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22/06/2023 | FRANCE | N°21/02293

France | France, Cour d'appel de Versailles, 15e chambre, 22 juin 2023, 21/02293


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



15e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 22 JUIN 2023



N° RG 21/02293 - N° Portalis DBV3-V-B7F-UUNS



AFFAIRE :



S.A.S.U. GCC



C/



[P] [T]









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 15 Juin 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de POISSY

N° Section : E

N° RG : 19/00319



Copies exécutoires

et certifiées conformes délivrées à :



Me Charles PHILIP de la SELARL RACINE



Me Olivier BONGRAND de la SELARL O.B.P. Avocats







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT DEUX JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cou...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

15e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 22 JUIN 2023

N° RG 21/02293 - N° Portalis DBV3-V-B7F-UUNS

AFFAIRE :

S.A.S.U. GCC

C/

[P] [T]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 15 Juin 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de POISSY

N° Section : E

N° RG : 19/00319

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Charles PHILIP de la SELARL RACINE

Me Olivier BONGRAND de la SELARL O.B.P. Avocats

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT DEUX JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

S.A.S.U. GCC

N° SIRET : 407 794 551

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Charles PHILIP de la SELARL RACINE, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de NANTES, vestiaire : 57

APPELANTE

****************

Monsieur [P] [T]

né le 05 Décembre 1959 en Egypte

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Olivier BONGRAND de la SELARL O.B.P. Avocats, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0136

INTIME

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 10 Mai 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Régine CAPRA, Présidente,

Monsieur Thierry CABALE, Président,

Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,

Greffier en pré-affectation lors des débats : Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI, en présence de M. LAKHTIB Nabil, greffier

Par contrat de travail à durée indéterminée du 17 juillet 2017, M. [T] a été engagé par la société GCC en qualité d'ingénieur principal dans le cadre d'une convention de forfait annuel en jour.

Il a occupé en dernier lieu les fonctions d'ingénieur structure principal.

Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective nationale des travaux publics cadres.

Par courrier du 29 mai 2019, M. [T] s'est vu notifier un avertissement par la société GCC, pour un comportement jugé inapproprié par son employeur. L'avertissement a été contesté par la salarié le 12 juin 2019, et confirmé par la société le 18 juin 2019.

Du 23 août 2019 au 4 octobre 2019, le salarié a été placé en arrêt maladie.

Le 24 octobre 2019, la supérieure hiérarchique de M. [T] a déposé plainte contre ce dernier pour des faits de harcèlement.

Par courrier recommandé avec demande d'avis de réception du 8 octobre 2019, M. [T] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, avec mise à pied conservatoire.

Par courrier recommandé avec demande d'avis de réception du 7 novembre 2019, la société GCC a notifié à M. [T] son licenciement pour faute grave.

Le 12 novembre 2019, M. [T] a déposé une plainte contre son supérieur hiérarchique pour dénonciation calomnieuse, concernant son comportement jugé inapproprié.

Par requête reçue au greffe le 24 décembre 2019, M. [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Poissy aux fins d'obtenir la requalification de son licenciement en licenciement nul et sa réintégration dans la société, outre le versement de diverses sommes.

Par jugement du 15 juin 2021, auquel renvoie la cour pour l'exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes de Poissy a :

- Dit et jugé que le licenciement de Monsieur [P] [T] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

- Condamné la SAS GCC à verser à Monsieur [P] [T] avec intérêts légaux à compter du 30 décembre 2019, date de réception de la convocation pour le bureau de conciliation et d'orientation par la partie défenderesse, les sommes suivantes :

*14 559 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

*1 455 euros au titre des congés payes y afférents ;

*3 727 euros à titre d'indemnité légale de licenciement ;

*2 250 euros à titre de rappel de salaire mise à pied conservatoire ;

*225 euros au titre des congés y afférents ;

- Rappelé que l'exécution est de droit à titre provisoire sur les créances visées à l'article R-1454-14 alinéa 2 du code du travail.

- Fixé la moyenne mensuelle des salaires en application des dispositions de l'article R. 1454-28 du Code du travail à la somme à 4853 euros bruts ;

- Condamné la SAS GCC à verser à Monsieur [P] [T] avec intérêts légaux à compter du prononcé du présent jugement la somme de :

*16 985,50 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- Condamné la SAS GCC à verser à Monsieur [P] [T], la somme de 1 000euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Débouté Monsieur [P] [T] du surplus de ses demandes.

- Débouté la SAS GCC de sa demande reconventionnelle.

- Ordonné à la SAS GCC de remettre à Monsieur [P] [T] l'attestation Pôle emploi et le certificat de travail conformes au présent jugement.

- Condamné la SAS GCC aux dépens y compris ceux afférents aux actes et procédure d'exécution éventuels.

Par déclaration au greffe du 13 juillet 2021, la SASU GCC a interjeté appel de cette décision.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 18 avril 2023, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens, la SASU GCC demande à la cour de :

Infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de POISSY le 15 juin 2021 en ce qu'il a :

- Dit et jugé que le licenciement de Monsieur [P] [T]' est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

- Condamné la SAS GCC à verser à Monsieur [P] [T]' avec intérêts légaux à compter du 30 décembre 2019, date de réception de la convocation pour le bureau de conciliation et d'orientation par la partie défenderesse, les sommes suivantes :

*14 559 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 1 455 euros au titre des congés payés y afférents ;

*3 727 euros à titre d'indemnité légale de licenciement

*2 250 euros à titre de rappel de salaire au titre de la mise à pied à titre conservatoire, outre 225 euros au titre des congés payés afférents ;

- Condamné' la' SAS' GCC' à' verser' à' Monsieur' [P]' [T]' avec' intérêts' légaux' à' compter' du prononcé du prononcé du jugement la somme de :

*16 985,50 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

- Condamné la SAS GCC à verser à Monsieur [P] [T]'la somme de : 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de POISSY le 15 juin 2021 pour le surplus.

Statuant à nouveau,

Sur le licenciement :

A titre principal,

- Juger de l'absence de nullité du licenciement ;

- Juger du bien-fondé du licenciement pour faute grave prononcé à l'encontre de Monsieur [P] [T] ;

En conséquence,

- Débouter Monsieur [P] [T] de l'ensemble de ses demandes indemnitaires au titre d'un licenciement prétendument nul ou sans cause réelle et sérieuse ou, subsidiairement, requalifier le licenciement en licenciement pour cause réelle et sérieuse ;

A titre subsidiaire, en cas de nullité du licenciement

- Juger de l'impossibilité manifeste de réintégration de Monsieur [T] ;

- Rejeter la demande de réintégration de Monsieur [T] et de versement d'une indemnité correspondant au salaire échu entre son licenciement et la date de sa réintégration effective ;

- Ramener le montant des dommages et intérêts à une somme de 29.118 euros en cas de nullité du licenciement, ou de 14.159 en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur' la' demande' de' dommages' et' intérêts' pour' abus' de' droit' (circonstances vexatoires) :

- Dire et juger que le licenciement de Monsieur [P] [T]' est intervenu dans des circonstances non vexatoires ;

- Rejeter les demandes du salarié à ce titre ;

Sur les demandes de rappel de salaires pour heures supplémentaires,:

A titre principal

- Juger de la régularité de la convention de forfait-jours régularisée par Monsieur [P] [T]' ;

- Débouter Monsieur' [P]' [T]' de' ses' demandes' de' paiement' d'heures supplémentaires et du repos compensateur ;'

- Débouter Monsieur [P] [T]' de sa demande de dommages et intérêts au titre du travail dissimulé ;

A titre subsidiaire :

- Juger que Monsieur [T]' ne rapporte pas la preuve des heures supplémentaires qu'il prétend avoir réalisées ;

- Débouter en conséquence Monsieur [T]' de l'ensemble de ses demandes au titre des heures supplémentaires.

A titre infiniment subsidiaire :

- Limiter le montant du rappel de salaire au titre des heures supplémentaires à un montant de 9.546,19 euros ;

- Limiter le montant de la condamnation au titre des contreparties obligatoires en repos à un montant de 927 euros ;

Sur la demande de l'annulation de l'avertissement du 29 mai 2019 :

- Juger du le bien-fondé de l'avertissement notifié par la société le 29 mai 2019'

En conséquence,

- Rejeter les demandes formulées par Monsieur [P] [T]' à ce titre ;

En tout état de cause :

- Condamner Monsieur [P] [T]' à verser à la société GCC une indemnité d'un montant de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- Condamner Monsieur [P] [T]' au dépens ;

- Débouter Monsieur [P] [T]' de l'ensemble de ses autres demandes.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 3 avril 2023, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens, M. [T] demande à la cour de :

- Infirmer' le' jugement' en' ce' qu'il' a' débouté' Monsieur' [T]' du' surplus' de' ses demandes, et notamment sa demande de nullité du licenciement et de sa réintégration'

Statuant à nouveau :

- Annuler le licenciement de Monsieur [T] ;

- Ordonner la réintégration de Monsieur [T] dans son emploi d'Ingénieur Structure Principal au sein de la société GCC ;

En conséquence :

- Condamner la société GCC à verser à Monsieur [T] la somme de 208.679 euros à titre d'indemnité nette de nature forfaitaire correspondant aux salaires dont il a été privé depuis son licenciement jusqu'à sa réintégration effective dans son emploi, arrêtée à titre provisoire au jour 7 juin 2023, outre 20.867 euros de congés payés

A titre subsidiaire, à défaut de réintégration :

- Condamner la société GCC à verser à Monsieur [T] la somme de 208.679 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

Très subsidiairement, à défaut de nullité du licenciement :

- Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Poissy le 15 juin 2021 en ce qu'il a :

- Déclaré le licenciement de Monsieur [T] dénué de cause réelle et sérieuse ;

- Condamné la société GCC à verser à Monsieur [T] :

*14.559 euros d'indemnité compensatrice de préavis, outre 1.455 euros de congés payés y afférents ;

*3.727 euros à titre d'indemnité de licenciement ;

*2.250 euros de rappel de salaire au titre de la mise à pied à titre conservatoire, outre 225 euros de congés payés y afférents ;

*1.000 euros sur le fondement de l'article 700 code de procédure civile ;

Des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- Fixé la moyenne mensuelle des salaires en application des dispositions de l'article R 1454-28 du code du travail à la somme de 4.853 euros bruts ;

- Ordonné la remise d'une attestation Pôle emploi et le certificat de travail conformes ;

- Condamné' la' société' GCC' aux' dépens' y' compris' ceux' afférents' aux' actes' et' procédure d'exécution éventuels ;

- Débouté la société GCC de sa demande reconventionnelle ;

- Infirmer' le jugement sur le quantum de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamner la société GCC à la somme de 60.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

En tout état de cause,

- Infirmer' le' jugement' en' ce' qu'il' a' débouté' Monsieur' [T]' de' ses demandes d'annulation' de' l'avertissement,' de' la' convention' de' forfait' en' jours,' des condamnations de dommages et intérêts pour avertissement injustifié, rappels de salaires pour heures supplémentaires, repos compensateur, travail dissimulé et dommages et intérêts pour abus de droit

Statuant à nouveau :

- Annuler l'avertissement en date du 29 mai 2019 ;

- Annuler la convention de forfait en jours ou la déclarer inopposable au salarié ;

- Condamner la société GCC à verser à Monsieur [T] les sommes suivantes :

*2.000 euros à titre de dommages et intérêts pour avertissement injustifié ;

*19.178 euros à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires, outre 1.917 euros au titre des congés payés y afférents ;

*4.501 euros à titre de repos compensateur, outre 450 euros au titre des congés payés y afférents ;

*29.118 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé ;

*10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour abus de droit (circonstances vexatoires) ;

- Ordonner la remise d'une attestation Pôle emploi et d'un certificat de travail conformes ;

Assortir les condamnations des intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil s'agissant des créances salariales et de l'indemnité légale de licenciement ;

- Condamner la société GCC à verser la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Débouter la société GCC de l'ensemble de ses demandes ;

La clôture de l'instruction a été prononcée le 19 avril 2023.

SUR CE,

Sur l'exécution du contrat de travail :

Sur la convention de forfait-jours et les heures supplémentaires, le repos compensateur et le travail dissimulé

M. [T] fait valoir, au soutien de sa demande d'inopposabilité de la clause de forfait-jours que l'accord collectif d'entreprise du 8 juin 2000 visé par l'article 4 de son contrat de travail ne répond pas aux exigences relatives à la validité des clauses de forfait annuel en jours et qu'en tout état de cause, les entretiens annuels dont a il bénéficié ne sont pas conformes aux exigences jurisprudentielles. Il ajoute que ses nombreuses heures supplémentaires de travail n'ont pas été mentionnées sur ses bulletins de paie et avoir dépassé le contingent annuel d'heures supplémentaires.

Selon l'article L 3121-39 du code du travail, « la conclusion de conventions individuelles de forfait, en heures ou en jours, sur l'année est prévue par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche.

Cet accord collectif préalable détermine les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, ainsi que la durée annuelle du travail à partir de laquelle le forfait est établi, et fixe les caractéristiques principales de ces conventions. »

Selon l'article L. 3121-40 de ce code, « la conclusion d'une convention individuelle de forfait requiert l'accord du salarié. La convention est établie par écrit. »

L'article L.3121-46 du même code impose l'organisation par l'employeur d'un entretien annuel avec chaque salarié soumis à une convention de forfait en jours.

Cet entretien spécifique porte sur la charge de travail du salarié, l'organisation du travail dans l'entreprise, l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale ainsi que sur la rémunération du salarié.

La dissimulation d'emploi salarié prévue par l'article L.8221-5 du code du travail n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a, de manière intentionnelle, mentionné sur les bulletins de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement effectué ; une telle intention, qui ne peut se déduire de la seule absence de mention des heures supplémentaires sur les bulletins de paie.

En l'espèce, la la convention de forfait jours conclue avec M. [T] a été conclue sous l'égide de l'accord collectif sur la durée du travail du 8 juin 2000, qui prévoit les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention de forfait en jours, le nombre de jours compris dans le forfait et les caractéristiques principales de ces conventions.

La convention individuelle de forfait a été formalisée contractuellement et a recueilli l'accord du salarié. Elle prévoyait 217 jours travaillés par an, hors journée de solidarité, avant déduction des éventuels jours de congés d'ancienneté et la rémunération correspondante.

Sur les bulletins de salaire produits aux débats figuraient le détail de jours travaillés sur le mois considéré, au regard du pointage sur le mois, la mention des jours de repos éventuellement pris sur le mois considéré, le nombre total de jours travaillés sur le mois et un état récapitulatif du nombre de JRTT acquis et le solde.

Ses entretiens annuels professionnels ont abordé la question de « l'organisation et la charge de travail, l'amplitude des journées de travail et l'articulation entre activité professionnelle et vie personnelle et familiale », tant à l'occasion de l'entretien du 3 avril 2018 que du 12 juin 2019, faisant l'objet d'une rubrique spécifique et de commentaires ; il en ressortait en particulier à l'occasion de l'entretien du 3 avril 2018 que la charge de travail était qualifiée de « raisonnable et non stressante », avec des « journées plus longues, à cause du trajet travail-domicile » et à l'occasion de l'entretien du 12 juin 2019 qu'était relevée « une période d'inoccupation difficile à vivre » et que la charge de travail était qualifiée de « correcte ».

Compte tenu de ces éléments, la demande d'annulation ou d'inopposabilité de la clause de forfait-jours sera rejetée et le jugement confirmé en ce qu'il a statué en ce sens et rejeté par suite les demandes formées à titre de rappel d'heures supplémentaires, de repos compensateur et de travail dissimulé.

Sur l'avertissement du 29 mai 2019

Par courrier du 29 mai 2019, M. [T] s'est vu notifier un avertissement par la société GCC, pour un comportement jugé inapproprié par son employeur ; il lui était reproché plus précisément de s'être vivement emporté et d'avoir élevé le ton à l'encontre de sa supérieure hiérarchique et d'avoir remis en cause les compétences professionnelles de cette dernière.

L'article L 1331-1 du code du travail dispose que :

« Constitue une sanction disciplinaire toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération. »

L'article L 1333-1 du même code prévoit que :

«En cas de litige, le conseil de prud'hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction.

L'employeur doit fournir au conseil de prud'hommes les éléments retenus pour prendre sa sanction.

Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, le conseil de prud'hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié. »

M. [T] conteste les faits ainsi reprochés.

La société GCC produit cependant, outre la relation des faits faite par Mme [C] [H], le témoignage d'un autre salarié, M. [W], qui le corrobore, en ces termes :

« Le 24 mai 2019 en milieu d'après-midi, je me trouvais seul dans mon bureau, la porte entrouverte.

Une conservation était engagée entre la responsable du service structure, Madame [A] [C] [N] et Monsieur [P] [T].

La conversation tournait autour de la responsabilité d'un ingénieur structure en charge d'une affaire et [A] expliquant à [P] que l'ingénieur structure devait connaître l'ensemble du dossier, toutes les pièces du marché, puisqu'il était le responsable.

Le ton d'[P] est très vite monté, il s'est mis à parler très fort incriminant sa responsable, [A] lui a demandé de se calmer, lui a expliqué qu'il n'avait pas à lui parler comme cela.

Puis il s'est mis à lui hurler dessus. J'ai été choqué par cette attitude. »

Compte tenu de ces éléments, la cour estime que l'avertissement du 29 mai 2019 est justifié et débouté M. [T] de sa demande d'annulation et de dommages et intérêts s'y rapportant. Le jugement est confirmé à cet égard.

Sur la rupture du contrat de travail':

Sur la nullité du licenciement

M. [T] soutient que son licenciement est nul en invoquant, d'une part, une violation de sa liberté fondamentale d'expression et, d'autre part, une violation du droit à la protection à la santé et du principe de non-discrimination en raison de l'état de santé et du harcèlement moral.

En application de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, « toute personne a droit à la liberté d'expression ».

L'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 dispose que « tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement ».

L'article L 2281-1 dispose que « les salariés bénéficient d'un droit à l'expression directe et collective sur le contenu, les conditions d'exercices et l'organisation de leur travail ».

Sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression ; il ne peut être apporté à celle-ci que des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché.

En application de l'article L. 1232-3 du code du travail, « au cours de l'entretien préalable, l'employeur indique les motifs de la décision envisagée et recueille les explications du salarié ».

En l'espèce, la lettre de licenciement reproche une faute grave au regard des motifs suivants :

- «votre comportement inadmissible à l'égard de votre supérieur hiérarchique»,

- «l'usurpation de l'identité professionnelle de votre responsable de service»,

- «les manquements commis dans l'accomplissement de vos fonctions».

Elle mentionne ensuite que :

«vL'ensemble des faits exposés plus avant vous sont directement imputables contrairement à la défense adoptée durant l'entretien. Nous ne pouvons accepter de telles explications de la part d'un salarié doté de telles responsabilités.

Nous aurions au contraire apprécié que durant cet entretien vous fassiez preuve d'honnêteté, de courage et de remise en question. Malheureusement, nous avons constaté le contraire.

Votre attitude jette un discrédit sur la Direction Ingénierie et Technique. Nous avons perdu la confiance des opérations de l'opération de [Localité 5], une partie de vos erreurs ont été chiffrées, la perte est aujourd'hui estimée à 70 K euros et nous ne parlons même pas du retard pris par le chantier sur le planning, du fait du retard dans la fourniture des plans ou la fourniture de plans faux et dont vous portez l'entière responsabilité. ».

Contrairement à ce qu'il indique dans ses écritures, M. [T] a pu exposer son point de vue lors de l'entretien préalable en toute liberté.

S'il n'est pas caractérisé un quelconque abus de sa part dans l'usage de cette liberté d'expression, tel que des propos injurieux, outrageants ou excessifs, ceci n'est nullement allégué ni reproché par l'employeur.

La référence finale aux « faits exposés plus avant » confirme que les griefs invoqués au soutien du licenciement sont bien les 3 griefs susvisés, développés sur 7 pages par l'employeur dans la lettre de licenciement, et que les explications apportées par le salarié lors de l'entretien préalable qu'évoque l'employeur s'y rapportent.

Si la société GCC fait le constat, même avec des commentaires subjectifs, de la contestation desdits griefs par M. [T] lors de l'entretien préalable, ceci ne suffit pas à ériger ce constat et ces commentaires en un grief autonome s'ajoutant aux 3 griefs invoqués au soutien de la faute grave reprochée.

La lecture successive des paragraphes et de l'ensemble de la lettre de licenciement permet de même de comprendre que lorsque l'employeur fait finalement référence à « votre attitude [qui] jette un discrédit sur la Direction Ingénierie et Technique » et d'une « [perte] de confiance des opérations de l'opération de [Localité 5] », estimant la perte lié à ses agissements à 70 K euros, il fait fait toujours allusion, de même, aux 3 griefs précités.

Il s'ensuit qu'il n'est pas caractérisé de violation de la liberté fondamentale d'expression du salarié. Le jugement est confirmé sur ce point.

M. [T] invoque ensuite une discrimination en raison de son état de santé et un harcèlement moral. Il soutient que l'employeur a cherché à le sanctionner en raison de ses arrêts de travail, la lettre de licenciement, qui se réfère à ses absences, permettant de supposer l'existence d'une discrimination à son encontre, et en outre en raison de son refus, en dépit de pressions exercées, de signer la rupture conventionnelle.

L'article L 1132-1 du code du travail dispose qu' « aucune personne ['], aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte ['] en raison de son ['] état de santé ».

Selon l'article L 1132-4 du même code, toute disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance du principe de non-discrimination est nul.

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

Selon l'article L.1152-3 du même code, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.

Le salarié doit présenter des éléments de faits laissant supposer l'existence d'une discrimination ou de harcèlement moral à son encontre au sein de l'entreprise, de la part de son employeur ou de sa hiérarchie ; dans l'affirmative, il appartient à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, M. [T] se réfère uniquement, pour affirmer qu'il a été sanctionné en raison de ses arrêts de travail, aux passages suivants de la lettre de licenciement :

« Or durant votre absence, nous avons avec regret constaté un ensemble de grossières erreurs, inacceptables compte-tenu de votre niveau de formation, de votre ancienneté et de votre expérience.

En effet, vous étiez en congés payés du 5 au 17 août 2019, et en arrêt maladie du 23 août au 15 septembre 2019, ainsi que le 20 septembre 2019 et de nouveau en arrêt maladie du 24 septembre au 4 octobre 2019.

Cette succession d'absence a nécessité d'assurer un relais dans l'accomplissement de vos missions et a permis de constater de très nombreux manquements vous incombant. »

Toutefois, ce faisant, l'employeur a simplement rappelé que c'est durant la période des absences du salarié, qui ont conduit d'autres collaborateurs à prendre le relais de ses dossiers, qu'elle a pris connaissance des manquements qu'elle lui reproche désormais dans le cadre de licenciement, sans que, là encore, l'état de santé ne constitue un grief autonome de licenciement, ni la cause réelle du licenciement.

Enfin, M. [T] procède uniquement par voie d'affirmation lorsqu'il indique avoir subi des « pressions » en vue de signer la rupture conventionnelle envisagée, sans que de telles pressions ne soient nullement établies.

Dans ces conditions, le jugement sera aussi confirmé en ce qu'il a rejeté les moyens tenant à une violation du droit à la protection à la santé et du principe de non-discrimination en raison de l'état de santé et du harcèlement moral.

En conséquence, le jugement est confirmé en ce qu'il a débouté M. [T] de sa demande de nullité du licenciement et de l'ensemble de ses demandes qui y sont liées, en ce compris la demande de réintégration et ses conséquences salariales et indemnitaires.

Sur la cause réelle et sérieuse du licenciement

En application de l'article L. 1232-1 du code du travail un licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.

Si la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement n'appartient spécialement à aucune des parties, le juge formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toute mesure d'instruction qu'il juge utile, il appartient néanmoins à l'employeur de fournir au juge des éléments lui permettant de constater la réalité et le sérieux du motif invoqué.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et implique son éviction immédiate ; la charge de la preuve incombe à l'employeur qui l'invoque.

Dans un premier grief, l'employeur reproche à M. [T] son « comportement inadmissible à l'égard de votre supérieur hiérarchique ».

Il invoque plus précisément à son encontre une attitude inappropriée à l'égard de Mme [C] [H], sa supérieure hiérarchique, liée à « des attouchements sur les mains, des murmures à son oreille, des regards pesants à son encontre qui créent une sentiment de malaise et de honte, ce qui l'a obligée à prendre une distance entre vous et elle», à «votre insistance pour qu'elle vous accompagne à votre salle de sport ou déjeuner avec elle», ajoutant que «cette attitude a créé un sentiment de grand malaise à l'égard de votre responsable hiérarchique».

Il produit la plainte déposée le 24 octobre 2019 par Mme [C] [H] aux services de police, dans les termes suivants :

« Je tiens à vous faire part du problème du harcèlement que je subis de la part de l'un de mes collaborateurs, [P] [T], situation qui a débuté il y a de nombreux mois à l'arrivée d'[P] dans l'entreprise au sein du service structure dont j'ai la responsabilité. (')

Son comportement, comme me toucher la main, me murmurer à mon oreille lors de discussions dans le cadre du travail, parfois même en présence d'autres collaborateurs ou des regards pesants à mon encontre lorsque je viens dans les bureaux de mon service est pour moi totalement inadapté au cadre du travail et n'ont fait que générer pour moi un sentiment de gêne grandissant au fil du temps à son égard, des sentiments de malaise et de honte, m'empêchant d'en parler à mon employeur. (')

Afin de pouvoir faire face à cette situation de harcèlement, j'ai durant plusieurs mois consulté une thérapeute pour me faire aider et me permettre de trouver la force et l'énergie de revenir chaque lundi au travail afin d'affronter cette situation très éprouvante pour moi.

Au cours des échanges avec ma thérapeute, cette dernière m'a, à plusieurs reprises, conseillé de porter plainte à l'encontre d'[P], chose que j'ai refusé afin d'éviter les conflits, de ne pas faire de vague, sans doute parce que j'avais « abdiqué » face à son comportement. (') Il n'est plus possible pour moi de rester silencieuse et de continuer ainsi, c'est pourquoi, je porte ces faits à votre connaissance.

De plus un soir, [P] m'avait dit qu'il avait pris un abonnement à la salle de sport et m'a proposé avec insistance de l'accompagner, ce que j'ai refusé.

Aussi, il n'a de cesse de me proposer d'aller manger avec lui. (') ».

Il n'est pas précisé que des suites aient été données à cette plainte pénale.

La société appelante produit aussi une attestation du docteur [F], psychopraticienne, qui fait état de séance de thérapie. Dans ce témoignage, cette dernière se réfère toutefois à la seule relation des faits rapportée par sa patiente (« elle me relatait que celui-ci », « elle me confiait », « elle m'a évoqué », etc.), ce qu'elle soulignait d'ailleurs elle-même dans un écrit ultérieur où elle indiquait que son attestation « ne peut en rien constituer de ma part une preuve pour accuser qui que ce soit ».

De même, le certificat de son médecin généraliste se borne à indiquer : « je pense qu'il y a un fond anxiodépressif », sans être davantage à même d'établir un lien entre ces constations médicales et le contexte de travail.

M. [T], qui rappelle que sa supérieure lui avait notifié quelques mois auparavant, le 29 mai 2019, un avertissement au motif de s'être emporté et d'avoir remis en cause ses propres compétences professionnelles, produit de son côté la plainte qu'il a déposé devant le procureur de la République de Versailles pour dénonciation calomnieuse au regard des accusations portées par sa supérieure hiérarchique.

En l'état de ces seuls éléments, le doute doit profiter au salarié, de sorte que le premier grief sera jugé non caractérisé.

En second lieu, l'employeur invoque une « usurpation de l'identité professionnelle de votre responsable de service ».

Elle indique que les plans établis par le dessinateur projeteur disposaient d'une « cartouche » c'est à dire d'un encart permettant d'identifier avec des initiales la personne en charge de sa vérification et de sa validation et affirme que M. [T] se permettait de communiquer des plans avec la mention « validé par ZO », correspondant aux initiales de sa supérieure hiérarchique, sans que celle-ci ne les ait en réalité validé.

Si dans les deux seuls exemples qu'elle cite dans ses écritures - qui ne sont pas mentionnés dans la lettre de licenciement comme le fait observer l'intimé - M. [T] a fait retour des plans comprenant à la fois avec la mention « vérifié par HE » et « validé par ZO » dans des délais brefs, la société GCC procède toutefois par affirmation lorsqu'elle indique que ces délais rendaient «impossible» ladite validation par Mme [C] [H] qui n'aurait pas matériellement disposé du temps nécessaire ; elle procède aussi par voie de supposition lorsqu'elle ajoute que l'on peut «légitimement supposer » que M. [T] - qui avait toutefois mentionné avoir lui-même procédé à la vérification des plans - « essayait ainsi de se couvrir ».

Les éléments produit demeurent insuffisants à apporter la preuve d'une usurpation par M. [T] de l'identité professionnelle de sa responsable de service, le doute qui demeure sur ce point devant lui profiter.

La société GCC invoque également à l'encontre du salarié des « manquements commis dans l'accomplissement de vos fonctions ».

Il est ainsi reproché en particulier à M. [T] un défaut de mise à jour de plans (défaut de finalisation du détail des «goujons», de mise à jour de plans d'élévation et poutres sous-sol, d'avoir oublié des joints de dilatation sur des plans, d'avoir modifié l'indice de béton, d'avoir dissocié des plans d'armature et des plans de coffrage, un problème de gaines palières, un détail d'armature non adapté sur un voile, des retards dans des commandes, des défauts d'information, des erreurs dans des plans de ferraillages au niveau des balcons.

M. [T] établit d'abord qu'une partie des faits ainsi reprochés sont prescrits.

En ce qui concerne le détail d'armature non adapté sur un voile, la société GCC reproche à M. [T] d'avoir prévu une longrine (poutre) prenant appui sur un voile alors que le détail d'armatures n'en tenait pas compte. L'intimé produit toutefois deux courriels de Mme [C] [N] datés du 6 août 2019 indiquant que « [O] a prévu les longrines portées sur le voile V118 (voir armatures jointes) » et les transmettant, faisant ressortir qu'elle validait cette démarche et qu'elle en avait en tout état de cause déjà connaissance à cette date, de sorte que ce grief était connu plus de deux mois avant la mise en 'uvre de la procédure de licenciement (convocation à entretien préalable par courrier recommandé avec demande d'avis de réception du 8 octobre 2019), et donc est prescrit.

Concernant le reproche d'un retard dans les commandes de prémur, le mail de M. [T] qu'il produit aux débats établit qu'il avait effectué à la date du 3 juin 2019 aux calculs permettant la commande des prémurs ; il justifie aussi avoir informé sa hiérarchie le 16 juillet 2019 de la difficulté signalée de fabrication des prémurs ; ainsi, en tout état de cause, ce fait était lui aussi connu plus de deux mois avant la mise en 'uvre de la procédure de licenciement.

S'agissant du changement de type de béton entre l'indice A et l'indice B, si la pièce 43 du salarié se rapporte à des « corbeaux » et non directement au type de béton, en revanche sa pièce 44 évoque un indice B nouveau à propos duquel Mme [C] [N] indiquait le 8 août 2019 que «peut-être [B] ne l'avait pas diffusé», imputant ainsi un tel défaut de transmission de cette modification à un tiers.

S'agissant de l'articulation des plans d'armature et des plans de coffrage, M. [T] a mis à jour les plans d'armature conformément à la demande du chantier et a annoncé le 15 juillet 2019 que les plans de coffrage allaient être mis à jour, ce qui n'a pas été réalisé avant son départ ; cette dissociation n'a néanmoins pas fait obstacle à la décision, prise par sa supérieure, en son absence, de couler le béton à l'aide des plans d'armature.

En outre, l'inspection du travail saisie le 18 octobre 2019 a indiqué dans un courrier daté du 2 mars 2020, suite à une enquête sur place en date du 24 octobre 2019, que s'agissant des insuffisances reprochées, que son enquête «a pu révéler l'absence de formalisme des procédures au sein de votre service ce qui ne permettait pas de définir clairement la part de responsabilité de chacun dans la transmission des plans émanant de votre service.

La responsabilité des fautes qui vous étaient reprochées n'a pas pu dès lors être établie.

En effet, la diversité des situations qui tantôt nécessitaient une contre signature, tantôt ne le nécessitaient pas, ne permet pas à ce jour de savoir si les fautes qui vous étaient reprochées tenaient de votre simple responsabilité ou d'une responsabilité partagée avec vos supérieurs hiérarchiques.

De plus, l'analyse de vos entretiens annuels n'a pas permis de mettre en évidence des difficultés techniques particulières. (...) ».

Il importe peu à cet égard que l'inspection du travail ait été saisie initialement suite à la dénonciation de faits de harcèlement moral par le salarié.

Il est aussi constaté que la société GCC ne conteste pas que ces appréciations sont en rapport avec les reproches formulés dans le cadre du licenciement.

En tout état de cause, les seules erreurs de M. [T] dans la réalisation de ses tâches s'analysent en une insuffisance professionnelle, étant observé que l'employeur s'est placé exclusivement sur le terrain disciplinaire.

Compte tenu de ces éléments, le jugement sera aussi confirmé en ce qu'il a dit que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences financières

A la date de son licenciement M. [T] avait une ancienneté de plus de 2 ans au sein de l'entreprise qui employait de façon habituelle au moins 11 salariés.

Il y a lieu de confirmer le jugement lui ayant alloué les sommes de :

- 14 559 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 1 455 euros au titre des congés payes y afférents ;

- 3 727 euros à titre d'indemnité légale de licenciement ;

- 2 250 euros à titre de rappel de salaire mise à pied conservatoire et 225 euros au titre des congés y afférents.

S'agissant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, M. [T] demande d'abord d'écarter l'application du barème prévu à l'article L.1235-3 en se référant au «contrôle de conventionnalité».

La société GCC relève que le salarié n'apporte toutefois pas d'éléments au soutien de l'argument d'une telle inconventionalité du barème.

En tout état de cause, les dispositions des articles L. 1235-3 et L. 1235-3-1 du code du travail, qui octroient au salarié, en cas de licenciement injustifié, une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l'ancienneté du salarié et qui prévoient que, dans les cas de licenciements nuls dans les situations prévues au deuxième alinéa de l'article L. 1235-3-1, le barème ainsi institué n'est pas applicable, permettent raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi ; le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l'employeur est également assuré par l'application, d'office par le juge, des dispositions précitées de l'article L. 1235-4 du code du travail.

Les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail sont ainsi de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'OIT.

Il en résulte que les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la Convention précitée.

Par ailleurs, dans la partie I de la Charte sociale européenne, « les Parties reconnaissent comme objectif d'une politique qu'elles poursuivront par tous les moyens utiles, sur les plans national et international, la réalisation de conditions propres à assurer l'exercice effectif des droits et principes » ensuite énumérés, parmi lesquels figure le droit des travailleurs à une protection en cas de licenciement.

Selon l'article 24 de cette même Charte, « en vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s'engagent à reconnaître :

a) le droit des travailleurs à ne pas être licenciés sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service ;

b) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée ;

A cette fin les Parties s'engagent à assurer qu'un travailleur qui estime avoir fait l'objet d'une mesure de licenciement sans motif valable ait un droit de recours contre cette mesure devant un organe impartial. » ;

L'annexe de la Charte sociale européenne précise qu'il « est entendu que l'indemnité ou toute autre réparation appropriée en cas de licenciement sans motif valable doit être déterminée par la législation ou la réglementation nationales, par des conventions collectives ou de toute autre manière appropriée aux conditions nationales. » ;

L'article 24 précité figure dans la partie II de la Charte sociale européenne qui indique que « les Parties s'engagent à se considérer comme liées, ainsi que prévu à la partie III, par les obligations résultant des articles et des paragraphes » qu'elle contient ;

Dans la Partie III de la Charte, il est indiqué que « chacune des Parties s'engage :

a) à considérer la partie I de la présente Charte comme une déclaration déterminant les objectifs dont elle poursuivra par tous les moyens utiles la réalisation, conformément aux dispositions du paragraphe introductif de ladite partie ;

b) à se considérer comme liée par six au moins des neuf articles suivants de la partie II de la Charte : articles 1, 5, 6, 7, 12, 13, 16, 19 et 20 ;

c) à se considérer comme liée par un nombre supplémentaire d'articles ou de paragraphes numérotés de la partie II de la Charte, qu'elle choisira, pourvu que le nombre total des articles et des paragraphes numérotés qui la lient ne soit pas inférieur à seize articles ou à soixante-trois paragraphes numérotés.»

Il résulte de la loi n° 99-174 du 10 mars 1999, autorisant l'approbation de la Charte sociale européenne, et du décret n° 2000-110 du 4 février 2000 que la France a choisi d'être liée par l'ensemble des articles de la Charte sociale européenne.

L'article I de la partie V de la Charte sociale européenne, consacrée à la « Mise en oeuvre des engagements souscrits » prévoit que « les dispositions pertinentes des articles 1 à 31 de la partie II de la présente Charte sont mises en oeuvre par :

a) la législation ou la réglementation ;

b) des conventions conclues entre employeurs ou organisations d'employeurs et organisations de travailleurs ;

c) une combinaison de ces deux méthodes ;

d) d'autres moyens appropriés. »

Enfin, l'annexe de la Charte sociale européenne mentionne à la Partie III : « Il est entendu que la Charte contient des engagements juridiques de caractère international dont l'application est soumise au seul contrôle visé par la partie IV » qui prévoit un système de rapports périodiques et de réclamations collectives ;

Sous réserve des cas où est en cause un traité international pour lequel la Cour de justice de l'Union européenne dispose d'une compétence exclusive pour déterminer s'il est d'effet direct, les stipulations d'un traité international, régulièrement introduit dans l'ordre juridique interne conformément à l'article 55 de la Constitution, sont d'effet direct dès lors qu'elles créent des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir et que, eu égard à l'intention exprimée des parties et à l'économie générale du traité invoqué, ainsi qu'à son contenu et à ses termes, elles n'ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requièrent l'intervention d'aucun acte complémentaire pour produire des effets à l'égard des particuliers ;

Il résulte des dispositions précitées de la Charte sociale européenne que les Etats contractants ont entendu reconnaître des principes et des objectifs, poursuivis par tous les moyens utiles, dont la mise en oeuvre nécessite qu'ils prennent des actes complémentaires d'application selon les modalités rappelées aux paragraphes 13 et 17 du présent arrêt et dont ils ont réservé le contrôle au seul système spécifique rappelé au paragraphe 18.

Les dispositions de la Charte sociale européenne n'étant donc pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers, l'invocation de son article 24 ne peut pas conduire à écarter l'application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, et la décision du Comité européen des droits sociaux publiée le 26 septembre 2022, qui considère que le barème d'indemnités pour licenciement abusif est contraire à cet article 24, ne produisant aucun effet contraignant, il convient d'allouer en conséquence au salarié une indemnité fixée à une somme comprise entre les montants minimaux et maximaux déterminés par ce texte.

L'article L. 1235-3 du code du travail issu de l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 publiée le 23 septembre 2017 prévoit, en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse et si la réintégration n'est pas demandée et acceptée, une indemnisation à la charge de l'employeur dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau produit, soit pour une ancienneté telle que celle de M. [T], une indemnité minimale de 3 mois de salaire brut et une indemnité maximale de 3,5 mois de salaire brut.

Au-delà de cette indemnisation minimale, et tenant compte notamment de l'âge, de l'ancienneté du salarié et des circonstances de son éviction, sur base d'un salaire de référence de 4 853 euros, étant observé que M. [T] produit un courrier de Pôle emploi daté du 25 mai 2020 mentionnant qu'il a été admis au bénéfice de l'allocation de retour à l'emploi (ARE) le 6 janvier 2020, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné l'employeur au paiement d'une indemnité totale de 16 985,50 euros à ce titre.

M. [T] ne démontre pas les circonstances vexatoires de la rupture qu'il invoque, étant souligné qu'il a pu présenter sa défense dans le cadre de l'entretien préalable et que le rejet de la faute grave ne suffit pas à établir le caractère volontairement mensonger des griefs invoqués, l'appréciation inexacte qu'une partie fait de ses droits n'étant pas en soi constitutive d'une faute, outre que le salarié ne justifie pas avoir subi un préjudice distinct de celui précédemment indemnisé ; le rejet de la demande de dommages et intérêts formée au titre d'un abus de droit et circonstance vexatoires sera en conséquence également confirmé.

Sur les autres demandes

Il y a lieu d'enjoindre à la société GCC de remettre à M. [T], dans le mois suivant la signification du présent arrêt, l'attestation pôle emploi et le certificat de travail rectifiés.

Sur les intérêts

Les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature salariale seront dus à compter de la réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation.

S'agissant des créances de nature indemnitaire, les intérêts au taux légal seront dus à compter de la décision les ayant prononcées.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Compte tenu de la solution du litige, la décision entreprise sera confirmée de ces deux chefs et par application de l'article 696 du code de procédure civile, les dépens d'appel seront mis à la charge de la société GCC.

La demande formée par [T] au titre des frais irrépétibles en cause d'appel sera accueillie, à hauteur de 3 000 euros.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

statuant publiquement et contradictoirement,

Confirme le jugement entrepris,

Déboute les parties de leurs autres demandes plus amples ou contraires,

Condamne la SAS GCC à payer à M. [P] [T] la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

Condamne la SAS GCC aux dépens d'appel.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Régine CAPRA, Présidente et par Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 15e chambre
Numéro d'arrêt : 21/02293
Date de la décision : 22/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-22;21.02293 ?
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