COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
1ère chambre 1ère section
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
Code nac : 2AP
DU 20 JUIN 2023
N° RG 22/04133
N° Portalis DBV3-V-B7G-VIU6
AFFAIRE :
[A] [K]
C/
[G] [U]
[R], [L], [B] [S]
Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 02 Juin 2022 par le Juge de la mise en état de VERSAILLES
N° Chambre :
N° Section :
N° RG : 21/02339
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
-Me Sophie ROJAT,
-la SCP MOREAU E. & ASSOCIES,
- PARQUET
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [A] [K]
né le 12 Septembre 1986 à [Localité 6]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 4]
représenté par Me Sophie ROJAT, avocat - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 427
APPELANT
****************
Monsieur [G] [U]
né le 23 Juin 1984 à [Localité 7]
de nationalité Française
et
Madame [R], [L], [B] [S]
née le 28 Mai 1988 à [Localité 5]
de nationalité Française
demeurant tous deux [Adresse 3]
[Localité 1]
représentés par Me Emmanuel MOREAU de la SCP MOREAU E. & ASSOCIES, avocat - barreau de VERSAILLES, vestiaire : C 147 - N° du dossier 20218723
INTIMÉS
****************
LE PROCUREUR GENERAL
COUR D'APPEL DE VERSAILLES
pris en la personne de Mme Corinne MOREAU, Avocat Général
PARTIE JOINTE
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue en chambre du conseil le 03 Avril 2023, les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Pascale CARIOU, Conseiller cahrgée du rapport et Madame Sixtine DU CREST, Conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Anna MANES, Présidente,
Madame Pascale CARIOU, Conseiller,
Madame Sixtine DU CREST, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL,
***********************
FAITS ET PROCÉDURE
Le 9 octobre 2013, Mme [S] a donné naissance à [W] [S], après l'avoir reconnu de façon anticipée le 14 mai 2013 à la mairie de [Localité 8]. M. [U] l'a de son côté reconnu le 2 septembre 2013.
Exposant avoir été en couple avec Mme [S] durant la période légale de conception de l'enfant, M. [K] a, par acte d'huissier de justice délivré le 27 avril 2021, fait assigner [W] [S], représenté par sa mère Mme [S], et M. [U] devant le tribunal judiciaire de Versailles aux fins de contester la paternité de [W] [S].
Mme [S], agissant ès qualités de représentante légale de [W] [S], et M. [U] ont soulevé devant le juge de la mise en état une fin de non recevoir tirée de la prescription de l'action.
M. [K] a demandé, en application de l'article 789, 6°, du code de procédure civile que l'incident soit porté devant la formation de jugement.
Par une ordonnance rendue le 2 juin 2022, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Versailles a :
- Débouté M. [K] de sa demande tendant à voir joint au fond l'incident soulevé par Mme [S] et M. [U],
- Déclaré irrecevable comme étant prescrite l'action formée par M. [K],
- Condamné M. [K] aux dépens.
M. [K] a interjeté appel de cette décision le 23 juin 2022 à l'encontre de M. [U].
Dans ses dernières conclusions notifiées le 13 mars 2023, M. [K] demande à la cour de :
Vu l'article 789-6° du code de procédure civile,
Vu l'article 311-2 du code civil,
A titre principal :
- Infirmer l'ordonnance du juge de la mise en état en date du 2 juin 2022 en ce qu'elle l'a débouté de sa demande tendant à voir renvoyer l'examen de la fin de non-recevoir devant la formation de jugement,
Statuant à nouveau :
- Renvoyer l'affaire devant la formation de jugement pour qu'elle statue sur :
' l'existence ou non d'une possession d'état de M. [U] conforme aux dispositions de l'article 311-2 du code civil,
' la fin de non-recevoir alléguée par Mme [S] et par M. [U],
En tout état de cause :
- Infirmer l'ordonnance du juge de la mise en état en date du 2 juin 2022 en ce qu'elle a déclaré son action irrecevable comme étant prescrite,
Statuant à nouveau :
- Déclarer viciée la possession d'état de M. [U] à l'égard de l'enfant [W],
- Déclarer son action recevable et débouter M. [U] et Mme [S] de leur fin de non-recevoir,
- Ordonner une expertise biologique comparée des ADN de M. [U] né le23 juin 1984 à [Localité 7], de l'enfant [W] [S] né le 9 octobre 2013 [Localité 5] et de M. [K], né le 12 septembre 1986 à [Localité 6],
- Commettre un expert judiciaire avec mission de :
' Procéder à un examen comparatif des ADN de M. [U] né le 23 juin 1984 à [Localité 7], de l'enfant [W] [S] né le 9 octobre 2013 [Localité 5] et de M. [K], né le 12 septembre 1986 à [Localité 6],
' Dire si M. [K] est ou peut être le père de l'enfant [W], [F], [H] [S] ou au contraire si la paternité de celui-ci peut être exclue,
' Dire si la paternité de M. [U] peut être exclue.
- Condamner M. [U] et Mme [S] aux entiers dépens.
Par dernières conclusions notifiées le 10 mars 2023, M. [U] et Mme [S] demandent à la cour de :
- Confirmer l'ordonnance du 2 juin 2022 en toutes ses dispositions,
- Débouter plus généralement M. [K] de ses demandes en toutes fins qu'elles comportent,
- Condamner M. [K] à la somme de 3.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de M. [U] et de Mme [S] ainsi qu'aux dépens.
Par un avis rendu le 28 février 2023, le Ministère public est d'avis :
-qu'il n'y a pas lieu de retenir une possession d'état paisible puisqu'il est semble-t-il démontré une attitude univoque du père de connaître son fils et une attitude non moins univoque de la mère d'y faire obstacle,
- en conséquence d'infirmer l'ordonnance entreprise et de déclarer recevable l'action engagée, partant, d'ordonner toute mesure d'instruction avant dire droit de nature à objectiver la réalité biologique du lien paternel contesté.
SUR CE, LA COUR,
Sur la compétence du juge de la mise en état
Pour débouter M. [K] de sa demande de renvoi devant la formation de jugement, le juge de la mise en état, saisi d'une fin de non recevoir tendant à voir l'action engagée par celui-ci prescrite, a estimé que l'article 789 du code de procédure civile lui confère une compétence exclusive en la matière.
Moyens des parties
M. [K] rappelle qu'il avait sollicité le renvoi de l'examen de la fin de non recevoir tirée de la prescription devant la formation de jugement, au motif que pour trancher cette question, le juge de la mise en état devait au préalable dire si oui ou non la possession d'état de M. [U] à l'égard de l'enfant était acquise.
Il reproche au juge de la mise en état de ne pas avoir motivé son refus de joindre l'incident au fond ni statué, dans le dispositif de la décision, par une disposition distincte de celle relative à la fin de non recevoir sur la question de fond.
Mme [S], agissant ès qualités de représentante légale de [W] [S], et M. [U] concluent à la confirmation de l'ordonnance au motif que le renvoi devant la juge du fond est une mesure d'administration judiciaire et constitue une simple faculté offerte au juge de la mise en état. Ils affirment en outre que la demande de M. [K] est désormais dépourvue d'objet par l'effet dévolutif de l'appel qui confère à la cour la compétence pour statuer au fond sur l'existence d'une possession d'état.
Appréciation de la cour
En application de l'article 789, 6°, du code de procédure civile, le juge de la mise en état est seul compétent jusqu'à son dessaisissement pour statuer sur les fins de non-recevoir.
Cet article précise que ' Lorsque la fin de non-recevoir nécessite que soit tranchée au préalable une question de fond, le juge de la mise en état statue sur cette question de fond et sur cette fin de non-recevoir. Toutefois, dans les affaires qui ne relèvent pas du juge unique ou qui ne lui sont pas attribuées, une partie peut s'y opposer. Dans ce cas, et par exception aux dispositions du premier alinéa, le juge de la mise en état renvoie l'affaire devant la formation de jugement, le cas échéant sans clore l'instruction, pour qu'elle statue sur cette question de fond et sur cette fin de non-recevoir. Il peut également ordonner ce renvoi s'il l'estime nécessaire. La décision de renvoi est une mesure d'administration judiciaire '.
Contrairement à ce que soutiennent les intimés, le juge de la mise en état est tenu de faire droit à la demande de renvoi devant la juridiction du fond dès lors que les conditions sont réunies, à savoir que l'affaire ne relève pas du juge unique ou ne lui a pas été attribuée.
En effet, la disposition légale précitée indique le juge de la mise en état renvoie l'affaire devant la formation de jugement et non ' peut renvoyer'.
En l'espèce, les actions en contestation de paternité ne relèvent pas de la compétence du juge unique.
C'est donc à tort que le juge de la mise en état n'a pas fait droit à la demande de M. [K] de joindre l'incident au fond et de renvoyer l'examen de l'ensemble de l'affaire devant le tribunal statuant au fond.
L'ordonnance sera en conséquence infirmée en ce qu'elle a débouté M. [K] de sa demande de renvoi devant le juge du fond.
Pour autant, ainsi que le soulignent avec pertinence les intimés, la cour se trouve saisie du litige dans sa globalité, le juge de la mise en état ayant statué sur la possession d'état, et doit examiner la question de la prescription de l'action en tranchant au préalable la question de la possession d'état.
Sur la prescription de l'action en contestation de paternité
Moyens des parties
M. [K] soutient que la possession d'état de M. [U] est entachée d'équivocité et troublée par l'attitude de la mère qui lui a régulièrement adressé des photos durant les 6 premières années de l'enfant puis a brusquement agi pour l'écarter de sa vie. Il en conclut que dès lors son action en contestation de paternité n'est pas prescrite.
M. [U] revendique de son côté une possession d'état de la qualité de père de [W] depuis plus de cinq ans et soutient que l'action en contestation de paternité est de ce fait prescrite.
Il affirme s'être comporté depuis la naissance comme le père de l'enfant et que son entourage familial et amical considère [W] comme étant son fils.
Les intimés soutiennent qu'aucun élément ne démontre que cette possession serait viciée et que la possession doit s'apprécier uniquement entre le père et l'enfant.
Appréciation de la cour
En application de l'article 332, alinéa 2, du code civil, ' La paternité peut être contestée en rapportant la preuve que le mari ou l'auteur de la reconnaissance n'est pas le père '.
Par ailleurs, en application de l'article 333 du même code, ' Lorsque la possession d'état est conforme au titre, seuls peuvent agir l'enfant, l'un de ses père et mère ou celui qui se prétend le parent véritable. L'action se prescrit par cinq ans à compter du jour où la possession d'état a cessé ou du décès du parent dont le lien de filiation est contesté.
Nul, à l'exception du ministère public, ne peut contester la filiation lorsque la possession d'état conforme au titre a duré au moins cinq ans depuis la naissance ou la reconnaissance, si elle a été faite ultérieurement '.
En l'espèce, M. [U] a reconnu l'enfant le 2 septembre 2003, il dispose donc d'un titre, et revendique une possession d'état de sa paternité de plus de 5 ans, ce dont il déduit que l'action en contestation engagée par M. [K] est prescrite, l'action ayant été engagée par acte d'huissier de justice délivré le 27 avril 2021.
L'appréciation du bien fondé de l'action suppose donc de vérifier si les conditions de la possession d'état sont réunies et depuis quelle date.
Il n'est nullement contesté que M. [U] n'est pas le père biologique de [W].
Il n'est pas plus contesté que les éléments de fait de la possession d'état tels qu'énoncés par l'article 311-1 du code civil sont réunis en l'espèce, M. [U] s'étant occupé de [W] comme son fils, pourvoyant à son éducation et subvenant à ses besoins et l'enfant étant reconnu tant par l'entourage familial qu'amical ou scolaire comme étant le fils de M. [U].
Le litige porte sur le point de savoir si cette possession d'état peut être qualifiée de paisible dès lors que M. [U] rapporte la preuve qu'il a toujours souhaité établir des liens avec l'enfant, et non équivoque dès lors que Mme [S] a assuré avoir révélé à l'enfant sa véritable filiation et avoir promis à M. [K] que lorsqu'il serait plus âgé, elle ferait en sorte que des liens se nouent entre lui et [W].
Le caractère paisible de la possession d'état résulte du fait que celle-ci n'ait pas été obtenue par la contrainte ou la violence. En l'espèce, il n'est pas douteux que M. [U] se comporte comme un père à l'égard de [W] de manière libre et consentie.
Le caractère non équivoque résulte du fait qu'il n'y a pas plusieurs possessions d'état concurrentes, donc que plusieurs personnes ne se comportent pas comme le père de l'enfant.
En l'espèce, si M. [K] demande à pouvoir exercer son rôle de père, force est de constater qu'au cours des 6 premières années de l'enfant, il s'est contenté de recevoir des photos sans chercher réellement à le voir, en tout cas il ne le démontre pas. Il ne conteste pas du reste n'avoir vu l'enfant qu'une fois lorsque celui-ci était âgé de 2 mois. Il ne revendique pas non plus une possession d'état à l'égard de l'enfant.
La possession d'état de M. [U] à l'égard de l'enfant est donc dépourvue d'équivoque.
L'attitude de Mme [S] à l'égard de M. [K], qui a consisté à lui promettre qu'un jour il pourrait voir l'enfant lorsqu'il serait plus âgé n'est donc pas de nature à vicier la possession d'état de M. [U] à l'égard de [W].
Les autres caractères de la possession d'état ne sont pas discutés.
M. [U] est donc fondé à revendiquer une possession d'état à l'égard de l'enfant [W] depuis sa naissance, voire sa reconnaissance, soit depuis plus de 5 ans.
En application de l'article 333 du code civil rappelé ci-dessus, M. [K] est donc prescrit en son action en contestation de paternité.
L'ordonnance sera confirmée sur ce point.
Sur les demandes accessoires
Le sens du présent arrêt commande de confirmer les dispositions de l'ordonnance relatives aux dépens.
M. [K] supportera les dépens de la procédure d'appel.
L'équité n'impose pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition,
INFIRME l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a débouté M. [K] de sa demande tendant à voir joint au fond l'incident soulevé par Mme [S] et M. [U],
La CONFIRME pour le surplus,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
CONDAMNE M. [K] aux dépens de la procédure d'appel,
REJETTE les demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
- signé par Madame Anna MANES, présidente, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, La Présidente,