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04/07/2023 | FRANCE | N°21/00639

France | France, Cour d'appel de Versailles, 4e chambre, 04 juillet 2023, 21/00639


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 54C



4e chambre



ARRET N°



REPUTE CONTRADICTOIRE



DU 04 JUILLET 2023



N° RG 21/00639 - N° Portalis DBV3-V-B7F-UJI2



AFFAIRE :



MUTUELLE DES ARCHTECTES FRANCAIS





C/





M. [V] [X]

et autres





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 22 Octobre 2020 par le Tribunal Judiciaire de VERSAILLES

N° Chambre : 4ème



N° RG : 1

5/01520



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :



Me Sammy JEANBART



Me Jérôme NALET



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE QUATRE JUILLET DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a r...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 54C

4e chambre

ARRET N°

REPUTE CONTRADICTOIRE

DU 04 JUILLET 2023

N° RG 21/00639 - N° Portalis DBV3-V-B7F-UJI2

AFFAIRE :

MUTUELLE DES ARCHTECTES FRANCAIS

C/

M. [V] [X]

et autres

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 22 Octobre 2020 par le Tribunal Judiciaire de VERSAILLES

N° Chambre : 4ème

N° RG : 15/01520

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Sammy JEANBART

Me Jérôme NALET

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUATRE JUILLET DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

MUTUELLE DES ARCHTECTES FRANCAIS

[Adresse 6]

[Localité 4]

Représentant : Maître Sammy JEANBART, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 111 et Maître Marc FLINIAUX, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D0146

APPELANTE

****************

Monsieur [V] [X]

[Adresse 8]

[Adresse 8]

[Localité 3]

Représentant : Maître Jérôme NALET de la SELARL LYVEAS AVOCATS, Postulant et Plaidant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 552

Madame [N] [E] épouse [X]

[Adresse 8]

[Adresse 8]

[Localité 3]

Représentant : Maître Jérôme NALET de la SELARL LYVEAS AVOCATS, Postulant et Plaidant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 552

Monsieur [D] [Y]

[Adresse 2]

[Localité 5]

Défaillant

Maître [S] [B], pris en qualité de syndic de faillite de la société ALPHA INSURANCE

[Adresse 7]

[Localité 1] / DANEMARK

Caducité de la déclaration d'appel à son égard

[Adresse 7]

[Adresse 7]

[Localité 1] / DANEMARK

Représentant : Maître Audrey ALLAIN, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 344 et Maître Julien ANDREZ de la SCP AyacheSalama, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R090

INTIMÉS

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 05 Juin 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Séverine ROMI, Conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Nathalie BOURGEOIS-DE RYCK, Première présidente de chambre,

Madame Séverine ROMI, Conseiller,

Madame Michèle LAURET, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Françoise DUCAMIN,

FAITS ET PROCÉDURE

Monsieur [V] [X] et son épouse madame [N] [E], propriétaires d'un terrain à l'Etang-la-ville, y ont fait édifier une maison individuelle sous la maîtrise d''uvre de monsieur [D] [Y], architecte, qui a reçu une mission complète de l'avant-projet jusqu'à la réception.

Le permis de construire a été obtenu le 7 décembre 2005.

La société EMCR a été chargée du lot gros-'uvre, la société RDM du terrassement et la société Vitor des lots couverture, isolation, menuiseries et revêtements extérieurs.

Monsieur et madame [X] ont fait assigner en référé monsieur [Y], son assureur la Mutuelle des architectes français (MAF), l'entreprise Vitor et son assureur de responsabilité décennale la MAAF aux fins de désignation d'un expert.

Monsieur [O] [J] a ainsi été nommé par ordonnance du 18 décembre 2012.

La MAF n'étant plus l'assureur de monsieur [Y] depuis le 31 décembre 2011, les opérations d'expertise ont été rendues communes à son nouvel assureur la société Alpha insurance par ordonnance du 3 septembre 2013.

L'expert judiciaire a déposé son rapport le 25 août 2014.

Les époux [X] ont attrait au fond les intervenants au chantier ainsi que les assureurs successifs de l'architecte.

La société Vitor a fait l'objet d'une procédure collective, ce qui a nécessité l'appel en intervention forcée de son administrateur judiciaire, la SCP Laureau-Jeannerot, et de son mandataire judiciaire, la SELARL Mars.

Par jugement du 22 octobre 2020, le tribunal judiciaire de Versailles a notamment :

constaté le désistement des époux [X] à l'égard de la société Alpha insurance,

condamné in solidum monsieur [D] [Y] et la Mutuelle des architectes français à payer à monsieur et madame [X] une somme de 1.200.000 euros TTC au titre des travaux de reprise, avec réactualisation en fonction de l'indice INSEE du coût de la construction, à compter du dépôt du rapport d'expertise le 25 août 2014, 201.600 euros au titre des pertes de loyer avec intérêts au taux légal et 15.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

*

La Mutuelle des architectes français a fait appel de ce jugement et conteste également, par voie de tierce-opposition, la nullité du contrat d'assurance liant monsieur [Y] à la société Alpha insurance, prononcée par jugement du 28 février 2017.

Par ordonnance d'incident du 11 janvier 2022, le conseiller de la mise en état a prononcé la caducité de la déclaration d'appel de la MAF à l'égard de Maître [B], mandataire liquidateur de la société Alpha, qui n'est donc pas présente au litige.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 8 novembre 2022, mais le rabat de clôture a été ordonné, pour l'affaire être plaidée le 28 novembre 2022.

Par décision du 15 mai 2023, la cour a ordonné la réouverture des débats sans révocation de l'ordonnance de clôture et le renvoi de la cause à l'audience du 05.juin 2023 pour plaidoiries en raison de l'indisponibilité du président de la section, en application des articles 444 et 447 du code de procédure civile.

*

La Mutuelle des architectes français conclut le 8 novembre 2022 d'infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Versailles du 22 octobre 2020 et de débouter monsieur et madame [X] de leur appel incident à son encontre.

Elle demande de la dire recevable et fondée à former tierce opposition à l'encontre du jugement du tribunal judiciaire de Versailles du 28 février 2017 et dire que le contrat souscrit par monsieur [Y] le 6 décembre 2012 auprès de la Société Alpha insurance n'est pas nul en application de l'article L113-8 du code des assurances, le jugement devant être réformé en ce qu'il a annulé ce contrat.

Elle soutient que ses garanties ne sont pas mobilisables.

Dans l'hypothèse où sa tierce opposition n'aboutirait pas, elle demande de rejeter les demandes des époux [X] dès lors que la souscription de la même garantie en base réclamation auprès de la compagnie Alpha insurance a mis irrévocablement fin à la période de garantie subséquente attachée au contrat de la MAF et prononcer sa mise hors de cause.

A défaut, dire que les époux [X] ne rapportent pas la preuve de la faute de l'architecte, d'un préjudice direct en résultant et du lien de causalité et de les débouter de l'intégralité de leurs demandes dirigées à son encontre.

En tout état de cause, elle demande de dire que leur demande au titre des taxes acquittées de 14.736 euros est irrecevable puisque non présentée en première instance.

Elle ajoute que toute condamnation à son encontre ne saurait excéder 250.000 euros au titre des malfaçons et non-façons avec déduction de la somme de 90.000 euros TTC correspondant au solde impayé de la société Vitor.

Elle demande de débouter monsieur et madame [X] de leur demande de fixation du préjudice immatériel du 1er janvier 2011 au 31 janvier 2021, le préjudice ne pouvant courir au-delà du 20 janvier 2015 avec application d'un coefficient de pondération de 50 % et de retenir leur faute avec une part de responsabilité de 20 %.

En tout état de cause, elle sollicite que les pénalités de retard soient exclues de toute garantie en application de l'article 2.123 des conditions générales et oppose une non-garantie au titre du préjudice locatif courant à compter du 1er janvier 2012 en raison d'un exercice anormal de la profession d'architecte par monsieur [Y].

La MAF ajoute que sa garantie doit être limitée en application des conditions de sa police qui contient une franchise ainsi qu'un plafond de 1.750.000 euros au titre des dommages matériels et immatériels, dont 500.000 euros au titre des dommages immatériels non consécutifs opposables aux tiers lésés dont font partie les pertes locatives.

Et enfin, elle sollicite de condamner monsieur et madame [X] à lui payer 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et en tous les dépens avec recouvrement direct.

Les époux [X] dans leurs conclusions déposées le 9 novembre 2022 demandent de confirmer le jugement déféré sauf en ce qu'il a limité leur préjudice à 200.600 euros au titre des pertes de loyer et rejeté leur demande au titre de l'assistance technique de Monsieur [L] dans le cadre des opérations d'expertise judiciaire ainsi que des frais de nettoyage et de sécurisation du chantier. Si elle était déclarée recevable à ce titre, ils demandent de rejeter la tierce-opposition de la MAF et sa demande de réformation du jugement du 28 février 2017,

Ils ajoutent que la condamnation de 1.200.000 euros TTC prononcée au titre des travaux de reprise, soit réactualisée en fonction de l'indice INSEE du coût de la construction, à compter du dépôt du rapport d'expertise, soit le 25 août 2014, jusqu'au jour de l'arrêt à intervenir.

Et ils réclament de condamner in solidum monsieur [D] [Y] et la MAF à leur payer,

- 508.200 euros au titre des pertes de loyer, sur la période du 1er janvier 2011 au 31 janvier 2021, avec intérêts au taux légal à compter du jugement du 22 octobre 2020

- 31.678 euros TTC de frais de mise en sécurité et de nettoyage du chantier, avec intérêts au taux légal à compter du jour de la délivrance de l'assignation.

- 34.136,57 euros d'honoraires d'architecte supportés pour assistance technique au cours des opérations d'expertise.

- 14.736 euros au titre des différentes taxes acquittées en pure perte.

- 10.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de la procédure d'appel.

Monsieur [D] [Y] n'est pas représenté au présent litige.

MOTIFS

Sur la tierce opposition de la MAF

L'article 582 du code de procédure civile dispose que la tierce opposition tend à faire rétracter ou réformer un jugement au profit du tiers qui l'attaque. Elle remet en question relativement à son auteur les points jugés qu'elle critique, pour qu'il soit à nouveau statué en fait et en droit.

L'article 583 du code procédure civile précise qu'est recevable à former tierce opposition toute personne qui y a intérêt, à la condition qu'elle n'ait été ni partie ni représentée au jugement qu'elle attaque.

L'article 588 du même code dispose que la tierce opposition incidente à une contestation dont est saisie une juridiction est tranchée par cette dernière si elle est de degré supérieur à celle qui a rendu le jugement ou si, étant d'égal degré, aucune règle de compétence d'ordre public n'y fait obstacle. La tierce opposition est alors formée de la même manière que les demandes incidentes. Dans les autres cas, la tierce opposition incidente est portée, par voie de demande principale, devant la juridiction qui a rendu le jugement.

Les parties au jugement doivent être appelées à la tierce opposition.

En l'espèce, l'ordonnance d'incident rendue le 11 janvier 2022 a prononcé la caducité de la déclaration d'appel de la MAF à l'égard de Maître [B], mandataire liquidateur de la société Alpha, partie qui n'est donc pas présente au litige.

Ainsi, en l'absence d'une des parties au litige, la tierce opposition de la MAF n'est pas recevable.

Sur la garantie de la MAF

En application de l'article L. 124-5, alinéa 4, du code des assurances, la garantie déclenchée par la réclamation couvre l'assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres, dès lors que le fait dommageable est antérieur à la date de résiliation ou d'expiration de la garantie, et que la première réclamation est adressée à l'assuré ou à son assureur entre la prise d'effet initiale de la garantie et l'expiration d'un délai subséquent à sa date de résiliation ou d'expiration mentionné par le contrat, quelle que soit la date des autres éléments constitutifs des sinistres. Toutefois, la garantie ne couvre les sinistres dont le fait dommageable a été connu de l'assuré postérieurement à la date de résiliation ou d'expiration que si, au moment où l'assuré a eu connaissance de ce fait dommageable, cette garantie n'a pas été re-souscrite ou l'a été sur la base du déclenchement par le fait dommageable.

Ainsi, lorsque l'assuré a eu connaissance du dommage postérieurement à la date de résiliation ou d'expiration de la garantie d'un premier contrat, en base réclamation, la souscription de la même garantie, en base réclamation, auprès d'un second assureur met irrévocablement fin à la période de garantie subséquente attachée au contrat initial.

En l'espèce, l'article 1.222 des conditions générales de la société MAF prévoit que la garantie est déclenchée par la réclamation, conformément à l'article L. 124-5 du code des assurances.

Le contrat souscrit auprès de la société Alpha insurance au 1er janvier 2012 a été annulé par le jugement du tribunal judiciaire de Versailles du 28 février 2017 de sorte qu'aucun contrat d'assurance n'a pu utilement succéder au contrat conclu avec la MAF.

Ainsi le fait dommageable est antérieur à la date de résiliation du contrat conclut avec la MAF et la date de la première réclamation peut être fixée au 2 novembre 2012, date de l'assignation en référé de la MAF, celle-ci doit sa garantie aux époux [X] en application des dispositions précitées.

Sur la responsabilité de l'architecte

Les époux [X], se fondent sur la responsabilité contractuelle de l'architecte -puisque aucune réception n'a pu intervenir- et doivent donc rapporter la preuve de la faute de l'architecte, du préjudice direct en résultant et du lien de causalité les unissant, les trois conditions sont cumulatives.

L'architecte est tenu d'une obligation variable selon le contrat qui le missionne. A la lecture du contrat signé entre les parties, la mission confiée à l'architecte est complète, de l'étude du projet jusqu'à l'assistance à la réception, elle inclut la direction de l'exécution des marchés et la réalisation conforme aux règles de l'art des prestations effectuées.

L'architecte chargé d'une mission complète qui consiste en particulier à concevoir le projet sollicité par le maître d'ouvrage, à l'assister pour la passation des marchés de travaux, à mettre au point les pièces constitutives du ou des marchés de travaux, est tenu d'un devoir d'information et de conseil à l'égard du maître d'ouvrage, dont il lui revient de démontrer le bon accomplissement.

Pour la conception du projet, l'architecte doit faire un projet réalisable, prendre en compte toutes les règles d'urbanisme, les servitudes, les contraintes techniques, administratives et juridiques,

collecter les informations nécessaires à la bonne réalisation du projet, renseigner le maître de l'ouvrage sur les risques, assister le maître de l'ouvrage dans le choix des entreprises, des matériaux et en toutes matières financières. Il est à cet égard responsable du mauvais choix d'une entreprise, de sa bonne situation financière et juridique.

Dans le cadre de sa mission de direction et de surveillance des travaux, le maître d''uvre ne doit pas assurer une présence constante sur le chantier et il ne se substitue pas à l'entrepreneur dans la surveillance de son personnel. En effet, les missions de l'architecte, maître d''uvre d'exécution, ne peuvent être confondues avec celles d'un chef de chantier ou d'un conducteur de travaux. Il doit toutefois être présent aux moments importants.

Il dirige l'exécution des travaux, les contrôle, les coordonne, vérifie le respect des règles de sécurité, l'évolution des coûts, les situations de travaux, il doit apprécier la nécessité de faire certains travaux supplémentaires. Il est responsable du retard des travaux, c'est une obligation de moyens.

En l'espèce, les époux [X] font grief à l'architecte de :

n'avoir respecté aucun engagement sur la mesure du prix ou sur les dates

avoir sous-estimé le coût total de l'opération

avoir dressé un dossier de consultation des entreprises incomplet

avoir proposé un calendrier prévisionnel d'exécution des travaux irréaliste sans aucun délai de préparation, de vérification et d'approbation des plans de chantier

avoir insuffisamment surveillé les travaux sans compte rendu écrit.

L'expert judiciaire en commençant sa mission est arrivé sur un chantier inachevé, il dit n'avoir pu examiner sérieusement les désordres, malfaçons ou non façons car c'était impossible et avoir essayé de comprendre quelles pouvaient être les priorités de la réorganisation des travaux et quelles en étaient les entraves prévisibles.

Il qualifie les diligences de l'architecte d'insatisfaisantes, pauvres, lentes, décousues et loin des exigences contractuelles.

Sur l'avant-projet présenté par l'architecte à ses clients, l'expert constate qu'il est irréaliste. Il n'a respecté aucun engagement sur la mesure du prix, sur les dates. L'avant-projet sommaire de 200 m2 habitables en avril 2005 est passé à 500 m2 deux mois après (hors surfaces annexes de 250 m2 utiles) avec une surface pondérée de 625 m2. L'estimation du coût total de l'ouvrage s'élevant à 1.198.500 euros a été largement sous-estimée par monsieur [Y].

En 2006, le dossier de consultation des entreprises n'était pas complet. En janvier 2007, l'architecte a produit un calendrier prévisionnel d'exécution des travaux irréaliste qui ne comportait aucun délai de préparation, de vérification et d'approbation des plans de chantier.

Pour la négociation du marché, en application du contrat, l'architecte aurait dû consulter plusieurs entreprises pour chaque lot, afin d'avoir une vision plus objective du coût réel de son projet, ce qui n'a pas été fait. Il a omis d'informer son client de la nécessité technique de connaître dès le début du chantier tous les intervenants principaux et a dû improviser au gré de son avancement.

Un calendrier de réalisation des travaux concernant tous les corps d'état aurait dû être annexé aux marchés de chaque entreprise, à défaut cela a entraîné une explosion des délais. Toutes les pièces des marchés devaient être signées et paraphées du client et des entreprises pour que chacun sache ses engagements, ce qui n'a pas été le cas.

Monsieur [Y] n'a pas perçu lorsqu'il a retenu la société Vitor qu'elle avait négocié un marché non-réaliste en offrant de construire pour 300.000 euros une part importante des travaux de la maison, alors qu'ils auraient dû coûter au moins trois fois plus. Le devis de l'entreprise Vitor ne comporte aucune quantité de sorte qu'aucune comparaison avec d'autres offres n'était possible.

L'entreprise a ouvert le chantier le 22 octobre 2007 et sous l'apparence des travaux les plus visibles a encaissé 85 % de son marché -ce qui lui aurait été dû pour des travaux complets et bien faits- sans que l'architecte n'émette de protestations.

Sa surveillance des travaux a été insuffisante. Il n'y a pas de comptes rendus écrits hebdomadaires comme prévus contractuellement. Les situations de travaux devaient être produites et vérifiées mensuellement par monsieur [Y] avant tout paiement, à défaut les maîtres de l'ouvrage ont trop payé sur la base de ses certificats qualifiés par l'expert d'injustifiés ou complaisants.

Le 2 avril 2009, il a enfin constaté les errements du maçon et l'a mis en demeure de respecter les plans de l'ingénieur béton et un calendrier d'exécution. L'expert affirme qu'il aurait pu redresser la situation en faisant réparer les erreurs au fur et à mesure ce qui n'a pas été le cas. Il n'a pu l'obtenir de la société Vitor qui était, de son fait, en avance de paiement.

Les défauts amplifiés par l'abandon du chantier nécessitent désormais la démolition totale ou partielle des ouvrages inachevés, l'expert affirme justement qu'il coûtera cher de démolir et de reconstruire ce qui pouvait être fait d'emblée correctement.

Ainsi, à tous les stades, de la conception du projet à l'exécution des travaux, la responsabilité contractuelle pour faute de monsieur [Y] en lien direct avec les préjudices subis par monsieur et madame [X] est engagée.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur l'immixtion des époux [X]

Le maître d''uvre peut s'exonérer totalement ou partiellement de la responsabilité qui pèse sur lui par la preuve de l'immixtion fautive du maître de l'ouvrage.

L'immixtion fautive dans la conception ou la réalisation des travaux suppose la preuve que le maître d'ouvrage a une compétence notoire, précise de la technique du bâtiment.

A défaut, il faut qu'il ait accepté sciemment un risque ce qui suppose une information claire de la part du professionnel et qu'il n'ait pas tenu compte de ses conseils concourant ainsi à la réalisation de son dommage.

La MAF prétend que l'immixtion des maîtres de l'ouvrage doit être retenue, alors que leur compétence notoire dans le domaine de la construction n'est pas caractérisée, monsieur [X] est ingénieur analyste et son épouse est sans emploi, ils apparaissent tous les deux profanes dans le domaine de la construction.

Quant à l'acceptation d'un risque de façon consciente, aucune preuve n'est versée pour étayer cette thèse.

Au surplus, aucune preuve d'acte d'immixtion n'est versée par l'assureur, l'expert n' a pas constaté de tels agissements, au contraire les maîtres de l'ouvrage absents puisque vivant à Singapour n'avaient aucune visibilité sur ce qui se passait et s'en remettaient entièrement au maître d''uvre. Ce n'est que lorsqu'ils se sont aperçus de la situation catastrophique du chantier qu'ils ont tenté d'agir vainement sur le maître d''uvre et sont intervenus de façon ponctuelle pour tenter de palier ses carences.

Ainsi, aucune preuve d' immixtion ne peut éluder ou diminuer même partiellement la responsabilité de l'architecte.

Sur l'indemnisation du préjudice

Sur les travaux de reprise

L'expert n'a pu précisément déterminer les malfaçons et non-façons eu égard à l'état du chantier. Il a fait un état des lieux pour définir les priorités qui concernaient la couverture, les capteurs en toiture, le bardage à compléter, les menuiseries extérieures avec la pose de volets roulants et la porte principale avec une serrure.

Il a évoqué les entraves qui concernaient les lots électricité, chauffage et plomberie qui ne sont pas attribués, les incorporations qui ont été oubliées, ainsi les fourreaux, gaines, tubes, câblages n'avaient pas été programmés.

Le lot plâtrerie, cloisons, doublages n'était pas adjugé et donc les ossatures des cloisons dans lesquelles remontent les gaines et câbles n'étaient pas posées.

Il préconisait aux maîtres d'ouvrage, avec l'aide d'un architecte, de décider du choix des corps d'état secondaires. Ainsi les époux [X] avec l'aide de monsieur [L], leur maître d''uvre, ont procédé à un calcul aboutissant à la somme de 1.258.786 euros HT pour rétablir le chantier, corriger ses défauts et le conduire au point de l'avancement convenu avec l'entreprise Vitor.

L'expert a justement retenu ce chiffre tout en le réduisant d'une marge de négociation de 20 % pour un montant global de 1.000.000 euros HT soit 1.200.000 euros TTC pour le clos et le couvert hors ouvrages de second 'uvre et voies et réseaux divers, espaces verts, avec réactualisation en fonction de l'indice INSEE du coût de la construction à compter du dépôt du rapport d'expertise et sans retranchement de la somme de 90.000 euros qui n'aurait pas été payée à l'entreprise Vitor, l'expert ne mettant pas en évidence un solde dû à cette entreprise qui au contraire a été trop payée pour les prestations effectuées.

C'est la somme qui aurait dû être supportée ensemble par les coresponsables du dommage, soit l'entrepreneur Vitor et l'architecte monsieur [Y]. Mais les époux [X] sont en droit de s'adresser à l'un des deux coresponsables pour obtenir la réparation de leur entier préjudice, l'entrepreneur n'existant plus, c'est l'architecte avec la garantie de son assureur qui seront condamnés in solidum à payer cette somme non valablement contestée par la MAF.

Les pertes de loyer et le préjudice de jouissance

Les époux [X] soutiennent que les carences de l'architecte monsieur [Y] et de la société Vitor ont engendré un manque à gagner pour eux puisqu'ils se sont trouvés dans l'impossibilité de louer le bien.

Comme l'expert l'a montré, les carences de l'architecte - de la conception au suivi de l'exécution- ont été la cause principale du retard prix par le chantier.

Sur la base d'une valeur locative de 4.200 €, selon les estimations immobilières produites, le

manque à gagner du mois de janvier 2011, période prévue pour l'achèvement de leur immeuble au mois de janvier 2021, puisqu'à la date du 7 juin 2022 le constat d'huissier versé montre des photographies de la maison qui n'est toujours pas habitable, il s'est écoulé 121 mois,

4.200 x 121 = 508.200 €.

Toutefois, comme le fait remarquer l'assureur la perte locative ne peut constituer qu'une perte de chance de pouvoir louer ledit bien. Eu égard à sa localisation et au montant du loyer, elle sera évaluée à 50 %.

Il sera alloué aux époux [X] la somme de 254.100 euros.

La perte locative ne se cumule pas avec la perte de jouissance, puisque soit l'immeuble est occupé par les propriétaires soit il est loué, la demande au titre de la perte de jouissance sera rejetée.

Les frais de mise en sécurité et de nettoyage du chantier

Les frais de nettoyage du chantier sont nécessairement compris dans l'estimation de l'expert, ce qui n'est pas le cas des frais de sécurisation du chantier qui sont justifiés par factures acquittées de 14.250 euros TTC.

Les frais d'assistance technique au cours des opérations d'expertise

Ces honoraires d'architecte pour l'assistance technique à l'expertise sont inclus dans la somme accordée au titre des frais irrépétibles.

Les taxes acquittées

Il est réclamé 14.736 euros au titre des taxes liées au permis de construire et au raccordement de l'égout, demande qui n'avait pas été présentée en première instance.

Cette prétention est constitutive d'une demande nouvelle selon la MAF.

Toutefois, les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge en application de l'article 566 du code de procédure civile sauf si ladite prétention est l'accessoire, la conséquence ou le complément d'une demande originaire.

En l'espèce, les taxes réclamées sont complémentaires aux frais dont le remboursement est réclamé, la demande est recevable.

Les taxes ont été acquittées mais selon les époux [X] en pure perte, ce qu'ils ne démontrent pas par le paiement de nouvelles taxes ou la réclamation d'une telle demande de la part de l'administration. La demande sera rejetée.

Sur les limites et conditions de la police

La garantie de la MAF s'applique dans les limites et conditions de la police qui contient une franchise opposable aux tiers lésés, dont les modalités de calcul sont fixées à l'article 3 des conditions particulières, et d'un plafond de garantie au titre des dommages matériels et immatériels d'un montant global de 1.750.000 euros dont 500.000 euros au titre des dommages immatériels non consécutifs, prévu à l'article 2 des conditions particulières.

Ce plafond est opposable aux tiers lésés de même que la franchise dès lors que seules les garanties facultatives sont en cause.

Sur les dépens et les autres frais de procédure

La MAF, qui succombe, a été à juste titre condamnée avec son assuré aux dépens de première instance. Elle sera également condamnée aux dépens d'appel, conformément à l'article 696 du code de procédure civile. Les dépens pourront être recouvrés directement dans les conditions prévues par l'article 699 du même code.

Selon l'article 700 1° de ce code, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée.

Le premier juge a fait une application équitable de ces dispositions, les circonstances de l'espèce justifient de condamner la MAF à payer aux époux [X] une indemnité de 8.000 euros au titre des frais exclus des dépens exposés en cause d'appel, elle sera elle-même déboutée de sa demande à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant après débats en audience publique, par arrêt réputé contradictoire,

DIT irrecevable la tierce opposition formée par la Mutuelle des architectes français,

Dit recevable la demande de monsieur [V] [X] et madame [N] [E] épouse [X] concernant le remboursement des taxes,

CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a,

Condamné in solidum monsieur [D] [Y] et la Mutuelle des architectes français à payer à monsieur [V] [X] et madame [N] [E] épouse [X] la somme de 1.200.000 euros TTC au titre des travaux de reprise, avec indexation sur l'indice INSEE de la construction du 25 août 2014, et y ajoutant, jusqu'à ce jour,

Débouté monsieur [V] [X] et madame [N] [E] épouse [X] de leurs demandes au titre du préjudice de jouissance, du nettoyage du chantier, des frais d'assistance de leur maître d''uvre,

Condamné in solidum monsieur [D] [Y] et la Mutuelle des architectes français à payer à monsieur [V] [X] et madame [N] [E] épouse [X] la somme de 15.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,

INFIRME pour le surplus,

Et, statuant à nouveau,

Condamne in solidum monsieur [D] [Y] et la Mutuelle des architectes français à payer à monsieur [V] [X] et madame [N] [E] épouse [X] la somme de 254.100 euros TTC au titre du préjudice locatif,

Condamne in solidum monsieur [D] [Y] et la Mutuelle des architectes français à payer à monsieur [V] [X] et madame [N] [E] épouse [X] 14.250 euros TTC au titre des frais de sécurisation du chantier,

Le tout avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

Dit que la garantie de la Mutuelle des architectes français est limitée par ses plafond et franchise contractuels,

Déboute pour le surplus,

CONDAMNE la Mutuelle des architectes français aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés directement dans les conditions prévues par l'article 699 du code de procédure civile, ainsi qu'à payer à monsieur [V] [X] et madame [N] [E] épouse [X] une indemnité de 8.000 euros, par application de l'article 700 du code de procédure civile, et la déboute de sa demande à ce titre.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Séverine ROMI, Conseiller pour le président empêché et par Madame Jeannette BELROSE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER, LE CONSEILLER,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 4e chambre
Numéro d'arrêt : 21/00639
Date de la décision : 04/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-07-04;21.00639 ?
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