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29/06/2023 | FRANCE | N°22/02710

France | France, Cour d'appel de Versailles, 21e chambre, 29 juin 2023, 22/02710


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80C



21e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 29 JUIN 2023



N° RG 22/02710 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VM4Y



AFFAIRE :



[F] [U]

...



C/

S.A. FRANCE TELEVISIONS









Décision déférée à la cour : Ordonnance rendu le 04 Décembre 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT



Arrêt de la Cour de cassation d

e PARIS du 25 mai 2022





N° Chambre :

N° Section :

N° RG : 15/00366







Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées le :



à :



Me Bertrand REPOLT de l'AARPI BOURDON & ASSOCIES,



Me Fabrice AUBERT, avocat au ba...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

21e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 29 JUIN 2023

N° RG 22/02710 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VM4Y

AFFAIRE :

[F] [U]

...

C/

S.A. FRANCE TELEVISIONS

Décision déférée à la cour : Ordonnance rendu le 04 Décembre 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT

Arrêt de la Cour de cassation de PARIS du 25 mai 2022

N° Chambre :

N° Section :

N° RG : 15/00366

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées le :

à :

Me Bertrand REPOLT de l'AARPI BOURDON & ASSOCIES,

Me Fabrice AUBERT, avocat au barreau de PARIS

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT NEUF JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant initialement prévu le 15 juin 2023 prorogé au 29 juin 2023 dans l'affaire entre :

DEMANDEURS devant la cour d'appel de Versailles saisie comme cour de renvoi, en exécution d'un arrêt de la Cour de cassation de PARIS du 25 mai 2022 cassant et annulant l'arrêt rendu par la cour d'appel de Versailles le 16 janvier 2020.

Monsieur [F] [U]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 3]

assisté et représenté par Me Bertrand REPOLT de l'AARPI BOURDON & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R143

Syndicat SNRT CGT FRANCE TELEVISIONS

[Adresse 2]

[Localité 4] / FRANCE

assistée de Me Bertrand REPOLT de l'AARPI BOURDON & ASSOCIES, , avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R143 substitué par Me DUFRENES-CASTETS Marie Laure avocat au barreau de PARIS.

****************

DEFENDERESSE DEVANT LA COUR DE RENVOI

S.A. FRANCE TELEVISIONS

N° SIRET : 432 766 947

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Fabrice AUBERT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0100

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 18 Avril 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, et Madame Véronique PITE Conseiller chargés du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thomas LE MONNYER, Président,,

Mme Florence SCHARRE, Conseiller,

Madame Véronique PITE, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Isabelle FIORE,

FAITS ET PROCÉDURE

Engagé à compter de décembre 2001, en qualité d'opérateur de prise de vue, par la société France Télévisions, qui a une activité de production et de diffusion télévisuelle et relève de la convention collective de la communication et de la production audiovisuelle, M. [U] a été représentant du personnel puis délégué syndical SNRT CGT jusqu'en 2018, date de son départ en retraite.

Convoqué le 3 juillet 2015 à un entretien préalable à une éventuelle sanction, fixé au 10 juillet suivant, M. [U] s'est vu notifier une mise à pied disciplinaire de 15 jours, le 3 août 2015 pour les motifs suivants :

' Le lundi 29 juin 2015, le rédacteur en chef adjoint du journal télévisé régional 19/20 a été informé du placement en garde à vue de deux dirigeants d'UBER POP.

Il a demandé que l'équipe planifiée pour travailler se rende devant l'immeuble de [Adresse 5] à [Localité 6] pour assurer un duplex pour le JT régional ainsi qu'un duplex pour le 19/20 National.

Avant le départ vous avez été informé des duplex pour le JT régional ainsi qu'un duplex pour le 19/20 National.

Vous avez alors fait savoir que vous refuseriez de participer au duplex pour le JT National.

Vers 18h, vous avez été contacté par téléphone et il vous a été redemandé de faire le duplex pour le JT National, vous avez alors réitéré votre refus.

Le duplex pour le journal régional s'est bien passé mais tout de suite après vers 19h06 alors qu'il vous avait été demandé ainsi qu'à l'ensemble de l'équipe de rester en place pour un autre duplex, vous avez coupé votre caméra en redisant que vous refusiez de faire le duplex pour le journal national.

C'est donc pour ces faits que nous vous avons convoqué à un entretien disciplinaire qui s'est tenu le 10 juillet 2015 et au cours duquel vous nous avez apporté vos explications en présence de M. [V] [S] qui vous assistait.

Conformément aux dispositions conventionnelles et à votre demande expresse, un conseil de discipline s'est tenu le 22 juillet à [Localité 7].

Au cours de ce conseil, vous avez pu être entendu sur les faits qui vous sont reprochés et la commission a présenté ses observations sur la sanction disciplinaire envisagée.

Toutefois les explications que vous avez fournies ne sont pas satisfaisantes. Votre attitude qui constitue une faute professionnelle justifie donc qu'une sanction disciplinaire soit prise à votre encontre. Aussi, nous vous notifions une mise à pied de 15 jours qui entraînera la suspension de votre contrat de travail et une retenue correspondante sera effectuée sur votre salaire [...]'.

Le 5 novembre 2015, M. [U] a saisi la formation des référés du conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt aux fins de retrait, à titre provisoire, de sa mise à pied sous astreinte de 500 euros par jour de retard et de paiement d'une provision de 1 970 euros à titre du rappel de salaire.

Par ordonnance de référé, en date du 4 décembre 2015, notifiée le même jour, le conseil a statué comme suit :

Dit qu'il existe une contestation sérieuse à la demande de M. [U] et du syndicat SNRT-CGT France Télévisions.

Dit qu'il n'y a pas lieu à référé sur l'ensemble de leurs demandes.

Invite les parties à mieux se pourvoir sur le fond (audience prévue 31 mai 2016).

Met les dépens éventuels à la charge de M. [U].

Suivant arrêt du 8 novembre 2016, la 6e chambre de la cour d'appel de Versailles a rendu la décision suivante :

Infirme l'ordonnance de référé du conseil des prud'hommes de Boulogne-Billancourt en date du 4 décembre 2015, et statuant à nouveau,

Ordonne le retrait à titre provisoire de la mesure de mise à pied de 15 jours prononcée le 3 août 2015 à l'encontre de M. [U] par la société France Télévisions, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du délai de 15 jours suivant la notification du présent arrêt,

Condamne la société France Télévisions à payer à titre provisionnel à M. [U] la somme de 1 970 euros au titre des journées de mise à pied, avec intérêts au taux légal à compter du 28 octobre 2015, outre celle de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles,

Déclare recevable et fondée l'intervention volontaire du syndicat SNRT CGT France Télévisions ;

Condamne la société France Télévisions à payer au syndicat la somme provisionnelle de 2 000 euros à valoir sur sa demande de dommages et intérêts, outre celle de 1500 euros au titre des frais irrépétibles,

Condamne la société France Télévisions aux dépens de première instance et d'appel.

Par arrêt du 24 mai 2018, la Cour de cassation a cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l'arrêt du 8 novembre 2016, aux motifs suivants :

« Vu l'article 2.1 .2.8.b de l'accord d'entreprise du 28 mai 2013;

Attendu, selon l'arrêt attaqué rendu en référé, que M. [U] a été engagé en 2001 en qualité d'opérateur de prise de vue par la société France Télévisions ; qu'une mise à pied disciplinaire de quinze jours lui a été notifiée le 3 août 2015, pour avoir refusé le 29 juin précédent d'effectuer un duplex pour le journal national, en raison du dépassement de ses horaires qui en serait résulté ;

Attendu que pour infirmer l'ordonnance de référé du 4 décembre 2015, et ordonner le retrait à titre provisoire, sous astreinte, de la mesure de mise à pied prononcée le 3août 2015, l'arrêt retient que l'allongement de la vacation a été annoncé au salarié très tardivement, alors que l'accord ne prévoit pas expressément cette hypothèse, puisque, d'une part il n'est pas prévu le cas du décalage de vacation -entraînant son allongement- entre la veille 10 heures du jour considéré et le jour considéré, la dernière hypothèse étant celle "jusqu'à la veille à 10 heures d'un jour considéré", d'autre part, le paragraphe suivant n'indique pas qu'un décalage de vacation dans le sens d'un allongement de la vacation peut être imposé aux salariés, mais fait clairement référence au cas d'une vacation prévue et qui n'a pu être effectuée par des circonstances indépendantes du salarié ;

Attendu cependant qu'il résulte de l'article 2.1.2.8.b de l'accord d'entreprise du 28 mai 2013 que jusqu'à l'avant-veille à 17 heures d'un jour considéré, les tableaux de service peuvent être modifiés par création, allongement, réduction ou suppression de vacation ; qu'après l'avant-veille à 17 heures d'un jour considéré, après concertation avec le salarié, seules peuvent intervenir des prolongations ou des créations de vacations [...] et pour certains secteurs d'activité relevant de production, de l'actualité [...] ;

Qu'en statuant comme elle a fait, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et attendu que la cassation à intervenir sur le premier moyen entraîne par voie de conséquence la cassation du second moyen en application de l'article 624 du code de procédure civile ».

Par arrêt du 16 janvier 2020, la 11e chambre de la présente cour, désignée comme juridiction de renvoi, a statué dans les termes suivants :

«Vu l'arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 24 mai 2018,

Confirme l'ordonnance de référé rendue par le conseil des prud'hommes de Boulogne-Billancourt du 4 décembre 2015,

Condamne M. [U] et le syndicat SNRT-CGT aux dépens d'appel,

Condamne M. [U] et le syndicat SNRT-CGT à payer à la société France Télévision la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ».

Par arrêt du 25 mai 2022, la Cour de cassation a cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l'arrêt du16 janvier 2020, pour les motifs suivants :

« Vu l'article R. 1455-6 du code du travail ;

4. Aux termes de ce texte, la formation de référé peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

5. Pour rejeter les demandes et dire n'y avoir lieu à référé, l'arrêt retient que, si la concertation exigée par la convention collective peut aboutir à l'accord invoqué par le salarié, elle n'a pas pour conséquence d'imposer à l'employeur l'obligation de recueillir l'adhésion de ce dernier, qu'en l'absence d'accord, l'employeur conserve toute latitude, dans l'exercice de son pouvoir de direction, d'ordonner au salarié d'assurer la prestation demandée, sans que ce dernier ne puisse s'y opposer, sauf en cas d'abus qui n'est pas caractérisé, ni même invoqué et que compte tenu du refus du salarié de prolonger sa vacation, ses demandes, tendant au retrait à titre provisoire de sa mise à pied sous astreinte et au paiement d'une provision au titre de la retenue sur salaire, se heurtent à une contestation sérieuse.

6. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui était demandé, si la sanction litigieuse était constitutive d'un trouble manifestement illicite, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.».

M. [U] a saisi, le 8 septembre 2022, la cour d'appel de Versailles, autrement composée.

L'affaire a été appelée à l'audience du 18 avril 2023.

' Selon leurs dernières conclusions remises au greffe le 4 novembre 2022, M. [U] et le syndicat SNRT-CGT demandent à la cour de les recevoir en leur appel, le dire bien fondé et, en conséquence, d'infirmer l'ordonnance rendue le 4 décembre 2015 par la formation de référé du conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt, et de :

Ordonner le retrait, à titre provisoire, de la mesure de mise à pied de quinze jours infligée à M. [U], sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la notification de l'ordonnance ;

Condamner la société France Télévisions, en ce qui concerne les journées de mise à pied, au paiement, à titre provisionnel, d'une somme de 1 970 euros à M. [U];

Condamner la société France Télévisions à verser au syndicat SNRT-CGT France Télévisions une somme de 5 000 euros à titre de provision sur dommages et intérêts ;

La condamner au paiement d'une indemnité de 1 500 euros à chacun des requérants sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

' Aux termes de ses dernières conclusions, remises au greffe le 2 décembre 2022, la société France Télévisions demande à la cour de :

Confirmer l'ordonnance du 4 décembre 2015 de la formation de référé du conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt, en toutes ses dispositions.

Déboute M. [U] et le syndicat SNRT-CGT de leurs demandes.

Condamner M. [U] à lui payer 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamner le syndicat SNRT-CGT à lui payer 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamner solidairement M. [U] et le syndicat SNRT-CGT aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.

MOTIFS

A titre liminaire, M. [U] expose que l'action syndicale qu'il a déployée depuis le début de sa carrière lui a porté préjudice dès son intégration au sein de la société France Télévisions et qu'il n'a jamais cessé d'être discriminé jusqu'à son départ en retraite, ce que la présente cour a, du reste, reconnu par un arrêt rendu le 7 septembre 2022. Il affirme que depuis les années 2011/2012, l'employeur a choisi de répondre à son engagement syndical de défense de l'accord d'entreprise par la voie disciplinaire.

Il fait valoir qu'au cours de l'entretien préalable du 10 juillet 2015, il a expliqué à la direction qu'en refusant le 29 juin un dépassement d'horaires qui ne lui avait pas été annoncé dans le respect du délai de prévenance prévu par l'accord d'entreprise, il était dans son rôle de délégué syndical, observation faite que 4 jours auparavant, le 25 juin, il avait prévenu sa hiérarchie qu'il n'accepterait plus à l'avenir de tels dépassements d'horaires. Il reproche à l'employeur d'avoir omis de rappeler ce contexte dans la lettre de sanction, ce qui lui a permis de le présenter comme un salarié ne voulant pas exécuter la prestation de travail, révélant ainsi sa réelle intention, à savoir celle de 'faire plier le délégué syndical qui exprimait sa volonté de défendre l'accord collectif'.

Les appelants soutiennent que les dispositions de l'article R. 1455-6 du code du travail précisent que l'existence d'une contestation sérieuse ne constitue aucunement un obstacle à l'intervention de la formation de référé lorsque celle-ci est invitée à prescrire les mesures de remise en état qui s'imposent pour faire cesser un trouble manifestement illicite et qu'il est constant que la violation d'une disposition légale ou conventionnelle est constitutive d'un trouble manifestement illicite. Ils s'estiment donc bien fondés à faire cesser le trouble manifestement illicite constitué par une sanction prononcée en réponse à l'action syndicale de défense du délai de prévenance conventionnel et de 'refus d'une pratique de la direction violant les dispositions de l'accord', l'employeur ayant cherché par cette sanction à intimider les salariés pour mieux contourner le dit accord.

La société France Télévisions objecte que le salarié étant affecté au secteur de l'actualité, elle était fondée après s'être concertée avec lui, de lui commander la réalisation d'un duplex pour l'édition nationale, ce qui était susceptible de prolonger sa vacation au-delà de 20 heures. Elle ajoute que l'action isolée de M. [U] ne s'inscrivait pas dans le cadre d'une action syndicale et que nonobstant les termes de l'arrêt rendu le 7 septembre 2022 qui a reconnu l'existence d'une discrimination syndicale sur d'autres éléments que ceux concernant les faits du 25 juin 2015 (évolution de carrière), la mise à pied disciplinaire ne laisse pas supposer l'existence d'une discrimination syndicale, mais est venue simplement sanctionner un comportement fautif de l'intéressé. Elle ajoute que la Cour de cassation a validé dans son premier arrêt l'interprétation qu'elle fait de l'accord d'entreprise sur la possibilité qui lui est reconnue, après concertation préalable, de prolonger une vacation dans certains domaines d'activité dont celui relevant de l'actualité

En application de l'article R. 1455-6 du code du travail, la formation des référés peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

En l'espèce, M. [U] et le syndicat SNRT-CGT ne critiquent pas la décision entreprise en ce qu'elle a retenu que l'employeur élève une contestation sérieuse à leur action.

Le trouble manifestement illicite sur lequel ils fondent leur action peut se définir comme « toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit », à laquelle le juge des référés peut mettre un terme à titre provisoire. Le trouble consiste dans un acte ou une abstention s'inscrivant en méconnaissance de l'ordre juridique établi, qu'il faut faire cesser puisqu'il est inadmissible pour constituer une illicéité manifeste. C'est cette évidence de l'illicéité qui permet de l'autoriser à prendre des mesures d'anticipation de ce que les juges du fond décideront certainement.

À ce titre, les parties s'accordent pour convenir que si leur désaccord quant à l'interprétation de l'accord collectif relève de la compétence du tribunal judiciaire, cela ne prive pas le juge des référés du conseil de prud'hommes de son pouvoir d'interpréter le dit accord.

Les parties sont contraires sur l'interprétation à donner aux stipulations de l'article 2.1.2.8. de l'accord collectif d'entreprise France Télévisions, relatives à l' « organisation du travail sur un cadre hebdomadaire » (voir pièce n° 36), lesquelles énoncent en ce qui concerne les « activités dont l'organisation est variable » ceci :

« Jusqu' à l'avant-veille à 17 heures d'un jour considéré, les tableaux de service peuvent être modifiés par création, allongement, réduction ou suppression de vacation.

Après l'avant-veille à 17 heures d'un jour considéré, après concertation avec le salarié, seules peuvent intervenir des prolongations, ou des créations, de vacations dans le cas des travaux liés à la sécurité du personnel et des installations, et pour certains secteurs d'activité relevant de la production, de l'actualité, de la continuité des programmes, de l'exploitation ou de la maintenance ».

Les appelants considèrent qu'il se déduit de l'exigence de 'concertation', requise pour modifier les tableaux de service en dehors du délai de prévenance de 36 heures, que le salarié doit donner son accord, alors que l'employeur estime que, dans cette hypothèse, après avoir échangé avec le salarié, il peut demander à ce dernier de travailler dans le cadre d'une prolongation de sa vacation, sous réserve qu'il intervienne dans certains secteurs, dont celui de l'actualité.

Alors que la nécessité pour l'employeur de recueillir l'accord du salarié a été expressément retenu par les partenaires sociaux rédacteurs de cet accord collectif, au profit de certaines catégories de personnel, tels ceux concourant aux activités de diffusion (article 2.4.2), la locution qui suit le préalable de 'concertation' aux termes de laquelle il est indiqué que 'seules peuvent intervenir des prolongations [...] ' ne conforte pas la thèse des appelants, mais encadre les possibilités offertes à l'employeur dans ces circonstances de modifier les tableaux de service.

L'interprétation à donner de ce texte est que l'employeur ne peut modifier le tableau de services en dehors du délai de prévenance prévu au premier alinéa de cet article qu'après concertation avec le salarié et sous réserves que les travaux concernés se rattachent à des secteurs d'activité limitativement énumérés.

Ceci dit, il est constant que :

- le 29 juin 2015, l'équipe de M. [U], au sein de laquelle il exerçait les fonctions d'opérateur de prise de vue, affectée au service de l'actualité, a été programmée dans l'après-midi pour se rendre au siège du parquet financier du tribunal de grande instance de Paris, rue du château des Rentiers, pour réaliser un duplex pour l'édition du journal de France 3 région et pour l'édition nationale, laquelle débute à 19H30,

- le salarié, dont l'heure de fin de service était fixée à 20 heures, a annoncé d'emblée qu'il n'accomplirait pas l'édition nationale ; il a éteint sa caméra à 19H08, dès le premier duplex réalisé pour l'édition régionale,

- M. [U] a refusé de revoir sa position malgré l'intervention de son responsable de production et du journaliste de l'édition nationale envoyé sur place,

- il est resté présent sur les lieux avec le reste de l'équipe jusqu'à ce que le directeur de production les invite à rentrer à la station à 19H45, l'édition nationale ayant finalement renoncé au duplex, le sujet étant traité par un simple 'off' (commentaire de la présentatrice sur des images d'archives).

La société France Télévisions établit par les messages échangés par les responsables d'édition et les chargés de production des deux éditions, Mme [K] et M. [X], et les témoignages de ce dernier et de M. [G], journaliste envoyé sur place pour procéder au duplex de l'édition nationale, que, par leur intermédiaire, la direction s'est effectivement concertée avec l'intéressé à plusieurs reprises en fin d'après-midi pour qu'il accepte de réaliser cette deuxième prestation.

Il ne résulte pas de leur témoignage ni d'aucune pièce que M. [U] ait revendiqué qu'il agissait dans le cadre d'une action syndicale, ni qu'il se soit prévalu de son statut de délégué syndical, mais simplement qu'il a invoqué le respect des délais de prévenance prévus par l'accord conventionnel, qu'il estimait ne pas être appliqués par l'employeur en précisant que la réalisation de ce second duplex entre 19H30 et 20H entraînerait un dépassement de l'heure de fin de service.

Compte tenu des délais de route pour rentrer à la station située à [Localité 8] (92) et de la nécessité pour les techniciens de ranger leur matériel et de mettre les batteries en charge, ainsi qu'en témoigne M. [C], il n'est pas sérieusement contredit par l'employeur que la réalisation du duplex pour l'édition nationale entraînerait un dépassement de l'heure de fin de service.

Par le témoignage de M. [C], opérateur son, qui travaillait avec lui le 25 juin 2015, le salarié justifie qu'il avait annoncé ce jour là à sa hiérarchie qu'il acceptait une dernière fois de réaliser le duplex pour l'édition nationale, mais qu'il n'accepterait plus de tel dépassement 'hors des délais de prévenance, selon lui, énoncés par l'accord collectif'.

S'il ressort de ce témoignage que M. [U] avait donc adopté une position de principe fondée sur l'interprétation qu'il faisait de ce texte conventionnel, il n'en résulte pas pour autant que celle-ci s'inscrivait dans le cadre d'une action syndicale.

Si M. [U] a soutenu lors de l'entretien préalable à sanction qu'en sa qualité de délégué syndical, il était garant de l'accord d'entreprise et en charge de le faire respecter, l'employeur souligne à juste titre que le jour des faits, l'intéressé n'a pas fait valoir son droit de retrait, ne s'est pas déclaré gréviste et n'a pas davantage indiqué agir dans le cadre d'une action syndicale.

La mobilisation du syndicat SNRT-CGT une fois l'engagement de la procédure disciplinaire (pièces n°31 à 35 des appelants) est, à ce titre, inopérante.

L'interprétation que font le salarié et le syndicat SNRT-CGT de l'article 2.1.2.8 de l'accord étant erronée, les appelants échouent à caractériser une violation évidente de l'accord collectif. En effet, la sanction prononcée repose sur le refus du salarié d'accomplir une prestation demandée par sa hiérarchie, laquelle, si elle était susceptible d'entraîner un dépassement de son horaire de travail, avait été néanmoins formulée dans le respect des règles définies par l'accord.

S'agissant du caractère discriminatoire de la sanction prononcée, les appelants invoquent les fonctions représentatives et mandats syndicaux exercés de longue date par M. [U], le fait que ce dernier avait saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt d'une action en reconnaissance d'une discrimination syndicale, laquelle sera accueillie par la cour d'appel, et qu'au cours de la réunion de la commission de discipline il a défendu la thèse d'une action syndicale.

Ces éléments sont susceptibles de laisser supposer, devant le juge du fond, que la sanction prononcée était discriminatoire. Toutefois, rappel fait que le salarié n'a pas invoqué cette sanction au soutien de l'action définitivement tranchée par l'arrêt rendu le 7 septembre 2022 par la présente cour (pièce n° 7 des appelants), la société France Télévisions objecte utilement que l'appelant échoue à légitimer son refus de réaliser le second duplex par une prétendue violation évidente par la société des termes de l'accord collectif, qu'il affirmait vouloir faire respecter, justifiant ainsi par des éléments étrangers à toute discrimination syndicale la sanction prononcée.

Il n'est pas établi que la sanction critiquée constitue un trouble manifestement illicite.

Par suite, l'ordonnance entreprise sera confirmée en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référer sur l'ensemble des demandes de M. [U] et du syndicat SNRT-CGT France Télévisions, et invité les parties à mieux se pourvoir sur le fond.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en référé,

Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 25 mai 2022,

Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions, sauf à la compléter en précisant qu'aucun trouble manifestement illicite n'est en outre caractérisé,

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne in solidum M. [U] et le syndicat SNRT-CGT aux dépens.

- Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- Signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, et par Madame  Isabelle FIORE greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le President,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 21e chambre
Numéro d'arrêt : 22/02710
Date de la décision : 29/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-29;22.02710 ?
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