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29/06/2023 | FRANCE | N°21/02188

France | France, Cour d'appel de Versailles, 21e chambre, 29 juin 2023, 21/02188


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



21e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 29 JUIN 2023



N° RG 21/02188 - N° Portalis DBV3-V-B7F-UT4S



AFFAIRE :



[Y] [E]





C/

SAS HOTEL DE L'ORME .......







Décision déférée à la cour : Jugement rendu

le 07 Juin 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CHARTRES



N° Chambre :

N° Section : C

N° RG

: F18/00137



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Sandrine BEZARD-JOUANNEAU

la AARPI BEZARD GALY COUZINET



Me Claire RICARD







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT NEUF JUIN DEUX...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

21e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 29 JUIN 2023

N° RG 21/02188 - N° Portalis DBV3-V-B7F-UT4S

AFFAIRE :

[Y] [E]

C/

SAS HOTEL DE L'ORME .......

Décision déférée à la cour : Jugement rendu

le 07 Juin 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CHARTRES

N° Chambre :

N° Section : C

N° RG : F18/00137

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Sandrine BEZARD-JOUANNEAU

la AARPI BEZARD GALY COUZINET

Me Claire RICARD

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT NEUF JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [Y] [E]

né le 13 Novembre 1977 à [Localité 5] (TUNISIE)

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par : Me Sandrine BEZARD-JOUANNEAU de l'AARPI BEZARD GALY COUZINET, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000002 -

APPELANT

****************

SAS HOTEL DE L'ORME Venant aux droits de la SAS NOUVELLE LE SAINT LOUIS,

N° SIRET : 791 651 771

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par: Me Claire RICARD, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 622 - substitué par Me PERRAY-JAY-JOSS Frédéric avocat au barreau de l'EURE

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 16 Mai 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Véronique PITE, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thomas LE MONNYER, Président,,

Madame Véronique PITE, Conseiller,

Madame Odile CRIQ, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Isabelle FIORE,

FAITS ET PROCÉDURE

M. [Y] [E] a été engagé par contrat à durée indéterminée à temps partiel à raison de 86,67 heures mensuelles, à compter du 1er septembre 2011, en qualité de pizzaïolo, par la société à responsabilité limitée Le Saint Louis, qui gérait un hôtel, restaurant, bar et qui appartenait à la famille du salarié.

A la suite de la cession du fonds de commerce à laquelle M. [Y] [E] participait, parmi d'autres, en qualité de vendeur, à la société par actions simplifiée Nouvelle Saint Louis, il a été engagé à compter du 18 mars 2013, en qualité de cuisinier et devenait le 12 septembre suivant associé dans le capital de l'acquéreur à raison de 30% avec clause de rétrocession à la valeur nominale. La société, qui a pour activité la restauration, emploie moins de onze salariés et relève de la convention collective nationale hôtels, cafés et restaurants.

Des pourparlers s'engagèrent pour permettre la cession du surplus des parts au salarié sur son offre d'acquisition le 16 mars 2015, qui achoppèrent, et ses partenaires considérant ensuite son activité déloyale de recherche d'exploitation d'un autre fonds de même nature et sa perte, selon eux, de son affectio societatis ont mis en 'uvre la clause de sortie du capital le 20 août 2015.

Parallèlement, à compter du 1er juin 2015, le contrat de travail de M. [E] est passé en temps complet à raison de 164,67 heures mensuelles.

M. [E] a saisi, le 26 juin 2015, le conseil de prud'hommes de Châteaudun pour se voir régler diverses créances salariales, le dossier ayant été transféré ensuite au conseil de Chartres.

Il était placé en arrêt de travail le 12 janvier 2016, de manière continue.

M. [E] a informé son employeur de sa décision de quitter son poste le 3 février 2016.

En dernier lieu, il entendait voir sa prise d'acte produire les effets d'un licenciement abusif, demandait le paiement d'heures complémentaires et supplémentaires, outre une indemnité au titre du travail dissimulé ainsi que la condamnation de la société au paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire, ce à quoi l'employeur s'opposait.

Par jugement rendu le 7 juin 2021, notifié le 12 juin suivant, le conseil a statué comme suit :

En la forme :

Reçoit M. [E] en ses demandes.

Reçoit la société Hôtel de l'Orme venant aux droits de la société Nouvelle Saint Louis en sa demande reconventionnelle.

Au fond :

Dit que la rupture du contrat de travail de M. [E] s'analyse en une démission,

Condamne la société Hôtel de l'Orme venant aux droits de la société Nouvelle Saint Louis à payer à M. [E] les sommes suivantes :

- 385.13 euros (') à titre d'indemnité compensatrice de congés payés,

Cette somme avec intérêts au taux légal à compter du 3 Juillet 2015,

- 1.500 euros (') au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Cette somme avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement,

Ordonne à société Hôtel de l'Orme venant aux droits de la société Nouvelle Saint Louis de remettre à M. [E] un bulletin de salaire conforme au jugement et ce sous astreinte de 30 euros (') par jour de retard à compter du 30ème jour suivant la notification de la présente décision,

Dit que le bureau de jugement se réserve le droit de liquider l'astreinte,

Déboute M. [E] du surplus de ses demandes,

Déboute la société Hôtel de l'Orme venant aux droits de la société Nouvelle Saint Louis de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles,

Condamne la société Hôtel de l'Orme venant aux droits de la société Nouvelle Saint Louis aux entiers dépens qui comprendront les frais d'exécution éventuels.

Le 7 juillet 2021, M. [E] a relevé appel de cette décision par voie électronique.

Selon ses dernières conclusions remises au greffe le 5 octobre 2021, M. [E] demande à la cour de le déclarer recevable et bien fondé son appel et de :

Infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Chartres le 7 juin 2021 en ce qu'il a dit que la rupture de son contrat de travail s'analysait en une démission et le déboutait de ses demandes de rappels de salaire au titre des heures complémentaires, supplémentaires et de la contrepartie obligatoire en repos, des congés payés afférents aux rappels de salaire, d'indemnités pour travail dissimulé, de dommages-intérêts pour absence de respect des limites maximales du travail, pour rupture abusive du contrat de travail et pour préjudice moral né du harcèlement moral subi, d'indemnités compensatrice de préavis outre les congés payés afférents et d'indemnité de licenciement

Y faisant droit,

Dire et juger que le courrier en date du 3 février 2016 s'analyse en une prise d'acte de la rupture du contrat de travail produisant les effets d'un licenciement abusif.

Condamner la société Nouvelle Saint Louis devenue Hôtel de l'Orme au paiement des sommes suivantes:

- 15.235,97 euros à titre de rappel de salaire au titre des heures complémentaires, outre la somme de 1.523,60 euros au titre des congés payés afférents

- 47.072,50 euros à titre de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires, outre la somme de 4.707,25 euros au titre des congés payés afférents

- 22.732,64 euros à titre de rappel de salaire au titre de la contrepartie obligatoire en repos, outre la somme de 2.273,96 euros au titre des congés payés afférents

- 8.745,24 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé

- 3.000 euros à titre de dommages et intérêts pour absence de respect des limites maximales du travail

- 385,13 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés

- 15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail

- 15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral né du harcèlement moral subi

- 1.457,54 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 145,75 euros au titre des congés payés afférents

- 850,24 euros à titre d'indemnité de licenciement

- 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

Voir ordonner la remise sous astreinte de 75 euros par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir des documents suivants, le conseil de prud'hommes se réservant le droit de liquider l'astreinte : du bulletin de paye affèrent au rappel de salaire, préavis, et congés payés afférents, du certificat de travail rectifié, de l'attestation de l'employeur destinée au Pôle Emploi rectifiée.

Voir dire que l'intégralité des sommes sus-énoncées sera augmentée des intérêts au taux légal, et ce à compter du jour de l'introduction de la demande en application des articles 1146 et 1153 du code civil.

Voir condamner la société Nouvelle Saint Louis devenue Hôtel de l'Orme aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 4 janvier 2022, la société Hôtel de l'Orme, venant aux droits de la société Nouvelle Saint Louis, demande à la cour qu'elle :

Confirme la décision rendue par le conseil des prud'hommes le 7 juin 2021 en ce qu'elle a :

- dit que la rupture du contrat de travail de M. [E] s'analysait en une démission, et débouté M. [E] de ses demandes de rappels de salaire au titre des heures complémentaires, supplémentaires et de la contrepartie obligatoire en repos, des congés payés afférents aux rappels de salaire, d'indemnités pour travail dissimulé, de dommages-intérêts pour absence de respect des limites maximales du travail, pour rupture abusive du contrat de travail et pour préjudice moral né du harcèlement moral subi, d'indemnités compensatrice de préavis outre les congés payés afférents et d'indemnité de licenciement,

- débouté du surplus de ses demandes.

Infirme le jugement rendu par le conseil de prud'homme en ce qu'il a :

- condamné la société à régler la somme de 385,13 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés, avec intérêts au taux légal à compter du 3 juillet 2015,

- ordonné à la société Hôtel de l'Orme venant aux droits de la Société Nouvelle Le Saint Louis de remettre à M. [E] un bulletin de salaire conforme au jugement et ce sous astreinte de 30 euros par jour de retard à compter du 30ème jour suivant la notification de la présente décision 

- dit que le bureau de jugement se réservait le droit de liquider l'astreinte.

Condamne M. [E] à verser à société Hôtel de l'Orme venant aux droits de la Société Nouvelle Le Saint Louis :

- la somme de 10.000 euros à titre de dommages intérêts pour procédure abusive,

- outre la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Le condamne aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.

Par ordonnance rendue le 19 avril 2023, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 16 mai 2023.

MOTIFS

I - Sur le temps de travail :

Sur les heures complémentaires et supplémentaires

M. [E] indique avoir réalisé, du 18 mars 2013 au 31 mai 2015, de multiples tâches le confinant en un rôle de factotum, du lundi au dimanche, sa présence étant indispensable, selon lui, à la bonne marche de l'établissement au regard de l'inexpérience de l'employeur. Il estime avoir effectué 1.251,30 heures supplémentaires en 2013, 1.749,30 heures supplémentaires en 2014 et 482 heures supplémentaires en 2015.

La société Hôtel de l'orme fait valoir la pérennité des conditions de travail du salarié avec le temps précédant la vente quand l'hôtel était exploité par son père, sa volonté de revenir après sa démission donnée en juillet 2013, son souhait d'acquérir l'affaire le 16 mars 2015, démentant le sens de la demande. Elle soutient l'omniprésence de l'intéressé en ses qualités de fils du gérant, vivant à l'hôtel de longue date et n'en déménageant que fin 2013 sans quitter ses habitudes, et d'associé, et conteste qu'il produise un quelconque élément sérieux extérieur à sa demande en fustigeant le caractère mensonger ou imprécis des attestations produites, l'incohérence économique du nombre d'heures au regard du chiffre d'affaires, l'inadéquation d'une occupation extérieure, enfin l'incohérence interne aux tableaux d'heures. Elle relève l'absence de demande préalable en ce sens et la nécessité où était l'intéressé de financer son affaire.

L'article L.3171-4 du code du travail exprime qu'" en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable. "

Il résulte de ces dispositions qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le contrat de travail du 1er septembre 2011, repris lors de la cession du fonds de commerce, stipule une durée de 20 heures par semaine, réparties par tranches de 4 heures du mardi au vendredi, de 6h50 à 10h50, et le samedi de 7h50 à 11h50.

Il est acquis aux débats que l'intéressé, dès le mois de mars 2013 devint cuisinier, et dès l'été 2013, travailla au restaurant et au bar.

En l'occurrence, le salarié présente des éléments précis permettant à la société Hôtel de l'orme de répondre, puisqu'il décrit chaque jour de la semaine l'heure de son embauche et de sa débauche, qui variaient selon les semaines, mais s'établissaient le plus souvent de 10h à 14h, puis de 18h à 22h, et au bar, de 22h à 1 ou 2 h du matin.

S'il évoque la pluralité de ses fonctions, il n'en rapporte pas la preuve au travers de la seule attestation de Mme [I] qu'il " réparait les soucis de tous les jours ", " s'occupait de la réception après son service du midi et le soir ", ce qu'il ne prétend pas lui-même, alors qu'elle fut serveuse du 25 mars à la fin juillet 2013 ainsi qu'en atteste son contrat à durée déterminée à temps partiel dont elle refusa le renouvellement, d'autant que l'article 3 du contrat de travail du salarié prévoit qu'il pourra être amené à réaliser toute tâche annexe, relevant de sa qualification, demandée pour les besoins d'organisation de l'entreprise et qu'il est établi qu'ayant démissionné le 6 juillet 2013 à l'effet du 31 quoiqu'il restât finalement, un tiers avait été embauché pour le remplacer dès le 25 août 2013 et resta jusqu'au 31 mars 2014.

Alors qu'il appartient à l'employeur d'assurer le contrôle des heures de travail effectuées en produisant ses propres éléments sur les horaires effectivement accomplis par le salarié, la société Hôtel de l'orme, qui fait valoir que M. [E] était occupé les lundi, vendredi et samedi, de 19 à 22 heures, du mardi au jeudi, de 10 à 14 heures, soit 21 heures par semaine, ne dispute pas utilement ces prétentions aux motifs de leur non-étaiement ou de leur incohérence, en critiquant les attestations versées par son contradicteur aux débats.

Si la société fait égard aux déclarations des vendeurs à l'acte de cession du fonds de commerce du 27 février 2013, ou à celles du salarié quand il proposa le 16 mars 2015 d'acquérir le surplus des parts de la société Nouvelle Saint Louis, celles-ci ne sont nullement de nature à établir la durée du travail de l'intéressé, et d'ailleurs n'en disent rien. De même, ses affirmations sur l'absence d'aucune réclamation antérieure dans le contexte d'une relation basée sur la confiance, sur l'incohérence des ratios qu'induirait une telle amplitude au regard de son chiffre d'affaires ou sur le fait, selon son père, que l'intéressé était chez lui à l'hôtel, sont sans portée.

En revanche, l'attestation de l'ancien gérant dit que son fils travailla comme avant, 20 heures par semaine, durant leur accompagnement des nouveaux acquéreurs jusqu'à la fin du mois d'avril. Cependant, contrairement à ce que suggère la société Hôtel de l'orme, elle ne vaut que pour cette période, étant observé qu'ensuite M. [E] devenait cuisinier sans qu'un nouveau contrat ne soit établi. Il sera tenu pour acquis que l'employeur rapporte suffisamment la preuve de l'absence d'heures complémentaires jusqu'à la fin du mois d'avril 2013.

Par ailleurs, les attestations des clients parlent d'une fermeture du bar, y compris en semaine vers 1 heure du matin, quoiqu'elles suggèrent que Mme [C], qui l'assurait, y suffisait. M. [P], client, observe au reste que M. [E] tenait le bar le soir en discutant avec les clients, laissant les autres travailler, " laissant penser qu'il en était le patron ", ce que corrobore globalement l'attestation du serveur, M. [F] d'une certaine nonchalance de l'intéressé.

Enfin, il est acquis aux débats que M. [E], comme il prétend, vit son contrat modifier au bénéfice d'un temps plein dès le mois de juin 2015, sans qu'aucun changement notable ne soit sérieusement évoqué par l'employeur, qui se borne à alléguer son aide en vue du regroupement familial que le salarié entendait demander.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences légales et réglementaires. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

Au vu des éléments soumis aux débats par l'une et l'autre partie, et compte tenu de l'article 13.4 de l'avenant n°2 du 5 février 2007 étendu par arrêté du 26 mars suivant, relatif à l'aménagement du temps de travail, à la convention collective, il convient d'allouer à M. [E], qui estime avoir réglé de 22 heures travaillées par semaine, la somme en 2013, de 4.215 euros, celle en 2014 de 7.400 euros, celle en 2015 de 3.520 euros, plus les congés payés afférents, au titre des heures complémentaires ou supplémentaires accomplies. Le jugement sera réformé dans son expression contraire.

Sur la contrepartie obligatoire en repos

M. [E] se prévaut des dispositions des articles L.3121-11 du code du travail et 5.3 de l'avenant n°2 du 5 février 2007 à la convention collective, prévoyant un contingent de 360 heures supplémentaires par an, pour solliciter l'équivalent du repos compensateur non pris.

L'article L.3121-11 du code du travail, dans sa version applicable au litige, dispose de la contrepartie obligatoire en repos due pour toute heure supplémentaire accomplie au-delà du contingent annuel.

L'article 5.3 invoqué dit que " le contingent d'heures supplémentaires, excluant les heures supplémentaires compensées en temps, utilisable sans avoir recours à l'autorisation de l'inspecteur du travail, est ainsi fixé à 360 heures par an pour les établissements permanents ".

Cela étant, il n'est pas établi par les pièces versées au dossier que le contingent ainsi institué aurait été dépassé, en sorte que M. [E] aurait eu droit à la contrepartie instituée par l'article L.3121-11 susdit. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette prétention.

Sur le travail dissimulé

M. [E] fait valoir les heures supplémentaires manquantes sur ses bulletins de paie.

Selon l'article L.8223-1 du code du travail, en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l'article L.8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L.8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à 6 mois de salaire.

L'article L.8221-5 dispose notamment qu'est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.

Cela étant, le salarié n'invoque ni un défaut de déclaration d'embauche, ni une soustraction aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale.

Il ne résulte pas des éléments en la cause une quelconque intention de l'employeur de ne pas avoir indiqué sur les bulletins de paie l'intégralité des heures de travail effectuées.

Les conditions de l'article L.8221-5 du code du travail n'étant pas réunies, la demande doit être rejetée et le jugement confirmé de ce chef.

Sur le manquement à l'obligation de voir respecter les limites maximales de travail

M. [E] estime que l'employeur manqua au respect des dispositions des articles L.3121-35, L.3121-36 et L.3131-1 du code du travail.

Ces dispositions limitent la durée du travail à 48 heures par semaine (article L.3121-35), à 44 heures calculées sur une période glissante de 12 semaines (article L.3121-36) et instituent un repos quotidien minimal de 11 heures consécutives (article L.3131-1).

En l'occurrence, l'employeur ne justifie pas, ainsi qu'il lui incombe, du respect de ses obligations à cet égard. M. [E] sera justement indemnisé du préjudice qu'induit l'excès de son travail par l'allocation de 500 euros, au paiement desquels la société Hôtel de l'Orme sera condamnée. Le jugement sera infirmé de ce chef.

II - Sur les congés payés :

M. [E] fait valoir les dispositions de l'article 23 de la convention collective ouvrant droit à 2,5 jours ouvrables de congés par mois, en déplorant n'avoir eu droit qu'à 15 jours de congé par an, et lui rester dus, non pris, 36 jours, dont il ne fut que partiellement réglé.

L'article 23 de la convention collective énonce que " tout salarié employé qui justifie d'un temps de travail chez le même employeur équivalent à 1 mois de travail effectif a droit à 2,5 jours ouvrables de congés payés par mois de travail. "

Si la société Hôtel de l'orme considère que le calcul doit être opéré en jours ouvrés, soit 25 jours par an, il n'en reste pas moins que la convention collective est libellée en jours ouvrables, si bien que M. [E] est fondé dans son observation.

Par ailleurs, si elle prétend qu'ils doivent être proratisés à la mesure du temps partiel, l'article L.3123-11 du code du travail, dans sa version applicable aux faits, indique que le salarié à temps partiel bénéficie des droits reconnus au salarié à temps plein ainsi que l'ont justement relevé les premiers juges, en sorte que cette proratisation ne peut se faire.

Les bulletins de paie laissent voir que, lorsque le salarié était occupé à mi-temps, il bénéficiait de 15 jours de congés au lieu de 30.

Faute d'autre critique, M. [E] sera reçu en sa demande, portant sur le différentiel entre 1.363,92 euros reçus lors du solde de tout compte, et 1.749,05 euros, auxquels il prétend, soit 385,13 euros au titre de complément de l'indemnité compensatrice de congés payés.

III - Sur la rupture du contrat de travail et le harcèlement moral :

La lettre du salarié rédigée à l'occasion de son départ est ainsi libellée :

" Par cette lettre, je vous informe de ma décision de quitter le poste de cuisinier que j'occupe depuis [le] 18 mars 2013, dans votre entreprise. A cause des harcèlements morals que j'ai subis de votre part et de la part de votre épouse " Mme [C] [J] "

Comme l'indique la convention collective de l'hôtellerie restauration d'Eure et Loir, applicable à notre entreprise, je respecterai un préavis de départ d'une durée de 30 jours. Pour le bien tout le monde, je prendrai mes congés annuels du 12 février 2016 au 3 mars 2016.

La fin de mon contrat sera donc effective le 3 mars 2016.

A cette date, je vous demanderai de bien vouloir me remettre le solde de mon compte, un certificat de travail, ainsi que mes couteaux de cuisine.

['] "

Relevant la motivation de son acte intervenu après la saisine de la juridiction, M. [E] fait valoir, à la charge fautive de son employeur, la modification unilatérale de son contrat de travail, passé d'un temps partiel à un temps plein, le non-paiement de ses heures complémentaires et supplémentaires, son manquement à son obligation de sécurité et son harcèlement moral pour qu'il cède ses parts dans le capital de la société.

La société Hôtel de l'orme soutient la carence probatoire de son adversaire, pour le harcèlement moral, et estime que la lettre de rupture, qui ne fait égard d'aucun grief, vaut démission.

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou de compromettre son avenir professionnel.

En vertu de l'article L. 1154-1 du même code, dans sa version applicable au litige, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L.1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'occurrence, le salarié expose avoir été l'objet de pressions permanentes de son employeur qui l'insultait et le menaçait pour qu'il cède ses parts, et d'une altercation avec M. [C], son associé, le 7 janvier 2016, qui l'accusait d'avoir dérobé un téléphone. Néanmoins, il ne l'établit nullement.

En revanche, il justifie avoir été en arrêt de travail du 7 au 9 janvier puis à compter du 12 janvier 2016 pour dépression sévère relative à des difficultés professionnelles que le médecin, comme l'observe l'employeur, ne pourrait constater en sorte que ce document n'a pas de valeur probante à cet égard.

Cela étant, ce seul élément ne saurait pas faire présumer le harcèlement dont il fait état, ainsi que le jugement l'a justement considéré. La demande afférente de dommages-intérêts formée par le salarié doit être rejetée.

Sur la cause de la rupture

L'article L.1231-1 du code du travail dit que le contrat à durée indéterminée peut être rompu à l'initiative du salarié.

La prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur empêchant la poursuite du contrat de travail. Elle produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, voire nul, si les faits invoqués la justifiaient ou, dans le cas contraire, d'une démission.

Quand il prend acte de la rupture du contrat aux torts de l'employeur, c'est au salarié qu'il appartient de rapporter la preuve des faits dont il se prévaut à son encontre. S'il n'est pas en mesure de le faire, s'il subsiste un doute sur la réalité des faits invoqués par le salarié, la prise d'acte produit les effets d'une démission.

Comme il a été dit, M. [E] n'établit pas le manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité ou le harcèlement moral dont il se prévaut.

S'il fait valoir la modification unilatérale de son contrat de travail par accroissement d'un temps partiel en un temps plein, qu'il n'aurait pas acceptée, il n'en reste pas moins qu'il plaide avoir toujours travaillé à temps plein, qu'ainsi il a saisi le conseil de prud'hommes en paiement forcé de ses heures complémentaires et supplémentaires, en sorte que la régularisation entreprise, en réalité satisfactoire, ne pourrait pas constituer dans le même temps un grief de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail.

Cela étant, c'est à raison que le salarié soulève le manquement de l'employeur dans le paiement de ses heures complémentaires ou supplémentaires.

Toutefois, il ne justifie pas que ce manquement soit suffisamment grave pour justifier la rupture immédiate de la relation de travail, alors qu'ancien, et régularisé pour l'avenir par la passation de son contrat de travail à temps plein le 1er juin 2015, il avait formé requête en paiement le 26 juin suivant des arriérés dus.

Le jugement sera ainsi confirmé en ce qu'il a qualifié la prise d'acte en démission, et les demandes de M. [E] seront rejetées.

IV - Sur la demande reconventionnelle :

La société Hôtel de l'orme se prévaut des dispositions de l'article 32-1 du code de procédure civile, en relevant que M. [E] la trompa en lui faisant croire lors de la vente du fonds à la sincérité de comptes qu'il savait faux puisque sans mention de sa créance salariale revendiquée.

Cependant, outre que le moyen manque en fait du moment que l'intéressé fait remonter l'origine de sa créance à la relation de travail entretenue avec la société Nouvelle Saint Louis devenue Hôtel de l'orme, il reste que M. [E] triompha partiellement à la procédure, en sorte qu'elle ne pourrait pas, en tout état de cause, être abusive. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette prétention.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a rejeté les demandes de M. [Y] [E] formées au titre des heures complémentaires et supplémentaires et en indemnisation du dépassement du temps de travail ;

Statuant des chefs infirmés ;

Condamne la société par actions simplifiée Hôtel de l'orme à payer à M. [Y] [E] 4.215 euros bruts au titre des heures complémentaires ou supplémentaires accomplies dès le 1er mai 2013, outre 421,50 euros bruts pour les congés payés afférents ;

Condamne la société par actions simplifiée Hôtel de l'orme à payer à M. [Y] [E] 7.400 euros au titre des heures complémentaires ou supplémentaires accomplies en 2014 outre 740 euros bruts pour les congés payés afférents ;

Condamne la société par actions simplifiée Hôtel de l'orme à payer à M. [Y] [E] 3.520 euros au titre des heures complémentaires ou supplémentaires accomplies en 2015 jusqu'au 30 mai outre 352 euros bruts pour les congés payés afférents ;

Condamne la société par actions simplifiée Hôtel de l'orme à payer à M. [Y] [E] la somme de 500 euros de dommages-intérêts en indemnisation du dépassement de son temps de travail au regard des limites maximales ;

Y ajoutant ;

Rejette les demandes de M. [Y] [E] formées au titre du harcèlement moral ;

Ordonne la remise d'un bulletin de paie annuel chaque année de 2013 à 2016 conforme à la présente décision dans le délai de deux mois à compter de la signification du présent arrêt ;

Rejette la demande d'astreinte ;

Condamne la société par actions simplifiée Hôtel de l'orme à payer à M. [Y] [E] 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

La condamne aux dépens.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, et par Madame Isabelle FIORE , greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 21e chambre
Numéro d'arrêt : 21/02188
Date de la décision : 29/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-29;21.02188 ?
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