COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
21e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 06 JUILLET 2023
N° RG 21/02274 - N° Portalis DBV3-V-B7F-UUKR
AFFAIRE :
[V] [B]
C/
S.A.R.L. LIFESIZE FRANCE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu
le 24 Juin 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT
N° Chambre :
N° Section : E
N° RG : 19/00652
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Michel REMBAULT
Me Carole MAUCCI
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE SIX JUILLET DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [V] [B]
né le 06 Février 1968 à [Localité 6]
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représenté par : Me Michel REMBAULT, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1319
APPELANT
****************
S.A.R.L. LIFESIZE FRANCE
N° SIRET : 813 716 453
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par : Me Carole MAUCCI, Plaidant/constitué, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 23 Mai 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Véronique PITE, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Thomas LE MONNYER, Président,,
Madame Véronique PITE, Conseiller,
Madame Odile CRIQ, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Isabelle FIORE,
FAITS ET PROCÉDURE
M. [V] [B] a été engagé par contrat à durée indéterminée, à compter du 22 novembre 2016, en qualité de Regional Account Manager France, statut cadre, par la société à responsabilité limitée Lifesize, qui a pour activité le développement de solutions haute définition dans le domaine de la vidéoconférence, dont la filiale française emploie moins de onze salariés et relève de la convention collective nationale du commerce de gros.
Convoqué le 21 novembre 2018 à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 30 novembre suivant, M. [B] a été licencié par lettre datée du 10 décembre 2018 énonçant une insuffisance professionnelle.
M. [B] a saisi, le 6 mai 2019, le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt aux fins d'entendre juger le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et de voir condamner la société au paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire, ce à quoi l'employeur s'opposait.
Par jugement rendu le 24 juin 2021, notifié le 7 juillet 2021, le conseil a statué comme suit :
Dit que le licenciement de M. [B] est un licenciement sans cause réelle ni sérieuse ;
Fixe le salaire de référence à 13.304,66 euros (')
Condamne la société Lifesize à verser à M. [B] :
14.000 euros (') à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse ;
1.000 euros (') au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Dit que les intérêts et leur capitalisation sont dus à compter du présent jugement ;
Déboute M. [B] du solde de ses demandes ;
Déboute la société Lifesize de sa demande reconventionnelle ;
Dit que la société Lifesize supportera les dépens.
Le 12 juillet 2021, M. [B] a relevé appel de cette décision par voie électronique.
Selon ses dernières conclusions remises au greffe le 4 janvier 2022, M. [B] demande à la cour de déclarer tant recevable que bien fondé son appel et de :
Débouter la société Lifesize de son appel incident et de toutes ses fins et demandes
Infirmer partiellement le jugement du conseil de prud'hommes
Dire sans cause réelle et sérieuse son licenciement
Condamner la société Lifesize à lui verser :
- 150.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 75.000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat travail
- 35.014,05 euros à titre de rappels d'heures supplémentaires
- 3.501,40 euros à titre de congés payés afférents
- 11.076,69 euros à titre de contrepartie en repos
- 9.585,60 euros à titre de rappels d'heures de trajet
- 81.012 euros à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé
- 80.000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité
- 3.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Assortir la présente décision des intérêts au taux légal à compter de l'introduction de la demande
Dire que ces intérêts seront capitalisés sur le fondement de l'article 1343-2 du code civil
Condamner la société Lifesize à lui remettre dans les 8 jours du jugement à intervenir les bulletins de paie rectifiés de novembre 2016 à octobre 2018, sous astreinte de 50 euros par jour de retard
Condamner la société Lifesize aux entiers dépens
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 9 mai 2023, la société Lifesize demande à la cour de :
S'agissant du licenciement notifié le 10 décembre 2018 :
A titre principal :
Infirmer le jugement en ce qu'il a dit et jugé que le licenciement de M. [B] était dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
A titre subsidiaire :
Réduire le quantum des condamnations au montant de 6.667 euros ;
S'agissant de la convention de forfait annuel en jours :
A titre principal :
Confirmer le jugement rendu le 24 juin 2021 par le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt et, en conséquence, dire et juger que la convention de forfait annuel en jours est parfaitement licite et a été régulièrement appliquée par la société ;
A titre subsidiaire :
Dire et juger que les demandes de rappels d'heures supplémentaires, de congés payés et de contreparties en repos afférentes sont infondées et en débouter M. [B];
Condamner M. [B] à restituer à la société la somme de 6.311,46 euros au titre des jours de repos dont il a indûment bénéficié ;
S'agissant des demandes relatives au travail dissimulé, à l'exécution loyale du contrat de travail, aux heures de trajet et à l'obligation de sécurité de résultat :
Confirmer le jugement rendu le 24 juin 2021 par le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt et, en conséquence, dire et juger que les demandes M. [B] sont infondées et l'en débouter ;
En conséquence :
Débouter M. [B] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions présentes et à venir ;
Condamner M. [B] à verser à la société la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.
Par ordonnance rendue le 10 mai 2023, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 23 mai 2023.
MOTIFS
Sur la durée du travail
Sur la nullité de la convention de forfait en jours
M. [B] exprime relever d'une convention de forfait en jours aux termes de son contrat de travail, qui ne renvoie qu'à la convention collective faute d'autres accords, et considère que la convention collective du commerce de gros n'assurant pas la protection suffisante de sa santé compte tenu de son imprécision, la nullité de la convention de forfait est encourue. Il souligne au reste le dépassement du temps de travail prévu de 214 jours, qui ne fut jamais décompté ni contrôlé au cours d'aucun entretien spécifique en dépit des prévisions contraires.
La société Lifesize y oppose sa validité, en ce que le contrat est soumis à l'avenant du 30 juin 2016 à la :
convention collective dont les termes reprennent ceux de l'article L.3121-64 du code du travail, et en ce qu'il institue par ailleurs un entretien annuel et un dispositif d'alerte, dont le salarié ne fit pas usage. Elle soutient avoir organisé deux entretiens, et avoir dû le relancer en 2018 pour qu'il signe son formulaire.
L'article 5 du contrat de travail prévoit une convention de forfait de 214 jours ouvrés par année civile complète dont les modalités sont régies par la loi et les conventions applicables au sein de la société. Il stipule que si le salarié constate n'être pas en mesure de respecter ses repos quotidien de 11 heures, ou hebdomadaire de 35 heures, il peut avertir sans délai son employeur afin qu'une solution alternative soit trouvée. Il est précisé que l'employeur assure le suivi régulier de l'organisation et de sa charge de travail dans un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des jours travaillés ainsi que des jours de repos, que le salarié doit renseigner mensuellement, ce suivi pouvant donner lieu à des entretiens spécifiques en cas de difficulté inhabituelle, et le salarié tenant informé son supérieur hiérarchique des éléments accroissant de façon anormale ou inhabituelle sa charge de travail. Le paragraphe 5.3 précise que le salarié bénéficie chaque année d'au moins un entretien avec son supérieur hiérarchique au cours duquel sont évoquées l'organisation et sa charge de travail, l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle et familiale, sa rémunération et l'amplitude de ses jours d'activité.
Par ailleurs, l'article L.3121-60 du code du travail dispose que « l'employeur s'assure régulièrement que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail. »
Cela étant, pour justifier de son contrôle, la société Lifesize verse seulement aux débats le 2017 employee feedback summary et 2018 employee feedback summary, qui comme M. [B] l'observe, sont des entretiens ayant d'autres propos que celui afférent à la charge de travail, à l'équilibre de la vie professionnelle et personnelle, puisqu'ils portent sur l'appréciation du supérieur de son activité ou de son comportement et sur les aspects prévisionnels devant être approfondis ou améliorés.
Dès lors que l'employeur ne justifie pas avoir mis en 'uvre ni le décompte du temps travaillé ni le contrôle, par un entretien au moins annuel spécifique de la charge de travail, et qu'au contraire, il a laissé à l'employé le soin de l'aviser de difficultés, il n'a pas satisfait à l'obligation qu'il tient de la loi, notamment de l'article L.3121-60 précité, et du contrat.
En conséquence, il convient de dire la convention de forfait en jour sans effet, de sorte que M . [B], comme il le déduit, était placé, pour la durée du travail, sous le régime ordinaire disposant de 35 heures par semaine, le rendant admissible au paiement d'heures supplémentaires.
Sur les heures supplémentaires
M. [B] fait égard à la succombance de l'employeur dans la charge de la preuve de son temps de travail, effectué à sa vue sur ses outils.
La société Lifesize plaide l'imprécision des éléments adverses sans mention des horaires de travail.
A cet égard, l'article L.3171-4 du code du travail exprime qu'« en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable. »
Il résulte de ces dispositions qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Par ailleurs, même si les heures supplémentaires ne résultent pas de la demande expresse de l'employeur elles doivent être payées au salarié des lors qu'elles ont été imposées par la nature ou la quantité de travail demandé ou ont été effectuées avec l'accord implicite de l'employeur.
M. [B] produit son agenda, divers échanges électroniques souvent tardifs, parfois durant ses congés, ainsi qu'un tableau décomptant chaque semaine le nombre d'heures travaillées, alors que l'employeur, qui se borne à critiquer l'imprécision de son récapitulatif, faute d'indiquer ses heures de prise et fin de fonction par jour, ou ses correspondances qui témoigneraient, selon lui, de son autonomie mais non de l'amplitude de son activité, ne communique aucun élément probant de nature à établir les horaires effectivement accomplis par l'intéressé quand il lui appartient d'assurer le contrôle des heures de travail effectuées en produisant ses propres éléments sur les horaires effectivement accomplis par le salarié.
Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences légales et réglementaires. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.
Au vu des éléments soumis aux débats par l'une et l'autre partie, il convient d'allouer à M. [B] les sommes de 16.330 euros bruts en rappel de paiement de ses heures supplémentaires effectuées en 2017 et de 13.000 euros bruts en 2018, augmentés des congés payés afférents, au paiement desquels la société Lifesize sera condamnée. Le jugement sera réformé de ce chef.
Sur la restitution des jours pris au titre de la réduction du temps de travail
La société Lifesize plaide l'indu de 25,40 jours alloués au titre de la convention privée d'effet et réclame le remboursement de 6.311,46 euros, ce à quoi M. [B] lui oppose en avoir tenu compte dans son calcul, cantonné au temps dépassant 39 heures hebdomadaires.
Cela étant, le calcul étant nécessairement fait sur la base d'une semaine de 35 heures en application de l'article L.3121-27 du code du travail, il s'induit de la privation d'effet des jours de réduction du temps de travail que le salarié en doit la restitution à l'employeur, peu important qu'il décompte comme supplémentaire durant ses jours ou semaines de repos chaque heure travaillée.
Il sera condamné à cette restitution, dont le montant n'est pas disputé, et il sera ajouté au jugement, à cet égard.
Sur la contrepartie en repos
M. [B] se prévaut des dispositions de l'article L.3121-33 du code du travail.
L'article L.3121-38 du code du travail, auquel en réalité il se réfère, dit qu'« à défaut d'accord, la contrepartie obligatoire sous forme de repos mentionnée à l'article L.3121-30 est fixée à 50 % des heures supplémentaires accomplies au-delà du contingent annuel mentionné au même article L. 3121-30 pour les entreprises de vingt salariés au plus, et à 100 % de ces mêmes heures pour les entreprises de plus de vingt salariés. »
A défaut d'aucune précision, il sera tenu compte du contingent supplétif de 220 heures fixé par l'article D.3121-24 du code du travail.
Il sera ainsi considéré que M. [B], qui n'a pu bénéficier du repos compensateur, a droit à l'équivalent monétaire, soit 5.254 euros pour 2017 et 2.698 euros pour l'année 2018. Le jugement sera infirmé dans son expression contraire, et la société Lifesize condamnée à ce paiement.
Sur le travail dissimulé
M. [B] fait valoir les heures supplémentaires manquantes sur ses bulletins de paie.
Selon l'article L.8223-1 du code du travail, en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l'article L.8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L.8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à 6 mois de salaire.
L'article L.8221-5 dispose notamment qu'est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.
Cela étant, le salarié n'invoque ni un défaut de déclaration d'embauche, ni une soustraction aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale.
Il ne résulte pas des éléments en la cause, dérivant de l'inopposabilité de la convention de forfait en jours une quelconque intention de l'employeur de ne pas avoir indiqué sur les bulletins de paie l'intégralité des heures de travail effectuées.
Les conditions de l'article L.8221-5 du code du travail n'étant pas réunies, la demande doit être rejetée et le jugement confirmé de ce chef.
Sur les heures de trajet
M. [B] se prévaut de l'inopposabilité de la convention de forfait en jours pour réclamer paiement des temps excédant le trajet du domicile au travail au visa de l'article L.3121-4 du code du travail, en faisant notamment valoir le temps de trajet entre son domicile et le siège de ses clients.
La société Lifesize querelle la notion de lieu habituel de travail, s'agissant d'un commercial sur la France entière, et observe qu'en plus, l'intéressé vivait dans le Vaucluse, alors qu'elle est établie dans les Hauts de Seine.
L'article L.3121-4 du code du travail énonce que « le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d'exécution du contrat de travail n'est pas un temps de travail effectif.
Toutefois, s'il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il fait l'objet d'une contrepartie soit sous forme de repos, soit sous forme financière. La part de ce temps de déplacement professionnel coïncidant avec l'horaire de travail n'entraîne aucune perte de salaire. »
Le contrat de travail précise en son article 13 que le lieu de travail de l'intéressé est fixé à [Localité 4], en région parisienne.
Le domicile de M. [B], à [Localité 5] dans le Vaucluse, étant distant, en toute hypothèse, de l'étendue du pays, du siège de l'employeur sis à [Localité 4], le salarié, dont l'activité était concentrée sur le territoire français et qui ne précise pas la régularité de sa présence au siège sans se prévaloir d'un travail itinérant, ne peut pas prétendre à une contrepartie.
En tout état de cause, le temps de trajet des salariés itinérants sauf sollicitations de l'employeur pendant ses déplacements, ici non évoqués, n'a pas à être rémunéré comme du temps de travail. Le jugement sera confirmé par substitution de motifs.
Sur le respect de l'obligation de sécurité
M. [B] rappelle l'obligation de sécurité de l'employeur dont il lui incombe de rapporter la preuve d'y avoir satisfait et qui n'est pas subordonnée à son alerte, en faisant valoir la dégradation massive de son état de santé due à une surcharge de travail, jamais contrôlée, à faute.
La société Lifesize relève n'avoir jamais été avisée d'une difficulté, outre le caractère non professionnel de la maladie ayant empêché l'intéressé à la fin de l'année 2018.
Selon l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent : 1° des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ; 2° des actions d'information et de formation ; 3° la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.
Ces mesures sont mises en 'uvre selon les principes définis aux articles L. 4121-2 et suivants du même code.
Ici, M. [B] n'établissant pas avoir avisé l'employeur d'aucun trouble alors qu'il disposait d'une grande autonomie dans son travail, est mal fondé dans ses prétentions du moment que l'amplitude de travail admise, certes non contrôlée, restait raisonnable dans le contexte d'un cadre commercial percevant une importante rémunération, qu'aucune apparence connue de l'employeur pouvait manifester une dégradation de ses conditions de travail et que, comme le relève la société Lifesize, son obligation est de moyens. Au surplus, M. [B] ne justifie pas de la cause professionnelle de ses arrêts maladie du 27 octobre au 11 novembre puis dès le 22 novembre 2018, continument. Le jugement sera confirmé à cet égard.
Sur les bulletins de paie rectificatifs
L'employeur sera enjoint à communiquer au salarié les bulletins de paie rectificatifs en conformité avec la présente décision, un pour chaque année, sans qu'une astreinte ne soit d'ores et déjà nécessaire.
Sur le licenciement
La lettre de licenciement est ainsi libellée :
« Vous avez rejoint Lifesize le 22 novembre 2016 en qualité de Regional Account Manager France.
Dans le cadre de vos fonctions, vous devez prospecter les clients potentiels de Lifesize et développer nos comptes actuels afin de contribuer à la croissance de l'activité France de Lifesize.
Or, depuis votre embauche, vos résultats individuels trimestriels ont été systématiquement inférieurs, d'une part à vos propres estimations (Forecasts), lesquelles sont toujours bien plus élevées que vos résultats effectifs, d'autre part à vos objectifs et aux performances des autres Account Manager.
En effet, nous attendons d'un Account Manager senior qu'il contribue à la croissance de l'activité de Lifesize à hauteur d'environ 500.000 USD par trimestre.
Or, depuis le second trimestre 2017, vos résultats commerciaux sont très largement inférieurs à ce montant (ex 166 000 USD au 3e trimestre 2018, 195 000 USD au 2 e trimestre 2018) et sont systématiquement les plus faibles, en comparaison avec les autres Account Managers de Lifesize.
Cette insuffisance de résultats procède de votre insuffisance professionnelle.
En effet, en dépit de nos entretiens, au cours desquels nous vous avons alerté sur vos faibles résultats commerciaux et invité à améliorer votre contribution, vous n'avez pas fourni les efforts nécessaires en termes de prospection commerciale, de suivi des comptes etc. pour tenter d'améliorer vos résultats.
Vous n'avez pas non plus été en mesure de mettre en place les actions nécessaires pour tenter de remédier à la situation, alors que nous attendons, de la part d'un Account Manager senior tel que
vous qu'il adopte une attitude proactive, soit force de proposition et mette en place une stratégie commerciale visant à atteindre ses objectifs.
Compte tenu des fonctions que vous occupez, qui requièrent des capacités et efforts importants en matière de développement commercial et de prospection de clients, vos insuffisances ont des conséquences préjudiciables au fonctionnement de l'entreprise et rendent impossible la poursuite de votre contrat de travail.
Nous sommes dès lors contraints, par la présente, de vous notifier votre licenciement pour insuffisance professionnelle.
Cette mesure prendra effet à compter de l'envoi du présent courrier.
Votre contrat prendra fin à l'issue de votre préavis d'une durée de 3 mois lequel débutera la date de première présentation par les services postaux du présent courrier à votre domicile, et dont nous vous dispensons d'exécution.
['] »
En vertu de l'article L.1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par un motif réel et sérieux, et l'article L.1235-1 du même code impartit au juge d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs fondés sur des faits précis et matériellement vérifiables invoqués par l'employeur et imputables au salarié en formant sa conviction en regard des éléments produits par l'une et l'autre partie. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
Cela étant, l'insuffisance de résultat ne peut constituer en soi une cause réelle et sérieuse de licenciement et il convient de rechercher si elle est imputable au salarié, c'est-à-dire au cas d'objectifs fixés au salarié, s'ils étaient réalistes et dans l'affirmative si le fait de ne pas avoir atteint ces objectifs alors qu'il bénéficiait des moyens nécessaires à leur accomplissement, relève d'une faute ou d'une insuffisance professionnelle, laquelle se caractérise par une mauvaise qualité du travail due à une incompétence professionnelle ou une inadaptation à l'emploi, et qui constitue un motif réel et sérieux de licenciement si elle repose sur des éléments précis, objectifs et imputables au salarié.
Sur la cause
M. [B] dément avoir été soumis à des objectifs individuels que rendaient impossible la diversité des situations puisqu'il avait été embauché pour développer l'activité inexistante de la société dans la région Provence, Alpes, côte d'Azur (PACA) qui ne pourrait se comparer aux résultats d'autres régions d'implantation ancienne avec d'importants partenaires, et, relevant la carence probatoire de son contradicteur à cet égard, fait valoir à défaut l'inopposabilité de l'absence prétendue de résultats. Il note, en tout état de cause, que l'équipe commerciale France, à laquelle il était rattaché, dépassa le résultat convenu, en cohérence avec sa rémunération variable. Il observe s'être placé au 2ème rang de son équipe pour la recherche de prospects. Il dément par ailleurs toute alerte préalable et tout accompagnement, non démontrés.
La société Lifesize soutient les griefs énoncés dans la lettre de licenciement, disant que les commerciaux seniors devaient produire un chiffre d'affaires de 500.000 dollars américains par trimestre, et que celui de M. [B] était significativement bas durant 6 trimestres consécutifs en dépit de son accompagnement et de rappels à l'ordre. Elle signale que si les commissions dépendaient de résultats collectifs, des performances individuelles, non disputées, selon elle, dans leur contenu, étaient en parallèle demandées. Elle nie le cantonnement de l'activité du salarié à la région PACA, ou la permutabilité des comptes, et prétend avoir comptabilisé dans ses résultats tout ce qui pouvait l'être.
Il est vrai, comme le relève M. [B], qu'aucun objectif ne lui fut donné aux termes de ses entretiens d'évaluation, ni au reste dans son contrat ou ses annexes. Par ailleurs, il est constant que les sales incentive plans qui lui furent remis en janviers 2017 et 2018 contenaient l'objectif collectif de l'équipe commerciale en France, et réglaient prévisionnellement les commissions. De même, le mail du 3 mai 2018, sans auteur précisé, adresse aux commerciaux de l'entreprise, dont M. [B], le message suivant : « pour vous : notre quota pour FY [l'année fiscale] 2018,
Q1 2.223k, Q2 : 2.457k, Q3 : 2.379k, Q4 : 2.691k » etc., évoquant un objectif collectif que la société Lifesize concède.
Cela étant, le mail du 2 août 2018 de M. [Z], Country manager France, qui est le supérieur du salarié, adressé aux commerciaux dont l'appelant, énonce : « nous sommes globalement en ligne avec nos objectifs pour 2018. Vous trouverez ci-joint les objectifs ramenés par membre de l'équipe France même si nous avons des objectifs globaux sur l'année 2018. Cela permet de voir où l'on se situe par rapport à l'objectif attendu. » Le tableau produit, joint sans conteste à l'envoi, donne à l'intéressé un objectif de « 500 » chaque trimestre, pour les 3ème et 4ème trimestres, le total pour l'ensemble des salariés faisant 2.400 et 2.620.
Au moins à cette date, il doit être considéré que des objectifs lui étaient personnellement assignés, par trimestre.
Ensuite, le décompte du chiffre d'affaires de chaque commercial effectué par l'employeur montre que M. [B] se situait dès le 2ème trimestre 2017 au terme de sa période d'essai, jusqu'au 3ème trimestre 2018 distinctement sous ceux de ses collègues, en oscillant entre moins du tiers à, au mieux, la moitié de la moyenne contenant son résultat. Si le salarié conteste la valeur probante de ces chiffres, il échoue à en présenter d'autres, alors que contrairement à ce qu'il énonce, la charge de la preuve est partagée et n'incombe à l'employeur seul. Par ailleurs, à souligner le différé de résultats non comptés par report de signature de contrats finalisés, il ne justifie pas de leur caractère significatif.
En revanche, prise ensemble, l'équipe parvenait à une performance optimale.
Cela étant, si M. [B] prétend avoir été chargé spécifiquement de développer l'activité dans la région PACA et fait valoir l'hétérogénéité des portefeuilles commerciaux, il n'établit pas, même si le développement de cette région lui avait été concédé par mail du 19 janvier 2017 de son supérieur, que son activité s'y limite, puisqu'il devait s'occuper aussi de grands comptes spécifiques, [Localité 7], SCOR etc., de certains partenaires « gold » : NXO, CBI etc. et était chargé des relations avec Microsoft. Son affirmation d'une permutabilité des comptes est partiellement étayée, pour les sociétés CBI, encore que l'employeur précise sans être contredit qu'il s'agissait d'un revendeur non décompté dans les résultats, Ecocert, Waycom, IRD, mais sans que l'on sache leur impact dans le résultat ou le travail entrepris. De toute façon, il ressort des échanges entre les commerciaux et leur supérieur, et notamment du mail du
19 janvier 2017 que le principe était l'attribution de comptes spécifiques.
Dès lors, vu l'ensemble de ces éléments, ces objectifs doivent être considérés réalistes.
En revanche, si l'employeur fait valoir son accompagnement et son rappel à l'ordre, il ne justifie pas du premier par son mail du 19 septembre 2018 adressé à l'occasion d'un litige sur l'attribution d'un compte client, l'invitant à prendre sa place et à faire du business, et le second résultant de son mail du
11 septembre 2018 lui reprochant son initiative d'une remise non concertée sur une offre de prix, n'a pas de lien suffisant avec l'insuffisance reprochée. La société Lifesize justifie néanmoins de deux jours d'une formation palmer consulting au printemps 2017, et les mails versés aux débats par les deux parties laissent voir la fluidité et la continuité des échanges entre le salarié et son supérieur, et ainsi la tenue de points réguliers qu'invoque l'employeur. Il n'en résulte cependant aucune mise en garde, que ses entretiens annuels d'évaluation n'esquissaient pas non plus.
Par ailleurs, si la seule circonstance que l'objectif ait été collectif n'épuise pas la question de la performance de chacun dont celui-ci, et ne saurait pas être rédhibitoire au reproche de l'employeur d'un moindre résultat, alors que M. [B] avait été engagé en qualité de commercial pour développer sur le territoire français l'activité de la société américaine Lifesize, encore faut-il que son insuffisance professionnelle soit démontrée.
Dès lors que la société Lifesize se borne à reprocher à l'intéressé l'insuffisance de ses résultats individuels, qui ne saurait constituer à elle-seule une cause de licenciement, sans décliner ou justifier de ses griefs d'un manque d'initiative ou de mise en place d'une stratégie commerciale, qu'elle n'attira pas son attention, notamment lors de ses évaluations, sur cette insuffisance supposée, et qu'elle lui assigna clairement des objectifs singuliers qu'au c'ur de l'été 2018, à tiers-trimestre pour les deux suivants et par trimestre, dans le contexte d'une rémunération variable jusqu'alors collective en perspective de la mise en exergue de résultats rapportés à l'entière équipe, puis engagea la procédure de licenciement fin novembre, au cours du 4ème trimestre, il s'ensuit que le licenciement n'est pas suffisamment fondé sur une cause réelle et sérieuse, étant ajouté que l'employeur ne saurait sérieusement reprocher à l'intéressé sa défaillance à tenir ses propres prévisions. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a déclaré le licenciement injustifié.
Sur les conséquences
M. [B] considère que le barème institué par l'article L.1235-3 du code du travail ne permet pas la réparation adéquate de son dommage, et demande, en rappelant qu'il est contraire à la position du comité européen des droits sociaux, qu'il soit écarté.
Cela étant, comme le relève justement l'employeur, les dispositions de la charte sociale européenne selon lesquelles les Etats contractants ont entendu reconnaître des principes et des objectifs poursuivis par tous les moyens utiles, dont la mise en 'uvre nécessite qu'ils prennent des actes complémentaires d'application et dont ils ont réservé le contrôle au seul système spécifique visé par la partie IV ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.
De toute façon, ces dispositions sont de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la convention n°158 de l'OIT, au cas d'une méconnaissance de son article 4, disant que le travailleur ne devra pas être licencié sans motif valable.
Dès lors, l'invocation de la saisine du comité européen des droits sociaux ne peut pas conduire à écarter l'application des dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail, dans leur rédaction issue de l'ordonnance du 22 septembre 2017.
Il résulte de ces dispositions que M. [B] ayant une ancienneté de 2 années complètes et l'entreprise employant de manière habituelle moins de 11 salariés, a droit, comme le relève à raison le conseil de prud'hommes à une indemnisation minimale d'un demi mois de salaire brut et maximale de 2 mois de salaire brut. Vu les pièces versées aux débats sur sa situation professionnelle, il convient de considérer que les premiers juges ont justement apprécié son dommage, et le jugement sera confirmé en ce qu'il lui a alloué 14.000 euros.
Sur l'exécution déloyale du contrat de travail
Au visa des articles 1104 du code civil et L.1222-1 du code du travail, M. [B] déplore n'avoir pas eu les moyens de son activité, qui était nouvelle.
La société Lifesize objecte n'y avoir aucun moyen de fait au soutien de cette demande dont le dommage s'identifie à ceux dont la réparation est déjà réclamée.
L'article L.1222-1 du code du travail dit que « le contrat de travail est exécuté de bonne foi. »
Cela étant, M. [B] se bornant à quereller le transfert de ses comptes à d'autres, à l'occasion, et le défaut de son accompagnement, que démentent les nombreux échanges versés aux débats, alors que comme l'a justement relevé le conseil de prud'hommes, il n'attira jamais l'attention de l'employeur sur d'éventuelles difficultés nées de l'insuffisance de moyens, il n'établit pas les conditions de la responsabilité de l'employeur. Sa demande sera rejetée par confirmation du jugement.
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a rejeté les demandes de M. [B] en inopposabilité de sa convention de forfait en jours, en paiement de ses heures supplémentaires et d'une contrepartie en repos ;
Statuant sur les chefs infirmés ;
Dit la convention de forfait en jours inopposable à M. [B] ;
Condamne la société Lifesize à payer à M. [B] :
16.330 euros bruts en rappel de paiement de ses heures supplémentaires effectuées en 2017 et 1.633 euros bruts pour les congés payés afférents ;
13.000 euros bruts en rappel de paiement de ses heures supplémentaires effectuées en 2018 et 1.300 euros bruts pour les congés payés afférents ;
5.254 euros pour le repos compensateur non pris en 2017 ;
2.698 euros pour le repos compensateur non pris en 2018 ;
3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel;
Dit que les créances salariales sont productives d'intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation pour les créances échues à cette date
Condamne M. [B] à payer à la société Lifesize 6.311,46 euros en restitution des jours de réduction du temps de travail résultant de la convention de forfait en jours privée d'effet ;
Ordonne la remise des bulletins de paie annuels conformes à la présente décision dans le délai de deux mois à compter de la signification du présent arrêt ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
Condamne la société Lifesize aux dépens.
- Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- Signé par Monsieur Thomas Le-Monnyer Président et par Isabelle FIORE greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,