COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
1ère chambre 1ère section
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
Code nac : 63B
DU 20 JUIN 2023
N° RG 22/01933
N° Portalis DBV3-V-B7G-VC3Y
AFFAIRE :
[U], [L] [E]
C/
[P], [J] [M]
Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 17 Mars 2022 par le Juge de la mise en état de NANTERRE
N° Chambre :
N° Section :
N° RG : 21/07252
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
-Me Mélina PEDROLETTI,
-Me Frédérique FARGUES
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [U], [L] [E]
né le [Date naissance 2] 1979 à [Localité 7]
de nationalité Française
[Adresse 6]
[Localité 5]
représenté par Me Mélina PEDROLETTI, avocat postulant - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 626 - N° du dossier 25721
Me Pascale LALERE, avocat - barreau de PARIS, vestiaire : G578
APPELANT
****************
Monsieur [P], [J] [M]
né le [Date naissance 1] 1965 à [Localité 8]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 3]
représenté par Me Frédérique FARGUES, avocat postulant - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 138
Me Valérie COLIN, avocat - barreau de PARIS, vestiaire : E0959
INTIMÉ
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 27 Mars 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Anna MANES, Présidente chargée du rapport et Madame Pascale CARIOU, Conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Anna MANES, Présidente,
Madame Pascale CARIOU, Conseiller,
Madame Sixtine DU CREST, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL,
FAITS ET PROCÉDURE
Par jugement du 18 février 2014, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Nanterre a prononcé le divorce des époux [M]/[T] par consentement mutuel, homologuant leur convention de divorce rédigée par leur avocat, M. [U] [E].
L'article III de cette convention, relatif à la prestation compensatoire, était rédigé comme suit :
'Les époux [M], qui ont été dûment informés des conditions d'octroi d'une prestation compensatoire et notamment des éléments d'appréciation exprimés aux termes de l'article 271 du code civil, conviennent qu'à compter de l'homologation de la convention, M. [P] [M] versera à Mme [Y] [T] épouse [M], une prestation compensatoire d'un montant de 141 600 euros qui sera réglée sous forme d'une rente d'un montant de 2 950 euros mensuel pendant quatre ans. Les époux conviennent que le règlement se fera par virement bancaire, au plus tard le 5 de chaque mois'.
Par jugement rendu le 30 juin 2016, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Paris, saisi à la requête de M. [P] [M], a rejeté sa demande de suppression de la prestation compensatoire mise à sa charge.
La cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 5 mars 2020, a confirmé ce jugement et l'a débouté de sa demande de réduction de la prestation compensatoire.
Par acte d'huissier de justice du 1er septembre 2021, M. [M] a fait assigner M. [E] devant le tribunal judiciaire de Nanterre au visa des articles 240, 276-3, 278 et 279 du code civil, aux fins de voir engager sa responsabilité civile professionnelle, estimant qu'il a manqué, dans l'exécution du mandat qui lui a été confié, à son devoir de conseil et d'information s'agissant de l'impossibilité d'obtenir la révision, voire la suppression de la prestation compensatoire.
Au cours de l'instruction de l'affaire, M. [U] [E] a saisi le juge de la mise en état d'une demande incidente aux fins de voir déclarer M. [P] [M] irrecevable en son action pour cause de prescription.
Par ordonnance contradictoire rendue le 17 mars 2022, le juge de la mise en état près le tribunal judiciaire de Nanterre a :
- Rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de M. [P] [M] ;
- Déclaré M. [P] [M] recevable en ses demandes à l'encontre de M. [U] [E] ;
- Débouté M. [U] [E] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné M. [U] [E] à payer à M. [P] [M] la somme de MILLE EUROS (1 000 euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Réservé les dépens de l'incident à l'examen de l'affaire au fond par le tribunal ;
M. [E] a interjeté appel de cette ordonnance le 29 mars 2022 à l'encontre de M. [M].
Par ses dernières conclusions notifiées le 11 janvier 2023, M. [U] [E] demande à la cour de :
- Le déclarer recevable et bien fondé en son appel,
- Infirmer l'ordonnance du Juge de la mise en état en ce qu'elle a :
- Rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de M. [P] [M].
- Déclaré M. [P] [M] recevable en ses demandes à l'encontre de M. [U] [E].
- Débouté M. [U] [E] de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
- Condamné M. [U] [E] à payer à M. [P] [M] la somme 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Et statuant à nouveau :
- Déclarer l'action en responsabilité initiée par M. [P] [M] à son encontre prescrite, conformément aux dispositions de l'article 2225 du code civil à titre principal
- Déclarer l'action en responsabilité initiée par M. [P] [M] à son encontre prescrite, conformément aux dispositions de l'article 2224 du code civil à titre subsidiaire
En conséquence,
- Prononcer l'irrecevabilité de l'action en responsabilité initiée par M. [P] [M] à son encontre.
- Condamner M. [P] [M] à lui régler la somme de 2 000 euros en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont le montant sera recouvré conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par ses dernières conclusions notifiées le 9 juin 2022, M. [P] [M] demande à la cour de :
- Confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nanterre du 17 mars 2022,
- Rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de son action,
- Le déclarer recevable en ses demandes,
- Débouter M. [U] [E] de l'ensemble de ses demandes
- Condamner M. [U] [E] à lui payer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile dans le cadre de la procédure d'appel ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.
SUR CE, LA COUR,
Sur la prescription de l'action en responsabilité civile professionnelle engagée par M. [M]
M. [E] poursuit l'infirmation de l'ordonnance déférée et fait valoir que seules les dispositions de l'article 2225 du code civil sont applicables en l'espèce dès lors que sa mission consistait à obtenir un divorce par consentement mutuel dans le cadre de laquelle il a rédigé la requête et la convention de divorce, laquelle a été homologuée par jugement du juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Nanterre le 18 février 2014.
Il soutient donc que sa mission a pris fin le 18 février 2014 de sorte que l'action en responsabilité civile professionnelle exercée contre lui le 1er septembre 2021 est prescrite.
M. [E] rappelle que, jusqu'au 31 décembre 2016 :
* le divorce par consentement mutuel était un divorce judiciaire résultant d'un jugement rendu par le juge aux affaires familiales ;
* les époux, représentés par un ou deux avocats, devaient déposer une requête conjointe à laquelle était annexée une convention portant règlement des effets du divorce ;
* à la suite du dépôt de leur requête conjointe, les époux étaient convoqués à une audience de comparution devant le juge aux affaires familiales qui, en présence d'un greffier, après avoir entendu séparément les époux sur le principe du divorce et ses effets, a prononcé le divorce après s'être assuré du consentement libre et éclairé des époux sur chacun des points abordés dans la convention de divorce.
Il en conclut que le divorce par consentement mutuel résultant nécessairement du prononcé d'un jugement en 2014, le conseil exerçait à l'occasion de cette procédure une activité judiciaire de sorte que seules les dispositions de l'article 2225 du code civil trouvaient à s'appliquer.
Il invoque un arrêt rendu par la cour d'appel de Paris du 2 mars 2022 (pièce 6) qui, dans une affaire similaire, a jugé que la procédure de divorce par consentement mutuel antérieur à la nouvelle loi était une procédure judiciaire qui ne pouvait pas être scindée en deux temps et que la requête en divorce était dépourvue de toute valeur si elle n'était pas validée par le juge.
Ainsi, selon lui, en l'espèce, sa mission étant unique et judiciaire, l'action initiée par M. [M] était prescrite depuis le 15 avril 2019 puisque la transcription du jugement de divorce a été effectuée le 14 avril 2014 (pièce 7, extrait d'acte de mariage des époux [M]/[T]).
M. [M] poursuit la confirmation de l'ordonnance dont il fait siens les motifs.
Selon lui, l'article 2225 du code civil ne trouve à s'appliquer que lorsque l'avocat exerce des activités judiciaires d'assistance et de représentation en justice. En revanche, lorsqu'il effectue une mission juridique, de conseil par exemple, ou de rédaction d'actes alors la prescription est soumise aux dispositions de l'article 2224 du code civil.
Or, l'intimé soutient que la rédaction d'une convention de divorce relève manifestement du conseil et de la rédaction d'acte, non de l'activité judiciaire de l'avocat.
' Appréciation de la cour
L'article 2225 du code civil dispose que ' L'action en responsabilité dirigée contre les personnes ayant représenté ou assisté les parties en justice, y compris à raison de la perte ou de la destruction des pièces qui leur ont été confiées, se prescrit par cinq ans à compter de la fin de leur mission.'
Selon l'article 2224 du même code, 'L'action en responsabilité dirigée contre les personnes ayant représenté ou assisté les parties en justice, y compris à raison de la perte ou de la destruction des pièces qui leur ont été confiées, se prescrit par cinq ans à compter de la fin de leur mission.'
La loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile a laissé subsister une dualité de régime de responsabilité, selon que l'avocat exerce une activité judiciaire (article 2225 du code civil, reprenant l'ancien article 2277-1 du même code mais réduisant le délai de prescription) ou une activité juridique (article 2224 du même code), le point de départ du délai de prescription est différent.
La question du point de départ de la prescription de l'action en responsabilité civile engagée à l'encontre d'un avocat est donc étroitement liée à la nature de l'activité au cours de laquelle la faute reprochée à l'avocat a été accomplie.
S'agissant de la mission d'assistance et de représentation en justice, son activité judiciaire, les articles 411, 412, 420 du code de procédure civile renseignent sur la définition de la notion.
L'article 411 du code de procédure civile précise ainsi que ' Le mandat de représentation en justice emporte pouvoir et devoir d'accomplir au nom du mandant les actes de la procédure'.
Selon l'article 412 du code de procédure civile, relatif à la mission d'assistance en justice, 'La mission d'assistance en justice emporte pouvoir et devoir de conseiller la partie et de présenter sa défense sans l'obliger'.
La date à laquelle la mission de l'avocat prend fin, dans ce cas, correspond à celle à laquelle est rendue la décision de justice en vue de laquelle il a été mandaté.
L'article 420 du code de procédure civile indique que l'avocat remplit les obligations de son mandat de représentation en justice sans nouveau pouvoir jusqu'à l'exécution du jugement. Toutefois, le mandat initial ne saurait autoriser des actes introductifs d'une nouvelle instance.
S'agissant de l'activité juridique de l'avocat, c'est-à-dire les activités de conseil et de rédaction d'acte relevant de la prescription du droit commun, le point de départ du délai de prescription n'est pas la fin de la mission, mais, conformément aux dispositions de l'article 2224 du code civil, le jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'agir.
En l'espèce, le manquement reproché par M. [M] à M. [E] consiste à ne pas l'avoir éclairé sur la portée et sur les conséquences juridiques de l'article III de la convention portant règlement des effets du divorce par consentement mutuel des époux [M]/[T], relatif à la prestation compensatoire qui interdisait à M. [M] d'obtenir la suppression de la prestation compensatoire en capital telle que définie dans la convention de divorce, pas plus que la révision de son montant, en application des dispositions combinées des articles 278, 279 et 274 du code civil (ainsi que l'a jugé la cour d'appel de Paris le 5 mars 2020).
Comme le soutient exactement l'appelant, jusqu'au 31 décembre 2016, la rédaction de la convention litigieuse s'inscrivait dans le cadre de la procédure judiciaire du divorce par consentement mutuel qui s'achevait par le jugement rendu par le juge aux affaires familiales. En d'autres termes, la rédaction d'une telle convention ne constituait pas un acte distinct qu'il aurait été loisible de soustraire de l'activité judiciaire confiée, en l'espèce, à l'avocat à savoir obtenir un divorce par consentement mutuel. En effet, le caractère indissociable de la rédaction de cet acte de la procédure judiciaire de divorce est démontré par le fait que, sans son homologation par le juge aux affaires familiales, cette convention est dépourvue de toute valeur juridique et le juge, en l'homologuant, lui donne valeur de jugement.
Le manquement reproché à M. [E] à son devoir de conseil et d'information au titre de la rédaction de cette clause insérée dans la convention de divorce découle donc de la mission d'assistance en justice dont il a été chargé de sorte que c'est bien la prescription spéciale édictée en matière de représentation ou d'assistance en justice qui s'applique, donc l'article 2225 du code civil.
Il s'ensuit que le point de départ de la prescription est la date à laquelle la mission de l'avocat prend fin, et non le jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
En l'espèce, il résulte des productions que le divorce a été prononcé le 18 février 2014 de sorte que l'action en responsabilité civile professionnelle exercée à l'encontre de M. [E] en raison du manquement allégué aurait dû être engagée avant le 19 février 2019. Et, à supposer que le point de départ de la prescription commence à courir à compter de la transcription du jugement de divorce, soit le 14 avril 2014, cette action aurait dû être intentée avant le 15 avril 2019.
Pour avoir été engagée le 1er septembre 2021, cette action est prescrite au fondement de l'article 2225 du code civil.
L'ordonnance sera dès lors infirmée en toutes ses dispositions.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
M. [M], partie perdante, supportera les dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile. Par voie de conséquence, sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée.
L'équité commande d'allouer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à M. [E]. M. [M] sera condamné au paiement de cette somme.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition,
INFIRME l'ordonnance ;
Statuant à nouveau,
DÉCLARE irrecevable l'action en responsabilité initiée par M. [M] à l'encontre de M. [E] ;
CONDAMNE M. [M] aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
CONDAMNE M. [M] à payer à M. [E] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
- signé par Madame Anna MANES, présidente, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, La Présidente,