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04/07/2023 | FRANCE | N°21/04473

France | France, Cour d'appel de Versailles, 1re chambre 1re section, 04 juillet 2023, 21/04473


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





1ère chambre 1ère section





ARRÊT N°





CONTRADICTOIRE

Code nac : 70E





DU 04 JUILLET 2023





N° RG 21/04473

N° Portalis DBV3-V-B7F-UULM





AFFAIRE :



Epoux [A] [G]

C/

Epoux [I]





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 04 Juin 2021 par le Tribunal judiciaire de PONTOISE

N° Chambre :

N° Section :

N° RG : 18/00246

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Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :





à :



-la SELARL SOUDRI & ZEINE,



-Me Mélina PEDROLETTI







RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE QUATRE JUILLET DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles ...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

1ère chambre 1ère section

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

Code nac : 70E

DU 04 JUILLET 2023

N° RG 21/04473

N° Portalis DBV3-V-B7F-UULM

AFFAIRE :

Epoux [A] [G]

C/

Epoux [I]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 04 Juin 2021 par le Tribunal judiciaire de PONTOISE

N° Chambre :

N° Section :

N° RG : 18/00246

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

-la SELARL SOUDRI & ZEINE,

-Me Mélina PEDROLETTI

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUATRE JUILLET DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dont le délibéré a été prorogé le 20 juin 2023, les parties en ayant été avisées, dans l'affaire entre :

Monsieur [D] [A] [G]

né le 18 Mai 1953 à [Localité 5] (VIETNAM)

de nationalité Française

et

Madame [J] [H] [Y] épouse [A]

née le 03 Avril 1955 à [Localité 3] (VIETNAM)

de nationalité Française

demeurant tous deux [Adresse 1]

[Localité 7]

représentés par Me Joseph SOUDRI de la SELARL SOUDRI & ZEINE, avocat - barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 19 - N° du dossier 2017340

APPELANTS

****************

Monsieur [K] [I]

né le 19 Juin 1963 à [Localité 6] (LAOS)

et

Madame [N], [X], [U] [R] épouse [I]

née le 24 Mai 1969 à [Localité 4]

de nationalité Française

demeurant tous deux [Adresse 2]

[Localité 7]

représentés par Me Mélina PEDROLETTI, avocat postulant - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 626 - N° du dossier 25287

Me Lidia PRATES CANELAS de la SELARL LS AVOCATS, avocat - barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 55

INTIMÉS

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 30 Mars 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Sixtine DU CREST, Conseiller chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Anna MANES, Présidente,

Madame Pascale CARIOU, Conseiller,

Madame Sixtine DU CREST, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL,

FAITS ET PROCÉDURE

M. [D] [A] [G] et Mme [J] [H] [Y] épouse [A] (ci-après « les époux [A] ») sont propriétaires d'une maison sise [Adresse 1] à [Localité 7].

M. [K] [I] et Mme [N] [R] épouse [I] (ci-après les « époux [I] ») sont propriétaires de la maison voisine [Adresse 2] à [Localité 7].

Le 9 mars 2016, la mairie de [Localité 7] a donné son accord à la déclaration préalable déposée par les époux [I] pour une extension de leur maison en lieu et place d'un abri de jardin du côté du mur pignon de la maison voisine, avec la mention : « toutes précautions doivent être prises afin que les eaux pluviales ne se déversent pas sur les propriétés voisines ».

Par actes d'huissier de justice des 27 décembre 2017 et 7 mai 2018, les époux [A] ont fait assigner les époux [I] devant le tribunal judiciaire de Pontoise aux fins d'ordonner la démolition de l'extension de la maison de leurs voisins qui, selon eux, s'appuierait sur le mur privatif de leur construction.

En 2019, les époux [A] ont sollicité auprès du juge de la mise en état l'organisation d'une expertise. Par ordonnance du 17 octobre 2019, leur demande a été rejetée.

Par jugement contradictoire rendu le 4 juin 2021, le tribunal judiciaire de Pontoise a :

- Débouté M. [A] [G] [D] et Mme [Y] [J] [H] son épouse de l'intégralité de leurs prétentions,

- Débouté M. [I] [K] et Mme [R] [N] son épouse de leur demande reconventionnelle en dommages-intérêts,

- Condamné in solidum M. [A] [G] [D] et Mme [Y] [J] [H] son épouse à payer à M. [I] [K] et Mme [R] [N] son épouse la somme de 4.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamné in solidum M. [A] [G] [D] et Mme [Y] [J] [H] son épouse aux entiers dépens qui comprendront notamment ceux de l'instance d'incident, et qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile,

- Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement pour les chefs concernant les dépens et l'article 700 du code de procédure civile,

M. [A] [G] et Mme [Y] épouse [A] ont interjeté appel de ce jugement le 13 juillet 2021 à l'encontre de M. [I] et Mme [R] épouse [I].

Par dernières conclusions notifiées le 22 mars 2022, les époux [A] demandent à la cour, au fondement des articles 544 et suivants du code civil, de l'article 1240 du code civil et de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'Homme et des citoyens, de :

Infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Pontoise le 4 juin 2021, en ce qu'il a :

Débouté M. [A] [G] et Mme [Y] de l'intégralité de leurs prétentions,

Condamné in solidum M. [A] [G] et Mme [Y] à payer à M. [I] et Mme [R] la somme de 4 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,

Confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Pontoise le 4 juin 2021, en ce qu'il a :

Débouté M. [I] et Mme [R] de leur demande reconventionnelle en dommages-intérêts,

Statuant à nouveau :

Accueillir M. [A] [G] et Mme [Y] dans l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

Débouter M. [I] et Mme [R] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

A titre principal :

Condamner à M. [I] et Mme [R] à procéder à la démolition de l'ouvrage construit par eux et qui s'appuie contre le mur appartenant à M. [A] [G] et Mme [Y], sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir,

A titre subsidiaire :

Condamner in solidum M. [I] et Mme [R] au paiement de la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts, décomposée de la manière suivante :

10 000 euros au titre du préjudice de jouissance,

10 000 euros au titre du préjudice moral,

En tout état de cause :

Condamner in solidum M. [I] et Mme [R] au paiement de la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et en tous les dépens.

Par conclusions avec appel incident notifiées le 11 janvier 2022, les époux [I] demandent à la cour, au fondement des articles 544 et 662 du code civil, et de l'article 1240 du code civil, de :

Déclarer M. et Mme [A] mal fondés en leur appel,

Déclarer les époux [I] recevables et bien fondés en leur appel incident,

Confirmer le jugement déféré en l'ensemble de ses dispositions, sauf en ce qu'il a : « Débouté M. [I] [K] et Mme [R] [N] son épouse de leur demande reconventionnelle en dommages-intérêts ; »

Infirmer la décision entreprise et statuant à nouveau :

Condamner in solidum M. et Mme [A] à verser à M. et Mme [I] la somme de 10 000 euros pour le préjudice moral subi par les époux [I],

Condamner in solidum M. et Mme [A] à verser à M. et Mme [I] la somme de 350 euros pour le préjudice financier subi,

Condamner in solidum M. et Mme [A] à verser à aux époux [I] la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamner M. et Mme [A] aux entiers dépens dont le montant sera recouvré par Me Pedroletti, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La clôture de l'instruction a été ordonnée le 16 février 2023.

SUR CE, LA COUR,

Sur les limites de l'appel

Il résulte des écritures susvisées que le jugement est querellé en toutes ses dispositions.

Sur la demande de démolition sous astreinte

Moyens des parties

Poursuivant l'infirmation du jugement en ce qu'il a rejeté leur demande, les époux [A] demandent à la cour, au fondement des articles 544 et 545 du code civil, d'ordonner la démolition de la construction litigieuse sous astreinte. Ils considèrent que la construction est solidarisée et dépendante de leur maison, sans qu'ils aient donné leur autorisation, et qu'elle est contraire à l'article 7 du cahier des charges du lotissement, dont les règles demeurent valables en application de l'alinéa 3 de l'article L. 442-9 du code de l'urbanisme. Ils en déduisent qu'elle constitue une atteinte à leur droit de propriété.

Poursuivant la confirmation du jugement, les époux [I] font valoir que leur construction est désolidarisée et indépendante du mur privatif des époux [A], de sorte qu'ils n'avaient aucune autorisation à demander. Ils s'appuient sur des photographies avant et après travaux, un constat d'huissier de justice du 10 décembre 2018 et sur l'attestation de la société MCRO qui a édifié la construction litigieuse. Ils font valoir que leur construction a été autorisée, qu'elle est conforme aux règles locales d'urbanisme et que le cahier des charges du lotissement est caduc depuis plusieurs années, de sorte qu'aucune procédure particulière ne devait être respectée et qu'en tout état de cause, seul le maire est compétent en matière d'autorisation d'urbanisme.

Appréciation de la cour

Selon l'article 544 du code civil, la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements.

L'article 654 du code civil dispose qu'il y a marque de non-mitoyenneté lorsque la sommité du mur est droite et à plomb de son parement d'un côté, et présente de l'autre un plan incliné.

Lors encore qu'il n'y a que d'un côté ou un chaperon ou des filets et corbeaux de pierre qui y auraient été mis en bâtissant le mur.

Dans ces cas, le mur est censé appartenir exclusivement au propriétaire du côté duquel sont l'égout ou les corbeaux et filets de pierre.

En l'espèce, c'est par des motifs pertinents, précis et circonstanciés, adoptés par la cour, que les premiers juges ont constaté que le mur litigieux, sur lequel les époux [A] estiment que la construction litigieuse est appuyée, est un mur privatif et non mitoyen.

Ce constat n'est au demeurant pas contesté par les époux [A] (page 3 de leurs conclusions « mur privatif »).

C'est également par des motifs exactes, précis et circonstanciés, que les premiers juges ont considéré qu'il n'y a aucun empiètement de la construction nouvelle des époux [I] sur le mur privatif des époux [A].

Le tribunal a exactement pris en compte le constat d'huissier de justice du 10 décembre 2018 établi par les époux [I] (pièce 9 des intimés), l'attestation de M. [P] de la société MCRO qui a édifié la construction (pièce 10 des intimés), les photographies versées aux débats (pièce 4 des appelants et pièces 3 et 6 des intimés) ainsi que le constat d'huissier de justice du 27 septembre 2016 établi par les époux [A] (pièce 6 des appelants).

En effet, il résulte de ces pièces que la construction litigieuse a été édifiée au droit du mur pignon, qu'elle est indépendante et désolidarisée du mur privatif des époux [A], qu'il existe un interstice d'un ou deux centimètres entre le mur des époux [A] et la construction litigieuse dans lequel est glissée une plaque de polystyrène pour éviter les infiltrations, plaque qui ne doit pas être considérée comme un élément qui s'incruste ou est attachée au mur des époux [A] puisqu'elle est amovible.

La bande de solin qui est collée sur le mur des époux [A], au sommet de la construction, ne doit pas non plus être considéré comme un ouvrage portant atteinte au droit de propriété de ces derniers, dans la mesure où elle vise à se conformer aux prescription de l'arrêté municipal et permet d'éviter que les eaux de pluie ne ruissellent entre les deux constructions, et notamment sur le mur des époux [A] au risque de causer une infiltration.

Les époux [A] ne font état d'aucune infiltration sur leur mur privatif, mais sur un muret qui longe la terrasse surélevée des époux [I], et qui n'est l'objet d'aucune prétention dans le cadre du présent litige. Ce moyen est donc parfaitement inopérant.

La cour ajoute que le terme « accolé » est improprement employé dans le constat d'huissier de justice du 27 septembre 2016, puisqu'il n'y a en réalité aucune maçonnerie entre la construction litigieuse et le mur privatif de nature à accrocher ces deux éléments entre eux. L'emploi de ce terme par l'huissier de justice vise à montrer que les deux constructions sont extrêmement proches et peuvent donner une impression de mitoyenneté d'un 'il extérieur. C'est sans doute cela que les époux [A] n'admettent pas. Il n'en demeure pas moins que, du point de vue de la loi, la construction des époux [I] a été édifiée en limite mais sans empiéter sur leur propriété.

A hauteur d'appel, les époux [A] ne produisent aucune pièce supplémentaire ni aucun élément nouveau qui viendrait contredire ces éléments de preuve et la conclusion du tribunal.

Les époux [A] invoquent l'article 7 du cahier des charges du lotissement qui stipule que :

« 1) Il ne pourra être édifié sur chacun des lots privatifs qu'une maison individuelle ou garage.

2) Il ne pourra être reconstruit sur chacun des lots privatifs qu'une maison individuelle d'un type identique ou voisin, ne modifiant pas l'unité architecturale de l'ensemble et si ce type diffère de l'un de deux d'origine, il devra avant toute demande administrative de permission de bâtir, faire l'objet d'un agrément du comité syndical. Les mêmes règles s'appliqueront aux modifications qu'un propriétaire souhaiterait apporter à une construction existante.

3) Il ne pourra non plus être élevé de constructions annexes ou supplémentaires quelconques, telles que poulailler, pigeonnier, clapier, hangar, remise ou tout édifice même non fondé (ladite énumération n'étant pas limitative) ».

Cette pièce a été produite en première instance mais n'a pas été reprise dans la motivation du tribunal.

Les époux [I] font valoir que ce cahier des charges est caduc, au fondement de l'article L. 442-9 du code de l'urbanisme qui dispose que :

« Les règles d'urbanisme contenues dans les documents du lotissement, notamment le règlement, le cahier des charges s'il a été approuvé ou les clauses de nature réglementaire du cahier des charges s'il n'a pas été approuvé, deviennent caduques au terme de dix années à compter de la délivrance de l'autorisation de lotir si, à cette date, le lotissement est couvert par un plan local d'urbanisme ou un document d'urbanisme en tenant lieu.

De même, lorsqu'une majorité de colotis a demandé le maintien de ces règles, elles cessent de s'appliquer immédiatement si le lotissement est couvert par un plan local d'urbanisme ou un document d'urbanisme en tenant lieu, dès l'entrée en vigueur de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové.

Les dispositions du présent article ne remettent pas en cause les droits et obligations régissant les rapports entre colotis définis dans le cahier des charges du lotissement, ni le mode de gestion des parties communes ».

Force est de constater que l'adoption d'un plan local d'urbanisme de la ville de [Localité 7] (visé dans l'arrêté municipal autorisant la construction litigieuse) (pièce 3 des appelants) a rendu caduc le cahier des charges du lotissement invoqué par les époux [A] (pièce 14 des appelants). L'érection d'une construction en lieu et place d'un bâtiment existant ne concerne pas les rapports entre colotis ni la gestion des parties communes, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'appliquer l'alinéa 3 de l'article L. 442-9 du code de l'urbanisme invoqués par les époux [A]. La construction litigieuse a été autorisée, avec la réserve évoquée précédemment, par la mairie de [Localité 7]. Il s'ensuit que le moyen tiré de la contrariété avec le cahier des charges du lotissement n'est pas fondé.

C'est donc à bon droit que le tribunal a rejeté la demande de démolition des époux [A]. Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur la demande en dommages et intérêts des époux [A]

Moyens des parties

Les époux [A] poursuivent l'infirmation du jugement en ce qu'il a rejeté leur demande de dommages et intérêts et sollicitent, à titre subsidiaire, au fondement des articles 544 et 1240 du code civil, que leur soit alloué 10 000 euros en réparation de leur préjudice moral et 10 000 euros en réparation de leur préjudice de jouissance. Ils font valoir que la présence de la construction litigieuse est à l'origine de troubles anormaux du voisinage en ce qu'ils ne peuvent jouir paisiblement de leur mur, qu'elle modifie l'insertion de leur maison dans le paysage environnant en la rendant mitoyenne des deux côtés, et qu'il en résulte une baisse de la valeur vénale de leur maison et un préjudice esthétique.

Sur le préjudice moral, ils soutiennent que la procédure a été source d'anxiété, qu'ils ont des revenus modestes et que Mme [A] souffre d'une pathologie chronique (insomnies, troubles de l'humeur et de l'appétit) lié au litige avec les époux [I].

Les époux [I] demandent la confirmation du jugement en ce qu'il a rejeté la demande des époux [A], estimant qu'ils ne démontrent pas leur préjudice.

Appréciation de la cour

La théorie des troubles anormaux de voisinage, création prétorienne, qui repose sur les dispositions de l'article 544 du code civil et sur le principe susmentionné, met en 'uvre une responsabilité sans faute qui repose sur la considération que les relations de voisinage génèrent des inconvénients que chacun doit supporter sauf s'ils dépassent les limites de ce qu'il est habituel de supporter entre voisins.

La mise en 'uvre de cette responsabilité nécessite seulement l'existence d'une relation de voisinage, la preuve d'un lien de causalité entre un fait et une nuisance constitutive d'un trouble anormal.

Il convient en outre de rappeler que la simple gêne occasionnée n'est pas susceptible de caractériser l'existence d'un trouble anormal de voisinage.

En l'espèce, il apparaît sur les photographies de l'estimation immobilière du 4 mai 2017 (pièce 8) et sur la 3ème photographie avant les travaux, produite en pièce 6 par les intimés, que l'aspect extérieur de la maison des époux [A] a été modifié en raison du fait que désormais, leur maison semble mitoyenne des deux côtés alors qu'auparavant il existait un vide (avec seulement un petit abri de jardin très peu visible de la rue) entre la maison des époux [I] et la maison des époux [A]. Elle a pour conséquence de donner l'impression que la maison des époux [A] est mitoyenne des deux côtés.

Toutefois, si ce changement est susceptible de constituer un trouble, la preuve de son anormalité n'est aucunement rapportée. La construction litigieuse se situe dans un milieu urbain, dense, où les modifications des constructions sont fréquentes. De plus, elle a été réalisée avec des matériaux, un crépi et une apparence identique à la maison des époux [I] et à celle des époux [A], et est de la même hauteur que l'extension située à droite de la maison des époux [A]. Il en résulte qu'elle s'insère parfaitement dans le paysage architectural environnant et ne saurait dépasser les limites de ce qu'il est habituel de supporter entre voisins. Le caractère anormal du trouble n'est donc pas démontré et les époux [A] sont, dès lors, mal fondés à demander l'indemnisation d'un préjudice sur ce fondement.

Par ailleurs, les époux [A] sollicitent la réparation d'un préjudice de jouissance et d'un préjudice moral également au fondement de l'article 1240 du code civil.

A l'appui de leur demande au titre du préjudice moral, les époux [A] produisent au débat un certificat médical du Dr [E] du 14 février 2022 concernant Mme [A] qui atteste qu'elle « présente de multiples pathologies, responsable d'une perte progressive de l'autonomie (') Elle présente aussi une pathologie chronique ayant un retentissement sur la qualité de sa vie (') et elle est ainsi traitée depuis plusieurs années » (pièce 16 des appelants).

Cependant, aucune faute commise par les époux [I] n'est démontrée.

Au surplus, les pathologies dont souffrent Mme [A] existent depuis plusieurs années et ne sont pas exclusivement ni nécessairement liées au litige né avec les époux [I]. Aucune pièce n'est en outre produite à l'appui du préjudice moral dont souffrirait M. [A].

Si la création d'une extension au pied de leur mur pignon a nécessairement constitué un changement dans leur environnement, elle ne constitue ni un trouble anormal ni une faute de la part des époux [I].

Par conséquent, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté les époux [A] de leur demande de dommages et intérêts.

Sur la demande en dommages et intérêts des époux [I]

Moyens des parties

Les époux [I] poursuivent l'infirmation du jugement en ce qu'il a rejeté leur demande de dommages et intérêts et sollicitent, au fondement de l'article 1240 du code civil, l'indemnisation de leur préjudice moral à hauteur de 10 000 euros et de leur préjudice financier à hauteur de 350 euros. Ils font valoir qu'ils ont des revenus modestes et ont fait des sacrifices pour construire cette extension destinée à la mère de M. [I] pour lui éviter un placement en établissement pour personnes âgées dépendantes. Ils estiment avoir subi un préjudice moral lié à l'angoisse créée par la procédure et au syndrome anxieux réactionnel dont souffre Mme [I] (certificats médicaux décrivant une parodontite agressive avec bruxisme nocturne depuis mi 2018 chez Mme [I]). Sur le préjudice financier, ils demandent le remboursement des frais du constat d'huissier de justice du 10 décembre 2018.

Les époux [A] répliquent que cette demande est exorbitante et infondée et soutiennent qu'ils ont été contraint d'engager une procédure et ne connaissent pas qu'elles seront les conséquences de cette construction sur leur habitation.

Appréciation de la cour

L'article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

En l'espèce, il n'est pas démontré que l'appel interjeté a constitué un abus du droit d'ester en justice. Certes, les époux [A] n'ont pas fourni un élément supplémentaire par rapport à la première instance au soutien de leur demande de démolition sous astreinte et ce, alors même que la motivation du jugement ayant rejeté leur demande était parfaitement claire et étayée, mais ils ont toutefois tenté, à hauteur d'appel, d'obtenir l'indemnisation d'un préjudice en invoquant la théorie des troubles anormaux du voisinage. Le droit d'ester en justice est un droit fondamental qui ne dégénère en abus que dans l'hypothèque d'une faute démontrée.

Or, en l'espèce, la mauvaise foi et l'intention de nuire ne sont qu'alléguées par les intimés. En l'absence d'une faute démontrée de nature à faire dégénérer le droit d'agir en justice en abus, le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle des époux [I] de dommages et intérêts.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement en ce qu'il a statué sur l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens.

Partie perdante, les époux [A] seront condamnés in solidum aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile. Leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée.

L'équité commande d'allouer aux époux [I] la somme de 3000 euros pour les frais irrépétibles exposés en cause d'appel. Les époux [A] seront condamnés in solidum au paiement de cette somme.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition,

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant ;

CONDAMNE les époux [A] in solidum à verser aux époux [I] la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE les époux [A] in solidum aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

- signé par Madame Anna MANES, présidente, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 1re chambre 1re section
Numéro d'arrêt : 21/04473
Date de la décision : 04/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-07-04;21.04473 ?
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