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29/06/2023 | FRANCE | N°21/02216

France | France, Cour d'appel de Versailles, 21e chambre, 29 juin 2023, 21/02216


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



21e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 29 JUIN 2023



N° RG 21/02216

N° Portalis DBV3-V-B7F-UUBL



AFFAIRE :



[L] [J]



C/



Société TEMSYS









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 24 juin 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PONTOISE

Section : E

N° RG : F 19/00216



Copies exÃ

©cutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Alissar ABI FARAH



Me Jérôme POUGET







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT NEUF JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suiva...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

21e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 29 JUIN 2023

N° RG 21/02216

N° Portalis DBV3-V-B7F-UUBL

AFFAIRE :

[L] [J]

C/

Société TEMSYS

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 24 juin 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PONTOISE

Section : E

N° RG : F 19/00216

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Alissar ABI FARAH

Me Jérôme POUGET

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT NEUF JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant initialement prévu le 15 juin 2023 prorogé au 29 juin 2023 dans l'affaire entre :

Monsieur [L] [J]

né le 10 août 1986 à [Localité 5]

de nationalité française

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentant : Me Alissar ABI FARAH, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1747

APPELANT

****************

Société TEMSYS

N° SIRET : 351 867 692

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentant : Me Jérôme POUGET, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1366

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 11 avril 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thomas LE MONNYER, Président,

Madame Véronique PITE, Conseiller,

Mme Florence SCHARRE, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK

FAITS ET PROCÉDURE

Engagé par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 22 septembre 2008, en qualité d'attaché commercial junior, par la société ALD Automotive (ci-après Temsys), qui a une activité de location de véhicules longue durée et de gestion de parcs automobiles d'entreprises, emploie plus de dix salariés, et relève de la convention collective des services de l'automobile, promu au 1er février 2015 aux fonctions de conseiller régional des ventes, M. [J] a été convoqué par lettre datée du 4 avril 2019 à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 23 avril suivant. Par lettre datée du 29 avril 2019, énonçant une faute simple, il a été licencié et dispensé d'accomplir son préavis.

Contractuellement, il percevait un salaire mensuel de 2 680,77 euros, un 13ème mois versé en 12 mensualités et une part variable annuelle de 5 250 euros à 100% d'objectifs atteints. Il percevait par ailleurs diverses primes dites individuelles, collectives ou exceptionnelles, portant son salaire de référence au jour de la rupture à 4 786,80 euros bruts.

M. [J] a saisi, le 13 juin 2019, le conseil de prud'hommes de Cergy-Pontoise, aux fins de voir juger son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamner la société au paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.

La société s'est opposée aux demandes du requérant et a sollicité sa condamnation au paiement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement, rendu le 24 juin 2021, et notifié le 5 juillet 2021, le conseil a statué comme suit :

Dit que le licenciement de M. [J] est fondé ;

Condamne la société Temsys à verser à M. [J] les sommes de 600 euros bruts au titre du rappel de prime 2018, outre 60 euros bruts au titre des congés payés y afférents ;

Rappelle que les condamnations prononcées emportent intérêts au taux légal à compter de la date de réception de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation par la partie défenderesse en ce qui concerne les créances salariales et à compter du jugement en ce qui concerne les créances indemnitaires, et fait droit à la demande de capitalisation en tant que de besoin ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Rappelle l'exécution provisoire de droit du présent jugement selon les dispositions de l'article R.1454-28 du code du travail, la moyenne des trois derniers mois de salaire de M. [J] étant fixée à la somme de 4 786,80 euros bruts ;

Met les dépens de l'instance à la charge de la société Temsys.

Le 8 juillet 2021, M. [J] a relevé appel de cette décision par voie électronique.

Par ordonnance rendue le 18 janvier 2023, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 7 mars 2023, laquelle a été reportée au 11 avril 2023.

' Selon ses dernières conclusions, remises au greffe le 1er avril 2022, M. [J] demande à la cour de :

Confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a condamné la société Temsys à lui verser la somme de 600 euros bruts, outre 60 euros bruts au titre des congés payés y afférents au titre de la prime individuelle 2018,

L'infirmer en ce qu'il a jugé son licenciement pour faute simple comme reposant sur une cause réelle et sérieuse,

Statuant à nouveau, déclarer son licenciement dépourvu de cause réelle ni sérieuse et condamner en conséquence la société Temsys à lui verser les sommes suivantes :

- 47 868 euros, soit 10 mois de salaire brut à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

- 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,

Assortir les condamnations des intérêts au taux légal avec capitalisation,

Condamner la société Temsys à lui verser la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

M. [J] critique la décision entreprise en ce qu'elle a retenu que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse alors même que la société ayant modifié unilatéralement son contrat de travail par la modification de son secteur d'activité, laquelle emportait une incidence sur sa rémunération variable, il était fondé à s'opposer à ces modifications que l'employeur cherchait à lui imposer par pressions et à solliciter un échange avec lui et ses collègues pour qu'une solution satisfaisante soit trouvée. Il fait valoir que :

- sans aucune concertation avec son collègue et lui-même qui intervenaient jusqu'alors sur la région parisienne, l'employeur a attribué les départements de l' Île de France à une salariée nouvellement recrutée, amputant par la même les territoires d'action les plus performants de son périmètre commercial, qui lui permettaient principalement d'atteindre voire de dépasser régulièrement ses objectifs et donc de percevoir sa rémunération variable laquelle représentait deux mois de salaire mensuel (5 250 euros au dernier état de la relation de travail),

- alors que cette rémunération variable constituait un élément essentiel de son contrat de travail, la réorganisation fondée sur le retrait de son périmètre commercial des départements les plus porteurs, combiné avec une augmentation de ses objectifs (+25% de ventes pour l'année 2019), sans aucune contrepartie - si ce n'est une garantie de la rémunération variable à 100% pour les deux premiers quadrimestres 2019 - puis la proposition de conserver le département du Val d'Oise et une concession située à [Localité 6] (78), était de nature à affecter sa rémunération variable et nécessitait donc son accord,

- les départements de l'Île de France et de la région Nord, qui représentaient 37% de ses ventes (166 sur 450 réalisées en 2018 pour un objectif de 334 véhicules), n'étaient pas compensés par l'attribution des départements des pays de la Loire (37,41, 45, 85, 79, 86, 18 et 36) secteur sur lequel son collègue n'avait réalisé en 2018 que 37 commandes,

- parallèlement, l'éloignement des concessions de son domicile rendait d'autant plus difficile l'atteinte de ses objectifs du fait de l'allongement conséquent des temps de trajet et consécutivement de l'amplitude horaire, et entraînait un impact important sur sa vie personnelle,

- restée sourde à ses objections, la société l'a pressé de se positionner sur ce nouveau périmètre, cherchant à l'imposer de fait,

- dans ce contexte, il a vainement cherché un terrain d'entente avec sa direction sans jamais faire preuve d'insubordination, la convocation à l'entretien préalable lui ayant été adressée dix jours après qu'il a accepté la solution proposée par l'employeur de conserver le département du 95 et une concession dans le 78.

Il considère donc que le licenciement étant uniquement fondé sur le refus d'une modification de son secteur géographique affectant sa rémunération variable est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

' Selon ses dernières conclusions, remises au greffe le 3 janvier 2022, la société Temsys demande à la cour de :

Confirmer le jugement sur le bien-fondé du licenciement de M. [J] et son absence de préjudice moral,

L' infirmer sur le paiement de la prime 2018 pour 600 euros bruts et 60 euros à titre de congés payés afférents,

Débouter en conséquence M. [J] de l'ensemble de ses demandes,

Le condamner aux dépens ainsi qu'à la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société intimée objecte avoir pu imposer à M. [J], dans l'exercice légitime de son pouvoir de direction, la modification de son secteur géographique laquelle ne constituait qu'un simple changement de ses conditions de travail. Elle indique rapporter la preuve du refus opposé par le salarié par les échanges de messages en date des 22 et 30 janvier 2019, le salarié exposant à cette date qu'il considérait que la 'passation' des clients n'était pas la priorité du moment. Elle indique que malgré une relance en date du 13 février, M. [J] a persisté à refuser la réorganisation par messages des 19 et 27 février. Elle ajoute que la proposition formulée le 25 mars consistant à ce qu'il conserve finalement le département du 95 et une concession du 78, n'a pas été acceptée par l'intéressé ce qui l'a conduite à initier la procédure de licenciement.

La société Temsys souligne qu'il ressort du compte-rendu de l'entretien préalable, que le salarié a bien refusé la réorganisation de secteur. Elle ajoute avoir offert au salarié une garantie de part variable au titre des 1er et 2nd quadrimestres 2019.

Elle considère que l'argumentation de M. [J] est dénuée de fondement dès lors que les seules dispositions contractuelles existantes à propos de la part variable correspondent à un montant maximal, sur la base de l'atteinte d'objectifs définis unilatéralement par l'employeur, le contrat étant silencieux sur le secteur géographique sur lequel le salarié devait intervenir.

Elle fait valoir encore que le salarié n'apporte aucun élément au soutien de ses allégations concernant une prétendue atteinte à sa vie personnelle et familiale, en soulignant au surplus qu'il avait exprimé lors de sa dernière évaluation un souhait de mobilité géographique en province.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.

MOTIFS

Sur la cause du licenciement

La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est ainsi libellée :

« [...] Faisant suite à l'entretien préalable à licenciement en date du 23 avril 2019, au cours duquel vous avez été assisté par Mme [W], représentante du personnel, nous sommes au regret de vous signifier par la présente notre décision de mettre effectivement un terme à votre contrat de travail pour les motifs ci-dessous exposés.

Vous avez été engagé par contrat à durée indéterminée le 22 septembre 2009 en qualité d'attaché commercial. Vous exercez depuis le 1er février 2015 la fonction de Conseiller Régional des Ventes.

Nous avons à déplorer un refus caractérisé et volontaire d'exécuter les tâches relevant de votre fonction.

Pour rappel, le 18 janvier 2019, votre responsable, M. [R], après vous l'avoir présenté oralement, vous a notifié par mail une évolution dans votre secteur géographique. Initialement, la société vous avait affecté sur le secteur géographique comprenant l'ouest de la France et une partie de la région parisienne ; la société a souhaité mettre en oeuvre une adaptation de ce dernier, en supprimant la région parisienne.

Le 22 janvier 2019, vous avez contesté par mail cette évolution. M. [R], votre N+1, vous a alors expliqué que ce nouveau découpage répondait avant tout à une demande du constructeur et permettait de renforcer la présence commerciale en région. Dans ce contexte, et s'agissant d'une évolution marginale que vous ne pouviez refuser, votre manager vous a rappelé qu'il attendait de vous que vous respectiez votre nouveau secteur et que vous organisiez avec votre collègue, en charge notamment de la région parisienne, les passations afin de le présenter à vos différents interlocuteurs.

Une nouvelle fois, vous avez fait part de votre refus de suivre ce secteur géographique et de faire les passations, précisant dans un mail du 30 janvier que 'la transmission de planning pour la passation ne semble pas être la priorité de ce jour'.

Devant votre refus persistant d'exécuter vos missions, le 11 février 2019, votre manager vous a reçu afin de vous présenter les raisons de ces évolutions, et de vous enjoindre une nouvelle fois à respecter votre secteur géographique.

Malgré cette injonction vous avez persisté à contester le secteur géographique et sa pertinence.

Une telle situation est inadmissible. Nous vous rappelons que vous n'avez nullement qualité pour décider unilatéralement de votre secteur géographique et ainsi manquer délibérément aux directives de votre hiérarchie.

Un tel comportement caractérise de toute évidence une insubordination, ce que la société ne peut accepter.

Néanmoins, la société souhaitant parvenir à une issue favorable, a entrepris une nouvelle démarche à votre égard.

Ainsi, le 22 février 2019, vous avez été reçu par M. [M], Directeur des Partenariats, afin d'échanger sur la situation de blocage. Afin de vous accompagner dans cette évolution et de vous permettre de constater la pertinence de ce nouveau découpage géographique, ce dernier s'est engagé à vous garantir votre part variable sur les deux premiers quadrimestres.

Malgré cette proposition, vous avez une nouvelle fois refusé de suivre les directives.

Alors même que votre refus de respecter votre nouveau secteur géographique était totalement infondé, constituant un simple changement de vos conditions de travail, la société a entendu une nouvelle fois trouver une solution à cette situation et à cet effet vous a proposé le 25 mars 2019 en dernier lieu de vous confier outre l'ouest de la France, le département du Val d'Oise.

Là encore, vous avez rejeté cette proposition et entendu poursuivre votre refus d'exécuter vos obligations contractuelles.

Enfin conséquemment à votre refus d'effectuer les passations, votre manager a dû lui-même effectuer et présenter à vos différents interlocuteurs le nouveau Conseiller Régional des Ventes. Cette situation est d'autant plus préjudiciable qu'elle nuit à l'image de la société.

Une telle situation est inadmissible, vous ne pouviez consciemment ignorer que vos refus réitérés étaient injustifiés et constitutifs d'une faute que la Société ne pourrait accepter plus longtemps.

Les explications que vous nous avez fournies lors de l'entretien préalable précité ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation des faits.

Dans ces conditions vous comprendrez aisément que nous ne pouvons pas laisser perdurer une telle situation.

Eu égard à la nature de vos fonctions, ces faits rendent impossible la poursuite de nos relations contractuelles. Nous sommes donc contraints de vous notifier votre licenciement pour faute simple.

[...] '

En vertu de l'article L.1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse. Aux termes de l'article L. 1235-1 du même code, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.

Ainsi, l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.

À juste titre, la société intimée relève que le salarié ne communique aucun élément de nature à justifier que la réorganisation géographique de son secteur était de nature à emporter des conséquences sur sa vie personnelle ou familiale.

Si les stipulations conventionnelles énonçaient qu'en contrepartie de son activité professionnelle, M. [J] percevrait un salaire mensuel brut de base, lequel s'établissait en décembre 2018 à 2 904,17 euros ( prime de 13ème mois mensualisée incluse) et d'une part variable annuelle fixée à 5 250 euros à 100% d'objectifs atteints, M. [J] établit avoir perçu au titre de la part variable - hors primes individuelles, collectives et exceptionnelles - et compte tenu des dépassements des objectifs assignés en début d'exercice :

- 11 159 euros en 2016,

- 8 057,17 euros en 2017,

- 7 761,12 euros en 2018 (pièces n°6 et 19 de l'appelant).

Aucune précision n'est fournie par les parties sur les modalités de calcul de la part de rémunération variable excédant le montant contractuellement convenu pour 100% d'objectifs atteints.

Il est constant que : 

' Depuis sa nomination au 1er février 2015, M. [J], qui était domicilié dans le 95, était affecté sur le même secteur géographique de prospection, à savoir :

- une partie de l'ouest de la France : Bretagne et Normandie ;

- une partie du nord de la France : départements 02/59/60/62/80 ;

- une partie de [Localité 7] (rive droite) et de la région parisienne : la Seine Saint Denis, les Yvelines, le Val d'Oise.

' Si en application d'un avenant, le salarié était autorisé à télétravailler depuis son domicile, il lui était assigné un objectif de 30 visites minimum par mois sur l'ensemble de son secteur d'activité, ce dont il rendait compte de manière régulière et détaillée ainsi qu'il en justifie.

' En janvier 2019, la direction a informé ses collaborateurs de sa décision de réorganiser les secteurs de prospection des conseillers régionaux des ventes, applicable au 1er février suivant, consistant à confier à un 5ème responsable commercial la région Île de France que se partageaient jusqu'alors MM. [Z] et [J], ce dernier voyant son secteur être modifié de la façon suivante : M. [J] perdait l'ensemble des départements du Nord de la France (02/59/60/62/80), ainsi que ceux de l' Île de France (95, 93, 75 et 78) et se voyait attribuer les départements de la région Centre -Loire, à savoir les départements 37,41, 45, 85, 79, 86, 18 et 36.

M. [J] expose sans être contredit sur ce point par l'employeur qu'en 2018, il avait réalisé 166 ventes, représentant 37% de son activité, sur les 9 départements que l'employeur avait décidé de lui retirer et que son collègue n'avait réalisé cette même année que 37 ventes sur les départements de la région Centre-Loire qu'il devait récupérer.

Par mail du 27 février 2019, il attirait l'attention de son supérieur sur le fait qu'au cours du mois de janvier 2019 il avait enregistré 27 commandes dont 15 réalisées sur ce même secteur que la société avait décidé de lui retirer alors qu'au cours de la même période le secteur Centre-Loire qu'il devait récupérer n'en avait enregistré que 2, ces éléments chiffrés renforçant le caractère non pas marginal mais substantiel des conséquences qu'entraînait la modification de secteur sur le niveau de son activité.

En l'état de ces données chiffrées, la réponse apportée par son supérieur, M. [R], selon laquelle la direction avait 'pris soin de conserver au maximum le coeur de son secteur et de ne faire que des changements à la marge' est fallacieuse.

L'appelant établit ainsi que la réorganisation décidée unilatéralement par l'employeur était de nature à avoir une incidence péjorative sur l'atteinte même des objectifs fixés par l'employeur, compte tenu du retrait des départements les plus porteurs de son secteur, ce retrait n'étant pas compensé par un secteur géographique ou fonctionnel de valeur équivalente, le salarié objectant de manière pertinente au seul élément invoqué par l'employeur à ce titre, portant sur le niveau de vie des habitants du bassin des départements des pays de la Loire attribués, que cet élément était dépourvu de portée, son activité commerciale étant à destination des professionnels et non des particuliers.

Parallèlement à cette réorganisation, et alors même que M. [R] tentait de rassurer le salarié en lui précisant qu'il tiendrait compte de cette modification géographique dans la fixation de ses objectifs 2019 (pièce n° 32 de l'appelant), il lui assignait finalement 453 ventes en progression de +25% par rapport à l'année précédente.

L'appréciation portée par le salarié sur le caractère irréalisable de ses objectifs 2019 au regard de l'activité dégagée par les départements du Centre-Loire en 2018 par rapport à celle qu'il avait réalisée dans les départements qui lui étaient retirés, n'est pas utilement discutée par l'employeur. Certes, la société Temsys souligne à bon droit que la fixation des objectifs relevait de son pouvoir de direction. Pour autant, lorsque les objectifs déterminant le montant de la rémunération variable du salarié sont définis unilatéralement par l'employeur, ce dernier ne peut les modifier que sous réserve qu'ils soient réalisables et qu'ils aient été portés à la connaissance du salarié.

En l'espèce, au regard de la perte des départements les plus porteurs en termes d'activité pour le salarié, laquelle n'était pas compensée par l'attribution de départements qui connaissaient une faible activité commerciale, les objectifs fixés pour l'année 2019 n'étaient pas réalisables.

La mesure proposée par l'employeur consistant à garantir au salarié le maintien de sa rémunération variable pour les 2 premiers quadrimestres de 2019 n'était pas de nature à compenser dans la durée la perte de rémunération variable associée à la modification du secteur et à une forte progression des objectifs assignés pour l'année 2019 nonobstant l'engagement initial pris par son supérieur. L'incidence en terme d'activité commerciale de la concession qu'elle a finalement accordée à la fin du mois de mars 2019 au salarié consistant à conserver finalement le département du Val d'Oise et d'un établissement sur les Yvelines n'est pas chiffrée par la société.

L'incidence que la modification du secteur géographique entraînait sur le niveau d'activité que l'employeur pouvait légitimement attendre sur les départements de la région Centre-Loire, combinée avec l'augmentation concomitante des objectifs chiffrés qui lui étaient assignés, lesquels n'étaient pas réalistes, entraînait une répercussion négative sur la rémunération variable du salarié, laquelle excédait les 2 premiers quadrimestres 2019 que l'employeur s'engageait à lui garantir.

Dès lors, les décisions ainsi prises par l'employeur sur le secteur géographique de M. [J] et ses objectifs 2019, s'analysent non pas en un simple changement des conditions de travail mais en une modification du contrat de travail requérant l'accord exprès du salarié.

Faute pour l'employeur d'avoir recueilli l'accord de M. [J], le refus qu'il a opposé à la modification unilatérale de son contrat de travail n'est pas fautif.

Le jugement sera par conséquent infirmé en ce qu'il a dit que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse et a débouté le salarié de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur l'indemnisation du licenciement injustifié :

Au jour de la rupture, M. [J] âgé de 32 ans bénéficiait d'une ancienneté de 10 ans et 7 mois au sein de la société Temsys qui employait plus de dix salariés. Il percevait un salaire mensuel brut de 4 786 euros.

Le salarié a retrouvé un emploi au sein de la société BMW à compter du 14 octobre 2019, le contrat étant rompu le 18 février 2020 dans le cadre de la période d'essai. Il expose avoir retrouvé un emploi le 24 septembre 2020.

En vertu de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, le salarié peut prétendre au paiement d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse comprise entre un montant minimal de 3 mois de salaire brut et un montant maximal de 10 mois de salaire brut.

Compte tenu des éléments dont dispose la cour, et notamment de l'âge du salarié au moment du licenciement, et des perspectives professionnelles qui en découlent, le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse doit être évalué à la somme de 20 000 euros bruts.

Sur le préjudice moral :

Tout salarié licencié dans des conditions vexatoires ou brutales peut prétendre à des dommages et intérêts en réparation du préjudice distinct de celui résultant de la perte de l'emploi.

L'appelant affirme sans en justifier que la société a volontairement multiplié les pressions à son encontre afin de le pousser à accepter une modification d'un élément essentiel de son contrat de travail sous menace de licenciement et de dénigrement vis-à-vis de ses éventuels futurs employeurs. Aucun élément ne vient étayer ses allégations sur ce point.

Il invoque en outre le non versement de sa prime individuelle de 600 euros en mars 2019 et l'engagement de la procédure de licenciement à réception de la correspondance de son avocat proposant à la direction de discuter d'une solution lui permettant de conserver son emploi.

Faute pour le salarié de rapporter la preuve d'un comportement fautif dans l'engagement de la procédure de licenciement, la demande d'indemnisation du préjudice moral invoqué sera rejetée.

Sur le rappel de prime individuelle :

La société critique la décision entreprise en ce qu'elle a accordé à M. [J] un rappel de prime de 600 euros au titre de l'exercice 2018 en affirmant que le salarié ne justifiait pas avoir réalisé ses objectifs.

L'attribution de la prime individuelle au sein de l'entreprise 'repose sur des éléments liés à la performance, la réalisation des objectifs opérationnels et comportementaux des entretiens annuels d'évaluation. Ces primes individuelles d'un minimum de 600 euros [...]' (pièce n°26 de l'appelant)

En l'absence de moyen nouveau et de pièce nouvelle, c'est par des motifs pertinents que la cour adopte que les premiers juges, relevant, d'une part, que la prime est liée aux objectifs du salarié et, d'autre part, qu'il ressort du compte-rendu d'évaluation que le supérieur hiérarchique a mentionné relativement à l'appréciation des dits objectifs : 'au-dessus des objectifs. Je félicite [L] pour ces excellents résultats, un grand bravo', ont dit que l'employeur ne justifiait pas du motif pour lequel il avait privé le salarié de cette prime.

La seule argumentation développée par l'employeur en cause d'appel repose sur le fait qu'en 2018 M. [J] n'aurait pas atteint tous ses objectifs, et plus précisément son objectif mensuel de décembre 2018 qui s'est limité à 82,14%. Toutefois, il résulte du baromètre des commerciaux 2018, que ses résultats ont dépassé ses objectifs du dernier quadrimestre (+120,91%) et de l'année 2018 (+ 134,13%) attestant de la parfaite réussite du salarié au cours de l'exercice considéré.

Le jugement entrepris sera par conséquent confirmé en ce qu'il a condamné la société au paiement de la somme de 600 euros à titre de rappel de primes.

PAR CES MOTIFS

la cour statuant publiquement par arrêt contradictoire et dans la limite de sa saisine,

Infirme le jugement en ce qu'il a jugé le licenciement pourvu d'une cause réelle et sérieuse et débouté M. [J] de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Statuant de nouveau des chefs ainsi infirmés,

Juge le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Condamne la société Temsys à verser à M. [J] la somme de 20 000 euros d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Confirme le jugement pour le surplus,

Y ajoutant,

Condamne la société Temsys à verser à M. [J] la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel et aux dépens.

-Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été prélablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile

-Signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, et par Madame Isabelle FIORE, greffier auquel la minute la décision à été remise par le magistrat signataire.

le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 21e chambre
Numéro d'arrêt : 21/02216
Date de la décision : 29/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-29;21.02216 ?
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