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29/06/2023 | FRANCE | N°22/02683

France | France, Cour d'appel de Versailles, 21e chambre, 29 juin 2023, 22/02683


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



21e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 15 JUIN 2023



N° RG 22/02683 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VMTP



AFFAIRE :



[I] [P]





C/



S.A.S. METRO FRANCE







Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 17 Mars 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE



N° Chambre :

N° Section :

N° RG : 14/01

607





Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées le :







à :



Me Karine MARTIN-STAUDOHAR,





Me Laurent GAMET de la SELAS FACTORHY AVOCATS,

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE QUINZE JUIN DEUX MILLE VINGT T...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

21e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 15 JUIN 2023

N° RG 22/02683 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VMTP

AFFAIRE :

[I] [P]

C/

S.A.S. METRO FRANCE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 17 Mars 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

N° Chambre :

N° Section :

N° RG : 14/01607

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées le :

à :

Me Karine MARTIN-STAUDOHAR,

Me Laurent GAMET de la SELAS FACTORHY AVOCATS,

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUINZE JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant initialement prévu le 15 juin 2023 prorogé au 29 juin 2023 dans l'affaire entre :

Devant la cour d'appel de Versailles saisie comme cour de renvoi, en exécution d'un arrêt de la Cour de cassation du 6 juillet 2022 cassant et annulant l'arrêt rendu par la cour d'appel de Versailles le 30 octobre 2019.

Monsieur [I] [P]

né le 30 Octobre 1964 à [Localité 3] (MAROC)

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 2]

Assisté et représenté par Me Karine MARTIN-STAUDOHAR, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 256 -

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2022/008873 du 11/10/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de VERSAILLES)

DEMANDEUR DEVANT LA COUR DE RENVOI

****************

S.A.S. METRO FRANCE

N° SIRET : 399 31 5 6 13

[Adresse 5]

[Localité 4]

Représenté par Me Laurent GAMET de la SELAS FACTORHY AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L61 - substitué par Me Dimitri TRAUTMANN avocat au barreau de PARIS

DEFENDERESSE DEVANT LA COUR DE RENVOI

****************

Composition de la cour :

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 18 Avril 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Véronique PITE conseiller, et Monsieur Thomas LE MONNYER, président, chargés du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thomas LE MONNYER, Président,,

Madame Florence SCHARRE, Conseiller

Madame Véronique PITE, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Isabelle FIORE,

FAITS ET PROCÉDURE

M. [P] a été engagé par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 29 janvier 2007, en qualité de vendeur qualifié, par la société Metro Cash & Carry (devenue la société Metro France), qui a une activité de fournisseur, grossiste pour les professionnels, emploie plus de dix salariés, et relève de la convention collective du commerce de gros et de détail à prédominance alimentaire.

Affecté initialement au rayon poissonnerie, M. [P] a été muté au rayon fruits et légumes, à compter de mars 2008.

M. [P] a successivement été placé en arrêt de travail pour maladie du 4 au 19 avril 2008, puis pour accident de travail du 7 mai au 17 juin 2008, et enfin continûment pour maladie à compter du 17 octobre 2008.

A l'issue de la seconde visite de reprise, en date du 27 octobre 2009, le médecin du travail a déclaré M. [P] inapte définitivement à son poste de travail et a formulé l'avis suivant: 'A la suite du premier examen effectué le 13 octobre dernier, deuxième examen ce jour [...]. Après étude du poste et des conditions de travail dans l'entreprise, le salarié est inapte définitivement à son poste et à tout emploi dans l'entrepôt de [Localité 4]. Un autre poste, dans un entrepôt proche de son domicile pourrait être envisagé'.

Convoqué le 20 novembre 2009 à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 3 décembre suivant, M. [P] s'est vu notifier son licenciement par lettre datée du 7 décembre 2009, énonçant une inaptitude et une impossibilité de reclassement.

Postérieurement au licenciement, M. [P] a sollicité de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie qu'elle prenne en charge son arrêt maladie au titre d'une maladie professionnelle, requête qui a été rejetée.

M. [P] a saisi, le 11 mai 2012, le conseil de prud'hommes de Nanterre aux fins de voir prononcer la nullité de son licenciement à titre principal, de le voir juger dépourvu de cause réelle et sérieuse à titre subsidiaire, en raison du manquement, par la société, de son obligation de sécurité, et de voir condamner la société au paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.

La société s'est opposée aux demandes du requérant et a sollicité sa condamnation au paiement d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

Par jugement rendu le 17 mars 2016, notifié le 21 mars 2016, le conseil a statué comme suit :

Reconnaît la régularité du licenciement de M. [P] pour inaptitude ;

Déboute M. [P] de l'ensemble de ses demandes,

Déboute la société Metro Cash & carry de sa demande reconventionnelle,

Condamne M. [P] aux dépens.

Par arrêt du 30 octobre 2019, la 15ème chambre de la cour d'appel de Versailles a rendu la décision suivante :

Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté M. [P] de sa demande au titre de la violation de l'obligation de sécurité, débouté M. [P] de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile, de la capitalisation des intérêts et des dépens et condamné M. [P] aux entiers dépens.

Statuant à nouveau sur les chefs du jugement infirmés,

Condamne la société Metro France à verser M. [P] la somme 2 000 euros au titre de la violation de l'obligation de sécurité,

Ordonne la capitalisation des intérêts échus depuis un an à compter de l'introduction de la demande,

Condamne la société Metro France à verser à M. [P] la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles par application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Metro France aux dépens,

Déboute M. [P] de sa demande de condamnation de la société Metro France au versement de la somme de 35 euros au titre de la contribution juridique.

Par arrêt du 6 juillet 2022, la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt du 30 octobre 2019, mais seulement en ce qu'il déboute M. [P] de ses demandes en paiement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés afférents, a remis, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Versailles autrement composée aux motifs suivants :

« Sur le premier moyen, ci-après annexé, (lequel reprochait à l'arrêt attaqué d'avoir débouté M. [P] de ses demandes de nullité du licenciement et de condamnation de son employeur à lui payer diverses sommes à ce titre et de dommages et intérêts pour harcèlement moral et d'avoir condamné l'employeur à lui payer la seule somme de 2000 euros au titre de la violation de l'obligation de sécurité)

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

4. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande subsidiaire tendant à juger que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse et à la condamnation de son employeur à lui payer diverses sommes à ce titre, alors « que l'inaptitude causée par un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat prive le licenciement fondé sur cette inaptitude de cause réelle et sérieuse ; qu'ayant expressément reconnu qu'en l'espèce, l'absence totale de réaction de l'employeur à la dénonciation de ce que le salarié percevait être du harcèlement moral, caractérisant un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, ''a nécessairement impacté le salarié dont l'état de santé était déjà fragilisé'' la cour d'appel qui affirme que le moyen tiré de ce que le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité à l'origine de l'inaptitude du salarié ne saurait constituer une cause de requalification du licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse, ''la réalité de l'inaptitude n'étant pas contestée'' a violé les articles L. 1232-1 et L. 1235-1 ensemble les articles L. 4121-1 et L. 1222-1 dudit code. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1235- 3 du code du travail et les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du même code en leur rédaction applicable en la cause :

5. Le licenciement pour inaptitude est dépourvu de cause réelle et sérieuse lorsqu'il est démontré que l'inaptitude était consécutive à un manquement préalable de l'employeur qui l'a provoquée.

6. Pour débouter le salarié de ses demandes en paiement de dommages-intérêts au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que le salarié sollicite la requalification de son licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse au motif que son harcèlement moral résulte d'un manquement à l'obligation de sécurité de l'employeur, qui est donc la cause de l'inaptitude, qu'or ce moyen ne saurait constituer une cause de requalification du licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse, la réalité de l'inaptitude n'étant pas contestée, que le harcèlement moral n'étant pas caractérisé, l'argument est donc inopérant.

7. En se déterminant ainsi, alors d'une part qu'elle avait constaté que le salarié demandait à titre principal la nullité de son licenciement pour inaptitude en raison d'un harcèlement moral subi et à titre subsidiaire de déclarer son licenciement sans cause réelle et sérieuse en conséquence d'un manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité et que d'autre part elle avait retenu l'existence d'un manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité, justifiant la condamnation de ce dernier au paiement à ce titre de dommages et intérêts, la cour d'appel qui n'a pas recherché, comme elle y était invitée, si l'inaptitude était consécutive à un manquement préalable de l'employeur à son obligation de sécurité, a privé sa décision de base légale ».

M. [P] a saisi, le 31 août 2022, la cour d'appel de Versailles autrement composée.

L'affaire a été appelée à l'audience du 18 avril 2023.

' Selon ses dernières conclusions remises au greffe le 13 février 2023, M. [P] demande à la cour de le dire recevable et bien fondé en son appel, demandes fins et conclusions et d'infirmer le jugement du 17 mars 2016 en ce qu'il l'a débouté de ses demandes en paiement de dommages intérêts pour le licenciement sans cause réelle et sérieuse, de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, et, statuant à nouveau, de :

Juger son licenciement, en date du 7 décembre 2009, sans cause réelle et sérieuse pour violation des articles L. 4121-1, L. 4121-2 et L. 1226-2 du code du travail ;

En conséquence de quoi :

Condamner la société Metro France à lui verser les sommes suivantes :

- 29 958,75 euros au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse soit 15 mois de salaires ;

- 3 994,50 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et 399,45  euros au titre des congés payés y afférents ;

Ordonner la capitalisation des intérêts à compter de l'introduction de la saisine initiale devant le conseil de prud'hommes de Nanterre, au titre de l'article 1154 du code civil ;

Condamner la société Metro France, cas d'exécution forcée de la décision à intervenir, aux sommes relevant du droit proportionnel prévu à l'article 10 du décret du 12 décembre 1996 auxquelles s'ajouteront aux dépens.

Condamner la société Metro France à la somme de 3 500 euros au titre des honoraires et frais qu'il aurait exposés si elle n'avait pas eu cette aide, en application des alinéas 3 et 4 de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Affirmant démontrer avoir été 'victime sur son lieu de travail d'actes répétés qui ont dégradé ses conditions de travail et qui ont altéré sa santé physique et mentale ainsi que porté atteinte à sa dignité' et établir notamment 'sa mutation sur un autre poste de façon totalement injustifiée, la surveillance accrue de la part de son directeur, la menace de licenciement et le fait d'avoir travaillé dans un climat délétère pendant plusieurs mois', et se prévalant des motifs de l'arrêt du 30 octobre 2019, sur le fondement desquels la 15ème chambre de la cour d'appel a retenu l'existence d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité et lui a alloué 2 000 euros de dommages-intérêts de ce chef, ainsi que des éléments médicaux desquels il ressort que 'les médecins n'ont pas hésité à faire le lien entre les conditions de travail, et surtout la situation de harcèlement moral vécue par (lui), et la dégradation de son état de santé', M. [P] soutient que 'c'est donc compte tenu de (sa) souffrance et des conséquences sur son état de santé qui s'était aggravé que le médecin du travail l'a déclaré inapte définitivement à son poste et à tout emploi dans l'entrepôt de Nanterre, en date du 23 octobre 2009".

Il conclut qu'à l'origine de son inaptitude se trouve donc la violation par la société de son obligation de sécurité, laquelle en ne prenant pas les mesures en amont afin d'éviter toute atteinte à la santé de son salarié, puis alertée, en ne prenant pas les mesures afin de mener les investigations nécessaires à la recherche de la réalité des faits dénoncés et en ne faisant en tout état de cause pas cesser la situation de souffrance dans laquelle se trouvait le salarié, est donc à l'origine de l'avis d'inaptitude et par la suite de son licenciement.

' Aux termes de ses dernières conclusions, remises au greffe le 17 février 2023, la société Metro France demande à la cour de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a débouté M. [P] de sa demande tendant à voir juger le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et, par suite, des demandes indemnitaires à ce titre, de débouter M [P] de l'ensemble de ses demandes ; de le condamner à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

Après avoir rappelé que l'arrêt de la 15ème chambre de la cour d'appel n'a pas été remis en cause par la Cour de cassation en ce qu'il a dit le harcèlement moral non établi, la société Metro France soutient que si l'état de santé du salarié s'est aggravé progressivement, c'est sans lien avec son activité professionnelle. Elle fait valoir que la Caisse primaire d'assurance maladie a refusé de prendre en charge des arrêts de travail au titre de la législation professionnelle, et que les documents médicaux produits par le salarié ne permettent pas de retenir un lien de causalité entre son état de santé et le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité soulignant que si les médecins ou psychologues sont prudents quant à un éventuel lien avec l'activité professionnelle, ils sont plus affirmatifs s'agissant de causes extérieures, à savoir un conflit avec sa femme et la consommation de produits stupéfiants. Elle considère donc que ce n'est pas le refus d'organiser une mesure d'enquête qui est la cause de l'inaptitude.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.

MOTIFS

Le licenciement pour inaptitude est dépourvu de cause réelle et sérieuse lorsqu'il est démontré que l'inaptitude était consécutive à un manquement préalable de l'employeur qui l'a provoquée.

En l'espèce, l'arrêt de la Cour d'appel du 30 octobre 2019 a définitivement jugé, d'une part, que le harcèlement moral dénoncé par le salarié n'était pas établi, faute pour le requérant d'établir la matérialité de faits précis et concordants laissant supposer l'existence d'un tel harcèlement et, d'autre part, que la société Métro avait manqué à l'obligation de sécurité dans les termes suivants :

« 3- Sur le manquement à l'obligation de sécurité

M. [P] soutient que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité qui l'obligeait à prendre des mesures pour assurer sa sécurité et protéger sa santé physique et mentale. Suite à son alerte, l'employeur aurait dû diligenter une enquête ou prendre des mesures pour mettre un terme aux comportements anormaux de certains responsables. Il ajoute que le fait qu'il ait été victime de harcèlement moral au travail constitue un manquement à l'obligation de sécurité de la société.

La société reproche à M. [P] de réclamer 50 000 euros au titre du harcèlement moral alors qu'il n'y a pas de harcèlement moral, qu'en tout état de cause, cette demande est totalement disproportionnée, dès lors qu'elle représente plus de 25 mois de salaire, et enfin que M. [P] ne produit aucun élément de nature à justifier de son préjudice et de son montant.

Sur ce,

En vertu des dispositions des articles L. 4121-1 et L. 4121 -2 du code du travail, l'employeur est tenu envers son salarié à une obligation de sécurité impliquant de prendre les mesures nécessaires pour assurer sa sécurité et sa santé physique et mentale.

Il appartient à l'employeur de prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral (article L. 1152-4 du code du travail).

L'obligation de prévention des risques professionnels, qui résulte de l'article L. 4121-1 du code du travail, est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral instituée par l'article L. 1152-1 du code du travail et ne se confond pas avec elle.

M. [P] a alerté la société Metro France à deux reprises de la dégradation de ses conditions de travail et du harcèlement dont il s'estimait victime.

Si la société indique ne pas avoir reçu le premier courrier du 23 février 2009, dont M [P] ne produit pas l'avis de réception (pièce appelant n°15), la société a toutefois bien reçu le second courrier du 24 août 2009, dans lequel le salarié demandait à la direction 'de faire une enquête suivant j'ai subi comme harcèlement au sein de l'entreprise depuis qu'on a changé mon poste en poissonnerie pour me mettre au rayon fruits et légumes en février 2008" (pièce appelant n° 17). "

La société Metro France n'a pas réagi à ce courrier, n'a pas répondu au salarié et n'a mis en place aucune mesure, telle qu'une enquête.

La société, informée de l'existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, n'a donc pris aucune mesure immédiate propre à le faire cesser.

L'absence totale de réaction de la société Métro France à la dénonciation d'un harcèlement moral par son salarié constitue un manquement à son obligation d'assurer la sécurité de ce salarié, peu important que le harcèlement moral soit ou non effectivement caractérisé.

La dégradation de l'état de santé de M. [P] est prouvée par les documents médicaux produits (pièces appelant n°7, 11, 18, 19) et, bien que le harcèlement moral ne soit pas ici caractérisé, l'absence de réaction de l'employeur à la dénonciation de ce que le salarié percevait être du harcèlement moral a nécessairement impacté le salarié dont l'état de santé était déjà fragilisé.

En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu'il a débouté M. [P] de sa demande de dommages-intérêts et il lui sera alloué la somme de 2 000 euros en réparation de son préjudice résultant de la violation de l'obligation de sécurité de l'employeur. »

Il s'ensuit que le harcèlement moral dénoncé ayant été définitivement écarté, M. [P] n'est pas fondé à invoquer ce moyen au soutien de sa demande tendant à voir juger le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Par ailleurs, s'agissant du manquement à l'obligation de sécurité avéré, force est de relever que, placé continûment en arrêt maladie à compter du 17 octobre 2008 pour syndrome anxio dépressif majeur, le salarié ne communique aucune pièce médicale évoquant un quelconque lien entre les vaines alertes des 23 février et 24 août 2009, précisions faites que le salarié, qui affirme avoir adressé à l'employeur la première sans toutefois le démontrer, justifie que la seconde a bien été réceptionnée par la société, et l'avis d'inaptitude rendu par le médecin du travail le 27 octobre 2009.

Il ressort du dossier médical que l'appelant verse aux débats (pièce n° 7), que le médecin du travail a notamment relevé le 17 juin 2008 que son affectation au rayon 'fruits et légumes' ne lui plaît pas, puis le 8 octobre 2008 qu'il ne supporte plus de travailler dans ce rayon (pièce n°5 de l'appelant), puis noté son état dépressif à compter de décembre 2008.

Il résulte en outre des autres pièces médicales ou de suivi de son état psychique que M. [X] psychologue du travail, indique le 5 mai 2009 que le salarié, qui présente un état dépressif sévère, 'décrit un climat de harcèlement moral après un changement de poste', que le docteur [B] relève à l'occasion de son hospitalisation en service spécialisé, en mai 2009, suite à une ingestion médicamenteuse volontaire, au titre de l'histoire de sa maladie que 'fin 2008, (il) est victime d'un harcèlement de la part de sa hiérarchie à Métro où il travaille comme poissonnier', le compte-rendu de son hospitalisation en janvier 2010 mentionnant un 'état dépressif suite à un harcèlement de la part de sa hiérarchie' (pièces n° 14, 19 et 28 l'appelant).

Toutefois, l'employeur souligne qu'il ressort également de plusieurs certificats ou lettres établis par ses médecins (pièces n°19 et 26 de l'appelant, 12 à 14 de la société intimée) que ces derniers relèvent également un 'conflit avec son épouse', des 'difficultés familiales', une toxicomanie au cannabis, ainsi que 'des hallucinations visuelles et acousticoverbales'.

En l'absence d'un lien de causalité au moins partiel avéré entre le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, à une époque où le salarié était en arrêt maladie depuis de nombreux mois, et l'inaptitude prononcée par le médecin du travail le 27 octobre 2009, le salarié n'est pas fondé à invoquer le caractère injustifié du licenciement pour inaptitude laquelle n'a pas été provoquée par ce manquement.

Par suite, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [P] de sa demande tendant à voir requalifier le licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, dans les limites de la saisine,

Vu l' arrêt rendu par la Cour de cassation le 6 juillet 2022,

Confirme le jugement en ce qu'il a débouté M. [P] de ses demandes tendant à voir juger le licenciement injustifié et condamner la société au paiement d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et de l'indemnité compensatrice de préavis ainsi que des congés payés afférents,

y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile dans le cadre de la présente instance sur renvoi de cassation,

Condamne M. [P] aux dépens de la présente instance.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, et par Madame Isabelle FIORE Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le President,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 21e chambre
Numéro d'arrêt : 22/02683
Date de la décision : 29/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-29;22.02683 ?
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