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06/07/2023 | FRANCE | N°21/02239

France | France, Cour d'appel de Versailles, 21e chambre, 06 juillet 2023, 21/02239


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80C



21e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 06 JUILLET 2023



N° RG 21/02239 -

N° Portalis DBV3-V-B7F-UUFG



AFFAIRE :



[X] [L]





C/



S.A.S.U. LABCATAL









Décision déférée à la cour : Jugement rendu

le 03 Juin 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT

N° Chambre :

N° Sect

ion : E

N° RG : 18/01315



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :







Me Johanna BISOR BENICHOU de la SELEURL LACROIX AVOCATS



Me Martine DUPUIS de

la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU ...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

21e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 06 JUILLET 2023

N° RG 21/02239 -

N° Portalis DBV3-V-B7F-UUFG

AFFAIRE :

[X] [L]

C/

S.A.S.U. LABCATAL

Décision déférée à la cour : Jugement rendu

le 03 Juin 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT

N° Chambre :

N° Section : E

N° RG : 18/01315

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Johanna BISOR BENICHOU de la SELEURL LACROIX AVOCATS

Me Martine DUPUIS de

la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT DEUX JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant initialement prévu le 22 juin 2023 prorogé au 6 juillet 2023 dans l'affaire entre :

Madame [X] [L]

née le 17 Juin 1954 à [Localité 6]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par : Me Johanna BISOR BENICHOU de la SELEURL LACROIX AVOCATS, avocat constitué au barreau de PARIS, vestiaire : A0504 substitué par Me Laurent CARETTO avocat au barreau de PARIS.

APPELANTE

****************

S.A.S.U. LABCATAL

N° SIRET : 542 021 233

[Adresse 7]

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentée par : Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES,, avocat constitué au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 -substitué par Me PENIN François-Xavier avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 16 Mai 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thomas LE MONNYER, Président,,

Madame Odile CRIQ, Conseiller,

Madame Véronique PITE, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Isabelle FIORE,

FAITS ET PROCÉDURE

Mme [L] a été engagée par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 20 octobre 2008, en qualité de responsable des affaires réglementaires / pharmacien responsable intérimaire (P.R.I.), par la société Labcatal, qui a une activité de fabrication de préparations pharmaceutiques, emploie plus de dix salariés, et relève de la convention collective des industries pharmaceutiques.

Par décision en date du 16 janvier 2014, le conseil d'administration de la société confiait à Mme [L] les fonctions de directeur général délégué en remplacement de Mme [I], démissionnaire, le conseil validant le principe du cumul de ce mandat social avec le contrat de travail et suivant avenant du 30 avril 2014, la salariée a été promue aux fonctions de pharmacien responsable, tout en conservant ses missions de responsable des affaires réglementaires.

Toute société est tenue, réglementairement, de comprendre au sein de sa direction générale un pharmacien responsable ou PR. C'est ainsi que :

- Selon les dispositions de l'article L. 5124-2 du code de la santé publique, 'toute entreprise qui comporte au moins un établissement pharmaceutique doit être la propriété d'un pharmacien ou d'une société à la gérance ou à la direction générale de laquelle participe un pharmacien. [...]

Les pharmaciens mentionnés à l'alinéa précédent sont dénommés pharmaciens responsables. Ils sont personnellement responsables du respect des dispositions ayant trait à leur activité, sans préjudice, le cas échéant, de la responsabilité solidaire de la société. [...]

- Conformément aux dispositions de l'article R.5124-34 du code de la santé publique, le Pharmacien responsable est, selon la forme des sociétés, soit le président du conseil d'administration ayant la qualité de directeur général, ou le directeur général ou un directeur général délégué, soit le président du directoire, ou un autre membre du directoire ayant la qualité de directeur général, soit le directeur général unique ou un gérant.

- Dans sa rédaction applicable au litige, l'article R. 5124-36 du même code dispose que :

« En vue de l'application des règles édictées dans l'intérêt de la santé publique, le pharmacien responsable défini à l'article R. 5124-34 assume les missions suivantes dans la mesure où elles correspondent aux activités de l'entreprise ou organisme dans lequel il exerce :

1° Il organise et surveille l'ensemble des opérations pharmaceutiques de l'entreprise ou de l'organisme, et notamment la fabrication, la publicité, l'information, la pharmacovigilance, le suivi et le retrait des lots, la distribution, l'importation et l'exportation des médicaments, produits, objets ou articles concernés ainsi que les opérations de stockage correspondantes ;

2° Il veille à ce que les conditions de transport garantissent la bonne conservation, l'intégrité et la sécurité de ces médicaments, produits, objets ou articles ;

3° Il signe, après avoir pris connaissance du dossier, les demandes d'autorisation de mise sur le marché présentées par l'entreprise ou organisme et toute autre demande liée aux activités qu'il organise et surveille ;

4° Il participe à l'élaboration du programme de recherches et d'études ;

5° Il a autorité sur les pharmaciens délégués et adjoints ; il donne son agrément à leur engagement et est consulté sur leur licenciement, sauf s'il s'agit d'un pharmacien chimiste des armées ;

6° Il désigne les pharmaciens délégués intérimaires ;

7° Il signale aux autres dirigeants de l'entreprise ou organisme tout obstacle ou limitation à l'exercice de ces attributions ;

8° Il met en 'uvre tous les moyens nécessaires en vue du respect des obligations prévues aux articles R. 5124-48 et R. 5124-48-1 ;

9° Il veille, dans le cas de médicaments destinés à être mis sur le marché dans l'Union européenne, à ce que les dispositifs de sécurité visés à l'article R. 5121-138-1 aient été apposés sur le conditionnement dans les conditions prévues aux articles R. 5121-138-1 à R. 5121-138-4 ;

10° Il signale à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé toute mise sur le marché national d'un médicament qu'il estime falsifié au sens des dispositions de l'article L. 5111-3, dont il assure la fabrication, l'exploitation et la distribution.

Dans le cas où un désaccord portant sur l'application des règles édictées dans l'intérêt de la santé publique oppose un organe de gestion, d'administration, de direction ou de surveillance au pharmacien responsable, celui-ci en informe le directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé ou, s'agissant des pharmaciens chimistes des armées, l'inspecteur technique des services pharmaceutiques et chimiques des armées, à charge pour celui-ci, si nécessaire, de saisir le directeur général de l'agence.

Le pharmacien responsable participe aux délibérations des organes de gestion, d'administration, de direction ou de surveillance, ou à celles de tout autre organe ayant une charge exécutive, de l'entreprise ou de l'organisme, lorsque ces délibérations concernent ou peuvent affecter l'exercice des missions relevant de sa responsabilité et énumérées du 1° au 10° du présent article.

Le 20 janvier 2017, Mme [L] a présenté sa démission de son mandat social, laquelle a été acceptée par le conseil d'administration le 2 mars 2017, et des fonctions de pharmacien responsable. La relation contractuelle s'est poursuivie, la salariée n'exerçant plus à compter de cette date que ses fonctions initiales de directrice des affaires réglementaires.

Le 31 juillet 2017, le conseil d'administration nommait M. [T] en qualité de nouveau PR/directeur général délégué.

Placée continûment en arrêt maladie à compter du 9 octobre 2017, dans un contexte de désaccord sur la nouvelle fiche de poste que M. [T] lui avait transmise, qu'elle considérait constituer une 'déqualification', Mme [L] a saisi, le 26 octobre 2018, le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt aux fins d'entendre prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur et condamner la société au paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.

La société s'est opposée aux demandes de la requérante et a sollicité sa condamnation au paiement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

A la suite du rachat de la société Labcatal par la société EA Pharma, Mme [L] s'est vu notifier son licenciement pour motif économique le 10 septembre 2020, dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi.

Par jugement rendu le 3 juin 2021, notifié le 11 juin 2021, le conseil a statué comme suit :

Reçoit Mme [L] en sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de son employeur à compter du 10 septembre 2020 et l'en déboute ;

Fixe le salaire brut moyen mensuel de Mme [L] à la somme de 7 987,50 euros;

Condamne la société Labcatal à payer à Mme [L] les sommes suivantes:

- 15 000 euros à titre de prime 'direction générale' 2016, outre 1 500 à titre de congés payés afférents;

- 1 000 euros à titre d'indemnité de l'article 700 du code de procédure civile;

Déboute Mme [L] du surplus de ses demandes;

Dit qu'il n'y a pas lieu d'ordonner l'exécution provisoire du présent jugement au-delà des dispositions de l'article R. 1454-28 du code du travail;

Dit qu'il n'y a pas lieu de déroger aux dispositions de l'article 1231-7 du code civil qui fixent les règles de calcul de l'intérêt légal;

Reçoit la société Labcatal dans sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile et l'en déboute;

Condamne la société Labcatal aux dépens.

Le 9 juillet 2021, Mme [L] a relevé appel de cette décision par voie électronique.

Par ordonnance rendue le 10 mai 2023, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 16 mai 2023.

' Selon ses dernières conclusions, remises au greffe le 18 avril 2023, Mme [L] demande à la cour de :

L'accueillir en ses présentes conclusions ;

Infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande au titre de la résiliation judiciaire, et de ses demandes subséquentes, ainsi que de sa demande au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail,

Le confirmer pour le surplus

Statuant à nouveau :

Prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail au 10 septembre 2020 ;

Dire et juger que la résiliation judiciaire produit les effets d'un licenciement nul à titre principal et sans cause réelle et sérieuse à titre subsidiaire ;

Fixer son salaire brut mensuel à la somme de 7 987,50 euros ;

Condamner la société Labcatal à lui payer les sommes suivantes :

- Dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail : 331 490,70 euros,

- Rappel de prime de direction 2016 : 15 000 euros, congés payés y afférents : 1 500 euros,

- Dommages et intérêt pour licenciement nul (à titre principal) : 83 868,75 euros ou sans cause réelle et sérieuse (à titre subsidiaire),

- article 700 du code de procédure civile : 7 000 euros,

- Intérêt légal,

- Les dépens

' Selon ses dernières conclusions, remises au greffe le 25 avril 2023, la société Labcatal demande à la cour de :

Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt en ce qu'il l'a

condamnée à verser à Mme [L] 15 000 euros à titre de prime « direction générale» 2016, outre 1 500 euros à titre de congés payés afférents,

Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes en toutes ses autres dispositions,

En conséquence, et statuant à nouveau du chef de jugement infirmé, débouter Mme [L] de sa demande de résiliation judiciaire, des demandes en résultant, de sa demande de paiement des primes « direction Générale » 2016 et 2017, de sa demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

Condamner Mme [L] à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.

MOTIFS

Sur l'exécution déloyale du contrat de travail :

Au soutien de sa demande en paiement de dommages-intérêts de ce chef, Mme [L] se plaint de la surcharge de travail qu'elle indique avoir supportée de janvier 2014 au 17 janvier 2017, période pendant laquelle elle a cumulé les fonctions de directrice des affaires réglementaires et celles de pharmacien responsable, ses dernières l'occupant plus de 70% de son temps, l'ayant contrainte à devoir accomplir en 2016 une vingtaine de déplacements en province sur le site de production, situé à [Localité 5] (Haute-Savoie) et le site de stockage avec souvent aucun délai de récupération, sans avoir bénéficié de renfort pour l'assister dans ses tâches. Elle expose que cette surcharge lui a occasionné un stress dépressif réactionnel dont elle s'est plainte au médecin du travail ainsi qu'il ressort de son dossier médical, le médecin du travail ayant formulé, à l'occasion de l'avis d'aptitude rendu le 12 novembre 2015, la recommandation suivante : 'voir allégement de la charge de travail. (La salariée) déclare faire fonction de Pharmacien responsable en sus (de) responsable des affaires réglementaires'. Elle ajoute que son épuisement l'a conduit à démissionner des fonctions de PR en janvier 2017.

Se plaignant également de l'insuffisante revalorisation de sa rémunération (+12,68%) consentie par l'employeur à l'occasion de ce cumul de fonctions, Mme [L] explicite le montant des dommages-intérêts sollicités comme suit :

« les fonctions de Pharmacien responsable absorbaient pratiquement 70 % de son temps de travail. Ainsi donc l'accroissement du volume de ses tâches peut être apprécié mathématiquement comme suit.

Ses tâches de directeur des affaires réglementaires l'occupaient avant l'avenant du 30 avril 2014 à 100 % de son temps, ce pourquoi elle percevait un salaire brut moyen de 6 975,00 €.

A compter de la date d'effet dudit avenant, ses tâches de directeur des affaires réglementaires qu'elle devait continuer à faire en totalité représentaient 30 % de l'ensemble de ses tâches ; celles de pharmacien responsable, comme détaillées ci avant (pages 2 et 3) l'occupaient à 70 % de son temps.

Cela veut dire que l'accroissement de son volume de travail en application de l'avenant ressort à 233,33 % (70 x 100 / 30), (de sorte que) son préjudice financier peut être calculé comme suit au visa de la période du 1er mai 2014 au 30 septembre 2017 représentant 40 mois.

(6.975,00 x 233,33 %) x 40 = 650.990,70 €

(7 987,50 € x 40) = - 319.500,00 €

Préjudice = 331.490,70 € »

La société Labcatal, qui souligne qu'en acceptant les fonctions de pharmacien responsable, Mme [L] est devenue cadre dirigeante, expose, sans être utilement démentie par l'appelante, que cette dernière ne s'est jamais plainte de ses conditions de travail.

Elle relève que la salariée a motivé sa démission, sérieuse et non équivoque, des fonctions de PR pour des raisons personnelles, la salariée faisant état dans son message du 17 janvier 2017 'qu'elle craignait à l'avenir ne plus être en mesure de remplir pleinement sa fonction de PR en raison des graves problèmes familiaux auxquels elle était confrontée'. L'employeur indique qu'à la même époque, Mme [L] prenait en charge à son domicile sa mère, âgée, qui devait décéder durant l'été 2017 (Cf. messages de Mme [L] en date de février et septembre 2017).

Le cumul des fonctions de pharmacien responsable et de responsable des affaires réglementaires, jusqu'alors occupées par deux pharmaciens salariés à temps plein, conduisait inéluctablement à une charge de travail considérable, ce que l'employeur ne conteste pas utilement.

En effet, la société intimée verse aux débats la réponse adressée par M. [E], directeur général, le 4 mars 2015 à Mme [L] au message que celle-ci avait adressé à Mme [W], directrice générale adjointe, aux termes duquel elle lui soulignait l'importance des fonctions qu'elle exerçait. M. [E] lui indiquait ceci :

'C'est une tâche de grande ampleur dans nombre de laboratoires pharmaceutiques, inhérente à la fonction de manière intrinsèque. Les tâches du pharmacien responsable sont connues, ont été acceptées par vous en connaissance de cause, je pense ; leur ampleur n'est pas une nouveauté.

À ce titre, je m'étonne que, malgré les sollicitations de la DRH, et mes remarques sur la charge de travail, vous n'ayez toujours pas réclamé le remplacement du pharmacien affaires réglementaires recruté en septembre qui n'a pas validé sa période d'essai [...]')

Il en ressort que le directeur-général, tout en concédant l'importance des responsabilités exercées par Mme [L] et la charge de travail en découlant, rappelait qu'il était prévu de recruter un pharmacien pour suivre les affaires réglementaires et s'étonnait que suite à l'échec du premier recrutement et malgré ses démarches et celles du directeur des ressources humaines, le processus pour le remplacer n'avait pas été réinitié.

Si la société soutient que durant la période litigieuse la salariée a grandement sollicité les services de la société Arc Pharma, spécialisée dans le conseil et les services en affaires réglementaires, sans que la direction générale ne s'y oppose, l'examen des chiffres communiqués par l'intimée sur la période de septembre 2012 à septembre 2016 (coût annuel de l'ordre de 50 000 euros sur les exercices 2012/2013, 2013/2014 et 2015/2016) ne révèle aucune progression du coût annuel à compter de la promotion de l'intéressée au poste de PR, la facturation ayant même connu une baisse significative sous son autorité sur l'exercice 2014/2015 : 29 982 euros. Il ne résulte donc pas de ces éléments que la pharmacienne responsable ait compensé la surcharge de travail à laquelle elle était confrontée en recourant de manière accrue au service de cette société de conseils.

Directrice générale déléguée, titulaire d'un mandat social et d'un statut réglementé qui lui confère de nombreuses responsabilités, dont celles d'avoir autorité sur les pharmaciens délégués et adjoints, de donner son agrément à leur engagement et d'être consultée sur leur licenciement, force est de relever à la lecture de ce message que la société avait bien décidé de doter Mme [L] d'un adjoint en charge des affaires réglementaires, qu'une personne avait été recrutée en ce sens, dont le contrat a pris fin prématurément par rupture de sa période d'essai. Alors que Mme [L] ne soutient pas avoir, à réception de ce message du 5 mars 2015, relancé le processus de recrutement et qu'elle n'allègue pas avoir 'signalé aux autres dirigeants de l'entreprise un quelconque obstacle ou limitation à l'exercice de ces attributions', qu'une surcharge de travail pouvait constituer, l'appelante ne peut sérieusement invoquer une exécution déloyale du contrat de travail, à tout le moins jusqu'à la réception par la société de l'avis du médecin du travail en date du 15 novembre 2015 préconisant un allégement de sa charge.

La société Labcatal ne conteste pas avoir bien reçu cet avis d'aptitude recommandant un allégement de la charge de travail.

Interpellée à cette occasion sur l'incidence que cette charge pourrait faire peser sur la santé de la salariée, et peu important son statut de cadre dirigeant, il appartenait à l'employeur de prendre les mesures de nature à veiller à la préservation de sa santé et à ce que sa charge de travail reste raisonnable, quitte à lui imposer le recrutement d'un pharmacien pour gérer les affaires réglementaires, ce qu'il ne fit pas.

Par suite, la société Labcatal ne justifie pas avoir respecté son obligation de sécurité. Le fait que la salariée a, par ailleurs rencontré de 'graves problèmes familiaux', qui l'ont conduite à démissionner de son mandat social et de la responsabilité de PR, n'est pas de nature à exclure le manquement de l'employeur à son obligation de ce chef, lequel justifie l'allocation d'une somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail. Le jugement sera infirmé en ce qu'il l'a déboutée de ce chef.

Sur le rappel de prime de direction pour l'année 2016 :

En l'absence de moyen nouveau, c'est par des motifs pertinents que la cour adopte que les premiers juges, relevant, d'une part, que Mme [L] a perçu en janvier 2015 une prime de direction pour l'année 2014 de 10 000 euros, puis en janvier 2016, une prime de direction de 15 000 euros pour l'année 2015, et, d'autre part, que la salariée avait assumé ses responsabilités de pharmacienne responsable tout au long de l'année 2016, ont dit que l'obligation de l'employeur était rapportée de ce chef et accueilli la salariée en sa réclamation.

La thèse développée par l'employeur pour s'opposer au versement de cette prime selon laquelle cette prime était discrétionnaire ne ressort d'aucun élément du dossier. Elle plaide avoir pu légitimement considérer que Mme [L] avait manqué à ses responsabilités dans le cadre de l'inspection diligentée en 2016 par l' Autorité nationale de sécurité du médicament, sans autre précision ni pièce justificative et évoque un désinvestissement de la salariée de ses fonctions de PR, subdéléguant ses responsabilités au pharmacien responsable intérimaire, ce qui n'est étayé par aucun élément probant et s'avère même remis en question par le 'registre réglementaire des absences émargées du pharmacien responsable', lequel révèle que Mme [L] n'avait été absente cette année là que 10 jours.

Le jugement entrepris sera par conséquent confirmé en ce qu'il a condamné la société Labcatal à lui verser les sommes de 15 000 euros au titre de la prime 'direction générale' 2016, outre 1 500 euros au titre des congés payés afférents.

Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail :

Conformément aux dispositions de l'article 1224 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, le salarié peut demander la résiliation judiciaire du contrat de travail en cas d'inexécution par l'employeur de ses obligations contractuelles. Il lui appartient alors de rapporter la preuve des faits qu'il allègue.

Si les manquements invoqués par le salarié au soutien de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail sont établis et d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de ce contrat, la résiliation judiciaire est prononcée aux torts de l'employeur et produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse au jour de la décision qui la prononce dès lors que le contrat n'a pas été rompu avant cette date.

À l'appui de son action, Mme [L] invoque 3 manquements, l'exécution déloyale du contrat de travail liée à sa surcharge de travail, le non paiement de sa prime de direction pour l'année 2016 et les pressions exercées pour qu'elle signe une nouvelle fiche de fonctions emportant déqualification de son emploi.

Il suit de ce qui précède que la situation de surcharge de travail, avérée, avait cessé au plus tard le 17 janvier 2017, date à laquelle le pharmacien responsable intérimaire a assumé les responsabilités dans l'attente de la nomination de M. [T], et que la salariée était créancière de la prime de direction 2016, exigible en janvier 2017.

S'agissant des pressions exercées sur elle pour qu'elle signe la nouvelle fiche de poste, il est constant que suite à l'arrivée du nouveau pharmacien responsable, M. [T], recruté en juillet 2017, et compte tenu des congés pris successivement par ce dernier et par Mme [L], ces deux responsables n'ont commencé à travailler concrètement ensemble que le 12 septembre 2017.

Compte tenu des dispositions légales lui conférant autorité sur les pharmaciens adjoints [...] M  .[T] a souhaité clarifier la dernière fiche de fonctions de Mme [L], laquelle n'avait pas été modifiée depuis sa démission des fonctions de PR.

Il ressort des échanges entre M. [T], M. [E] et Mme [L] que celle-ci a exprimé des réticences à signer la nouvelle fiche essentiellement en raison du fait qu'elle refusait de dépendre hiérarchiquement du PR et souhaitait continuer à être placée sous l'autorité de M . [E], directeur général. C'est ainsi que le 3 octobre, le directeur-général rappelait à la salariée les raisons pour lesquelles elle refusait de signer cette fiche, à savoir le fait qu'elle souhaitait 'que le service affaires réglementaires soit un service indépendant', ce à quoi la salariée lui objectait, dans sa correspondance datée du 9 octobre 2017, que 'jusqu'à présent, aucun avenant audit contrat ne permet à votre pharmacien responsable de me considérer sous ses ordres dans son service'.

Cela étant, réglementairement, le pharmacien responsable participe de la direction générale de l'entreprise dont il doit 'organiser et surveiller l'ensemble des opérations pharmaceutiques' ; le contrat de travail de Mme [L] énonce que 'sous l'autorité de la direction générale, elle participera en qualité de responsable des affaires réglementaires à toutes les tâches liées au respect de la réglementation pharmaceutique industrielle et à son suivi au sein de Labcatal [...]' ; sous une rubrique 'rattachement hiérarchique' le dernier avenant au contrat de travail signé par la salariée en 2014 stipule que l'intéressée 'devra reporter au directeur-général de la société ou à toute autre personne qui lui sera désignée, [...]'. Compte tenu de ces éléments, Mme [L] n'était pas fondée à refuser son positionnement hiérarchique sous l'autorité du pharmacien responsable, lequel participe de la direction générale de l'entreprise. L'aménagement de la fiche de poste sur ce point n'emportait aucune modification de son contrat de travail.

S'agissant de la 'direction' de son équipe, composée jusqu'à présent, selon les périodes, entre une et deux assistantes, il ressort des pièces communiquées que si la fiche de poste de 2014, c'est à dire celle établie consécutivement à la promotion de Mme [L] au poste de PR, énonçait sous une rubrique 'management' que la salariée 'organise et anime son équipe', la fiche précédente, mise à jour en avril 2012 (pièce n°87-3 de l'appelante) mentionnait simplement que la salariée 'assure la gestion et le fonctionnement du service au niveau de l'organisation et de la formation interne'. En septembre 2017, le nouveau pharmacien responsable avait porté sur le projet de nouvelle fiche que la directrice des affaires réglementaires : 'participe à l'organisation et à l'animation du service réglementaire'.

Nonobstant le caractère fort limité de son équipe (une à deux personnes selon les périodes depuis son embauche), l'aménagement de la responsabilité du service qu'elle dirigeait nécessitait l'accord de l'intéressée.

Pour autant et ainsi que l'appelante le conclut expressément devant la cour, il ne s'est agi jusqu'au 9 octobre que d'un projet.

Certes, M. [T] a adressé le 21 septembre 2017 aux trois assistante, Mmes [S], [Y] et [H], un message les invitant à faire état de leur éventuel besoin de formations, dont Mme [L] était en copie, message auquel était joint le 'recueil de besoins du responsable de service'. Toutefois, il peut être relevé que le même jour, le pharmacien responsable rappelait à Mme [L] qu'ils avaient convenu ensemble de l'organisation d'une formation 'appel téléphonique', le pharmacien responsable précisant qu'il était dans l'attente de la 'rédaction par elle du support de formation et du questionnaire qu'elle devait lui soumettre pour approbation', l'invitant par ailleurs à lui signaler les 'points chauds' le directeur-général délégué lui indiquant qu'il ne parvenait pas à déterminer en quoi sa charge de travail était trop importante ainsi qu'elle le lui avait affirmé. Alors qu'il était, par ailleurs, dans l'attente du retour de Mme [L] sur la fiche de poste qu'il lui avait fait parvenir, cette initiative ne saurait s'analyser en un manquement de nature à empêcher la poursuite de la relation de travail.

Si la salariée a prétendu dans un message du 3 octobre 2019 que M. [E] l'aurait menacée en lui disant ''eh bien cela va aller au clash' dans un message du 3 octobre 2017, le directeur général a démenti par message en réponse le jour même, la présentation que faisait l'intéressée de ses propos, lui rappelait que la société était sous le coup d'une injonction de l'Agence nationale de sécurité du médicament à échéance au 4 octobre, imposant au nouveau pharmacien responsable la mise en place d'une organisation destinée à répondre aux échéances auxquelles la société était confrontée, qu'il demeurait toujours dans l'attente de la liste des tâches dévolues au service des affaires réglementaires que le PR envisageait prétendument de lui retirer, et concluait en regrettant l'utilisation d'un raccourci pour arriver à une conclusion brutale et insidieuse précisant que 'devant votre manque d'explications quant à vos allégations (rétrogradation, indépendance du service affaires réglementaires, poste en partie vidé de son contenu...) Je vous ai indiqué que votre refus inexpliqué ne pouvait qu'engendrer un clash après de longues années de collaboration [...]'.

Il ne résulte pas de ces éléments que Mme [L] établisse qu'elle a fait l'objet de pressions pour qu'elle signe cette fiche de poste ni une déqualification actée de son emploi.

La salariée exposant incidemment que ces agissements 'confinent au harcèlement moral', il sera précisé en tant que de besoin que les seuls faits établis par la salariée à savoir un manquement à l'obligation de sécurité de novembre 2015 à la mi janvier 2017, le non paiement de la prime de direction en janvier 2017, les messages échangés relativement à la fiche de poste et à la formation des assistantes en septembre et octobre 2017, et l'arrêt de travail prescrit à compter du 9 octobre 2017 pour 'lombalgies chroniques et syndrome d'épuisement professionnel' puis 'épisode dépressif majeur', pris dans leur ensemble, ne laissent pas supposer l'existence d'un tel harcèlement.

En définitive, le manquement avéré lié à l'absence de réaction de l'employeur à réception de l'avis du médecin du travail en date de novembre 2015 et à la préconisation d'allégement de sa charge de travail, lequel avait cessé plus de neuf mois avant la saisine de la juridiction prud'homale, la créance salariale au titre de la prime, exigible là encore depuis de nombreux mois et qui n'avait donné lieu jusqu'alors à aucune réclamation et, enfin, l'initiative prise par le pharmacien responsable d'interroger directement les assistantes, sur leur éventuel besoin de formation, dans un contexte où M. [T] et Mme [L] avaient échangé sur ce thème quelques jours auparavant et qu'il était dans l'attente du retour de cette dernière sur le projet de nouvelle fiche de poste, ne présentaient pas un caractère de gravité empêchant la poursuite de la relation de travail au jour de la saisine de la juridiction en octobre 2017.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté Mme [L] de ce chef et de sa demande en paiement d'une indemnité pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse.

Il n'y a pas lieu de déroger aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil prévoyant que les créances de nature salariale portent intérêts au taux légal, à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation pour les créances échues à cette date et à compter de chaque échéance devenue exigible, s'agissant des échéances postérieures à cette date, les créances à caractère indemnitaire produisant intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière prud'homale, par mise à disposition au greffe,

Infirme le jugement mais seulement en ce qu'il a débouté Mme [L] de sa demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

Statuant à nouveau de ce chef,

Condamne la société Labcatal à verser à Mme [L] la somme de 5 000 euros de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

Le confirme pour le surplus.

y ajoutant,

Dit que les créances de nature contractuelle sont productives d'intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation pour les créances échues à cette date, et à compter de chaque échéance devenue exigible, s'agissant des échéances postérieures à cette date, et que les créances indemnitaires sont productives d'intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant,

Condamne la société Labcatal à verser à Mme [L] la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

Condamne la société Labcatal aux dépens d'appel.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, et par Madame Isabelle FIORE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 21e chambre
Numéro d'arrêt : 21/02239
Date de la décision : 06/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-07-06;21.02239 ?
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