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06/07/2023 | FRANCE | N°21/02855

France | France, Cour d'appel de Versailles, 15e chambre, 06 juillet 2023, 21/02855


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



15e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 06 JUILLET 2023



N° RG 21/02855 -

N° Portalis DBV3-V-B7F-UYIF



AFFAIRE :



[U] [R] épouse [L]



C/



S.A.R.L. GROUPEMENT HOVAKIMIAN









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 03 Septembre 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BOULOGNE - BILLANCOURT

N° Sectio

n : AD

N° RG : F18/00415



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Julie MERGUY de la SELARL LFMA



Me Isabelle VAREILLE







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE SIX JUILLET DEUX M...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

15e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 06 JUILLET 2023

N° RG 21/02855 -

N° Portalis DBV3-V-B7F-UYIF

AFFAIRE :

[U] [R] épouse [L]

C/

S.A.R.L. GROUPEMENT HOVAKIMIAN

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 03 Septembre 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BOULOGNE - BILLANCOURT

N° Section : AD

N° RG : F18/00415

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Julie MERGUY de la SELARL LFMA

Me Isabelle VAREILLE

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SIX JUILLET DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame [U] [R] épouse [L]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Julie MERGUY de la SELARL LFMA, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2451

APPELANTE

****************

S.A.R.L. GROUPEMENT HOVAKIMIAN

N° SIRET : 809 428 121

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentant : Me Isabelle VAREILLE, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B0977

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 24 Mai 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Régine CAPRA, Présidente,

Monsieur Thierry CABALE, Président,

Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,

Greffier : Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI,

Par contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel du 25 août 2015, Mme [U] [R] a été engagée par la société Groupement Hovakimian en qualité d'interprète en langue tchétchène et russe.

Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective nationale du personnel des prestataires de services dans le domaine du secteur tertiaire. La société compte environ 40 salariés et est attributaire d'un marché public d'interprétariat, la liant à l'office français de protection des réfugiés et des apatrides et à la cour nationale du droit d'asile.

Mme [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt par requête enregistrée le 14 mars 2018 en sa formation des référés aux fins d'obtenir la communication forcée des contrats de travail, des avenants au contrat de travail et des bulletins de paie du personnel appartenant à la catégorie Interprète entre 2013 et 2018.

Par ordonnance du 4 mai 2018, le conseil de prud'hommes a jugé n'y avoir lieu à référé.

Par requête reçue au greffe le 30 mars 2018, Mme [R] a saisi au fond le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt de la même demande.

Le 6 juillet 2019, Mme [R] et deux autres interprètes ont adressé à la société Groupement Hovakimian un préavis de grève aux fins que soient mises en place les élections du CSE et que leurs salaires soient réévalués conformément au coefficient approprié selon la convention collective applicable.

Par courrier recommandé du 29 juillet 2019, la société Groupement Hovakimian a notifié à Mme [R] un avertissement pour avoir quitté le 11 juin une audience avant la 'n de l'examen du dossier pour lequel elle interprétait, avertissement que Mme [R] a contesté par courrier du 29 août 2019.

Par courrier du 5 novembre 2019, Mme [R] a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur, lui reprochant son inertie concernant la demande de modification de son coefficient et une inégalité de traitement qu'elle a estimé avoir subi vis-à-vis de ses collègues interprètes en langues dites rares.

Au dernier état de sa demande, Mme [R] a sollicité du conseil de prud'hommes que sa prise d'acte produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre le versement de diverses sommes.

Par jugement du 3 septembre 2021, auquel renvoie la cour pour l'exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt a :

- Dit que la prise d'acte de Mme [U] [R] s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- Condamné la société Groupement Hovakimian à verser à Mme [U] [R] les sommes de :

*20.560 euros à titre de rappel de salaire relatif au coefficient 330,

*2.056 euros au titre des congés payés y afférents,

*3.162,70 euros à titre d'indemnité de préavis,

*316. euros au titre des congés payés y afférents,

*1.581,35 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

*4.744,05 euros (Quatre mille sept cent quarante-quatre euros et cinq centimes) à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- Ordonné l'exécution provisoire ;

- Condamné la société Groupement Hovakimian à verser à Mme [U] [R] la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Débouté les parties de toutes leurs autres demandes ;

- Condamné la société Groupement Hovakimian aux dépens.

Par déclaration au greffe du 30 septembre 2021, Mme [R] a interjeté appel de cette décision.

Par déclaration au greffe du 1er octobre 2021, la SARL Groupement Hovakimian a interjeté appel de cette décision.

Par une ordonnance de jonction du 5 septembre 2022, le magistrat chargé de la mise en état a joint les deux affaires.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 18 avril 2023, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens, Mme [U] [R] demande à la cour de :

- Infirmer le jugement du 3 septembre 2021 de Boulogne en ce qu'il a :

- Débouté Mme [U] [R] de sa demande de rappel de salaire au titre de la prime de langue rare et lui allouer les sommes de 23 688euros et 2368 euros à titre de congés payes afférents ;

- Débouté Mme [U] [R] de sa demande de requalification de son contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein et débouté Mme [U] [R] de sa demande de rappel de salaire, à titre principal de 64 375euros et 6437euros pour congés payes afférents et, à titre subsidiaire, de 23 523 euros et 2352euros pour congés payes afférents ;

- Débouté Mme [U] [R] de sa demande de requalification de la prise d'acte de la rupture en licenciement nul et d'allocation de l'indemnité de 17 994euros à titre principal et 9792,54euros à titre subsidiaire ;

- Fixé l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse 4 744,05 euros.

Statuant à nouveau,

- Condamner la société Groupe Hovakimian à payer à Mme [R], à titre de rappel de salaire sur la période septembre 2015- juillet 2019 :

*A titre principal, la somme de 23 688euros, outre celle de 2 368euros a titre d'indemnité compensatrice de congés payes afférents

*A titre subsidiaire, la somme de 20 560euros, outre celle de 2056euros a titre d'indemnité compensatrice de congés payes afférents

- Condamner la société Groupe Hovakimian à payer à Mme [R], à titre de rappel de salaire sur la période septembre 2015- juillet 2019 et pour la différence entre le temps partiel et le temps plein, à titre principal, la somme de 643 75eurosoutre la somme 66437euros a titre de congés payes afférents ; à titre subsidiaire la somme de 23 523euros outre la somme 2352euros a titre de congés payes afférents

- Condamner la société Groupe Hovakimian à payer à Mme [R] la somme de 9 480 euros, a titre d'indemnité pour non-respect de la priorité d'emploi à temps plein

- Requalifier la prise d'acte de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse et en conséquence condamner la société Groupe Hovakimian à payer à Mme [R] la somme de':

*A titre principal, 14 998euros a titre de dommages et intérêts

*A titre subsidiaire, 8 l60,54euros a titre de dommages et intérêts

En tout état de cause,

- Condamner la société Groupe Hovakimian à payer à Mme [R], au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, les sommes de :

*A titre principal, 5 998,12 et 599euros de congés payes afférents

*A titre subsidiaire, 3 264,18euros et 326euros de congés payes afférents

- Condamner la société Groupe Hovakimian à payer à Mme [R], au titre de l'indemnité légale de licenciement, la somme de :

*A titre principal, 2999euros

*A titre subsidiaire 1632,09euros

- Condamner la société Groupe Hovakimian à payer à Mme [R] la somme de 2000euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 18 avril 2023, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens, la SARL Groupement Hovakimian demande à la cour de':

Sur l'appel de Mme [R] :

- Confirmer le jugement du 3 septembre de Boulogne en ce qu'il a débouté Mme [R] :'

*De sa demande de rappel de salaire au titre de la prime de langue rare de 23 688 euros et 2368 euros à titre de congés payés afférents ;

*De sa demande de requalification de son contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein et de sa demande de rappel de salaire à titre principal de 64 375 et 6 437 euros pour congés payés afférents et à titre subsidiaire de 23 523 euros et 2 352 euros à titre de congés payés afférents ;

*De sa demande relative au quantum de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Statuant à nouveau :

- La débouter de l'ensemble de ces demandes.

Sur l'appel relatif à la demande de dommages et intérêts pour non-respect de la priorité d'emploi à temps plein.

- Déclarer irrecevable les développements relatifs à cette demande, l'acte d'appel n'ayant pas mentionné ce chef de demande.

Sur l'appel de la société Groupe Hovakimian.

La société Groupe Hovakimian demande à la cour d'appel d'infirmer' partiellement' le' jugement rendu' par' le' Conseil' de' Prud'hommes' de' Boulogne-Billancourt' le' 3' septembre' 2021,' dans' ses' seules' dispositions' relatives' à' l'attribution' du coefficient 330 de la convention collective Prestataires de Service dans le Domaine Tertiaire et au rappel de salaire sur le fondement de ce coefficient , ainsi qu'à la requalification de la prise d'acte de la rupture par' Mme [R] en licenciement sans' cause réelle et sérieuse et l'octroi à la salariée d'indemnités sur ce fondement,

- et statuant à nouveau : Débouter Mme [R] de sa demande de voir appliquer à son poste de travail' le' coefficient' 330' statut' cadre' de' la' convention' collective' du' personnel' des prestataires de services dans le domaine du secteur tertiaire. (n°3301) ;'

- La' débouter de sa demande requalification' au coefficient' 330 de la Convention Collective ;

- Débouter' Mme' [R] de' sa' demande' de' rappel' de' salaire' sur' le fondement de l'application du coefficient 330.

- Débouter' Mme' [R] de' sa' demande' de' requalification' de' sa' prise d'acte' de' la' rupture' de' son' contrat' de' travail' en' licenciement' sans' cause' réelle' et sérieuse.

- Débouter Mme [R] de ses demandes'

*D'indemnité de préavis outre les congés payés afférents,'

*D'indemnité de licenciement

*D'indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse'

- Infirmer la décision du conseil de prud'hommes en ce qu'il a accordé à Mme [R] une indemnité au titre de l'article 700 du CPC, d'un montant de 1 000 euros.

- La condamner à payer à la société Groupement Hovakimian une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- La condamner à payer à la société Groupement Hovakimian la somme de de 32 420,01 euros versée au titre de l'exécution provisoire, au titre de la restitution des sommes versées dans la cadre de l'exécution provisoire attachée au jugement rendu par le' conseil' de' prud'hommes' de' Boulogne' Billancourt,' outre' les' intérêts' de' droit' à compter du 5 décembre 2021,

- De condamner Mme [R] aux entiers dépens.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 17 mai 2023.

SUR CE,

Sur l'exécution du contrat de travail :

Sur l'inégalité de traitement

Il résulte du principe 'à travail égal, salaire égal', dont s'inspirent les articles L.1242-14, L.1242-15, L.2261-22.9 , L.2271-1.8° et L.3221-2 du code du travail, que tout employeur est tenu d'assurer, pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, l'égalité de rémunération entre tous ses salariés placés dans une situation identique et effectuant un même travail ou un travail de valeur égale.

Sont considérés comme ayant une valeur égale par l'article L.3221-4 du code du travail les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l'expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse.

En application de l'article 1353 du code civil, s'il appartient au salarié qui invoque une atteinte au principe 'à travail égal, salaire égal' de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération, il incombe à l'employeur de rapporter la preuve d'éléments objectifs, pertinents et matériellement vérifiables justifiant cette différence.

La nécessité de pourvoir de toute urgence un poste peut justifier une inégalité de traitement, de même que la pénurie de candidats. Il appartient à l'employeur qui invoque une pénurie de main d''uvre pour justifier une inégalité de traitement de justifier les difficultés de recrutement par des éléments circonstanciés.

En l'espèce, Mme [R] produit, au soutien de l'inégalité de traitement qu'elle invoque vis-à-vis d'autres collègues interprètes, deux fiches de paie de M. [K] [D] [H], interprète salarié au service de l'entreprise et intervenant devant la CNDA avec, comme elle, un temps partiel de 80 heures mensuelles et un coefficient 150, qui font apparaître une prime mensuelle dite « prime langue rare » d'un montant de 528 euros pour le mois de mai 2019 et de 504 euros pour le mois de juin 2019.

Elle présente ainsi des éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération.

La société intimée invoque des éléments objectifs justifiant la différence de rémunération entre les interprètes en langues [P] et [M] et les autres interprètes, en raison du fait qu'il n'existe sur le territoire français que peu de locuteurs en ces langues, et encore moins de locuteurs desdites langues parlant également le français et produit notamment en ce sens :

- les rapports d'activité de l'OFPRA 2015, 2016, 2018, lesquels permettent de savoir que l'Afghanistan, et partant la demande d'interprètes en langues pachto et dari, antérieurement au 31ème rang des pays de provenance des demandeurs d'asile, s'est hissé au 10ème rang en 2015, au 2ème rang en 2016 et au premier rang en 2018 avec 10 370 demandeurs d'asile, révèlent ainsi une progression fulgurante,

- un courriel qu'elle a adressé à l'OFPRA le 29 février 2016 pour lui indiquer qu 'elle n 'avait pas trouvé d'interprète en pachto pour intervenir à [Localité 5], établissant que contactée à cet effet elle avait vainement recherché un interprète dans la langue concernée'; des arrêts de cour d'appel font aussi apparaître que des interprètes en pachto étaient contactés dans des ressorts éloignés,

- un courriel du service des tutelles du tribunal de Créteil, sollicitant de sa part un interprète en cette langue en urgence, précisant être en recherche d'interprète en langue pachto depuis plusieurs mois.

D'autres rapports également produits en cause d'appel font ressortir la rareté et difficulté de recrutement d'interprètes en langue pachto et dari.

La société intimée relève par ailleurs que la demande d'asile tchétchène est loin d'être aussi massive que la demande afghane et que la plupart des tchétchènes parlent russe, tandis qu'il n'est pas établi d'inadéquation entre l'offre et la demande d'interprétariat en langue tchétchène, ni par suite qu'elle se trouvait dans une situation similaire de ce point de vue à celle de ses collègues afghans.

Les éléments précédents conduisent à retenir que la société Groupement Hovakimian justifie d'éléments objectifs, pertinents et matériellement vérifiables justifiant la différence de traitement pratiqué et par suite le rejet de la demande de rappel de salaire.

Le jugement est confirmé sur ce point.

Sur le coefficient

Mme [R] estime que sa classification est en contradiction avec les critères et dispositions de la convention collective ; elle revendique un salaire moyen, au regard de la classification qu'elle invoque (cadre niveau VII avec un coefficient 330), de 2 999,06 euros à titre principal et pour un temps plein, ou de 1632,09 euros à titre subsidiaire et pour un temps partiel et sollicite à titre de rappel de salaire sur la période septembre 2015 à juillet 2019, à titre principal, la somme de 23688euros et à titre subsidiaire, la somme de 20 560 euros, outre les congés payés afférents.

La société Groupement Hovakimian, qui s'oppose à ces demandes, fait valoir en réplique que la notion de points et de coefficient ne doit pas être confondue, que l'évaluation des critères du poste telle qu'elle a été inscrite dans le contrat de travail de Mme [R] correspond à l'effectivité de son poste de travail, qu'ainsi son coefficient est bien le coefficient mentionné dans ses bulletins de salaire et qu'il ne lui est dû aucun rappel de salaire, que l'on se situe au coefficient mentionné dans le contrat de travail, ou à ceux découlant du nombre de points retenus par le jugement, puisqu'en tout état de cause le salaire de Mme [R] était en réalité supérieur aux minimas conventionnels pour le coefficient 260.

Le contrat de travail liant les parties stipule expressément en son article 4 que Mme [R] est engagée «en qualité d'interprète avec la qualification professionnelle employé au coefficient hiérarchique 150, Niveau 2 ».

La convention collective du personnel des prestataires de services dans le domaine du secteur tertiaire prévoit que la classification des emplois s'établit à l'aide d'un système multicritère d'évaluation des postes, applicable aussi bien dans les PME que dans les grandes entreprises.

Ce système permet de coter chaque poste ou groupe de postes (« emploi repère ») en fonction de son contenu réel, ce qui pourra, le cas échéant, conduire à l'affectation d'un coefficient différent pour des postes ayant le même libellé mais un contenu différent, selon la filière ou l'entreprise concernée.

La méthode de classification utilisée est la suivante :

Pour chaque poste, le niveau de classification et le coefficient correspondant sont déterminés par référence à cinq critères, dits « critères de classification:

Les critères utilisés pour l'affectation des coefficients hiérarchiques doivent être examinés par rapport aux postes et non en fonction des personnes; ces critères sont:

- connaissances requises (7 degrés possibles) ;

- technicité, complexité, polyvalence (10 degrés possibles) ;

- autonomie, initiative (9 degrés possibles) ;

- gestion d'une équipe et conseils (9 degrés possibles) ;

- communication contacts, échanges (7 degrés possibles).

L'application de ces critères conduit à l'attribution d'un certain nombre de points pour chaque poste ;

Lors de la mise en place de la classification, le total des points établis pour chaque poste selon les 5 critères de classification permettra par simple lecture d'un tableau de correspondance d'attribuer un coefficient au poste ;

Ces coefficients sont regroupés en plusieurs niveaux, qui correspondent dans leurs grandes lignes à une grille de classification élémentaire, avec une description générale pour chaque groupe de postes.

Au delà de l'intitulé donné à son poste 'interprète' dans son contrat de travail, il appartient à Mme [R] de démontrer que les fonctions qu'elle exerçait effectivement correspondaient, au vu des critères susvisés, non pas au statut d'employé coefficient 150 niveau 2 mentionnée à son contrat de travail mais à un statut de cadre niveau 7 coefficient 330 tel qu'il figure dans la grille de classification des emplois repères pour la traduction à l'annexe VI de la convention collective.

Aux termes de la convention collective, le statut d'employé coefficient 150-160 niveau 2 implique l'exécution de travaux qualifiés nécessitant une connaissance du métier ou des principes de base de fonctionnement des outils et/ou des moyens de travail utilisés, qui demandent une compréhension générale des fonctions ;

En l'espèce, le contrat de travail de Mme [R] décrit les compétences attendues de la salariée et le poste occupé de la manière suivante :

" La tâche du ou de la salarié(e) consiste, chez les clients de l'Entreprise, à traduire oralement, de façon consécutive, lors d'un entretien individuel ou lors d'une audience devant la Cour, les questions posées et les réponses données : par exemple, à l'OFPRA les questions posées par l'Officier de protection à un demandeur d'asile, ou à la Cour nationale du droit d'asile, celles posées par le Président et ses Assesseurs au demandeur d'asile, puis traduire sa réponse de ce dernier à ses interlocuteurs ; devant la cour nationale du droit d'asile, il convient également de traduire le sens des conclusions du rapporteur.

Il est précisé que le poste de travail ne comporte aucune prérogative d'encadrement, ni tâche de fixation d'objectifs, ni compétences de gestion ou de management.

Il induit des contacts répétés et prédéfinis avec des personnes extérieures telles qu'Officiers de protection, Juges de la Cour nationale du droit d'asile, requérants, etc.

(...)

Le (la) salarié(e) dépend directement du chef d'entreprise.

(...)

Le poste du ou de la salarié(e) (...)ne détient aucune tâche d'encadrement d'autres salariés. (...) " ;

- s'agisssant du critère des connaissances requises : "Le poste du ou de la salarié(e) correspond au 4° degré de niveau de connaissances c'est-à-dire selon la convention collective une connaissance professionnelle supérieure", parmi 7 degrés prévus par la convention collective, étant observé que s'il était attendu une prestation d'interprétariat de qualité, il n'est pas démontré que le poste de travail requérait les diplômes prévus au degré n°5,

- s'agisssant du critère de la technicité-complexité-polyvalence : "Le poste du ou de la salarié(e)correspond au 4° degré du critère de technicité complexité polyvalence, c'est à dire « exécution de travaux exigeant, soit une bonne connaissance du métier de base, soit une connaissance des principes de base du fonctionnement d'une installation »", étant rappelé que le poste consistait "à traduire oralement, de façon consécutive, lors d'un entretien individuel ou lors d'une audience devant la Cour, les questions posées et les réponses données" et observé, quand bien même le professionalisme de Mme [R] était reconnu par ses interlocuteurs qui en attestent, qu'il n'est pas justifié de la nécessité d'une adaptation de 1 à 6 mois comme au degré n°6,

- s'agissant du critère responsabilité autonomie/initiative : "Le poste du ou de la salarié(e) correspond au 3° degré du critère d'autonomie initiative, puisqu'il consiste à suivre des directives, les opérations effectuées étant contrôlés à intervalles réguliers", alors que le 9ème degré revendiqué supposait quant à lui de définir des objectifs des budgets et orientations, ce dont il n'est pas non plus justifié,

- s'agisssant du critère gestion d'une équipe et conseils : "Le poste du ou de la salarié(e) correspond au 1° degré du critère de Gestion d'une équipe et conseils : en effet, il ne comporte aucun encadrement, aucune gestion d'équipe, ni assistance.", étant souligné qu'il n'est pas contesté que le poste occupé par Mme [R] ne comportait pas de fonctions d'encadrement, de gestion ou d'assistance d'autres salariés,

- s'agisssant du critère communication-contact-échanges : "Le poste du ou de la salarié(e) correspond au 2° degré de ce critère qui permet d'évaluer la mise en 'uvre, la recherche, la mise en forme et la circulation des informations dans l'exercice des fonctions du poste : en effet, le poste occupé nécessite des contacts répétés et prédéfinis limités à l'équipe et/ou avec des personnes de l'extérieur.", comme de manière consécutive et répétée avec les réfugiés, demandeurs d'asile, membres de l'OFPRA ou de la CNDA ;

Mme [R] réalisait au sein de la société Groupement Hovakimian des missions d'interprétariat en langue tchétchène pour l'OFPRA et la CNDA ;

La salariée ne démontre pas que la cotation des critères de son poste telle que réalisée par la société Groupement Hovakimian aux termes du contrat de travail ne correspond pas aux fonctions qu'elle a exercées et le total de points attribués par l'employeur, soit 175 points, se situait dans la fourchette des 155 à 180 points équivalents au niveau 2 qui regroupe les coefficients 150 et 160 tel que prévu par la convention collective ;

Mme [R] est en conséquence déboutée de sa demande tendant à se voir appliquer le coefficient 330 de la convention collective.

Les demande de rappels de salaire et congés payés afférents sont par suite également rejetés.

Le jugement est infirmé de ces chefs.

Sur la requalification en temps plein

Mme [R] fait valoir qu'occupée à temps partiel, ses horaires n'ont régulièrement pas été respectés, l'obligeant ainsi à se tenir en permanence à la disposition de l' employeur.

Elle ajoute que le délai de prévenance n'a pas toujours été respecté et qu'elle n'avait d'autre choix que d'accepter les plannings que son employeur lui soumettait.

Le contrat de travail prévoyait en son article 9 précisément une durée de travail de 80 heures mensuelles, selon les horaires hebdomadaires suivants, fixés à l'article 10 du contrat :

- mardi 9H00-13H00 et 14H00-18H00,

- jeudi 9H00 à 13H00,

- vendredi 9H00-13H00 et 14H -18H00.

L'article 11 du contrat de travail prévoyait toutefois la possibilité de modifier la répartition des horaires sur toutes les plages horaires, avec, conformément à l'article 23 de la convention collective, un délai de prévenance de trois jours au moins.

Mme [R] produit des décomptes faisant ressortir la réalisation de nombreuses vacations en dehors des horaires susvisés sur la période de septembre 2015 à juin 2017 et un décompte sur la période d'août 2015 à décembre 2017, faisant ressortir la fréquence et l'importance de ces modifications.

Toutefois, les premiers juges ont constaté qu'ont été versés aux débats 25 courriels d'accord de Mme [R] sur les plannings mensuels proposés par son employeur des mois de septembre 2015 à avril 2017 et 11 courriels de demandes de modification, envoyés à son employeur à la fin du mois précédent au début du mois, montrant bien que le délai de prévenance - qui était de 3 jours - était respecté, conformément aux dispositions prévues par son contrat de travail et par la convention collective applicable.

En outre, le fait qu'utiliser le cas échéant la possibilité de refuser les vacations ainsi proposées par l'employeur aurait alors eu une incidence sur le montant de son salaire variable ne suffit pas à établir une contrainte exercée par ce dernier. Au demeurant, lorsqu'elle refusait des vacations hors des jours prévus par son contrat, son employeur modifiait habituellement les premières propositions, afin qu'elle puisse accepter les modifications. De plus, la société Groupement Hovakimian a respecté son souhait de ne plus voir de modifications des jours de travail contractuellement prévus lorsqu'elle a adressé le 19 mai 2017 un mail à son employeur dans les termes suivants : «Je tiens à vous informer de mon indisponibilité pour les jours non prévus par le contrat qui nous lie, c'est-à-dire lundi mercredi et jeudi après-midi à partir du mois de juin 2017. Je me suis trouvé une autre occupation stable que je pense remplir ces jours-là. Je compte sur votre compréhension.», ce qui ressort des plannings versés aux débats.

Le jugement est en conséquence confirmé en qu'il a retenu que Mme [R] ne justifie pas s'être trouvée sur la période litigieuse à la disposition permanente de son employeur et qu'il n'y a pas lieu de requalifier son contrat de travail à temps partiel en contrat à temps plein ni par suite d'allouer un rappel de salaire à ce titre.

Sur la priorité d'emploi à temps plein

L'article L 3123-3 du code du travail dispose que : « Les salariés à temps partiel qui souhaitent occuper ou reprendre un emploi d'une durée au moins égale à celle mentionnée au premier alinéa de l'article L. 3123-7 ou un emploi à temps complet et les salariés à temps complet qui souhaitent occuper ou reprendre un emploi à temps partiel dans le même établissement ou, à défaut, dans la même entreprise ont priorité pour l'attribution d'un emploi ressortissant à leur catégorie professionnelle ou d'un emploi équivalent ou, si une convention ou un accord de branche étendu le prévoit, d'un emploi présentant des caractéristiques différentes. L'employeur porte à la connaissance de ces salariés la liste des emplois disponibles correspondants. »

La convention collective applicable prévoit les modalités de formulation de sa demande par le salarié, dans son article 21 : « 21.2. Demande du salarié 21.2.1. Tout salarié engagé sous contrat de travail à durée indéterminée ayant plus de 6 mois d'ancienneté dans l'entreprise peut demander :

- s'il est à temps plein, un emploi à temps partiel ;

- s'il est à temps partiel, un emploi à temps plein,

Pour une durée indéterminée ou pour une durée limitée selon des modalités déterminées par accord avec l'employeur.

21.2.2. Le salarié devra formuler sa demande par lettre recommandée avec accusé de réception ou remise en main propre contre décharge auprès de l'employeur 6 semaines au moins avant la date à laquelle il souhaite voir entrer en vigueur son nouvel horaire. Il devra préciser l'horaire souhaité ainsi que ses modalités de répartition. L'employeur devra, au plus tard dans les 15 jours suivant la première présentation de cette demande, répondre au salarié par lettre recommandée avec accusé de réception ou remise contre décharge. (...)».

Mme [R] fait valoir qu'elle n'a pas été alertée par la société avant l'embauche d'un nouveau salarié, au poste d'interprète en langue tchétchène, alors même qu'elle profitait contractuellement d'une priorité pour l'attribution d'un emploi à temps plein.

Elle produit le contrat de travail le 27 décembre 2017 signé entre la société Groupe Hovakimian et M. [T], pour 40 heures de travail par mois.

La société Groupement Hovakimian soulève tout d'abord l'irrecevabilité de la demande de dommages et intérêts pour non-respect de la priorité d'emploi à temps plein.

Comme elle le relève, l'acte d'appel était limité à d'autres chefs de jugement, sans mentionner

ce chef de demande en particulier, de sorte que le jugement est définitif sur ce point.

En tout état de cause, alors que l'article 15 du contrat de travail était rédigé en phase avec les dispositions légales, il n'est pas justifié que Mme [R] ait formulé de demande à ce titre auprès de son employeur qui, faute d'avoir été informé, n'avait pas l'obligation de porter à sa connaissance la liste des emplois disponibles.

La demande de dommages et intérêts formée à ce titre ne peut donc prospérer. Le jugement est confirmé sur ce point.

Sur la prise d'acte

Il résulte des motifs précédents qu'il n'est pas justifié de manquement grave de l'employeur empêchant la poursuite du contrat de travail ni par suite qu'il y ait lieu de retenir que cette rupture produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement est donc infirmé en ce qu'il a dit que la prise d'acte de Mme [R] s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné la société Groupement Hovakimian à lui verser les sommes de 3.162,70 euros à titre d'indemnité de préavis, 316 euros au titre des congés payés y afférents, 1.581,35 euros à titre d'indemnité légale de licenciement et 4.744,05 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur la demande reconventionnelle

La société Groupement Hovakimian demande de condamner Mme [R] à lui payer la somme de 32 420,01 euros versée au titre de l'exécution provisoire, au titre de la restitution des sommes versées dans la cadre de l'exécution provisoire attachée au jugement, outre les intérêts de droit.

Toutefois, le présent arrêt, infirmatif en ce qui concerne les chefs de demandes correspondantes, constitue le titre ouvrant droit à la restitution des sommes versées en exécution du jugement et les sommes devant être restituées portent intérêt au taux légal à compter de la notification, valant mise en demeure, de la décision ouvrant droit à restitution ; il s'ensuit qu'il n' y a pas lieu de statuer sur cette demande.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Compte tenu de la solution du litige, la décision entreprise sera infirmée de ces deux chefs et par application de l'article 696 du code de procédure civile, les dépens de première instance et d'appel seront mis à la charge de Mme [R].

Il convient, au regard des circonstances de l'espèce, de laisser à la charge de chacune des parties les frais par elles exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

statuant publiquement et contradictoirement,

Infirme le jugement entrepris en ses dispositions relatives au rappel de salaire relatif au coefficient 330 et congés payés y afférents, à la requalification de la prise d'acte de la rupture par Mme [R] en licenciement sans'cause réelle et sérieuse et à l'octroi d'indemnités sur ce fondement, à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,

Statuant de nouveau des dispositions infirmées et y ajoutant,

Déboute Mme [R] de ses demandes de rappel de salaire relatif au coefficient 330 et de congés payés y afférents, de requalification de la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail en licenciement sans'cause réelle et sérieuse, d'indemnité de préavis et congés payés y afférents, d'indemnité légale de licenciement et d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi qu'au titre des frais irrépétibles exposés en première instance,

Condamne Mme [U] [R] aux dépens de première instance,

Confirme le jugement pour le surplus,

Condamne Mme [U] [R] aux dépens d'appel,

Laisse à la charge de chacune des parties les frais par elles exposés en cause d'appel et qui ne sont pas compris dans les dépens.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Régine CAPRA, Présidente et par Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 15e chambre
Numéro d'arrêt : 21/02855
Date de la décision : 06/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-07-06;21.02855 ?
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