COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
1ère chambre 1ère section
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
Code nac : 29A
DU 04 JUILLET 2023
N° RG 21/04883
N° Portalis DBV3-V-B7F-UVP7
AFFAIRE :
[Y] [H] épouse [C]
C/
[G], [R] [A] veuve [V]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 01 Juin 2021 par le Tribunal Judiciaire de NANTERRE
N° Chambre :
N° Section :
N° RG :
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
-Me Patricia ROTKOPF,
-Me Claire BENOLIEL
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE QUATRE JUILLET DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Madame [Y] [H] épouse [C]
née le 10 Avril 1953 à [Localité 4]
de nationalité Française
[Adresse 6]
[Localité 3]
représentée par Me Patricia ROTKOPF, avocat - barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 427 - N° du dossier 21-080
APPELANTE
****************
Madame [G], [R] [A] veuve [V]
née le 28 Octobre 1932 à [Localité 8]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 5]
représentée par Me Claire BENOLIEL, avocat postulant - barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 15 - N° du dossier 20210901
Me Marianne LEITE substituant Me Nicolas LAURENT BONNE de la SELARL 2H Avocats à la cour, avocat - barreau de PARIS
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 20 Avril 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Pascale CARIOU, Conseiller chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Anna MANES, Présidente,
Madame Pascale CARIOU, Conseiller,
Madame Sixtine DU CREST, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL,
FAITS ET PROCÉDURE
[E] [H], veuve [A], née à [Localité 7] le 3 juin 1920, est décédée à [Localité 5] le 3 mars 2017, sans laisser pour lui succéder d'ascendant ou de descendant.
[E] [H] a rédigé trois testaments :
- Un testament olographe daté du 26 juin 1970, dans lequel elle institue pour légataire universelle sa nièce Melle [Y] [H],
- Un testament olographe daté du 22 juin 1998, dans lequel elle institue pour légataire universel sa nièce Mme [Y] [H], épouse [C].
- Un testament authentique passé le 21 octobre 2014 devant M. [L] [S], notaire à [Localité 9], dicté par la testatrice, par lequel elle ' ( ...) Révoque toute disposition testamentaire antérieure et notamment celles prises au bénéfice de : [Y] [C] qui demeurait à [Adresse 6]. J'institue légataire universelle [G] [V], née [A], née le 28 octobre 1932 à [Localité 8], demeurant à [Localité 5] (92) [Adresse 2], et je souhaite qu'elle recueille tout mon patrimoine ».
Par ailleurs, dans un document dactylographié fait à Saint-Mandé le 12 novembre 2014, [E] [H] a écrit : « Je soussignée Mme [A] [E], demeurant au [Adresse 1], souhaite que l'ensemble de mes biens mobiliers restent dans la famille [A] et déclare par la présente consentir une donation portant sur l'ensemble de mes biens mobiliers (meubles, tableaux, bibelots et appareils ménagers) à Mme [V] [G], demeurant au [Adresse 2], ma nièce ».
Saisi sur requête par M. [U] [C], le juge des tutelles du tribunal d'instance de Colombes a, par jugement du 29 mai 2015, placé [E] [H] sous tutelle pour une durée de dix ans. M. [X] [V] a été désigné tuteur aux biens et Mme [G] [V], sa nièce par alliance, a été désignée tuteur à la personne.
Par jugement du 16 mars 2016, M. [M] [C] a été désigné en qualité de subrogé tuteur aux biens et à la personne de [E] [H].
Mme [Y] [C] a interjeté appel de cette décision qui a cependant été confirmée par un arrêt rendu le 18 janvier 2017 par la cour d'appel de Versailles.
Par acte d'huissier de justice du 4 octobre 2018, Mme [Y] [C] a fait assigner Mme [G] [V] devant le tribunal de grande instance de Nanterre en vue de voir annuler le testament authentique du 21 octobre 2014 et le leg consenti le 12 novembre 2014.
Par jugement contradictoire rendu 1er juin 2021, le tribunal judiciaire de Nanterre a :
- Rejeté la demande de Mme [Y] [H] épouse [C] d'annulation de la donation de [E] [H] du 12 novembre 2014 et du testament authentique de celle-ci du 21 octobre 2014.
- Condamné Mme [Y] [H] épouse [C] à verser à Mme [G] [A] épouse [V] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné Mme [Y] [H] épouse [C] aux entiers dépens de l'instance.
- Accordé à Maître [M] [T] le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Mme [Y] [H] a interjeté appel de ce jugement le 27 juillet 2021 à l'encontre de Mme [G] [A].
Par dernières conclusions notifiées le 5 mars 2023 , elle demande à la cour de :
- La déclarer recevable et bien fondée.
En conséquence :
- Réformer en intégralité le jugement rendu le 1er juin 2021 par le tribunal judiciaire de Nanterre,
Dès lors :
- Constater que Mme [E] [A] ne disposait pas de la capacité de discernement nécessaire à l'établissement de ses dispositions testamentaires au 21 octobre 2014 et leg du 12 novembre 2014.
- Prononcer la nullité du testament en date du 21 octobre 2014 et du leg du 12 novembre 2014 rédigés et opérés par la défunte, Mme [E] [A], instituant Mme [G] [V] légataire universelle et déposé chez Maître [J] [W],
- Déclarer que seules les dispositions testamentaires olographes du 22 juin 1998, déposé chez Me [S] en date du 29 juin 1998, trouveront à s'appliquer s'agissant de la succession de Mme [E] [A],
- Condamner Mme [G] [V] à la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance,
- Ordonner l'exécution provisoire.
Par dernières conclusions notifiées le 9 mars 2023, Mme [G] [A] demande à la cour de :
- Confirmer le jugement rendu le 1er juin 2021 par le Tribunal judiciaire de Nanterre,
En conséquence,
- Débouter Mme [C] de l'ensemble de ses demandes,
- Condamner Mme [Y] [C] au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner Mme [Y] [C] aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction sera faite par Maître Claire Benoliel, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La clôture de l'instruction a été ordonnée le 23 mars 2023
SUR CE, LA COUR,
Pour débouter Mme [Y] [C] de sa demande d'annulation du testament authentique du 21 octobre 2014 et de la donation du 12 novembre 2014, le tribunal a retenu qu'elle échouait à démontrer l'insanité d'esprit de sa tante au moment des actes litigieux.
Moyens des parties
Au soutien de sa demande d'infirmation du jugement, Mme [G] [C] souligne qu'elle n'a pu obtenir la communication des éléments médicaux concernant [E] [A] que fin 2022, raison pour laquelle elle ne les a pas produits en première instance.
En appel, elle fait valoir qu'en novembre 2014, soit peu de temps avant la rédaction du testament authentique et de l'acte de donation, [E] [A] avait été hospitalisée en raison d'une dégradation de son état général, souffrant notamment de dénutrition, d'une dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA) et d'un état dépressif.
Elle souligne qu'en février 2015, son état de santé a justifié qu'elle soit placée sous tutelle et qu'elle intègre une maison de retraite.
Elle estime que compte tenu de son état de santé dégradé, [E] [A] ne pouvait pas consentir librement aux actes litigieux.
Elle fait encore valoir que Mme [G] [V] ne démontre aucun lien de proximité avec la défunte alors qu'elle était elle-même sa plus proche parente.
Mme [V] de son côté conclut à la confirmation du jugement en faisant valoir que pas plus qu'en première instance, Mme [C] ne démontre l'insanité d'esprit de [E] [A] au moment de la rédaction du testament authentique et de l'acte de donation.
Elle affirme qu'aucune des pièces communiquées ne fait état d'une dégradation des facultés intellectuelles de la défunte mais qu'au contraire si le compte rendu d'hospitalisation du 26 novembre 2014 évoque une dégradation de l'état général, il ne fait pas mention de déclin cognitif.
Appréciation de la cour
En application de l'article 901 du code civil, ' Pour faire une libéralité, il faut être sain d'esprit. La libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par l'erreur, le dol ou la violence '.
S'agissant du testament authentique, il est rappelé qu'il vaut jusqu'à inscription en faux uniquement pour les mentions que le notaire est chargé de constater, à savoir la dictée par le testateur, la signature par celui-ci et la mention des formalités accomplies.
En revanche, les mentions du notaire quant à l'état mental du testateur peuvent être librement combattues.
En l'espèce, il ressort des énonciations du testament litigieux que le contenu de celui-ci lui a été dicté par [E] [A] et lui a été relu en présence de deux témoins.
Il doit être relevé que les déclarations de [E] [A] qui déclare révoquer toute disposition testamentaire antérieure, notamment celles prises au bénéfice de Mme [Y] [C] et instituer pour légataire universelle Mme [G] [V], sont parfaitement claires et précises.
Elles sont cohérentes avec le fait que, de l'aveu de Mme [C] elle-même devant le juge des tutelles, elle n'avait pas vu sa nièce depuis 3 ou 4 ans et que ses affaires étaient gérées par Mme [V].
Les éléments médicaux versés par Mme [C] au soutien de ses prétentions révèlent qu'au mois de novembre 2014, soit à l'époque des actes litigieux, [E] [A] a été hospitalisée pour une dégradation de son état général, en lien avec un diabète insulino-dépendant non maîtrisé, une altération de l'acuité visuelle, une dénutrition et des ulcères veineux infectés.
S'agissant des fonctions cognitives, il est simplement noté ' Détérioration intellectuelle possible ', ' Patiente très déprimée ' et un syndrome anxio dépressif majeur avec ' mise en place d'un traitement par Deroxat, de très bonne évolution, améliorant le moral, le sommeil aussi bien que l'appétit '
Mme [C] fonde également ses prétentions sur le ' mini mentall state examination', examen classique pour évaluer les fonctions cognitives d'une personne.
Si le résultat à cet examen apparaît très faible (7/30), il convient de noter qu'il n'est accompagné d'aucun commentaire d'un médecin expliquant ce que ce score signifie et qu'il a été réalisé en mai 2015. Rien ne permet d'affirmer que le score aurait été le même 7 mois plus tôt, à l'époque de la passation des actes litigieux.
Par ailleurs, si le jugement ayant placé [E] [A] sous le régime de la tutelle fait référence à un certificat médical du 19 février 2015, il convient de rappeler que l'insanité d'esprit, qu'il convient de démontrer pour prononcer la nullité d'une libéralité est une notion indépendante des causes légales d'ouverture d'une mesure de protection.
Il sera également noté que la juge des tutelles a pu entendre [E] [A] avant de la placer sous le régime de la tutelle, ce qui n'est pas nécessairement le cas avec tous les majeurs protégés.
Il convient donc de dire que comme en première instance, Mme [C] échoue à démontrer l'insanité d'esprit de [E] [A] à l'automne 2014.
Par ailleurs, Mme [C] affirme que Mme [V] n'est apparue que tardivement dans la vie de [E] [A] et que celle-ci s'en méfiait. Elle ne verse cependant aucun élément probant à l'appui de ses allégations.
De plus, l'affirmation selon laquelle il n'y avait aucun lien entre [E] [A] et Mme [V] est contredite par les déclarations de la défunte au juge des tutelles, telles qu'elles sont rappelées dans l'arrêt rendu par la cour d'appel de Versailles du 18 janvier 2017, cette dernière ayant alors confié que Mme [V] était sa nièce la plus proche et qu'elle avait confiance en elle.
En tout état de cause Mme [C], qui a reconnu ne pas avoir vu sa tante depuis 3 ou 4 ans, n'est pas fondée à invoquer l'existence de liens affectifs forts avec celle-ci que son attitude contredit, même en tenant compte de la maladie qui affectait ses propres parents et dont du reste elle ne justifie pas.
Enfin, Mme [C] se fonde sur le fait que la libéralité consentie en novembre 2014 a été rédigée sur un ordinateur et seulement signée, d'une écriture altérée, par [E] [A].
Le seul fait que la libéralité ne soit pas manuscrite ne suffit pas à caractériser des manoeuvres dolosives ou l'erreur du donateur.
Il apparaît à l'évidence que [E] [A] n'a pas elle-même utilisé l'ordinateur pour rédiger la libéralité consentie, non seulement à cause de son âge mais également en raison de son acuité visuelle déficiente qui ne lui permettait pas, en tout état de cause, de rédiger un écrit.
On ne peut toutefois pas déduire du recours à la dactylographie l'existence d'un dol, en l'absence de tout autre élément de preuve.
Ainsi, Mme [C] échoue également à démontrer que la libéralité aurait été consentie à la suite d'un dol ou d'une erreur.
Dans ces conditions, le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de Mme [Y] [H] épouse [C] d'annulation de la donation de [E] [H] du 12 novembre 2014 et du testament authentique de celle-ci du 21 octobre 2014.
Sur les demandes accessoires
Le sens du présent arrêt commande de confirmer les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.
Mme [C], qui succombe, sera condamnée aux dépens de la procédure d'appel qui pourront être recouvrés directement en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Elle devra en outre verser à Mme [V] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Les demandes de Mme [C] sur ce même fondement seront rejetées.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition ;
CONFIRME le jugement entrepris,
Y ajoutant,
CONDAMNE Mme [C] aux dépens de la procédure d'appel qui pourront être recouvrés directement en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
CONDAMNE Mme [C] à payer à Mme [V] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE Mme [C] de sa demande sur ce fondement.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
- signé par Madame Anna MANES, présidente, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, La Présidente,