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22/06/2023 | FRANCE | N°21/03516

France | France, Cour d'appel de Versailles, 15e chambre, 22 juin 2023, 21/03516


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



15e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 22 JUIN 2023



N° RG 21/03516 - N° Portalis DBV3-V-B7F-U3V4



AFFAIRE :



S.A.S. HIPPOCRATE



C/



[V] [B]









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 19 Octobre 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE - BILLANCOURT

N° Section : AD

N° RG : F 18/00136

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Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Agnès BALLEREAU-BOYER de la SELAS CAPSTAN COTE D'AZUR



Me Alma BASIC de la SELARL BASIC ROUSSEAU AVOCATS



Expédition numérique délivrée à : PÔLE EMPLOI





le :





RÉPUBLI...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

15e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 22 JUIN 2023

N° RG 21/03516 - N° Portalis DBV3-V-B7F-U3V4

AFFAIRE :

S.A.S. HIPPOCRATE

C/

[V] [B]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 19 Octobre 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE - BILLANCOURT

N° Section : AD

N° RG : F 18/00136

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Agnès BALLEREAU-BOYER de la SELAS CAPSTAN COTE D'AZUR

Me Alma BASIC de la SELARL BASIC ROUSSEAU AVOCATS

Expédition numérique délivrée à : PÔLE EMPLOI

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT DEUX JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

S.A.S. HIPPOCRATE

N° SIRET : 452 066 541

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentant : Me Agnès BALLEREAU-BOYER de la SELAS CAPSTAN COTE D'AZUR, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de GRASSE, vestiaire : 104, substitué à l'audience par Me Timothée HENRY, avocat au barreau de GRASSE, vestiaire :104

APPELANTE

****************

Madame [V] [B]

née le 01 Mars 1984 à [Localité 5] (AGLERIE)

de nationalité Algérienne

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Alma BASIC de la SELARL BASIC ROUSSEAU AVOCATS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G0462

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 10 Mai 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Régine CAPRA, Présidente,

Monsieur Thierry CABALE, Président,

Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,

Greffier en pré-affectation lors des débats : Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI, en présence de M. LAKHTIB Nabil, greffier

Par contrat de travail à durée indéterminée du 8 février 2017, Mme [B] a été engagée par la société Hippocrate en qualité d'agent de service hospitalier.

La société compte plus de 10 salariés, et les relations contractuelles étaient régies par la convention collective nationale de l'hospitalisation privée à but lucratif.

Mme [B] a été placée en arrêt de travail le 19 novembre 2017 et n'a plus repris le travail depuis cette date.

Par courrier du 3 juin 2020, la CPAM a informé la société que la salariée présentait un état d'invalidité réduisant de 2/3 sa capacité de travail, lui octroyant ainsi le bénéfice d'une pension d'invalidité.

Par requête reçue au greffe le 5 février 2018, Mme [B] a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt aux fins d'obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de son employeur, outre le versement de diverses sommes, notamment pour des faits de harcèlement moral.

Par jugement du 19 octobre 2021, auquel renvoie la cour pour l'exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt a :

- Prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de Madame [V]- [B] aux torts exclusifs de l'employeur du fait de manquements graves de sa part dans le cadre de la relation de travail, à la date du présent jugement.

- Dit que cette résiliation judiciaire s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse

- Fixé le salaire mensuel brut de Madame [V] [B] à 1907,09 euros

- Condamné la SAS Hippocrate à payer à Madame [V] [B] :

*1 907,09 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

*654,74 euros à titre d'indemnité légale de licenciement.

*1 907,09 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis :

*190,70 euros à titre de congés payés y afférents

*3'814,18 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité,

*3'814,18 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

*1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conséquent, ordonné :

*La remise, à Madame [V] [B], d'un bulletin de paie, d'un certificat de travail, d'un reçu pour solde de tout compte, d'une attestation Pôle-emploi et d'une régularisation auprès des organismes sociaux conformes au présent jugement sous astreinte de 50 euros par document et par jour de retard, à compter de 30 jours après la notification du présent jugement, et ce, pendant un mois, le conseil s'en réservant la liquidation,

*L'exécution provisoire de la décision au titre de l'article 515 du code de procédure civile,

*La capitalisation des intérêts.

Par conséquent, assortit l'ensemble des sommes de l'intérêt au taux légal à compter de la présente décision.

- Débouté Madame [V] [B] du surplus de ses demandes,

- Débouté la SAS Hippocrate de toutes ses demandes.

- Mis les dépens à la charge de la SAS Hippocrate.

Par déclaration au greffe du 1er décembre 2021, la SAS Hippocrate a interjeté appel de cette décision.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 28 février 2022, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens, la SAS Hippocrate demande à la cour de :

ll est demandé à la cour d'appel de Versailles d'infirmer le jugement rendu entre les parties le 19 octobre 2021 par le Conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt en ce qu'il a :

- Prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de Madame [V] [B] aux torts exclusifs de l'employeur du fait de manquements graves de sa part dans le cadre de la relation de travail, à la date du présent jugement.

- Dit que cette résiliation judiciaire s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

- Fixé le salaire mensuel brut de Madame [V] [B] à 1907,09 euros.

- Condamné la SAS Hippocrate à payer à Madame [V] [B] :

*1 907,09 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

*654,74 euros à titre d'indemnité légale de licenciement.

*1 907,09 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis :

*190,70 euros à titre de congés payés y afférents

*3'814,18 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité,

*3'814,18 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

*1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conséquent, ordonné :

*La remise, à Madame [V] [B], d'un bulletin de paie, d'un certificat de travail, d'un reçu pour solde de tout compte, d'une attestation pole-emploi et d'une régularisation auprès des organismes sociaux conformes au présent jugement sous astreinte de 50 euros par document et par jour de retard, à compter de 30 jours après la notification du présent jugement, et ce, pendant un mois, le conseil s'en réservant la liquidation,

*L'exécution provisoire de la décision au titre de l'article 515 du code de procédure civile,

*La capitalisation des intérêts.

Par conséquent, assortit l'ensemble des sommes de l'intérêt au taux légal à compter de la présente décision.

- Débouté la SAS Hippocrate de toutes ses demandes.

- Mis les dépens à la charge de la SAS Hippocrate.'»

Par voie de réformation et statuant à nouveau, il est demandé à la cour d'appel de Versailles

- Constater que Madame [B] n'a eu à subir aucune situation de harcèlement moral,

- Déclarer que la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail de Madame [B] est dès lors injustifiée,

- Déclarer que les demandes formulées par Madame [B] sont non fondées dans leur principe et injustifiées dans leur montant,

- Débouter Madame [B] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- Condamner Madame [B] au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamner Madame [B] aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de la SELAS Capstan Cote D'azur, en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 26 mai 2022, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens, Mme [B] demande à la cour de :

En cause d'appel, il est demandé à la cour d'appel de Versailles de déclarer recevable et bien fondée madame [V] [B] en ses présentes écritures.

Y faisant droit,

- Confirmer le jugement rendu le 19 octobre 2021 par le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt, section activités diverses, en ce qu'il a :

- Prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de madame [V] [B] aux torts exclusifs de l'employeur du fait de manquements graves de sa part dans le cadre de la relation de travail, à date du jugement.

- Fixé le salaire moyen mensuel brut de madame [V] [B] à 1.907, 07 euros.

Mme [V] [B] sollicite également auprès de la cour d'appel de Versailles la confirmation du jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt en ce qu'il a condamné la SAS Hippocrate à lui payer :

*Indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

*Indemnité légale de licenciement

*Indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents ;

*Dommages-intérêts pour violation de l'obligation de sécurité ;

*Dommages-intérêts pour harcèlement moral ;

*Indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Il est demandé à la cour d'appel de Versailles d'infirmer le jugement entrepris pour le surplus.

Et y statuant de nouveau :

Il est demandé à la cour d'appel de Versailles de prononcer la nullité du licenciement en raison de la résiliation judiciaire du'contrat'de travail de'madame [V] [B] aux'torts exclusifs de l'employeur du fait de manquements graves de sa part dans le cadre de la relation de travail.

Et en conséquence, condamner la SAS Hippocrate au paiement de :

*Dommages-intérêts pour nullité' du' licenciement 7 628,86 euros, subsidiairement des dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de travail : 3 814,18 euros ;

*7. 628, 86 euros à titre dommages-intérêts pour harcèlement moral, subsidiairement pour défaut d'exécution du contrat de travail ;

*3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

En tout état de cause,

- Débouter la SAS Hippocrate de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 5 avril 2023.

SUR CE,

Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail

Mme [B] fait valoir, au soutien de sa demande de confirmation du jugement en ce qu'il a prononcé la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur, que ce dernier a commis des manquements graves dans le cadre de la relation de travail. Elle considère avoir subi un harcèlement moral et que la société Hippocrate n'a mis en 'uvre aucune mesure pour mettre un terme aux brimades subies et aucune procédure pour faire cesser ses conditions de travail délétères.

Plus précisément, elle invoque au soutien de sa demande de résiliation judiciaire :

- une surcharge de travail,

- des brimades subies,

- la dégradation de son état de santé,

- l'absence d'enquête contradictoire après dénonciation des faits de harcèlement,

- le non-versement du complément d'indemnité maladie et d'invalidité de prévoyance.

La société Hippocrate conteste tout harcèlement moral, faisant essentiellement valoir que les allégations de la salariée en ce sens ne reposent que sur ses propres déclarations, qu'elle conteste, et soulignant les circonstances chronologiques de cette dénonciation. Elle ajoute qu'elle a donné suite au courrier de dénonciation du conseil de la salariée en y répondant point par point et qu'elle ne pouvait organiser une enquête interne considérant que ce n'était pas le sujet.

Le contrat de travail peut être rompu à l'initiative du salarié en raison de faits qu'il reproche à son employeur ; il appartient au juge, saisi par le salarié d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail d'apprécier s'il établit à l'encontre de l'employeur des manquements suffisamment graves pour justifier cette mesure ; dans ce cas, la résiliation judiciaire du contrat de travail, prononcée aux torts de l'employeur, produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; au contraire, la rupture du contrat de travail est imputable au salarié dès lors que les faits invoqués par ce dernier à l'appui de sa demande ne sont pas établis et qu'il a rompu le contrat de travail à son initiative sans justifier d'aucun manquement de l'employeur à ses obligations ;

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

Selon l'article L.1152-3 du même code, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.

Vu les articles L1152-1 et L1154-1 du code du travail,

Il résulte de ces textes que lorsque la salariée établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral; dans l'affirmative, il appartient à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

L'article L.1152-4 du code du travail dispose également en son alinéa premier que : « L'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral ».

L'article L.4121-1 alinéa premier de ce code dispose que « l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ».

L'article L.4121-2 du même code prévoit que : « l'employeur met en 'uvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux suivants ['] :

7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels que définis aux articles L.1152-1 et L.1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis par l'article L.1142-2-1; [...] ».

Il est rappelé qu'en l'espèce Mme [B], qui se réfère aux textes précités, invoque au soutien de sa demande de résiliation judiciaire des faits de surcharge de travail, des brimades subies, la dégradation de son état de santé, l'absence d'enquête contradictoire après dénonciation des faits de harcèlement et le non-versement du complément d'indemnité maladie et d'invalidité de prévoyance.

Pour étayer ses affirmations, elle produit notamment des plannings de travail, un courrier du secrétaire général de l'union locale CGT [Localité 6], son contrat de travail, des bulletins de paie, des pièces médicales, des courriers de son avocat à la direction de l'entreprise.

Si le planning de travail de Mme [B], signé de la salariée, indique des horaires habituellement répartis de 7 h 30 à 13 h 30 puis de 15 h 30 à 20 h 30, la salariée procède par simple affirmation lorsqu'elle indique qu'elle terminait souvent sa matinée de travail à 14 heures.

Il en est de même lorsqu'elle indique qu'elle devait au-delà des tâches énumérées dans son contrat de travail - comprenant notamment «l'entretien minutieux des parties communes» et «l'entretien des locaux intérieurs et extérieurs» - nettoyer les escaliers des trois étages avec une petite brosse dans une position douloureuse, à savoir en se positionnant sur les genoux, nettoyer les couloirs des trois étages avec une petite brosse et une raclette dans une position douloureuse, à savoir en se positionnant sur les genoux, alors que pourtant, il existe une auto nettoyeuse ou encore nettoyer les vitres de la résidence, alors que pourtant, une société est employée pour accomplir cette tâche. Le planning de nuit versé aux débats fait d'ailleurs au contraire apparaître que les escaliers étaient nettoyés par les agents des services de nuit, outre l'existence d'une autolaveuse pour le lavage de couloirs.

Le courrier du secrétaire général de l'union local CGT [Localité 6] évoque de manière seulement générale des difficultés de management des équipes et un manque de repos des salariés, sans élément précis concernant Mme [B] en particulier.

Lorsqu'elle invoque des brimades imputées à la gouvernante, cette dernière se réfère encore seulement à une relation des faits dans un courrier de son propre avocat, relayant ses propos, qui ne sont pas corroborés par d'autres éléments de nature probatoire.

L'attestation émanant de Mme [B] elle-même dans laquelle elle évoque des pressions subies de sa hiérarchie,'ne suffit pas à établir la réalité des faits qu'elle allègue.'

Elle produit enfin de nombreuses pièces médicales (arrêts de travail, certificats médicaux et prescriptions médicamenteuses) qui font ressortir la dégradation réelle de sa situation de santé, mais demeurent insuffisantes à établir un lien entre celle-ci et les comportements qu'elle impute à l'entreprise en plus généralement à ses conditions de travail.

Ainsi, si les pièces produites révèlent un syndrome dépressif et ont justifié des arrêts de travail prolongés et finalement l'octroi en juin 2020 par la CPAM d'une pension d'invalidité, les certificats des médecins généralistes ou du CMP ne font que relater les dires de leur patiente s'agissant des conditions de travail alléguées ; si le 12 décembre 2017 le médecin du travail s'est interrogé sur les risques psychologiques encourus par la salarié en cas de reprise du travail, c'est aussi au regard des dires de Mme [B], y compris sur ses «idées noires» et à une date à laquelle la salariée n'était plus présente dans l'entreprise, sans que cette interrogation ne suffise à établir de lien de causalité, étant observé que le médecin du travail a rendu un avis d'aptitude le 7 juillet 2017 lorsque la salariée était encore présente, non remis en cause par la suite.

Le courrier de l'avocat de Mme [B] en date du 19 décembre 2017, adressé à la société Hippocrate, produit au dossier, indique notamment, après avoir brièvement évoqué des heures supplémentaires, que':

« Madame [V] [B] me précise connaître des pressions de la part de madame [E] [M], employée en qualité de gouvernante.

La situation se serait même aggravée rendant le climat, et le contexte de travail délétère.

Et pour cause ma cliente me décrit les conditions de travail imposées par madame et les insultes et propos dénigrant formulés à son encontre.

A titre d'illustration, c'est ainsi que Madame [E] [M], lui imposerait d'accomplir, outre celles prévues par son contrat de travail, les tâches suivantes dans des conditions dégradantes:

- Nettoyer les escaliers des 3 étages avec une petite brosse dans une position douloureuse, à savoir en se positionnant sur les genoux ;

- Nettoyer les couloirs des 3 étages avec une petite brosse et une raclette dans une position douloureuse, à savoir en se positionnant sur les genoux, alors que pourtant il existe une auto-nettoyeuse

- Nettoyer les vitres de la résidence, alors que pourtant, une société est employée pour accomplir cette tâche

- Laver la vaisselle dans un délai imparti très restreint et ce sans respecter un roulement entre les salariés. Ma cliente m'indique le nettoyage est important car le couvert comprend une centaine de personnes (les résidents et leurs familles) sur le service de midi et également une centaine de personnes pour le service du soir ;

- Une inspection quotidienne des tâches accomplies par ma cliente en prétextant une réalisation de travail insatisfaisante, l'obligeant à recommencer à titre d'exemple le nettoyage des chambres.

Ma cliente subirait ainsi un traitement défavorable injustifié par rapport à ses collègues. »

Ce courrier d'avocat fait également apparaître que Mme [B] a également évoqué et alerté sur sa situation de travail Mme [N], directrice de la résidence et que cette dernière lui aurait « intimé qu'après chaque plonge elle vous informe de la fin de sa matinée en lui assénant l'ordre suivant, accompagné de menaces : j'ai fini mademoiselle et tu refermes la porte et tu te tais, et si tu ne finis pas à 13h30 je te vire tu vas chercher un autre travail et je ne vais pas te lâcher, je suis toujours derrière toi. »

Le courrier d'avocat poursuit en ces termes :

« Mais ce n'est pas tout.

En effet, Madame [E] [M] ne cesserait de l'invectiver en employant des mots particulièrement dénigrants notamment « tu es nulle », « t'es bonne à rien », « grosse vache ».

Le procédé et les mots employés sont totalement déplacés et vexatoire lesquels sont d'ailleurs proférés en présence des autres salariés et des résidents Pire encore, le dénigrement, les pratiques vexatoires subies par ma cliente et les conditions de travail dégradantes sont à la limite du harcèlement moral. [en gras par la cour]

Mais ce n'est pas tout.

Ma cliente m'indique vous avoir alerté de façon régulière sur les insultes et les propos dénigrants formulées par Madame [M] à son encontre. Selon les dires de ma cliente vous lui aurez rétorqué « que c'est comme ça c'est son caractère et qu'il faut l'accepter. » . Les propos, s'ils sont réels, sont totalement déplacés.

Elle n'a d'ailleurs pas manqué d'en faire part à la déléguée du personnel. Selon les dires de ma cliente vous auriez été ainsi alerté par le représentant élu des difficultés rencontrées par ma cliente. A ce jour, et en dépit de l'alerte d'un élu, aucune mesure de protection n'a été mise en place pour garantir ma cliente une exécution sereine sécurisante de son travail. »

Le courrier fait ensuite état de répercussions sur l'état de santé de la salariée et indique que «ma cliente [a] souhaité dénoncé l'ensemble de ce procédé qu'elle subi depuis de trop nombreux mois, par mon, intermédiaire ».

Si là encore, le conseil de Mme [B] ne faisait que reprendre les dires de sa cliente, il demeure que, contrairement à ce qu'indique l'appelante, il était ainsi décrit des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel et le terme même de harcèlement moral était mentionné expressément dans ce courrier.

Dès lors, il revenait à l'employeur de mener une enquête sur les faits ainsi dénoncés par la salariée.

Le simple courrier en réponse au courrier de dénonciation du conseil de la salariée ne pouvait se substituer ou suppléer la réalisation d'une telle enquête.

De même, le fait que la salariée ait été placée en arrêt de travail ne rendait pas impossible la réalisation d'une enquête interne, sur le sujet clairement exprimé par la salariée de faits de harcèlement.

Il est avéré que la société Hippocrate n'a mis en 'uvre aucune enquête à la suite de la dénonciation qui lui a ainsi été faite en décembre 2017 et qu'aucune mesure de sauvegarde ni mesure pour assurer sa sécurité et protéger sa santé physique et morale au regard des faits dénoncés n'a été entreprise.

Il appartenait pourtant à l'employeur, avisé des faits éventuels de harcèlement, de diligenter une enquête interne afin de vérifier les allégations lui ayant été rapportées et de faire la lumière sur les agissements dénoncés.

Il s'ensuit que si, en l'état des explications et des pièces fournies devant la présente juridiction, la matérialité d'éléments de fait précis et concordants laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral n'est pas démontrée, il demeure que l'employeur ne justifie pas avoir, dans les conditions susvisées, pris les mesures propres à prévenir des agissements de harcèlement moral et à assurer la sécurité de la salariée, en violation des articles L.1152-4, L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail.

Il est justifié dans ces conditions de manquements suffisamment graves de la société Hippocrate pour justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [B] aux torts de l'employeur.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a prononcé à la date du 19 octobre 2021 la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [B] aux torts exclusifs de l'employeur.

La résiliation judiciaire du contrat de travail, prononcée aux torts de l'employeur par suites des motifs susvisés, produit les effets, non d'un licenciement nul, mais d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le jugement est aussi confirmé de ces chefs.

Sur les conséquences financières de la résiliation judiciaire

A la date de son licenciement Mme [B] avait une ancienneté de plus de 4 ans au sein de l'entreprise qui employait de façon habituelle au moins 11 salariés.

Il y a lieu de confirmer le jugement lui ayant alloué, sur la base d'un salaire de référence de 1 907,09 euros, les sommes de :

- 654,74 euros à titre d'indemnité légale de licenciement.

- 1 907,09 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 190,70 euros à titre de congés payés y afférents.

En application de l'article L1235-3 du code du travail, elle peut également prétendre à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse'; l'article L. 1235-3 du code du travail issu de l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 publiée le 23 septembre 2017 prévoit, en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse et si la réintégration n'est pas demandée et acceptée, une indemnisation à la charge de l'employeur dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau produit, soit pour une ancienneté telle que celle de Mme [B], une indemnité minimale de 3 mois de salaire brut et une indemnité maximale de 5 mois de salaire brut.

Au-delà de cette indemnisation minimale, et tenant compte notamment de l'âge, de l'ancienneté du salarié et des circonstances de son éviction, étant observé que Mme [B] a été reconnue invalide de catégorie 2, il convient de condamner l'employeur, dans la limite de la demande au paiement d'une indemnité totale portée à 3 814,18 euros à ce titre. Le jugement est réformé en son quantum de ce chef.

Sur les autres demandes indemnitaires

Mme [B] sollicite d'une part des dommages-intérêts pour violation de l'obligation de sécurité et d'autre part des dommages-intérêts pour harcèlement moral, subsidiairement pour exécution fautive du contrat de travail.

Il ressort des motifs précédents que le harcèlement moral n'est pas établi, de sorte que la demande formée de ce chef sera rejetée, le jugement étant infirmé sur ce point. Les mêmes faits que ceux invoqués au titre du harcèlement moral ne caractérisent pas non plus une exécution fautive du contrat de travail, ce qui justifie également le rejet de la demande indemnitaire formée sur ce fondement.

En revanche, la société Hippocrate n'a mis en 'uvre aucune enquête à la suite de la dénonciation qui lui a ainsi été faite en décembre 2017 et n'a pris aucune mesure de sauvegarde ni mesure pour assurer sa sécurité et protéger la santé physique et morale de la salariée au regard des faits dénoncés n'a été entreprise.

Elle ne justifie pas non plus avoir établi de document unique d'évaluation des risques (DUER) en violation des articles R. 4121-1 et suivants du code du travail.

Le jugement est par suite confirmé en ce qu'il a condamné la société Hippocrate à payer à Mme [V] [B] la somme de 3 814,18 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité.

Sur le remboursement par l'employeur à l'organisme des indemnités de chômage

En application de l'article L. 1235-4 du code du travail, il convient d'ordonner d'office le remboursement par l'employeur à l'organisme concerné, du montant des indemnités de chômage éventuellement servies au salarié du jour de son licenciement au jour du prononcé de l'arrêt dans la limite de 6 mois d'indemnités.

Sur les autres demandes

Il y a lieu d'enjoindre à la société Hippocrate de remettre à Mme [B], dans le mois suivant la signification du présent arrêt, l'attestation pôle emploi, des bulletins de salaire et le certificat de travail rectifiés.

Le prononcé d'une astreinte ne s'avère pas nécessaire. Le jugement est infirmé sur ce dernier point.

Sur les intérêts

Les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature salariale seront dus à compter de la réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation.

S'agissant des créances de nature indemnitaire, les intérêts au taux légal seront dus à compter de la décision les ayant prononcées.

Il y a lieu d'ordonner la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil à compter de la date de la demande qui en été faite.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Compte tenu de la solution du litige, la décision entreprise sera confirmée de ces deux chefs et par application de l'article 696 du code de procédure civile, les dépens de première instance et d'appel seront mis à la charge de la société Hippocrate.

La demande formée par Mme [B] au titre des frais irrépétibles en cause d'appel sera accueillie, à hauteur de 2 000 euros.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

statuant publiquement et contradictoirement,

Confirme le jugement entrepris, sauf en ses dispositions relatives au harcèlement moral, au montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et à l'astreinte,

Statuant de nouveau des dispositions infirmées et y ajoutant,

Condamne la SAS Hippocrate à payer à Mme [V] [B] les sommes suivantes :

- 3 814,18 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 2 000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles de procédure en cause d'appel,

Dit n'y avoir lieu au prononcé d'une astreinte,

Ordonne le remboursement par la SAS Hippocrate, aux organismes concernés, des indemnités de chômage versées à la SAS Hippocrate dans la limite de 6 mois d'indemnités en application des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail,

Déboute les parties de leurs autres demandes plus amples ou contraires,

Condamne la SAS Hippocrate aux dépens d'appel.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Régine CAPRA, Présidente et par Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 15e chambre
Numéro d'arrêt : 21/03516
Date de la décision : 22/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-22;21.03516 ?
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