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29/06/2023 | FRANCE | N°22/07540

France | France, Cour d'appel de Versailles, 14e chambre, 29 juin 2023, 22/07540


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 70C



14e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 29 JUIN 2023



N° RG 22/07540 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VSIF



AFFAIRE :



S.A. GRDF







C/

[X] [P]









Décision déférée à la cour : Ordonnance rendu le 12 Décembre 2022 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de NANTERRE

N° RG : 22/02937



Expéditions exécutoires

ExpÃ

©ditions

Copies

délivrées le : 29.06.2023

à :



Me Oriane DONTOT, avocat au barreau de VERSAILLES



Me Jérôme BORZAKIAN, avocat au barreau de PARIS



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT NEUF JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS,

La co...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 70C

14e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 29 JUIN 2023

N° RG 22/07540 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VSIF

AFFAIRE :

S.A. GRDF

C/

[X] [P]

Décision déférée à la cour : Ordonnance rendu le 12 Décembre 2022 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de NANTERRE

N° RG : 22/02937

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 29.06.2023

à :

Me Oriane DONTOT, avocat au barreau de VERSAILLES

Me Jérôme BORZAKIAN, avocat au barreau de PARIS

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT NEUF JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

S.A. GRDF

prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentant : Me Oriane DONTOT de la SELARL JRF AVOCATS & ASSOCIES, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 - N° du dossier 20220926

Ayant pour avocat plaidant Me Guillaume NAVARRO, du barreau de Paris

APPELANTE

****************

Monsieur [X] [P]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentant : Me Jérôme BORZAKIAN de la SELARL WEIZMANN BORZAKIAN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G0242 - N° du dossier 1523

INTIME

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 24 Mai 2023, Madame Marina IGELMAN, conseiller ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseiller faisant fonction de président,

Madame Marina IGELMAN, Conseiller,

Madame Marietta CHAUMET, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Mme Elisabeth TODINI

EXPOSÉ DU LITIGE :

La société GRDF (filiale à 100 % d'Engie) a pour activité la gestion du réseau de distribution de gaz naturel sur le territoire national.

Elle dispose de plusieurs sites dont l'un est situé [Adresse 1] à [Localité 7], lequel comprend 87 salariés qui ont pour mission de gérer la conception, la construction et la bonne exploitation du réseau de distribution de gaz.

Après la signature d'un accord de branche relatif aux mesures salariales le 17 octobre 2022 dans le secteur des industries électriques et gazières, des négociations ont été engagées au sein de chacune des entreprises de la branche pour que soient décidées des mesures salariales internes visant notamment à compenser l'inflation.

La société GRDF et les organisations syndicales CFE-Energies, CFDT et FO ont signé le 18 novembre 2022 un accord collectif d'entreprise qui prévoit l'avancement d'un niveau de rémunération à compter du 1er juillet 2022 pour chaque salarié.

La FNME CGT qui, dans le cadre des négociations souhaitait un avancement de 2 niveaux de rémunération, n'a pas signé cet accord, et a invité les agents à faire grève.

Dans le cadre du mouvement social ainsi initié, de nombreux sites de la société GRDF ont fait l'objet de blocages de la part de salariés grévistes, dont le site se trouvant sur la commune de [Localité 7] sur sequel a été installé un piquet de grève à compter du 14 novembre 2022.

Le site était ainsi occupé par plusieurs salariés en grève, dont M. [X] [P].

Par acte d'huissier de justice délivré le 2 décembre 2022, la société GRDF a fait assigner en référé M. [P] aux fins d'obtenir principalement :

- l'expulsion immédiate de M. [P] et de tous les participants au piquet de grève à l'entrée du site de [Localité 7] de la société GRDF, ainsi que de toutes personnes participant aux voies de fait constatées avec l'assistance de la force publique si besoin est,

- l'interdiction faite à M. [P] et aux participants au piquet de grève à l'entrée du site de [Localité 7] de la société GRDF, ainsi qu'à toute personne participant aux voies de fait constatées de bloquer le site de [Localité 7] de la société GRDF,

- après la notification de l'ordonnance, le libre accès de l'entrée du site de [Localité 7] de la société GRDF et la cessation des agissements illicites par M. [P] et par les participants au piquet de grève à l'entrée du site de [Localité 7] de la société GRDF, ainsi qu'à toutes personnes participant aux voies de fait constatées sous astreinte de 1 000 euros par personne et par infraction constatée.

Par ordonnance contradictoire rendue le 12 décembre 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre a :

- débouté la société GRDF de l'ensemble de ses demandes,

- mis à la charge de la société GRDF la somme de 1 500 euros à payer à M. [X] [P] en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- mis à la charge de la société GRDF les entiers dépens de l'instance,

- autorisé Me [N] [Z] à recouvrer directement ceux des dépens dont il a fait l'avance sans en avoir reçu provision.

Par déclaration reçue au greffe le 15 décembre 2022, la société GRDF a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition.

Dans ses dernières conclusions déposées le 22 mai 2023 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société GRDF demande à la cour, au visa des articles 834, 835 et 845 du code de procédure civile, de :

'- d'infirmer l'ordonnance rendue par le tribunal judiciaire de Nanterre le 12 décembre 2022 en toutes ses dispositions ;

statuant à nouveau de :

- juger que le blocage de l'unique entrée du site de [Localité 7] de la société GRDF constituait une voie de fait et un trouble manifestement illicite, outre qu'il exposait la société GRDF à un dommage imminent ;

de telle sorte que la société GRDF était bien fondée à solliciter du juge des référés qu'il :

- ordonne l'expulsion immédiate et sans délai de M. [X] [P] et de tous les participants au piquet de grève à l'entrée du site de [Localité 7] de la société GRDF, ainsi que de toutes personnes participant aux voies de fait constatées avec l'assistance de la force publique si besoin est ;

- ordonne qu'il soit fait défense à M. [X] [P] et aux participants au piquet de grève à l'entrée du site de [Localité 7] de la société GRDF, ainsi qu'à toute personne participant aux voies de fait constatées de bloquer le site de [Localité 7] de la société GRDF;

- ordonne à M. [X] [P] et aux participants au piquet de grève à l'entrée du site de [Localité 7] de la société GRDF, ainsi qu'à toutes personnes participant aux voies de fait constatées sous astreinte de 1 000 euros par personne et par infraction constatée, après notification de l'ordonnance à intervenir, de laisser libre d'accès l'entrée du site de [Localité 7] de la société GRDF et de cesser lesdits agissements illicites ;

- qu'en cas de besoin, il pourrait être fait appel à la force publique pour faire respecter l'ordonnance à intervenir ;

et, en tout état de cause de :

- condamner M. [X] [P] à verser à la société GRDF la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.'

Dans ses dernières conclusions déposées le 19 mai 2023 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, M. [P] demande à la cour, au visa des articles 835 et 835 du code de procédure civile, des pièces versées aux débats et de la jurisprudence, de :

'- confirmer le jugement du 7 décembre 2022 en ce qu'il a débouté la société GRDF de l'ensemble de ses demandes et renvoyer cette dernière, à hauteur de cours, à se mieux pourvoir.

- condamner la société GRDF à payer à l'intimé la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

- condamner la société GRDF en tous les dépens sur le fondement de l'article 696 du nouveau code de procédure civile, lesquels pourront être recouvrés directement par Maître Jérôme Borzakian, avocat aux offres de droit, en application de l'article 699 du code de procédure civile.'

L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 mai 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Si la société GRDF appelante indique que le site a été restitué par les grévistes le 5 janvier 2023, elle demande toutefois à la cour d'infirmer l'ordonnance attaquée et de juger qu'à la date où le tribunal judiciaire de Nanterre a statué, le blocage de l'accès de l'agence de [Localité 7] par M. [P] et par toutes personnes y participant constituait un trouble manifestement illicite auquel il devait être mis fin en urgence et exposait la société GRDF à un dommage imminent qu'il convenait de prévenir, le juge des référés étant à l'évidence compétent pour y mettre fin, les mesures sollicitées ne se heurtant à aucune contestation sérieuse.

Elle entend démontrer que le blocage total de l'entrée du site de [Localité 7] constituait à l'évidence une voie de fait (et ainsi un trouble manifestement illicite), dès lors qu'il portait atteinte à la liberté d'aller et venir, à son droit de propriété, à la liberté de travail des salariés non-grévistes et à sa liberté d'entreprendre, rappelant que le constat de l'entrave à une seule de ces libertés fondamentales aurait dû conduire le juge des référés à considérer que le blocage était illicite.

Sur l'atteinte à la liberté d'aller et venir, elle soutient qu'il résulte clairement des constats d'huissier et notamment, des photos prises par celui-ci, que les grévistes présents occupaient le site jours et nuits et bloquaient la seule entrée et sortie du site possible aux non-grévistes et représentants de l'employeur et ce, en ne permettant l'accès au site qu'aux salariés grévistes.

Elle conteste l'argumentation adverse selon laquelle la caractérisation d'une atteinte à la liberté d'aller et venir ne pourrait être opérée que s'il était également établi qu'elle entraînait une désorganisation du fonctionnement de l'entreprise.

Sur l'atteinte à son droit de propriété, elle avance que, le seul constat par le juge des référés de l'occupation permanente du site de [Localité 7] aurait dû conduire ce dernier à juger illicite le piquet de grève litigieux.

Elle souligne que compte tenu du film opaque noir installé sur les grilles et le portail, les représentants de la société GRDF ne pouvaient pas non plus voir depuis l'extérieur ce qui se passait sur le site (à l'exception des spots que l'on voyait depuis la rue clignotant de façon intense chaque nuit dans la salle de réunion située au 2ème étage du bâtiment) ; qu'elle n'avait plus aucun contrôle sur l'intérieur de son site.

S'agissant de l'atteinte à la liberté de travail des salariés non-grévistes, elle expose qu' il résulte des constats d'huissier et des pièces qu'elle produit que le blocage de l'entrée était total et empêchait tous les salariés non-grévistes de rejoindre le site de [Localité 7] et leur lieu habituel de travail et ainsi, pour les agents non-grévistes, d'exercer leurs fonctions en intervenant chez les clients aux alentours avec un véhicule GRDF et le matériel stocké sur le site, et pour les managers et salariés occupant des fonctions de bureaux, de rejoindre leur poste de travail.

Concernant enfin l'atteinte à la liberté d'entreprendre, elle prétend démontrer que :

- les non-grévistes n'ayant pas accès au site pouvaient n'assurer qu'une très faible activité (de service client et de maintenance) et ce en tentant d'exercer leurs fonctions depuis le parking d'un hôtel situé à proximité du site avec des voitures de location et du matériel loué à des prestataires ;

- les travaux, les mises en gaz pour essai et les maintenances relevant du site de [Localité 7] étaient à l'arrêt ;

- elle a été dans l'obligation de faire intervenir, sur la base du volontariat, des salariés d'autres régions en renfort lesquels intervenaient avec leur propre matériel et véhicules, dès lors que le matériel du site de [Localité 7] était inaccessible ;

- à la date à laquelle le tribunal judiciaire de Nanterre a statué, sur le secteur de [Localité 7], 112 clients dépendant du site étaient en attente de mise en service gaz et ainsi privés de chauffage et d'eau chaude.

Elle argue également d'une atteinte à la liberté d'entreprendre des prestataires extérieurs qui ne pouvaient pénétrer sur le site de [Localité 7] pour réaliser leur intervention.

M. [P], intimé, sollicite quant à lui la confirmation intégrale de l'ordonnance dont appel ayant débouté la société GRDF de ses demandes.

Il conclut en premier lieu sur l'absence d'urgence au vu de la tardiveté de la réaction de la société GRDF, puisque le piquet de grève était installé depuis le 14 novembre 2022 et que l'entreprise ne l'a assigné que le 1er décembre suivant, et souligne également sur ce point que toutes les interventions d'urgence ont été réalisées par les salariés qui n'étaient grévistes que 2 heures par jour chacun et qui réalisaient en outre, l'ensemble des astreintes auxquelles ils sont soumis.

Il conclut en deuxième lieu à l'absence de caractérisation d'un trouble manifestement illicite faute de constatation d'une désorganisation totale de l'entreprise, une simple désorganisation de la production ou une diminution globale de production étant insuffisantes.

Sur l'allégation afférente à l'atteinte à la liberté d'entreprendre de la société GRDF, il entend mettre en avant l'aspect « tournant » de la grève mise en place, soulignant qu'une large partie des activités a été maintenue, ne créant en conséquence aucune atteinte à la liberté d'entreprendre.

Pour démontrer ses dires, il verse aux débats un certain nombre de planning montrant les travaux planifiés pendant la période litigieuse, ainsi qu'un certain nombre de bons d'intervention relatifs à la continuité du service public de la distribution du gaz ou encore aux interventions en matière de dépannage et de sécurité.

Il indique précisément que les « tournées sont datées du 28 novembre 2022 ou bien encore 30 novembre 2022 ou bien, mieux encore, des 1er décembre ou bien 2 décembre 2022 démontrant ainsi, si besoin était, le fait que si l'employeur avait dû saisir Votre juridiction pour une prétendue impossibilité d'exercice des missions dévolues à l'agence (liberté du travail des agents non-grévistes ou encore liberté d'aller et venir ou mieux encore liberté d'entreprendre !) cela était utile et surtout opérant dans la période du 14 au 27 novembre 2022 mais certainement pas ensuite et ceci dans la mesure où les activités de l'agence sont à présent réalisées. Elles le sont certes en mode « dégradé » et ceci en raison justement de la grève au sein de l'établissement dont c'est l'objet même d'interdire une activité « normale » mais sans que ne soit justifié l'absence totale d'activité et, moins encore, la réalité des travaux de maintien du service public du gaz ou encore des interventions de sécurité ! » (page 13 de ses écritures).

S'agissant de l'ensemble des allégations d'atteintes à des libertés fondamentales, il rétorque que la société GRDF n'apporte aucun élément de nature à démontrer que le blocage du site de [Localité 7] est, en tant que tel, à l'origine d'une désorganisation de l'entreprise excédant la perturbation de l'activité inhérente à la cessation du travail ; que seuls dix techniciens sur les 70 salariés que compte l'établissement ne participaient pas à la grève ; qu'ils n'ont pas été empêchés de travailler puisqu'ils ont eu accès à d'autres véhicules que ceux empêchés de sortir et ont reçu les plannings d'intervention réalisés par le personnel d'encadrement.

Sur ce,

Aux termes de l'article 835 alinéa 1er du code de procédure civile, le juge du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite, lesquels doivent être appréciés à la date à laquelle le premier juge a statué.

Le trouble manifestement illicite s'entend de toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit. Le dommage est réalisé et il importe d'y mettre un terme.

Le dommage imminent dont la preuve de l'existence incombe à celui qui l'invoque, s'entend du 'dommage qui n'est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer'.

Il s'ensuit que pour que la mesure sollicitée soit prononcée, il doit nécessairement être constaté, à la date à laquelle le premier juge a statué, et avec l'évidence qui s'impose à la juridiction des référés, l'imminence d'un dommage ou d'un préjudice sur le point de se réaliser et dont la survenance et la réalité sont certaines, un dommage purement éventuel ne pouvant être retenu pour fonder l'intervention du juge des référés.

La constatation de l'existence d'un trouble manifestement illicite ou de l'imminence du dommage suffit à caractériser l'urgence afin d'en éviter les effets.

Aux termes du Préambule de la Constitution de 1946 auquel renvoie la Constitution du 4 octobre 1958, le droit de grève est un droit fondamental à valeur constitutionnelle dont l'exercice doit cependant être justifié et proportionné lorsqu'il se trouve en conflit avec une liberté équivalente, comme tel est le cas notamment du droit de propriété, et des libertés d'entreprendre, de travail et d'aller et venir invoqués par la société GRDF, étant souligné comme elle le fait valoir que la caractérisation d'une atteinte excessive à un seul de ces droits fondamentaux suffit pour justifier l'intervention du juge des référés sur le fondement de l'article 835 alinéa 1 susvisé.

Ainsi, le droit de grève ne peut dégénérer en abus que s'il porte atteinte à l'une ou plusieurs de ces libertés ou s'il entraîne une désorganisation grave de l'entreprise, étant rappelé que la désorganisation d'une entreprise, dès lors qu'elle reste dans les limites du raisonnable, est une conséquence normale de l'exercice du droit de grève.

La société GRDF entend caractériser l'exercice abusif du droit de grève en faisant valoir que le mouvement de grève déclenché à compter du 14 novembre 2022, dont il n'est pas discuté qu'il ait pris fin le 5 janvier 2023, a conduit à un blocage total du site de [Localité 7].

Il sera dès à présent relevé qu'il résulte des termes des conclusions de l'appelante qu'elle n'allègue en réalité nul péril imminent, déplorant uniquement une situation de blocage du site et reconnaissant par ailleurs que les interventions relatives à la sécurité étaient assurées, comme attesté par les plannings des salariés et les bons d'intervention concernant la période du 17 au 30 novembre versés aux débats par l'intimé, de sorte que le dommage imminent invoqué doit être écarté.

L'entreprise versent à l'appui de son allégation de l'existence d'un trouble manifestement illicite résultant de la paralysie jours et nuits du site plusieurs procès-verbaux établis à sa demande par un huissier instrumentaire.

Il résulte en effet des procès-verbaux verbaux d'huissier de justice établis les 24, 25, 26 et 6 décembre 2022 que l'accès aux bâtiments du site GRDF de [Localité 7] était empêché par la présence d'une chaîne métallique et de cadenas entravant les entrées, ainsi que par le stationnement d'un véhicule utilitaire de l'entreprise devant le portail.

S'il ressort également des débats qu'une partie de l'activité du site a toutefois été maintenue, s'agissant principalement des travaux d'astreintes relatifs aux dépannages et interventions d'urgence, il découle néanmoins des attestations versées en pièces n° 37 et 38 par l'appelante, émanant respectivement d'une « déléguée Interventions Exploitations maintenance IDF Ouest » ainsi que d'une « directrice adjointe Réseaux GRDF IDF », que les « managers se sont systématiquement vu refuser l'accès du site (') entre le 14 novembre 2022 et le 5 janvier 2023 », conduisant à la location d'une salle dans un hôtel voisin situé à [Localité 6], ce qui ressort également des déclarations faites par l'appelante à l'huissier instrumentaire intervenu les 7 et 15 décembre 2022, à qui il était indiqué que « le site GRDF de [Localité 7] (92) est occupé par les grévistes depuis plusieurs semaines et que ces derniers refusent l'accès aux cadres dirigeants et managers », situation imposant « la mise en place d'une organisation spécifique notamment par la location d'une salle de travail dans un hôtel proche du site en raison des conditions de travail dégradées ».

Ainsi, de par ces seules constatations, il est avéré que pendant la durée de la grève qui s'est étalée du 14 novembre 2022 au 5 janvier 2023, le personnel gréviste, parmi lequel figure M. [P] intimé, a, par ses actions d'entraves systématiques et persistantes à l'entrée et la circulation des managers sur leur lieu de travail, porté atteinte à la liberté d'aller et venir du personnel d'encadrement de l'entreprise, lequel est également salarié, mais n'était pas gréviste.

Ces obstructions à la liberté d'aller et venir d'une partie des salariés non grévistes de l'entreprise, de par leurs caractères total et continu, caractérisaient ainsi, au jour où le premier juge a statué, un trouble manifestement illicite ainsi qu'il sera dit au dispositif du présent arrêt par voie d'infirmation, sans qu'il soit nécessaire dès lors, d'examiner les autres griefs invoqués.

Toutefois, ces actions ayant pris fin depuis le 5 janvier 2023, il sera dit, à hauteur de cour, que les demandes tendant à faire cesser le trouble manifestement illicite sont devenues sans objet.

Sur les demandes accessoires :

La société GRDF étant accueillie en son recours, l'ordonnance sera infirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.

Partie perdante, M. [P] ne saurait prétendre à l'allocation de frais irrépétibles. Il devra en outre supporter les dépens de première instance et d'appel.

L'équité commande en revanche de débouter les deux parties de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, tant en première instance qu'en appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant par arrêt contradictoire,

Infirme l'ordonnance du 12 décembre 2022,

Statuant à nouveau,

Constate la caractérisation d'un trouble manifestement illicite au jour où le premier juge a statué,

Dit que les mesures sollicitées afin d'y mettre un terme sont devenues sans objet,

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile tant en première instance qu'en appel,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Dit que M. [X] [P] supportera les dépens de première instance et d'appel.

Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseiller faisant fonction de Président et par Madame Françoise DUCAMIN, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 14e chambre
Numéro d'arrêt : 22/07540
Date de la décision : 29/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-29;22.07540 ?
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