'a jamais été ni dirigeant de droit ni dirigeant de fait de la société ITN avant le 30 juin 2016, date à laquelle M. [W] a décidé unilatéralement de le désigner en qualité de directeur général délégué alors que les fautes de gestion ont commencé bien avant et qu'il n'était que salarié ; il conteste toute désignation en qualité de directeur général en 2009 comme le prétend M. [W], observant qu'aucune nomination en cette qualité n'a été régularisée.

Il expose en second lieu qu'il n'a, à aucun moment, été informé des fonctions accompagnant ce titre de mandataire social qu'il affirme n'avoir jamais acceptées ni réellement exercées, prétendant n'avoir pris connaissance de la décision unilatérale du 30 juin 2016 que dans le cadre de la procédure collective et qu'en tout état de cause ce titre n'a strictement rien changé à ses 'affectations' ni d'ailleurs à sa rémunération. Il prétend que même après sa nomination 'purement honorifique' aux fonctions de directeur général délégué qu'il n'a occupées que pendant dix-huit mois, il n'a fait qu'appliquer les directives de M. [W], comme lorsqu'il était salarié aux fonctions de directeur financier. Il ajoute que les délégations de pouvoirs bancaires dont il disposait sont toutes, à l'exception de celle concernant la Banque postale, restées limitées à des engagements de 10 000, voire 15 000 euros, qu'il est le seul à avoir reconnu ses fautes en collaborant de surcroît très étroitement avec le cabinet Exafi, et que le lien de subordination qui le liait à M. [W] ressort clairement des instructions que ce dernier lui donnait, de même que les auditions des salariés par les enquêteurs ont confirmé, à propos de la structure hiérarchique de la société ITN, que M.[W] décidait de tout au sein de la société, preuve que le mandat de directeur général délégué qui lui était conféré n'en était pas réellement un.

Maître [D] [G] qui rappelle que M. [W] est dirigeant de la société depuis l'origine, expose que la responsabilité de M. [I] doit être retenue sur la période de plus de deux ans durant laquelle celui-ci a été directeur général délégué, nomination dont il n'a pu obtenir l'annulation comme définitivement jugé par la présente cour au regard des éléments alors versés aux débats et qu'il communique de nouveau. Observant que la cour, dans son arrêt du 28 septembre 2021, n'a aucunement statué sur le degré de responsabilité de M. [I], le liquidateur judiciaire expose que ce dernier opère une lecture tronquée des déclarations des différents protagonistes, dont maître [D] [G] cite également des extraits, qu'il omet la réalité juridique et factuelle de ses fonctions et que si effectivement la responsabilité du président directeur général est naturellement supérieure à celle d'un directeur général délégué, cela n'a aucunement pour conséquence que ce dernier soit un subordonné et non un mandataire social dont la limitation des pouvoirs, définis statutairement, ne sont pas opposables aux tiers. Il estime que l'ensemble des fautes de gestion commises par M. [I] entre dans la sphère de délégation de pouvoirs de ce dernier.

Il est admis par M. [W] qu'il a été dirigeant de droit de la société ITN depuis son origine, celui-ci ayant d'abord occupé les fonctions de président du conseil d'administration puis de président-directeur général à compter de la transformation de la société de SA en SAS.

S'agissant de M. [I], s'il a été salarié de cette société depuis son embauche à compter du 4 mai 1998, celui-ci a vu ses fonctions évoluer ; il n'est pas démontré, comme le prétend M. [W], que M. [I] ait été désigné en qualité de directeur général adjoint en mai 2009, aucune désignation effective en ce sens n'étant en particulier versée aux débats, il est en revanche établi que celui-ci a été désigné, en qualité de directeur général délégué, par décision de M. [W] en date du 30 juin 2016, laquelle énumère les fonctions en lien avec cette désignation et précise qu'il aura à ce titre la faculté d'engager seul la société.

L'article 15 des statuts qui, conformément à l'article L.227-5 du code de commerce fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée, précise qu'en accord avec le président, le directeur général détermine l'étendue et la durée des pouvoirs délégués au directeur général délégué et dispose aussi que cette limitation de ces pouvoirs n'est pas opposable aux tiers, à l'égard desquels chaque directeur général délégué dispose des mêmes pouvoirs que le directeur général.

M. [I] qui a engagé une action en nullité de ce mandat social, a été débouté de sa demande par jugement du 6 mai 2020, lequel a été confirmé par un arrêt définitif de la présente cour du 28 septembre 2021 de sorte que sa responsabilité, en sa qualité de mandataire social de la société ITN, est susceptible d'être engagée pour la durée de son mandat, le degré inférieur de responsabilité par rapport à celle du président directeur général ne faisant pas de lui un subordonné.

Il ressort des éléments examinés dans les motifs de cet arrêt définitif du 28 septembre 2021, que M. [I] a bien eu connaissance de cette désignation et en a fait usage à l'égard des salariés dès les mois de juillet 2016 ; il a d'ailleurs ouvert seul un compte au nom de la société ITN dans les livres de la Banque Thémis en janvier 2018 et disposait de la signature bancaire avec tous pouvoirs, au même titre que M. [W], sur le compte de la société ouvert à la Banque postale, lequel a permis le recours à des financements frauduleux.

La responsabilité de MM. [W] et celle de M. [I], sur la période du 30 juin 2016 au 8 août 2016, est donc susceptible d'être engagée en qualité de dirigeants de droit, la participation de chacun dans les faits reprochés étant examinée pour chacune des fautes de gestion.

Sur les fautes de gestion :

Sur la mise en place de financements frauduleux :

M. [W] soutient pour l'essentiel que le financement 'par chèques à J+6' 'se distingue d'une cavalerie frauduleuse' dès lors qu'il a fait l'objet d'un consentement des banques en cause, la Banque postale, le LCL et la Bred, lequel est caractérisé par le fonctionnement des comptes, les flux financiers en cause, leur

récurrence et leur durée ; il cite à cet égard le rapport de Tracfin du 7 mars 2019 produit dans le cadre de l'enquête pénale, lequel a révélé que le fonctionnement de ces comptes, essentiellement constitué d'opérations de la société ITN à elle-même, au regard du montant de ces flux et de leur croissance de 2011 à 2017, ne peuvent pas 'à l'évidence' avoir été ignorés des banques dont les tentatives de justifications sont parfaitement inopérantes alors qu'elles ont mis en place des dispositifs de contrôle interne relatifs à la présentation d'un chèque sans provision. Il soutient que ce mécanisme de financement constitue une 'facilité de caisse structurelle'consentie à la société ITN par la Banque postale, comme l'a indiqué au cours de l'enquête le représentant de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et que pour retenir une faute à son égard, il faudra nécessairement caractériser la faute des banques attraites en responsabilité devant le tribunal de commerce de Paris. Il ajoute qu'eu égard à la pleine implication du LCL dans la survenance de l'insuffisance d'actif, la rupture brutale et sans préavis de ce financement par ce dernier étant à l'origine de la cessation des paiements de la société ITN, et en vertu du principe de proportionnalité qui doit être appliqué, la créance de cette banque, toujours prise en compte dans la détermination de l'insuffisance d'actif devra être déduite des sommes qui lui sont réclamées.

Il en conclut à titre principal que nulle contribution à l'insuffisance d'actif n'est caractérisée à son égard, observant qu'avec cette facilité de caisse, la société ITN pouvait absolument faire face à l'ensemble de ses engagements, en particulier ceux contractés avec les 'leasers' qui n'ont pas été trompés sur l'élément déterminant du financement, à savoir la capacité de remboursement de la société.

M. [I] expose d'abord qu'en remettant un tableau récapitulatif des contrats de leasing qui distingue les contrats frauduleux, il a permis la mise en lumière d'une pratique au sein de la société ITN qui consistait à faire financer plusieurs fois le même matériel par le biais de contrats de leasing dits 'non causés' ou 'faux leasing'de sorte que cette coopération doit être prise en compte en plus du fait que cette pratique au sein de la société était ancienne et 'historique' à l'initiative de M. [W] alors qu'il n'était pas encore mandataire social de sorte qu'il ne pourra pas être considéré comme responsable au même titre que ce dernier pour ces faits.

S'agissant du financement mis en place avec la Banque postale, il conteste la qualification de ' financement frauduleux' dès lors que cette dernière a conféré ce financement spontanément à la société ITN, durant près de huit ans, celle-ci étant d'ailleurs poursuivie par le liquidateur judiciaire ; il précise que premièrement le recours à ces 'chèques de trésorerie' était autorisé par la Banque postale en toute connaissance de cause puisque celle-ci a interrogé la société ITN à plusieurs reprises sur cette pratique qu'elle n'a jamais fait cesser d'elle-même, que deuxièmement, comme indiqué aussi par M. [W], le directeur juridique de l'ACPR a qualifié cette pratique de facilité de caisse structurelle, ce qui permet de douter de l'illégalité de ce processus et que troisièmement, il faudra attendre les 29 mai et 28 décembre 2017, date à laquelle la Bred et le LCL ont annoncé leur décision de rompre brutalement leur concours bancaire, pour que cette pratique cesse définitivement. Il souligne qu'en outre la Banque postale a volontairement choisi d'ignorer les procédures de contrôle interne concernant le rejet des chèques concernés, ce qui manifeste encore son accord à ce financement de sorte qu'il ne peut lui être reproché d'avoir participé à un financement frauduleux, n'ayant fait qu'exécuter les directives de M. [W] concernant un procédé 'parfaitement licite' et au demeurant 'proposé' par la Banque postale elle-même.

Maître [D] de Grand court expose les deux modes opératoires qui ont été utilisés quant à la mise en place de financements frauduleux, d'une part le mécanisme instauré par la société ITN à compter de 2011 avec la Banque postale afin de financer son fonds de roulement et sa croissance externe, tel que le cabinet Exafi l'a expliqué avec le concours de M. [I], et d'autre part le financement de faux contrats de leasing.

S'agissant du premier, il fait valoir que cette pratique qui a duré près de sept ans, les chèques étant utilisés comme un moyen de crédit grâce à un différé de débit, en contrariété avec les dispositions des articles L.131-1 à L.131-87 du code monétaire et financier, s'est accéléré à partir de 2015 et a permis à la société de bénéficier d'un crédit de trésorerie à court terme de l'ordre de 13 000 000 euros, ce financement ayant eu une conséquence sur l'insuffisance d'actif. Il souligne que l'éventuelle faute commise par les banques ne peut aucunement avoir pour effet d'exonérer les dirigeants de leur responsabilité de même que celle-ci est engagée s'agissant du second moyen frauduleux, les deux dirigeants ayant reconnu qu'avaient été mis en place des contrats de crédits-bails non causés et le listing, fourni au cabinet Exafi par M. [I], ayant établi qu'un montant de 5 100 000 euros HT de financement a été obtenu pour du matériel qui n'existe pas. Il ajoute que l'élément déterminant d'un leasing n'est pas uniquement la capacité de remboursement mais également l'existence du matériel, objet du financement, lequel faisait défaut en l'espèce.

Le liquidateur judiciaire, qui relève que MM. [W] et [I], tout en reconnaissant la réalité des faits reprochés, contestent leur responsabilité, observe que la fraude ne réside pas uniquement dans le dol qui n'a effectivement pas été commis à l'égard des banques mais dans le fait de mettre en place une pratique prohibée par la loi et que le fait de créer artificiellement de la trésorerie pour plus de 14 millions, laquelle n'a pas été retrouvée lors de l'ouverture de la procédure collective, est une faute de gestion, observant qu'en outre ce financement, par ce système de cavalerie, était manifestement excessif au regard du chiffre d'affaires de la société et de ses capacités financières. Il souligne que si la responsabilité des banques est réelle, il a déjà été tenu compte, dans la ventilation de la responsabilité de l' insuffisance d'actif et des sommes demandées dans le cadre de la présente procédures, de la responsabilité des différents intervenants et que le lien de causalité ne saurait être en outre contesté et reporté sur les autres intervenants alors que la jurisprudence prévoit que la condamnation des dirigeants peut être totale même si leur faute n'a contribué que partiellement à la réalisation du préjudice. Il ajoute que le fait que les banques aient proposé ce financement illégal n'est pas plus exonératoire puisqu'il appartenait aux dirigeants de ne pas accepter un tel financement.

Concernant M. [I], il relève que d'après l'audition de ce dernier devant les enquêteurs il ne s'est pas contenté d'exécuter les directives de M. [W] et qu'il a largement reconnu avoir eu une participation très active et primordiale dans le cadre de ce financement frauduleux, et que le cabinet Exafi a reproduit quelques copies de chèques émis sur la Banque postale pour des montants très importants et signés de M. [I] qui avait, en outre, une parfaite connaissance de la mise en place des 'faux' contrats de leasing dont il a établi la liste, de sorte que la responsabilité de ce dernier est complètement engagée.

S'agissant tant du mécanisme mis en place sur le compte ouvert dans les livres de la Banque postale que du financement dont la société ITN a bénéficié grâce à la conclusion de contrats de crédit-bails non causés, mécanismes dont la réalité, non contestée au demeurant par MM. [W] et [I], est établie en détail par le rapport de la société Exafi, désignée par ordonnance du 25 septembre 2018, sur requête de l'administrateur judiciaire, la cour, en l'absence d'élément nouveau soumis à son appréciation, estime que le tribunal, par des motifs pertinents qu'elle approuve, a fait une exacte appréciation de la matérialité des faits reprochés à MM. [W] et [I], lesquels compte tenu de la persistance des pratiques non conformes aux textes, ne constituent pas une négligence, non alléguée au demeurant, mais une faute de gestion.

Le fait qu'il ait été engagé une procédure mettant en cause la responsabilité des banques dont il est soutenu qu'elles ne pouvaient pas ignorer le mécanisme mis en place, ne peut exonérer MM. [W] et [I] de leur responsabilité de ne pas avoir respecté les textes, en particulier l'article L. 131-4 du code monétaire et financier, dont il découle, comme rappelé par le tribunal, que le chèque n'est pas un moyen de crédit mais un moyen de paiement, la provision devant être constituée à la date de l'émission du chèque.

Outre que le liquidateur judiciaire a expliqué, à propos de ses observations au fond sur la demande de sursis à statuer, avoir 'effectué un partage de responsabilité' entre d'une part les dirigeants et d'autre part les banques et les professionnels du chiffre en imputant 55% de l'insuffisance d'actif aux dirigeants dont il sollicite la condamnation à 30 % de insuffisance d'actif dans le cadre de la présente procédure, il convient de rappeler, s'agissant de l'imputabilité de ces fautes à MM. [W] et [I], que le dirigeant d'une personne morale peut être déclaré responsable sur le fondement de l'article L.651-2 du code de commerce même si la faute de gestion qu'il a commise n'est à l'origine que d'une partie de l'insuffisance d'actif et sans qu'il y ait lieu de déterminer la part de cette insuffisance imputable à sa faute.

De même, il n'y a pas lieu de déterminer la part de l'insuffisance d'actif imputable à chacune des fautes reprochées à chacun des dirigeants, le dirigeant d'une personne morale pouvant être déclaré responsable, sur le fondement de l'article L.653-2 du code de commerce, même si sa faute n'est à l'origine que d'une partie de l'insuffisance d'actif.

Ces financements frauduleux, comme indiqué dans le rapport de la société Exafi, ont permis à la société ITN de bénéficier artificiellement d'une trésorerie de l'ordre de 13 millions d'euros qui n'existait plus lors de l'ouverture de la procédure collective, ce qui a conduit à une dette de la société de 14 millions d'euros envers le LCL, qui a déclaré sa créance correspondant aux chèques qui sont restés impayés ; le lien est ainsi démontré avec l'insuffisance d'actif s'agissant du mécanisme mis en place à partir des chèques que la société ITN se faisait à elle-même à partir de son compte ouvert à la Banque postale, mécanisme dont le rapport de la société Exafi révèle la particulière accélération à partir de 2015, les montants 'colossaux' des chèques émis et le caractère 'complètement disproportionné' des mouvements financiers par rapport au chiffre d'affaires annuel de la société.

S'agissant des contrats de crédit-bails non causés, il ressort du rapport Exafi que la société ITN, à partir de 2015, a financé par ce procédé des matériels qui n'existaient pas pour un montant de l'ordre de 5 millions HT, somme représentant, 79 % du montant total hors taxes de tous les contrats de crédit-bails souscrits par la société (page 38 du rapport).

Quelle que soit la responsabilité des banques et de M. [I], la responsabilité de M. [W], dirigeant de droit de la société ITN depuis l'origine, est engagée sans qu'il puisse s'en exonérer, étant observé que les deux mécanismes frauduleux ont été mis en place avant la nomination de M. [I] en qualité de directeur général délégué.

M. [I], s'il n'est devenu directeur général délégué que le 30 juin 2016, a cependant participé de façon active au mécanisme mis en place avec la Banque postale comme il l'a indiqué lors de son audition du 14 février 2019 au cours de l'enquête pénale où il a notamment déclaré : 'Mécaniquement, on s'est rendu compte qu'on avait une fenêtre de six jours. Mon chargé de compte me disait qu'il avait beaucoup de caisses de retraite qui jouaient avec ce délai là (...) On avait besoin d'argent, et avec M. [W] on est rentré dans ce système, en se faisant des chèques à nous-mêmes. (...)' ; lorsqu'il lui a été demandé de préciser qui avait pris la décision d'avoir recours à ce procédé, il a répondu en ces termes 'ça s'est fait un peu tout seul, M. [W] était au courant dès l'origine. Au début on payait les fournisseurs ...' , avant qu'il ne soit décidé de faire les chèques à la société elle-même car 'pour gérer le délai de six jours, c'est compliqué quand le chèque est chez le fournisseur car on ne sait pas quand il va le présenter'.

M. [I] ne conteste pas avoir eu connaissance de l'existence des crédits-bail non causés dont il a permis d'ailleurs la mise en lumière en remettant à la société Exafi 'un état récapitulatif qui distingue les vrais contrats des contrats non causés', étant observé que cette pratique, mise en place en 2015 s'est largement poursuivie après la désignation de ce dernier en qualité de directeur général délégué.

La responsabilité des deux dirigeants est par conséquent engagée dans ces financements frauduleux qui constituent une faute de gestion.

Sur la comptabilité irrégulière, non sincère et non probante :

M. [W] fait valoir que la comptabilité était déléguée au directeur en charge des finances et que pour sa part il n'a 'pas ordonnancé' par des actes positifs la confection d'une comptabilité irrégulière, ces faits ayant été commis par M. [I], en pleine autonomie dans l'exercice de son mandat social ; même s'il indique savoir que, 'contrairement au droit pénal, la délégation de compétence n'est pas considérée stricto sensu au plan civil', il demande cependant à la cour de prendre en compte cette circonstance pour décider ou non d'une sanction à son égard.

M. [I] expose que depuis de nombreuses années, la situation voulue par M. [W] lui imposait, comme à d'autres salariés, en particulier M. [F], de présenter des situations erronées et d'établir de fausses factures intégrées en comptabilité. S'il ne nie pas sa participation aux fautes retenues dont il relève qu'il a d'ailleurs largement permis de les mettre en évidence en collaborant avec la société Exafi, il fait valoir que sa responsabilité ne peut être retenue que pour la période où il a eu la qualité de directeur général délégué et qu'il ne peut donc être jugé responsable au même niveau que M. [W], ayant de surcroît agi sous un lien de subordination total avec ce dernier.

Maître [D] [G] présente les constatations de la société Exafi en relevant que les comptes annuels étaient falsifiés depuis plusieurs exercices pour deux raisons principales, à savoir la volonté de masquer les pertes dégagées et d'afficher un chiffre d'affaires en progression et aussi de dissimuler en fin d'exercice les chèques bancaires en suspens afférents au financement anormal ; il en décrit les modalités tenant d'une part, à la constatation, en fin d'exercice, de fausses factures à établir et à la comptabilisation de fausses factures clients et d'autre part à une dissimulation en fin d'exercice des opérations financières anormales, ce qui caractérise une comptabilité irrégulière ne donnant pas une image fidèle mais une présentation frauduleuse des états financiers permettant de masquer les résultats déficitaires de la société et d'obtenir de nouveaux financements, par la présentation d'états financiers équilibrés ; à cet égard le liquidateur judiciaire évoque les contrats d'émission d'obligations souscrits les 20 mai et 30 octobre 2015 auprès de GIAC et les prêts obtenus en 2015, 2016 ou 2017 auprès de BPI, la Banque Palatine, le Crédit du Nord et la banque HSBC, lesquels restent impayés et démontrent le lien entre cette faute de gestion et l'aggravation de l'insuffisance d'actif ; il évalue le préjudice lié à la tenue d'une fausse comptabilité, irrégulière et non sincère à plus de 6 800 000 euros, relevant que cette faute de gestion engage les deux dirigeants dès lors que les prêts souscrits à compter du 30 juin 2016 s'élèvent à plus de 2 700 000 euros.

Maître [D] [G] fait aussi valoir que M. [W] ne peut valablement reporter sur M. [I] l'entière responsabilité de l'irrégularité de la comptabilité alors qu'il résulte du rapport établi par la brigade financière et de ses déclarations qu'il a reconnu l'existence de cette comptabilité falsifiée et qu'il avait parfaitement connaissance qu'elle ne reflétait pas la réalité et que si la comptabilité était effectivement sous la direction de M. [I], celui-ci, dans la mesure où il était directeur général délégué, n'était pas l'unique décisionnaire. S'agissant de ce dernier, il estime qu'il ne peut se défausser en prétendant avoir agi sous un lien de subordination avec M. [W] alors que M. [I] était bien mandataire social, en charge de gérer les services comptables et que, comme il l'a reconnu dans son audition, il a eu un rôle prépondérant dans l'établissement de la fausse comptabilité, celui-ci donnant notamment les instructions pour l'établissement des fausses factures et l'établissement de la comptabilité fournisseurs.

Les appelants ne discutent pas les constatations matérielles de la société Exafi qui ont révélé une comptabilité ne donnant pas une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l'entreprise et une présentation frauduleuse des états financiers au cours des exercices 2014 à 2016 ; en l'absence d'élément nouveau soumis à son appréciation, la cour estime que les premiers juges, par des motifs pertinents qu'elle approuve, ont fait une exacte appréciation des éléments concernant ce grief.

Il convient d'ajouter que ce manquement, compte tenu du nombre et du montant des falsifications opérées, ne constitue pas une négligence, ce qui n'est au demeurant pas prétendu et que, s'agissant du lien de causalité entre cette faute de gestion et l'insuffisance d'actif, cette présentation frauduleuse d'états financiers bénéficiaires a aussi permis d'obtenir de nouveaux financements, destinés à financer des acquisitions dans le cadre de la croissance externe, un passif persistant à ce titre. Il ressort en effet des éléments communiqués par le liquidateur judiciaire et non discutés par les dirigeants que :

- des contrats d'émission d'obligations ont été souscrits par la société ITN les 20 mai 2015 et 30 octobre 2015 auprès du fonds commun de titrisation GIAC pour un montant de 1 300 000 euros chacun alors même que ces deux contrats, versés aux débats par le liquidateur judiciaire, précisent notamment, au titre des 'déclarations et garanties de l'émetteur' (la société ITN), que tous les documents comptables établis par cette dernière et remis à la société de gestion 'ont été préparés conformément aux principes comptables admis en France' et 'donnent une image fidèle et sincère de sa situation financière et de ses opérations pendant l'exercice fiscal auxquels ils se rapportent' ; ce fonds commun de titrisation a déclaré, le 21 septembre 2018, une créance de 2 612 910,21 euros ;

- la BPI a accepté de nouveaux financements et consenti cinq nouveaux prêts à la société ITN selon actes sous seing privé conclus entre le 20 mai 2015 et le 4 juillet 2017 pour lesquels elle a déclaré, le 16 août 2018, une créance totale de 1 667 467,4 euros ;

- la Banque Palatine a également accordé à la société les 21 juillet 2015 et 27 septembre 2017, deux prêts au titre desquels elle a déclaré, le 6 octobre 2018, une créance privilégié à hauteur de la somme totale de 1 118 018,88 euros ;

- le Crédit du Nord, au titre d'un prêt accordé le 19 juillet 2016, a déclaré, le 25 septembre 2018, une créance de 202 069,85 euros ;

- la banque HSBC, au titre de deux prêts consentis les 27 septembre 2017 et 1er décembre 2017, a déclaré le 9 octobre 2018, une créance totale de 1 210 018,94 euros .

Il est ainsi établi que cette faute de gestion, au-delà du fait, justement relevé par le tribunal, que les dirigeants, 'en ne tenant pas une comptabilité régulière, se sont privés d'un outil essentiel qui leur aurait permis de contrôler de façon permanente la situation de l'entreprise', a contribué à augmenter le passif de la société et donc l'insuffisance d'actif à hauteur d'une somme de 6 810 485,28 euros.

Enfin s'agissant de la responsabilité de chacun des dirigeants, la cour relève que si M. [W], tant au cours de l'enquête pénale que désormais devant la cour, cherche à minorer sa responsabilité, celui-ci, jusqu'à la nomination de M. [I] en qualité de directeur général délégué, était le seul dirigeant de droit de la société ITN dont il était le fondateur et qu'il est ainsi seul responsable, antérieurement à juin 2016, de l'irrégularité de la comptabilité. D'ailleurs, si M. [W] insiste sur le fait que c'était M. [I] qui était en charge de la comptabilité falsifiée, il a cependant reconnu 'qu'il savait que la comptabilité ne reflétait pas la réalité' ; plusieurs salariés, dont celui en charge de la facturation clients depuis 2004, M. [F], ont témoigné que 'toutes les instructions au sein d'ITN émanaient de M. [W] qui s'occupait de tout' et était perçu comme 'tout puissant' et que 'M. [I] s'occupait de la finance essentiellement, sous l'égide de M. [W]'. M. [F], s'il a indiqué que M. [I], en lui remettant un fichier excel comportant notamment les montants à facturer et les numéros de factures, lui donnait ses instructions pour l'établissement des 'fausses factures' dont il a précisé qu'il s'agissait de 'modifications de factures existantes pour la plupart' dont 'le montant TTC était gonflé' , a aussi déclaré que, M. [W] 'supervisait ces factures' et qu'à la période de l'année où il les établissait, il avait 'des appels plus réguliers sur les factures de M. [W]' alors que 'le reste de l'année', ce dernier 'ne supervisait pas plus que cela la facturation'.

Quant à M. [I], qui ne peut s'exonérer de sa responsabilité sur la période de deux ans pendant laquelle il a occupé les fonctions de directeur général délégué, il a eu, au regard de ses fonctions et de ses compétences en matière comptable, 'un rôle bien plus prépondérant que celui de simple exécutant', comme relevé en page 15 du procès-verbal de synthèse ; d'ailleurs dans son audition par les enquêteurs, le 14 février 2019, il a reconnu 'avoir décidé de l'enregistrement pour la fin de l'année, vu qu'il (M. [W]) n'est pas comptable', ajoutant à propos de 'la technique' utilisée que ce dernier, compte tenu de sa formation commerciale, 'n'y aurait pas forcément pensé lui-même mais' qu'il 'la comprenait'.

M. [F], en charge de la facturation clients, qui a précisé, comme indiqué précédemment, l'implication de chacun des deux dirigeants dans l'établissement d'un système de fausse facturation, a répondu en ces termes lorsqu'il a été interrogé sur la personne qui lui avait demandé de procéder ainsi: 'je ne saurais pas vous dire entre MM. [W] et [I], je pense qu'ils ont dû me le demander tous les deux'.

La cour observe également que, comme mentionné en page 16 du procès-verbal de synthèse, l'un des administrateurs de la société, M. [J], a déclaré aux enquêteurs que selon lui, 'M. [W] n'aurait pas pu faire tout cela sans la complicité de M. [I]'.

En outre, comme relevé par le tribunal, M. [I] a accepté de devenir directeur général délégué alors qu'il n'ignorait rien de la comptabilité irrégulière et insincère qu'il avait contribué à mettre en place et qu'il a poursuivie et développée dans ses fonctions de dirigeant.

La responsabilité des deux anciens dirigeants de droit, dans la commission de cette faute de gestion, est ainsi engagée.

Sur la poursuite abusive d'une activité déficitaire :

M. [W] prétend que la poursuite d'une activité déficitaire ne peut être retenue dès lors que le financement par la 'facilité de caisse' consentie par la Banque postale n'a pas été obtenu par fraude et que si l'exploitation était déficitaire, ce n'est qu'à raison des investissements et croissances externes poursuivis afin de permettre à la société de se développer, précisant qu'au gré de la mesure de conciliation, sur laquelle il revient longuement dans la partie 'rappel des faits' de ses écritures, il a été constaté que l'activité n'était pas structurellement déficitaire et reposait sur un modèle économique viable. Il souligne que les investigations entreprises par les enquêteurs dans le cadre de l'enquête pénale sur la destination des flux financiers comme sur la structure de son patrimoine ont démontré qu'il n'a en rien profité des faits qui lui sont aujourd'hui opposés.

M. [I], comme en première instance, ne formule pas d'observation à ce titre.

Maître [D] [G], qui s'appuie sur le rapport du Cabinet Exafi qui, après avoir retraité les résultats réels de la société, a constaté la persistance des résultats déficitaires entre 2014 et 2017, soutient que la poursuite de l'activité déficitaire au mépris des droits des créanciers constitue une faute de gestion, d'autant que les résultats étaient masqués comptablement, que celle-ci est à l'origine de la création de l'insuffisance d'actif et qu'elle s'est poursuivie en outre dans un intérêt personnel puisque les dirigeants ont continué de percevoir une rémunération importante au vu des déclarations de revenus que la brigade financière s'est faite communiquer.

Le liquidateur judiciaire souligne qu'au regard de l'analyse effectuée par le cabinet Exafi à l'encontre de laquelle il n'est apporté aucun élément, M. [W] ne peut contester cette faute de gestion ni indiquer, sans

en justifier, que la conciliation aurait démontré le caractère bénéficiaire de l'activité ni contester un intérêt personnel, au prétexte qu'il n'a pas de patrimoine.

Il sera rappelé à titre liminaire que la faute de gestion consistant pour un dirigeant social à poursuivre une exploitation déficitaire, susceptible d'engager sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif, n'est subordonnée ni à la constatation d'un état de cessation des paiements ni à l'existence d'un intérêt personnel.

Le rapport du cabinet Exafi, à l'encontre duquel les dirigeants n'apportent pas d'éléments qui permettent de le contester, établit que les comptes annuels de la société Exafi ont été falsifiés depuis plusieurs exercices dans le but notamment de masquer les pertes dégagées et d'afficher un chiffre d'affaires en progression. Il a été démontré qu'avant 'l'effondrement' du résultat en 2017, lequel, établi sur la base des chiffres 'réels' après annulation des opérations non fondées, a affiché un déficit de 19 834 000 euros (page 6 du rapport), les résultats d'exploitation et résultats nets n'étaient en réalité non pas positifs, comme indiqué dans la comptabilité, mais largement négatifs ; les résultats nets, après avoir été corrigés du montant des surestimations de factures, étaient ainsi de - 1 343 000 euros au 31 décembre 2014,

-1 678 000 euros au 31 décembre 2015 et - 2 182 000 euros au 31 décembre 2016 (page 26 du rapport).

Cette poursuite de l'activité déficitaire pendant quatre exercices consécutifs a nécessairement contribué à l'insuffisance d'actif de la société, M. [W] ne démontrant nullement que la conciliation aurait démontré le caractère bénéficiaire de l'activité alors que la société Exafi a constaté que l'exploitation de la société a été déficitaire, M. [I] ayant lui même déclaré lors de son audition par les enquêteurs (pièce 34 de maître [D] [G]) que la société ITN 'a toujours eu des grands besoins de trésorerie', qu'elle 'n'a jamais eu de période sereine en terme de trésorerie' et qu'il pensait que 'ITN n'a peut-être jamais été vraiment profitable'.

Compte tenu de la persistance de ces déficits et des manoeuvres opérées pour présenter des comptes bénéficiaires, la poursuite de cette activité déficitaire constitue non pas une négligence mais une faute de gestion dont sont responsables les deux dirigeants de droit, lesquels durant cette période d'activité déficitaire ont continué de surcroît de percevoir leurs rémunérations qui ont varié entre 2014 et 2017 entre 193 257 euros et 257 257 euros, en dernier lieu, pour celle de M. [W] et entre 103 821 suros et 136 053 euros pour celle de M. [I].

Sur la sanction pécuniaire :

M. [W] qui sollicite à titre subsidiaire qu'il soit fait application du principe de proportionnalité au regard de la faute tant de M. [I] que de celle des banques et des professionnels du chiffre, a fait état, à l'occasion de ses développements sur l'absence de poursuite d'un intérêt personnel, de la pathologie grave dont il souffre depuis 1998 qui l'a empêché de souscrire un crédit immobilier et de se constituer un patrimoine immobilier ; il a également mentionné ses charges de famille, en particulier pour le financement de l'entretien de sa fille et des études qu'elle poursuit en Angleterre, alors que son épouse a un emploi à temps partiel, que lui-même est sans emploi et ne bénéficie pas encore de sa retraite.

M. [I] qui rappelle le caractère facultatif tant de la condamnation du dirigeant que de son caractère solidaire, total ou partiel, et le pouvoir d'appréciation dont dispose la juridiction lorsqu'elle arrête le montant de cette condamnation, soutient, qu'au regard des éléments qu'il a exposés sur la répartition des responsabilités entre lui et M. [W], aucune condamnation ne peut être prononcée à son encontre dès lors qu'il ne peut être tenu pour responsable des fautes de gestion commises avant sa désignation comme mandataire social et qui ont perduré à la demande expresse de M. [W] et alors même qu'il n'a jamais effectivement exercé les fonctions liées à son mandat ; il ajoute qu'une condamnation à 30 % de l'insuffisance d'actif paraît disproportionnée au regard de l'implication et du rôle actif de M. [W] dans les fautes de gestion et des directives qu'il n'a eu de cesse de lui adresser.

Il fait valoir qu'en tout état de cause aucune condamnation à l'insuffisance d'actif ne saurait être prononcée solidairement avec M. [W].

Maître [D] [G], après avoir rappelé le montant de insuffisance d'actif et les autres procédures en cours, fait valoir que la responsabilité liée en particulier aux financements frauduleux, est principalement et en premier lieu celle des dirigeants qui ne peuvent s'en exonérer, même si ces fautes n'auraient pas pu perdurer aussi longtemps sans la négligence des banquiers et professionnels du chiffre, observant que chacun des co-responsables rejette la faute sur les autres. Estimant que l'existence de plusieurs co-responsables ne doit pas préjudicier aux créanciers de la procédure collective et afin d'éviter que ces responsables ne profitent de la situation pour s'exonérer de leur propre responsabilité, il explique le partage de responsabilité auquel il a procédé, déjà précédemment évoqué.

La sanction doit être proportionnée à la gravité des fautes retenues. Les dirigeants peuvent être condamnés solidairement au titre d'un même fait et d'un même préjudice.

Comme déjà indiqué précédemment, il n'y a pas lieu de déterminer la part de l'insuffisance d'actif imputable à chacune des fautes reprochées à chacun des dirigeants.

M. [W] qui a 64 ans justifie des problèmes de santé qu'il a subis en particulier en 2018 juste avant l'ouverture de la procédure collective de la société ITN ; il évoque l'absence de tout patrimoine immobilier et avoir encore un de ses enfants à sa charge, ce qu'il avait déjà indiqué devant le tribunal correctionnel, en précisant régler un loyer mensuel de 2 650 euros. Il a justifié, par sa pièce 66, avoir constitué un dossier de mise à la retraite pour inaptitude médicale et a indiqué lors de l'audience pénale, comme mentionné dans le jugement correctionnel du 12 mai 2022, percevoir une pension de retraite de 4 050 euros par mois.

Sur sa situation personnelle, M. [I] qui est âgé de 48 ans, ne fournit aucune précision. Il ressort toutefois du jugement correctionnel du 12 mai 2022, dont il a relevé appel sur les dispositions civiles, M. [W] en ayant relevé appel pour le tout, que celui-ci qui est marié, a deux enfants à charge, qu'il est propriétaire de son logement avec son épouse qui travaille et que depuis le début de l'année 2021, il occupe, dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, un emploi de directeur administratif et financier dans une société de promotion immobilière pour un salaire mensuel d'environ 4 500 euros, payé sur 14 mois, auquel s'ajoute une prime annuelle sur résultats d'environ 10 000 euros ; il a également précisé à cette occasion que le couple disposait de placements financiers d'un montant compris entre 400 et 500 000 euros.

Au regard tant de l'implication de chacun dans les trois fautes de gestion graves qui ont été caractérisées que de la persistance durant plusieurs années des manquements fautifs, étant observé que si la responsabilité de M. [I] est moindre que celle de M. [W] au regard tant des fonctions exercées que de la durée de leurs mandats respectifs, celui-ci a néanmoins participé activement à ces agissements fautifs, il convient, confirmant le jugement, de condamner M. [W] à payer à maître [D] [G], ès qualités, la somme de 3 600 000 euros mais, infirmant le jugement, de condamner M. [I], solidairement avec M. [W], au paiement de la somme de 1 100 000 suros qui, en application

de l'article 1231-7 alinéa 2 du code civil, portera intérêt au taux légal à compter du présent arrêt ; la cour retient la solidarité de M. [I] dès lors qu'il a participé aux mêmes faits que M. [W] sur la période durant laquelle il a été directeur général délégué.

Il n'y a pas lieu d'ajouter au jugement s'agissant de la condamnation au paiement des intérêts, s'agissant de la condamnation confirmée de M. [W], dès lors que maître [D] [G] sollicite l'application des dispositions de l'article 1231-7 du code civil, relatif aux intérêts de droit à compter du jugement, lequel est également confirmé en ce qu'il en a ordonné la capitalisation des intérêts pour les condamnations prononcés.

Sur la sanction personnelle :

M. [W], qui sollicite aussi l'infirmation du jugement de ce chef, ne formule pas d'observation sur la sanction personnelle autre que celles déjà formulées pour la sanction pécuniaire, celui-ci rappelant l'absence d'intérêt personnel.

M. [I] qui conclut à l'infirmation du jugement en toutes ses dispositions ne formule pas d'observation particulière concernant la sanction personnelle.

Maître [D] [G] soutient, sur le fondement des articles L.653-4 4° et 5° et L.653-5 6°, qu'une mesure de faillite personnelle s'impose à l'égard de M. [W] et, au visa en outre de l'article L.653-8 du même code, que l'interdiction de gérer prononcée à l'égard de M. [I] est justifiée dès lors qu'il a été démontré que les dirigeants avaient abusivement poursuivi une activité déficitaire, dans un intérêt personnel caractérisé par le fait qu'ils ont continué de percevoir leur rémunération, que les faux financements obtenus constituent une augmentation frauduleuse du passif de la personne morale et qu'enfin la comptabilité de la société ITN a été falsifiée depuis, au moins, l'exercice clos au 31 décembre 2014.

Il sollicite la confirmation du jugement de ce chef.

Conformément à l'article L.653-4, 4° et 5°, du code de commerce, il peut être prononcé la faillite personnelle de tout dirigeant de droit d'une personne morale contre lequel il a été relevé le fait d'avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale et d'avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de celle-ci.

L'article L.653-5 6 °du même code sanctionne également de la faillite personnelle les personnes physiques, dirigeants de droit d'une personne morale, pour avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables.

L'article L.653-8 permet dans ces différents cas de prononcer, à la place de la faillite personnelle, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci.

Les éléments développés précédemment caractérisent amplement les trois manquements reprochés à l'encontre des deux dirigeants de droit, étant simplement précisé que les financements obtenus, par le biais de contrats de crédit-bail non causés, constituent une augmentation frauduleuse du passif de la personne morale.

La sanction personnelle, comme la sanction pécuniaire, doit être proportionnée à la gravité des fautes commises.

Au regard du nombre et de la gravité des manquements caractérisés, du rôle de chacun des appelants dans la société et de la durée durant laquelle ils ont eu un rôle de mandataire social, l'implication de M. [I] au sein de la société ITN, même s'il avait des compétences en matière comptable et financière, n'étant pas comparable à celle de M. [W], il convient de confirmer la sanction de faillite personnelle, d'une durée de quinze ans, prononcée à l'encontre de M. [W], qu'il convient d'écarter de la vie des affaires et celle d'interdiction de gérer, d'une durée de dix ans, appliquée à M. [I].

Il n'y a pas lieu d'ordonner l'exécution provisoire du présent arrêt dès lors qu'il n'est pas susceptible d'un recours suspensif.

PAR CES MOTIFS

Statuant par arrêt contradictoire

Déclare recevables l'appel principal de M. [M] [W] et les appels incidents de M. [R] [I] et maître [D] [G] ;

Déclare M. [R] [I] irrecevable en sa demande de sursis à statuer ;

Confirme le jugement du 21 octobre 2022, sauf sur la condamnation pécuniaire prononcée à l'encontre de M. [R] [I] et les modalités de paiement des dépens, et notamment en ce qu'il a :

- prononcé la faillite personnelle de M. [M] [W], né le [Date naissance 2] 1958 à [Localité 11], de nationalité française, demeurant [Adresse 5] pour une durée de quinze ans ;

- prononcé à l'égard de M. [R] [I], né le [Date naissance 1] 1975 à [Localité 12], de nationalité française, demeurant [Adresse 4] une interdiction de gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute personne morale, pour une durée de dix ans ;

Dit qu'en application des articles 768 et R.69-9° du code de procédure pénale, la présente décision sera transmise par le greffier de la cour d'appel au service du casier judiciaire après visa du ministère public ;

Dit qu'en application des articles L.128-1 et suivants et R.128-1 et suivants du code de commerce, cette sanction fera l'objet d'une inscription au Fichier national automatisé des interdits de gérer, tenu sous la responsabilité du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce auprès duquel la personne inscrite pourra exercer ses droits d'accès et de rectification prévus par les articles 15 et 16 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Condamne M. [R] [I], solidairement avec M. [M] [W], à payer à maître [D] [G], en qualité de liquidateur judiciaire de la société ITN, la somme de 1 100 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

Y ajoutant,

Déboute M. [R] [I] de sa fin de non-recevoir ;

Condamne in solidum M. [M] [W] et M. [R] [I] à payer à maître [D] [G], ès qualités, la somme de 15 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne in solidum M. [M] [W] et M. [R] [I] aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés par la Selarl Minault-Teriitehau, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Marie-Andrée BAUMANN, Conseiller faisant fonction de Président, et par Madame Sabine NOLIN, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Conseiller faisant fonction de Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 13e chambre
Numéro d'arrêt : 22/06627
Date de la décision : 11/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-07-11;22.06627 ?
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