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27/06/2023 | FRANCE | N°22/06911

France | France, Cour d'appel de Versailles, 13e chambre, 27 juin 2023, 22/06911


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 4IC



13e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 27 JUIN 2023



N° RG 22/06911

N° Portalis DBV3-V-B7G-VQVE



AFFAIRE :



[I] [U]



C/



LE PROCUREUR GENERAL

...





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 21 Octobre 2022 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE

N° Chambre :

N° Section :

N° RG : 2019J00238



Expédi

tions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :



Me Martine DUPUIS



Me Oriane DONTOT



MP



TC NANTERRE



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT SEPT JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles, a r...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 4IC

13e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 27 JUIN 2023

N° RG 22/06911

N° Portalis DBV3-V-B7G-VQVE

AFFAIRE :

[I] [U]

C/

LE PROCUREUR GENERAL

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 21 Octobre 2022 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE

N° Chambre :

N° Section :

N° RG : 2019J00238

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Martine DUPUIS

Me Oriane DONTOT

MP

TC NANTERRE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT SEPT JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [I] [U]

né le [Date naissance 1] 1965 à [Localité 9] (YOUGOSLAVIE)

[Adresse 3]

[Localité 8]

Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 - N° du dossier 2270047

Représentant : Me Julien VERNET de la SELEURL JULIEN VERNET AVOCAT, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : J098

APPELANT

****************

LE PROCUREUR GENERAL

POLE ECOFI - COUR D'APPEL DE VERSAILLES

[Adresse 4]

[Localité 5]

S.E.L.A.R.L. [H] [S] mission conduite par Me [H] [S] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL UNIPROM

[Adresse 2]

[Localité 7]

Représentant : Me Oriane DONTOT de la SELARL JRF AVOCATS & ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 - N° du dossier 20220924

Représentant : Me Olivier PECHENARD de la SELARL PBM AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B0899

INTIMES

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 20 Mars 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marie-Andrée BAUMANN, Conseiller faisant fonction de Président, et Madame Delphine BONNET, Conseiller chargé du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Marie-Andrée BAUMANN, Conseiller faisant fonction de Président,

Madame Delphine BONNET, Conseiller,

Madame Florence MICHON, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Sabine NOLIN,

En la présence du Ministère Public, représenté par Monsieur Fabien BONAN, Avocat Général dont l'avis du 15/12/2022 a été transmis le14/12/2022 au greffe par la voie électronique.

La SARL Uniprom au capital de 50 000 euros, divisé en 100 parts de 500 euros, a été constituée le 17 septembre 2003 entre MM. [B] [Y] (90 parts) et [I] [U] (10 parts). Elle avait pour activité l'étude et la réalisation de travaux de bâtiment ainsi que l'achat, la vente de tous biens meubles et immeubles, et toutes activités annexes. M. [U] en a été nommé gérant par les statuts.

Par acte authentique du 18 octobre 2018, la société Uniprom a vendu à M. [Y] un immeuble inachevé situé [Adresse 6] à [Localité 10] au prix de 990 000 euros TTC, réglé comptant à hauteur de 30 811,23 euros et, pour le solde (959 188,77 euros), par compensation avec le compte courant d'associé de M. [Y] au sein de la société Uniprom.

Par jugement du 20 mars 2019, le tribunal de commerce de Nanterre, saisi par assignation d'un créancier, a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la société Uniprom, fixé la date de cessation des paiements au 21 septembre 2017, et désigné la Selarl [H] [S], prise en la personne de maître [H] [S], en qualité de liquidateur judiciaire.

Considérant que les opérations de la procédure collective avaient mis en évidence un certain nombre de fautes de gestion imputables à M. [U], le liquidateur l'a assigné en responsabilité pour insuffisance d'actif et sanction personnelle devant le tribunal de commerce de Nanterre lequel, par jugement contradictoire assorti de l'exécution provisoire du 21 octobre 2022, a :

- condamné M. [U] à payer la somme de 30 000 euros entre les mains de la société [H] [S], ès qualités ;

- prononcé une mesure de faillite personnelle à l'encontre de M. [U] pour une durée de dix ans ;

- condamné M. [U] à payer à la société [H] [S], ès qualités, la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- mis les frais de greffe à la charge de M. [U].

Au titre de la responsabilité pour insuffisance d'actif, le tribunal a retenu les fautes suivantes :

- le défaut de déclaration de la cessation des paiements dans le délai légal,

- le non respect des obligations fiscales et sociales,

mais il a écarté le reproche tiré d'un paiement préférentiel en période suspecte.

Pour prononcer la sanction personnelle, le tribunal a retenu les griefs suivants :

- l'exercice d'un mandat de gérant malgré une interdiction de gérer,

- le paiement d'un créancier au préjudice des autres créances.

Il a écarté le grief tiré de l'augmentation frauduleuse du passif et, au motif qu'une faillite personnelle était prononcée, il n'a pas examiné le grief tiré de l'absence de déclaration de la cessation des paiements sanctionné par une interdiction de gérer.

Par déclaration en date du 18 novembre 2022, M. [U] a interjeté appel de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 3 février 2023, il demande à la cour de :

- infirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

statuant à nouveau,

- débouter la société [H] [S], ès qualités, de l'ensemble de ses demandes, y compris de l'appel incident;

- condamner la société [H] [S], ès qualités, à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société [H] [S], ès qualités, aux entiers dépens.

La société [H] [S], ès qualités, dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 3 janvier 2023, demande à la cour de :

- déclarer M. [U] mal fondé en toutes ses demandes et l'en débouter ;

- juger que le grief de faute de gestion tenant au paiement préférentiel en période suspecte est constitué à l'encontre de M. [U] ;

en conséquence,

- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné M. [U] à lui payer la somme de 30 000 euros ;

statuant à nouveau,

- condamner M. [U] à supporter tout ou partie de l'insuffisance d'actif de la société Uniprom et à lui payer la somme de 71 772,62 euros ;

- confirmer le jugement pour le surplus ;

à titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour infirmait la mesure de faillite personnelle prononcée à l'encontre de M. [U],

- condamner M. [U] à une mesure d'interdiction de gérer d'une durée laissée à l'appréciation de la cour ;

en tout état de cause,

- condamner M. [U] à lui payer la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. [U] aux dépens de l'appel, dont distraction pour ceux la concernant au profit de maître Oriane Dontot, associée du cabinet JRF & associés, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Dans son avis notifié par RPVA le 15 décembre 2022, le ministère public demande à la cour de confirmer en tous points le jugement. Il considère d'une part que les juges ont à juste titre caractérisé les fautes de gestion et que la sanction patrimoniale prononcée de 30 000 euros est proportionnée et juste au regard des fautes de gestion retenues et de l'insuffisance d'actif de 363 671,62 euros, dont 291 899 euros concernant les deux comptes courants d'associés ; d'autre part, en ce qui concerne la sanction personnelle, le ministère public estime que les premiers juges ont à juste titre caractérisé les griefs. Il estime qu'une condamnation inférieure à 10 ans de faillite personnelle paraît inopportune.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 6 mars 2023.

Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières écritures conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE,

1) sur la sanction pécuniaire

L'article L. 651-2 du code de commerce dispose notamment que 'lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut pas être engagée'.

La qualité de dirigeant de M. [U] n'est pas contestée.

Le montant de l'insuffisance d'actif, selon le rapport du liquidateur judiciaire, s'établit à la somme totale de 363 671,62 euros, montant du passif définitivement admis, aucun actif n'ayant pu être réalisé ou recouvré dans le cadre de la liquidation judiciaire ; déduction faite du passif chirographaire de la société à l'égard des associés, l'insuffisance d'actif s'élève à 71 772,62 euros, points non discutés par l'appelant.

* sur l'absence de déclaration de cessation des paiements

Après avoir rappelé que la responsabilité du dirigeant pour insuffisance d'actif est écartée en cas de simple négligence, expliqué les difficultés rencontrées dans la réalisation des travaux de l'unique projet de la société Uniprom et soutenu que l'activité de celle-ci était fortement cyclique et ses revenus liés à la vente d'importants projets immobiliers, M. [U] prétend qu'à l'expiration du délai légal, il espérait pouvoir relancer l'activité de la société Uniprom et qu'il ne peut donc être retenu une faute de gestion à son encontre pour ne pas avoir déclaré l'état de cessation des paiements dans le délai de 45 jours à compter du 21 septembre 2017, relevant que la prétendue aggravation de l'insuffisance d'actif pendant la période suspecte s'élève seulement à 5 740 euros.

Le liquidateur répond que la date de cessation des paiements a été reportée de dix-huit mois avant le jugement d'ouverture, le tribunal ayant tenu compte de l'ancienneté des inscriptions de privilèges. Il estime que le retard dépasse la simple négligence dans la mesure où M. [U] ne pouvait ignorer la situation compromise de la société Uniprom, soulignant que celle-ci n'avait plus d'activité depuis octobre 2017. Détaillant les résultats financiers réalisés au cours des derniers exercices, il affirme que M. [U] a poursuivi l'activité déficitaire de la société Uniprom sans prendre aucune mesure efficace pour mettre un terme aux pertes ; énumérant les inscriptions de privilèges, datant pour la plus ancienne de 2015, le liquidateur estime que M. [U] savait pertinemment que la société Uniprom n'était plus en mesure de faire face à son passif exigible avec son actif disponible, étant dans l'incapacité de régler son passif fiscal et social. Il précise que cette abstention fautive est à l'origine de l'augmentation du passif à hauteur de 1 611 euros au titre de la CFE 2017/2018 et de 4 129 euros au titre des cotisations sociales d'octobre 2017 à mars 2019.

Selon l'article L.640-4 du code de commerce, l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire doit être demandée par le débiteur au plus tard dans les quarante-cinq jours qui suivent la cessation des paiements, s'il n'a pas dans ce délai demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.

Le défaut de déclaration de cessation des paiements dans le délai légal de 45 jours s'apprécie au regard de la date de cessation des paiements fixée dans le jugement d'ouverture ou dans un jugement de report.

En l'espèce, le jugement d'ouverture, devenu définitif, l'a fixée au 21 septembre 2017 sans que M. [U] ait déposé de déclaration de cessation des paiements. Le défaut de déclaration de cessation des paiements dans le délai légal est donc établi.

Entre le 5 novembre 2017, date d'expiration du délai légal de quarante-cinq jours, et le 20 mars 2019, le passif a augmenté, selon la liste des créances arrêtée par le liquidateur judiciaire au 25 octobre 2021 et les déclarations de créance, de :

- 298 euros au titre de la CFE 2018 (la CFE 2017 ne peut être retenue au titre de l'aggravation du passif pendant la période considérée même si elle est exigible en fin d'année ) ;

- 4 129 euros au titre des cotisations sociales de novembre à mars 2019.

Dans le même temps, l'actif n'a pas été renforcé.

Les liasses fiscales des exercices de 2014 à 2017 montrent que l'activité de la société a fortement chuté à partir de l'exercice 2016 et a généré des pertes d'exploitation pour les années 2016 et 2017, étant observé que les disponibilités de la société Uniprom au 30 septembre 2017 étaient nulles.

L'état des inscriptions de privilèges porte la mention d'une inscription du Trésor public en date du 9 octobre 2015 pour un montant total de 41 793,48 euros, étant précisé que cette inscription se substituait à une précédente prise le 2 juin 2014 pour un montant de 17 060,01 euros.

L'Urssaf a inscrit un privilège le 9 novembre 2017 pour un montant de 7 241 euros.

Ces éléments montrent que l'état de cessation des paiements de la société Uniprom qui ne disposait d'aucune disponibilité pour régler ses dettes à l'égard du Trésor public et de l'Urssaf, était nécessairement connu de son dirigeant. Le défaut de déclaration de la cessation des paiements ne peut donc s'analyser en une simple négligence mais en un manquement du dirigeant à ses obligations.

Tant la faute de gestion que ses conséquences sur l'insuffisance d'actif sont par conséquent démontrées.

* Sur le non règlement des cotisations sociales et fiscales

M. [U] soutient que le défaut de paiement des obligations fiscales et sociales ne peut constituer à lui seul une faute de gestion, soulignant que la société Uniprom a connu une période de difficultés financières liées aux aléas subis lors des travaux de l'immeuble et aux difficultés inhérentes au secteur du bâtiment. Il affirme ne pas s'être soustrait volontairement au paiement des charges sociales et fiscales mais s'être trouvé confronté à une situation financière périlleuse.

Le liquidateur souligne que l'état du passif montre que la société Uniprom n'était pas à jour de ses obligations fiscales et sociales, ces créances constituant d'ailleurs la majeure partie du passif (45 787,53 euros).

Il fait valoir que la vente de l'immeuble aurait largement pu permettre de régler les créanciers fiscaux et sociaux si son prix n'avait pas été détourné au seul profit de l'associé majoritaire. Il estime que le manquement de M. [U] à ses obligations fiscales et sociales est donc acquis et a aggravé la situation de l'entreprise et l'insuffisance d'actif en permettant la poursuite de l'activité au détriment des créanciers fiscaux et sociaux.

La liste des créances montre que le passif, hors créances des associés, est constitué essentiellement de créances fiscales et sociales pour un total de 45 787,53 euros, étant rappelé que le Trésor public a inscrit un privilège le 9 octobre 2015 pour un montant total de 41 793,48 euros.

M. [U], qui a signé l'acte de vente de l'unique actif de la société Uniprom en sa qualité de gérant, au profit de son associé majoritaire, a accepté que le paiement du prix de 990 000 euros se fasse par compensation avec le solde du compte courant d'associé de M. [Y] à hauteur de 959 188,77 euros laissant impayées les créances fiscales et sociales.

La faute de gestion est donc établie. Elle ne peut s'analyser en une simple négligence compte tenu du choix du dirigeant de la société de régler le compte courant de son associé plutôt que les dettes de la société. Cette faute a nécessairement contribué à l'aggravation de l'insuffisance d'actif au regard des sommes déclarées.

* sur le paiement préférentiel en période suspecte

M. [U] prétend que la cession de l'immeuble est exclusive de tout paiement préférentiel, rappelant qu'un associé est en droit d'exiger le remboursement de son compte courant à tout moment et que la société ne peut opposer une situation financière difficile à la demande de remboursement. Puis, il rappelle le contexte dans lequel est intervenue la vente en début d'année 2018 et affirme que ne peut être considéré comme une faute de gestion le fait d'avoir consenti au remboursement du compte courant de M. [Y].

Le liquidateur rappelle que le fait de vouloir avantager un créancier pendant la période suspecte est constitutif d'une faute de gestion. Il souligne qu'en pleine période suspecte, le 18 octobre 2018, un paiement par compensation a été opéré avec le solde créditeur du compte courant d'associé de M. [Y] lors de son acquisition du seul actif immobilier de la société Uniprom, et ce dans l'unique but de favoriser le remboursement de ce compte courant au détriment des autres créanciers de la société. Il souligne que la société Uniprom s'est appauvrie au bénéfice quasi-exclusif de son associé majoritaire, puisqu'elle n'a effectivement perçu de la vente de son seul actif immobilier que la somme de 30 811,23 euros, se trouvant ainsi dans l'incapacité financière, d'une part, d'investir dans un nouveau projet immobilier qui aurait permis de relancer son activité et, d'autre part, de rembourser ses créanciers et de mettre fin à la cessation des paiements. Il estime que le paiement par compensation autorisé par le dirigeant, M. [U], signataire de l'acte authentique de vente au nom de la société Uniprom, constitue donc une faute ayant nécessairement contribué à l'insuffisance d'actif de celle-ci.

Il est vrai que l'associé peut, sauf disposition conventionnelle contraire, demander, à tout moment, le remboursement du solde créditeur de son compte courant.

Toutefois au cas d'espèce, le paiement par compensation du prix de vente du seul actif de la société Uniprom, à hauteur de 959 188,77 euros, en période suspecte, traduit la volonté de M. [U] de favoriser son associé au détriment des autres créanciers de la société dont les créances auraient pu être soldées grâce à la vente de cet actif.

Il s'agit d'un paiement préférentiel fait au détriment des autres créanciers dans l'intérêt exclusif de M. [Y], étant observé que la société Uniprom s'est retrouvée démunie de tout actif.

Contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, cette faute de gestion a contribué à l'insuffisance d'actif retenue dans le cadre de la présente instance hors passif chirographaire de la société à l'égard de ses associés.

Il convient par conséquent, compte tenu du nombre de fautes de gestion commises par le dirigeant et de leur gravité, infirmant le jugement, de condamner M. [U] à payer à la Selarl [H] [S] ès qualités la somme de 50 000 euros au titre de sa responsabilité pour insuffisance d'actif.

2) sur la sanction personnelle

Après avoir rappelé qu'il a été condamné à une interdiction de gérer pour une durée de deux ans le 24 février 2015 pour des faits datant de 2011 concernant une autre société, M. [U] soutient que la présente procédure de liquidation judiciaire ouverte à compter du 20 mars 2019 n'est pas concernée par cette interdiction de gérer et qu'il n'a pas non plus contrevenu à cette interdiction pendant la période suspecte en sorte qu'il n'existe aucun lien de causalité entre la liquidation judiciaire de la société Uniprom et l'interdiction de gérer prononcée pour la société Transports MV. Il estime que justifier une mesure de

faillite personnelle par des faits de violation d'une interdiction de gérer commis plus de cinq ans avant l'ouverture de la liquidation judiciaire revient à autoriser une 'quasi-imprescriptibilité' de la sanction civile alors que, selon la jurisprudence constitutionnelle et européenne, la faillite personnelle est une sanction ayant un caractère punitif et qu'à ce titre, un délai de prescription doit lui être appliqué afin d'éviter toute rupture d'égalité avec une condamnation à la faillite personnelle prononcée par les juridictions répressives.

Ensuite, M. [U] fait valoir que ni le liquidateur ni le tribunal n'ont démontré qu'il a sciemment omis de déclarer l'état de cessation des paiements de la société. Il prétend que de la fin de l'année 2017 au début de l'année 2019, il ne s'est pas délibérément soustrait au paiement des créanciers d'Uniprom, et qu'il ne pouvait donc pas déclarer l'état de cessation des paiements, compte tenu du caractère cyclique de son activité de construction induisant nécessairement des périodes d'inactivité avant la réalisation de nouveaux projets.

Le liquidateur soutient que M. [U] a exercé son mandat de gérant au sein de la société Uniprom en méconnaissance d'une interdiction de gérer prononcée à son encontre en sorte que le grief portant sur la violation d'une interdiction de gérer est bien constitué.

Il ajoute que M. [U] a privilégié, après la cessation des paiements et alors qu'il ne pouvait l'ignorer, le paiement de l'associé majoritaire au préjudice des autres créanciers puisqu'il a conclu un acte de vente aux termes duquel la société a vendu son seul actif au profit de M. [Y], associé majoritaire et que sur le prix de vente de 990 000 euros, la société Uniprom n'a perçu que 30 811,23 euros comptant, le solde de 959 188,77 euros ayant été payé par compensation avec le compte courant d'associé et qu'ainsi M. [U] a réglé sur le prix de vente et au détriment des autres créanciers une partie substantielle de la créance chirographaire de l'associé majoritaire.

Il estime qu'au regard de ces éléments, la mesure de faillite personnelle d'une durée de dix ans prononcée par le tribunal apparaît justifiée.

Le ministère public retient les mêmes griefs que ceux précédemment développés par le liquidateur.

L'article L. 653-5 du code de commerce prévoit que le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 contre laquelle a été relevé l'un des faits ci-après :

1° avoir exercé une activité commerciale, artisanale ou agricole ou une fonction de direction ou d'administration d'une personne morale contrairement à une interdiction prévue par la loi ;

(...)

4° avoir payé ou fait payer, après cessation des paiements et en connaissance de cause de celle-ci, un créancier au préjudice des autres créanciers.

En l'espèce, par arrêt du 24 février 2015, la cour d'appel de Paris, infirmant le jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 23 octobre 2013 sur la durée de la sanction prononcée, a condamné M. [U] à une interdiction de gérer pour une durée de deux ans.

Or malgré cette interdiction, M. [U], qui ne conteste pas le caractère exécutoire de cette décision, a continué de gérer la société Uniprom en sorte que le grief est caractérisé, peu important qu'au jour de l'ouverture de la liquidation judiciaire le 20 mars 2019, les deux années d'interdiction s'étaient écoulées tout comme au jour où la cessation des paiements a été fixée. En effet, M. [U] ne peut utilement invoquer une 'quasi-imprescriptibilité' de la sanction civile alors qu'à ces deux dates le délit prévu à l'article 434-40-1 du code pénal n'était pas prescrit.

Par ailleurs, il résulte de ce qui a été développé ci-dessus que M. [U] a privilégié le paiement de son associé, créancier chirographaire, au préjudice des autres créanciers privilégiés de la société Uniprom alors qu'il connaissait la cessation de paiement de l'entreprise qu'il dirigeait. Ce grief est également caractérisé.

La sanction doit être proportionnée à la gravité des fautes reprochées.

M. [U] n'a pas donné de précision sur sa situation professionnelle et personnelle. Au regard de la gravité des faits reprochés à M. [U], il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé à son encontre une faillite personnelle d'une durée de dix ans.

PAR CES MOTIFS

statuant publiquement, contradictoirement,

Confirme le jugement sauf en ce qui concerne le montant de la condamnation prononcée à l'encontre de M. [I] [U] en faveur de la Selarl [H] [S] ès qualités ;

statuant de nouveau de ce chef,

Condamne M. [I] [U] à payer à la Selarl [H] [S] ès qualités la somme de 50 000 euros au titre de sa responsabilité pour insuffisance d'actif ;

Condamne M. [I] [U] aux dépens de la procédure d'appel qui pourront être recouvrés directement par maître Dontot pour ceux dont elle aurait fait l'avance conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

Condamne M. [I] [U] à payer à la Selarl [H] [S] ès qualités la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Marie-Andrée BAUMANN, Conseiller faisant fonction de Président, et par Madame Sabine NOLIN, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Conseiller faisant fonction de Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 13e chambre
Numéro d'arrêt : 22/06911
Date de la décision : 27/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-27;22.06911 ?
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