COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 30B
14e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 29 JUIN 2023
N° RG 22/03720 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VHQY
AFFAIRE :
S.A.S. CARRE D'AS
C/
S.C.I. LA CROIX NAPLES
Société BTSG prise en la personne de Maître [F] [U], es qualité de mandataire judiciaire de la Société CARRE D'AS
...
Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 27 Avril 2022 par le Président du TJ de NANTERRE
N° RG : 21/03069
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le : 29.06.2023
à :
Me Dan ZERHAT, avocat au barreau de VERSAILLES
Me Banna NDAO, avocat au barreau de VERSAILLES
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT NEUF JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
S.A.S. CARRE D'AS
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité.
N° SIRET : 888 691 904 (Rcs Nanterre)
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représentant : Me Dan ZERHAT de l'AARPI OHANA ZERHAT CABINET D'AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 731 - N° du dossier 22078092
Ayant pour avocat plaidant Me Davina SUSINI-LAURENTI, du barreau de Paris
APPELANTE
****************
S.C.I. LA CROIX NAPLES
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité.
[Adresse 2]
[Localité 5]
Ayant pour avocats plaidants Me Nicolas GUERRIER et Me Alain DE LANGLE, au barreau de PARIS, vestiaire : P0208
Représentant : Me Banna NDAO, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 667
INTIMEE
****************
Société BTSG
prise en la personne de Maître [F] [U], es qualité de mandataire judiciaire de la Société CARRE D'AS
[Adresse 1]
[Localité 6]
Société AJRS
prise en la personne de [K] [G], es qualité d'administrateur de la société CARRE D'AS
[Adresse 3]
[Localité 6]
Représentant : Me Dan ZERHAT de l'AARPI OHANA ZERHAT CABINET D'AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 731 - N° du dossier 22078092
Ayant pour avocat plaidant Me Davina SUSINI-LAURENTI, du barreau de Paris
PARTIES INTERVENANTES
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 15 Mai 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marina IGELMAN, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseiller faisant fonction de président,
Madame Marina IGELMAN, Conseiller,
Madame Marietta CHAUMET, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Mme Elisabeth TODINI,
EXPOSÉ DU LITIGE :
Suivant acte sous seing privé en date du 1er juillet 2013, à effet du même jour, les consorts [O] [Z], aux droits desquels vient la société La Croix Naples, ont consenti à la société Le Pub, aux droits de laquelle vient la société Carré d'As (cession ordonnée dans le cadre de la procédure collective de la société Le Pub), un bail commercial portant sur les locaux dépendant de l'immeuble situé [Adresse 4], afin d'y exercer une activité de « bar de type et de style Bar anglais et Havana Club », moyennant un loyer hors taxe et hors charge de 39 000 euros par an, payable trimestriellement et d'avance.
Par acte d'huissier du 21 octobre 2021, la société La Croix Naples a fait délivrer à sa locataire un commandement visant la clause résolutoire, d'avoir à régler la somme en principal de 40 077,97 euros, échéance du 1er octobre 2021 incluse.
Par acte d'huissier de justice délivré le 25 novembre 2021, la société La Croix Naples a fait assigner en référé la société Carré d'As aux fins d'obtenir principalement de voir constater l'acquisition de la clause résolutoire, obtenir son expulsion des lieux loués et sa condamnation à lui payer une provision de 40 077,99 euros sur les loyers, charges et indemnité d'occupation arrêtés au 25 novembre 2021 ainsi qu'une indemnité d'occupation égale au montant du loyer.
Par ordonnance contradictoire rendue le 27 avril 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre a :
- condamné la société Carré d'As à payer à la société La Croix Naples la somme provisionnelle de 40 077,97 euros correspondant aux loyers et charges impayés au 25 novembre 2021, loyer du 4ème trimestre inclus,
- constaté la résolution du bail au 21 novembre 2021,
- ordonné, si besoin avec le concours de la force publique, l'expulsion de la société Carré d'As ou de tous occupants de son chef des locaux situés au [Adresse 4],
- condamné la société Carré d'As à payer à la société La Croix Naples une indemnité d'occupation à compter du 21 novembre 2021 et ce, jusqu'à la libération effective des lieux, égale au montant du loyer, augmenté des charges et taxes afférentes, qu'elle aurait dû payer si le bail ne s'était pas trouvé résilié,
- rappelé que les meubles et objets mobiliers se trouvant sur place donneront lieu à l'application des dispositions des articles L. 433-1 et R. 433-1 du code des procédures civiles d'exécution,
- condamné la société Carré d'As à payer à la société La Croix Naples la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société Carré d'As aux dépens en ce compris le coût du commandement de payer.
Par déclaration reçue au greffe le 3 juin 2022, la société Carré d'As a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition.
Le 3 août 2022, le tribunal de commerce de Nanterre a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Carré d'As.
Par ordonnance du 24 novembre 2022, le magistrat délégué par le premier président a constaté l'interruption de l'instance.
Par message RPVA en date du 1er décembre 2022, le conseil de l'appelante a indiqué s'être constitué dans les intérêts des organes de la procédure collective de la société Carré d'As, de sorte que l'affaire a été réinscrite au rôle et un nouveau calendrier de procédure fixé.
Dans leurs dernières conclusions déposées le 31 mars 2023 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, la société Carré d'As, la société AJRS, prise en la personne de Maître [K] [G], ès qualités d'administrateur judiciaire, et la société BTSG, prise en la personne de Maître [F] [U], ès qualités de mandataire judiciaire de la société Carré d'As, demandent à la cour, au visa des articles L. 145-41, L. 621-40 du code de commerce et 910-4 du code de procédure civile, de :
« - constater l'intervention volontaire de :
* la société AJRS, prise en la personne de Maître [K] [G], ès qualité d'administrateur judiciaire de la société Carré d'As ;
* la société BTSG, prise en la personne de Maître [F] [U], ès qualité de mandataire judiciaire de la société CARRE D'AS ;
- déclarer recevable et fondé l'appel formé par la Société CARRE D'AS,
- déclarer recevables et fondées les prétentions de la Société CARRE D'AS et de la société nées du fait de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire du 3 août 2022,
en conséquence,
- infirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance du 27 avril 2022,
statuant à nouveau,
- débouter la SCI LA CROIX NAPLES de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
- condamner la SCI LA CROIX NAPLES au paiement d'une somme de 1 500 € au profit de la société CARRE D'AS en remboursement des frais non taxables en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la SCI LA CROIX NAPLES en tous les dépens d'appel et de première instance. »
Dans ses dernières conclusions déposées le 3 mai 2023 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la SCI La Croix Naples demande à la cour de :
« - infirmer l'ordonnance dont appel
- débouter la société CARRE d'AS de ses demandes
statuant à nouveau
- fixer la créance de la société La Croix Naples au passif de la procédure collective de la société Carré d'As à la somme de 67.209€
- juger que la créance du bailleur se compensera avec le montant du dépôt de garantie.
- juger les organes de la procédure collective aux dépens d'appel. »
L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 mai 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Les appelants, rappelant les dispositions de l'article L. 621-40 du code de commerce, demandent à la cour de juger que les effets du commandement de payer du 21 octobre 2021 sont suspendus dès lors que les créanciers ne peuvent plus poursuivre le débiteur faisant l'objet d'une procédure collective au titre de dettes antérieures à l'ouverture d'une telle procédure.
Ils précisent que la résiliation du bail dont est titulaire la société Carré d'As n'a pas été constatée par une décision de justice devenue définitive au moment où est intervenu le jugement d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire le 3 août 2022.
Ils font également valoir que le bailleur est mal fondé à solliciter le paiement de la somme de 75 283,36 euros au titre des loyers, charges arriérés et indemnité d'occupation arrêtée au 1er juillet 2022 inclus, alors que cette dette représente une dette antérieure au jugement d'ouverture.
Faisant observer que le jugement de redressement judiciaire étant intervenu postérieurement à l'ordonnance dont appel, la société La Croix Naples indique s'en rapporter sur les demandes des appelants.
Elle demande toutefois que sa créance soit fixée au passif de la procédure collective à la somme de 67 209 euros correspondant au montant de la dette au jour du jugement d'ouverture et de juger que celle-ci se compensera avec le montant du dépôt de garantie détenu par le bailleur.
A titre surabondant, elle fait remarquer qu'il est dû désormais une somme de 10 396,34 euros au titre des loyers échus postérieurement au jour du jugement d'ouverture.
Sur ce,
Il convient à titre liminaire de donner acte à la société AJRS, prise en la personne de Maître [K] [G], et à la société BTSG, prise en la personne de Maître [F] [U], de leur intervention volontaire en leur qualité respective d'administrateur et de mandataire judiciaires de la société Carré d'As.
L'article L. 145-41 du code de commerce dispose que toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit à peine de nullité mentionner ce délai.
L'article L. 622-21 I du code de commerce, applicable en procédure de redressement judiciaire par renvoi de l'article L. 631-14 du même code, dispose que le jugement d'ouverture d'une procédure collective 'interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant :
1° A la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ;
2° A la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent.'
Il résulte de la combinaison de ces textes que l'action introduite par le bailleur, avant le placement en redressement judiciaire du preneur, en vue de faire constater l'acquisition de la clause résolutoire figurant au bail commercial pour défaut de paiement des loyers ou des charges échus antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure, ne peut être poursuivie après ce jugement.
Au cas présent, la décision dont appel date du 27 avril 2022 tandis que la procédure de redressement judiciaire de la société Carré d'As a été ouverte par jugement du 3 août 2022, de sorte qu'à cette date, elle n'était pas passée en force de chose jugée.
En application des textes susvisés, à défaut de décision passée en force de chose jugée antérieurement à l'ouverture de la procédure collective, une demande tendant à la constatation en référé de l'acquisition d'une clause résolutoire d'un bail commercial pour défaut de paiement de loyers échus avant l'ouverture de la procédure collective se heurte à l'interdiction des poursuites et doit être déclarée irrecevable.
Il est par ailleurs constant que seules les condamnations prononcées par le juge du fond peuvent faire l'objet d'une fixation au passif d'une société en redressement judiciaire et qu'une provision susceptible d'être accordée par le juge des référés n'étant par nature qu'une créance provisoire, ne peut faire l'objet d'une telle fixation, la demande concernant cette créance devant être soumise au juge-commissaire dans le cadre de la procédure de vérification des créances.
Par voie d'infirmation, il convient dès lors de déclarer la société La Croix Naples irrecevable en toutes ses demandes.
Sur les demandes accessoires :
Les appelants sollicitent la condamnation de la société Carré d'As à leur verser la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.
La société La Croix Naples conclut qu'il ne saurait être fait droit à la demande formée au titre de l'article 700 par les intimés, faisant valoir que rien ne justifie de la condamner à des frais de procédure alors qu'elle n'est pas à l'origine de la procédure d'appel et qu'elle était parfaitement légitime en sa procédure de référé eu égard à l'importance de la dette locative.
Elle demande également la condamnation des organes de la procédure collective ès qualités aux entiers dépens.
Sur ce,
Compte tenu des faits de l'espèce et de l'évolution procédurale de la situation de l'appelante, l'ordonnance sera confirmée en ce qu'elle a statué sur les frais irrépétibles ainsi que sur les dépens sauf à préciser qu'ils seront fixés au passif de la procédure collective de la société Carré d'As.
A hauteur d'appel, chacune des parties conservera la charge des dépens par elles exposés.
Irrecevable en ses demandes, la société La Croix Naples ne saurait prétendre à l'allocation de frais irrépétibles.
Par équité, la société Carré d'As et les organes de la procédure seront déboutés de leur demande à ce titre.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Vu le jugement du tribunal de commerce de Nanterre rendu le 3 août 2022 ouvrant une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Carré d'As,
Donne acte à la société AJRS, prise en la personne de Maître [K] [G], et à la société BTSG, prise en la personne de Maître [F] [U], de leur intervention volontaire en leur qualité respective d'administrateur et de mandataire judiciaires de la société Carré d'As,
Infirme l'ordonnance entreprise en date du 27 avril 2022 en toutes ses dispositions sauf en ce qu'elle a statué sur les frais irrépétibles ainsi que sur les dépens et sauf à préciser qu'ils seront fixés au passif de la procédure collective de la société Carré d'As,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déclare la société La Croix Naples irrecevable en ses demandes,
Dit que chaque partie conservera la charge des dépens par elle exposés à hauteur d'appel,
Dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel.
Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseiller faisant fonction de Président et par Madame Françoise DUCAMIN, Greffier lors du délibéré, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,