COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 54G
4e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 05 JUIN 2023
N° RG 22/06397 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VPGY
AFFAIRE :
S.A.S. COGECEM
C/
ABEILLE IARD & SANTE anciennement dénommée AVIVA ASSURANCES SA
Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 15 Septembre 2022 par le Juge de la mise en état de Nanterre
N° Chambre :
N° Section :
N° RG : 20/09274
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Stéphanie TERIITEHAU
Me Emmanuel SOURDON
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE CINQ JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
S.A.S. COGECEM
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Stéphanie TERIITEHAU de la SELEURL MINAULT TERIITEHAU, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619 et Me Vincent CHAMARD-SABLIER, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0087
APPELANTE
****************
ABEILLE IARD & SANTE anciennement dénommée AVIVA ASSURANCES SA
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentant : Me Emmanuel SOURDON de la SELEURL SOURDON AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0290
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 03 Avril 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Séverine ROMI, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Agnès BODARD-HERMANT, Président,
Madame Séverine ROMI, Conseiller,
Madame Michèle LAURET, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Jeannette BELROSE,
FAITS ET PROCEDURE
Le 8 novembre 2006, Monsieur [O] et Madame [X] [M] épouse [F] ont conclu un contrat de construction de maison individuelle avec la société LES MAISONS VIGERY sur un terrain situé [Adresse 4] à [Localité 6].
La société LES MAISONS VIGERY est assurée auprès de la compagnie AVIVA ASSURANCES qui est également l'assureur dommages-ouvrage des consorts [F].
Dans le cadre de ce chantier, la société LES MAISONS VIGERY a conclu plusieurs contrats de sous-traitance notamment avec la SAS MPR pour le lot maçonnerie, assurée auprès de la société THELEM ASSURANCE, la SARL ESPACE PLATRE, plaquiste, assurée auprès de la SA GENRALI ASSURANCES, la SAS COGECEM, pour le lot charpente, la SARL KRASZEWSKI pour le lot platerie et la SAS PIRES FACADES assurées auprès de la SMABTP.
Le 25 septembre 2008, les travaux ont été réceptionnés avec des réserves qui ont été levées le 21 octobre 2008.
Le 8 octobre 2009, les consorts [F] se sont plaints de l'existence de fissures à l'intérieur et à l'extérieur de la maison et ont adressé une déclaration de sinistre à leur assureur, la société AVIVA ASSURANCES, qui, par lettre du 14 octobre 2009, a refusé sa garantie.
Le 1er décembre 2009, les consorts [F] ont, une nouvelle fois, procédé à une déclaration de sinistre.
La société AVIVA ASSURANCES a mandaté un expert amiable et par courrier du 1er février 2010, a confirmé refuser sa garantie au motif que les désordres n'étaient pas de ceux visés à l'article 1792 du code civil.
Par ordonnance de référé du 9 novembre 2010, le tribunal judiciaire de Nanterre, a désigné Monsieur [D] [S] en qualité d'expert judiciaire au contradictoire des sociétés AVIVA, MAISONS VIGERY, MPR et son assureur THELEM, ESPACE PLATRE et son assureur, GENERALI ASSURANCES, la société KRASZEWSKI et PIRES FACADES et leur assureur SMABTP.
Par ordonnance du 8 mars 2012, le juge de la mise en état a rendu les opérations d'expertise communes aux sociétés COGECEM et SMABTP.
Le 14 septembre 2019, l'expert judiciaire a déposé son rapport.
Par assignations délivrées les 20, 24 et 27 novembre 2020, les consorts [F] ont saisi le tribunal judiciaire de Nanterre.
Le juge de la mise en état, par ordonnance du 15 septembre 2022, a constaté que les demandes tendant à voir déclarer sans objet les appels en garantie de la société AVIVA ASSURANCES en qualité d'assureur de la société LES MAISONS VIGERY relèvent de la compétence du tribunal statuant au fond.
Il a dit recevables, comme non-prescriptes, les demandes de la société AVIVA ASSURANCES, assureur responsabilité décennale de la société LES MAISONS VIGERY et assureur dommages-ouvrage, dirigées contre la société COGECEM mais aussi celles de la société AVIVA ASSURANCES en qualité d'assureur responsabilité décennale de la société LES MAISONS VIGERY dirigées contre la société MPR et fait droit à la fin de non-recevoir tirée de la prescription s'agissant des demandes formées par la société AVIVA ASSURANCES en qualité d'assureur dommages-ouvrage, dirigées contre la société MPR, qu'elle a donc déclarée irrecevable en cette demande.
Enfin, il a rejeté la demande d'expertise des consorts [F] et dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure.
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La SAS COGECEM a interjeté appel de cette ordonnance par déclaration du 21 octobre 2022.
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La SAS COGECEM demande, par conclusions déposées le 15 février 2023, d'infirmer l'ordonnance du 15 septembre 2022 en ce qu'elle a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription relative à l'action de la société ABEILLE IARD & SANTE, anciennement AVIVA ASSURANCES, en qualité d'assureur dommages-ouvrage, à son encontre, et donc déclaré ces demandes recevables et dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Ainsi, elle sollicite que la société ABEILLE IARD & SANTE, prise en sa qualité d'assureur dommages-ouvrage, soit déclarée irrecevable en ses demandes dirigées à son encontre, de débouter la société ABEILLE IARD de l'ensemble de ses demandes et de la condamner à lui verser la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en sus des dépens recouvrés par son avocat.
La société ABEILLE IARD ET SANTE, anciennement dénommée AVIVA ASSURANCES demande, par conclusions déposées le 7 décembre 2022, de confirmer l'ordonnance du 15 septembre 2022 en ce qu'elle a estimé que son recours en garantie contre la société COGECEM n'était pas prescrit, de débouter la société COGECEM de son appel et de la condamner à lui verser la somme de 2.000 euros en sus des entiers dépens.
MOTIFS
Sur la recevabilité de la demande de la société ABEILLE IARD & SANTE, anciennement société AVIVA ASSURANCE, à l'encontre de la société COGECEM
L'objet de l'appel soulevé par la société COGECEM est limité à la contestation du rejet par l'ordonnance attaquée de la fin de non-recevoir tirée de la « prescription » de l'action formée à l'encontre de la société COGECEM par la société AVIVA ASSURANCES, désormais dénommée ABEILLE IARD & SANTE, en sa qualité d'assureur dommages-ouvrage.
La société COGECEM est appelée « en garantie » en sa qualité de sous-traitant par l'assureur dommages-ouvrage pour deux désordres numérotés 1 et 5 dans le rapport d'expertise judiciaire soit respectivement la fourniture et la pose d'une structure de poutraison en chêne, qualifiée de malfaçon et imputable pour partie, selon l'expert, à la société COGECEM et un désordre lié aux mouvements d'assises de la charpente imputé totalement à cette dernière, toujours selon l'expert.
Actionné par les maîtres de l'ouvrage, en sa qualité d'assureur dommages-ouvrage, celui-ci bénéficie, sous certaines conditions, d'un recours subrogatoire en application de l'article L.121-12 du code des assurances contre notamment les sous-traitants de l'entrepreneur général mais peut également agir en garantie contre les intervenants au chantier avant d'avoir été subrogé par le paiement de son assuré dans les droits de celui-ci.
L'assureur dommages-ouvrage qui entend agir contre le sous-traitant dispose, lorsqu'il est subrogé dans les droits du maître d'ouvrage, pour ce faire d'un délai de 10 ans à compter de la réception des travaux, en application de l'article 1792-4-3 du code civil.
Ce délai est un délai de forclusion.
En application de l'article 2241 du code civil, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion.
Il appartient à la partie qui conteste la recevabilité de l'action de démontrer que celle-ci a été engagée hors délai.
La jurisprudence de la Cour de cassation précise que, pour interrompre le délai de prescription ou de forclusion, la demande en justice doit émaner de celui dont le droit est menacé de prescription et être adressée à la personne en faveur de laquelle court la prescription.
De plus, l'ordonnance de référé qui déclare commune à une partie une expertise ordonnée en référé ne peut avoir pour effet d'interrompre la prescription que des actions engagées par ce demandeur à l'égard du défendeur à la demande d'expertise commune.
En l'espèce, par assignations délivrées les 28 et 30 juillet 2010 aux sociétés MAISONS VIGERY et AVIVA ASSURANCES, en sa qualité d'assureur dommages-ouvrage des époux [F] et en qualité d'assureur responsabilité décennale de la société MAISONS VIGERY, les consorts [F] ont sollicité une mesure d'expertise afin de déterminer les causes des dommages dénoncés, réunir les éléments permettant de définir les responsabilités et d'évaluer les préjudices subis.
Par assignations délivrées les 23,27,28 et 29 septembre 2010, la société MAISONS VIGERY et la société AVIVA ASSURANCES ont sollicité la jonction des deux affaires et que soient rendues communes et opposables les opérations d'expertise à intervenir aux sous-traitants du constructeur de la maison individuelle ainsi qu'à leurs assureurs, à savoir les sociétés MPR, THELEM, ESPACE PLATRE, GENERALI ASSURANCES, la société KRASZEWSKI PERE ET FILS et PIRES FACADES et SMABTP.
Par ordonnance de référé du 9 novembre 2010, le juge des référés a joint les instances et fait droit à cette demande.
Par assignation du 7 février 2012, les sociétés MAISONS VIGERY et AVIVA ASSURANCES ont demandé que cette ordonnance soit déclarée commune à la société COGECEM et à la société SMABTP, ce qui a été fait par ordonnance du 8 mars 2012.
Selon la société COGECEM, l'action de la société AVIVA ASSURANCES en sa qualité d'assureur dommages-ouvrage est prescrite car l'assignation du 7 février 2012 n'a pas été délivrée précisément en sa qualité d'assureur dommages-ouvrage et le délai de 10 ans était expiré à la date de ses demandes à son encontre formées par conclusions du 26 janvier 2021.
Pour considérer que le délai décennal avait été interrompu par l'ordonnance du 8 mars 2022, le premier juge a fait remarquer que l'acte d'assignation en référé du 7 février 2012 avait été délivré au nom de la société MAISONS VIGERY et de " la Compagnie AVIVA ASSURANCES" sans précision, que l'ordonnance ne précisait pas non plus en quelle qualité intervient la société AVIVA ASSURANCES et que, de toute façon, l'ordonnance de référé du 9 novembre 2010 avait été rendue au contradictoire de la société AVIVA ASSURANCES en sa double qualité d'assureur responsabilité décennale de la société MAISONS VIGERY et d'assureur dommages-ouvrage, de sorte qu'il y avait pas lieu de considérer que la société AVIVA ASSURANCES n`entendait pas réserver son recours en ordonnance commune à l'une ou l'autre de ses qualités.
Ce faisant, comme le fait remarquer l'appelante, la seule référence à sa qualité d'assureur dommages-ouvrage émane des consorts [F] qui ont assigné la société AVIVA ASSURANCES en sa double qualité d'assureur dommages-ouvrage et décennal.
Cependant, si la jurisprudence de la Cour de cassation, notamment celle citée par la société COGECEM, est fixée sur le fait que lorsque deux polices distinctes ont été souscrites auprès d'une même compagnie d'assurance, les deux garanties étant de nature différente, il est nécessaire pour interrompre un délai de prescription de mentionner quelle garantie le demandeur entend mobiliser, en revanche l'inverse, c'est-à-dire lorsque c'est l'assureur qui a fait délivrer une assignation sans dire en quelle qualité il le faisait, n'a pas encore été précisé avec certitude par la haute juridiction.
Or, en agissant en demande d'ordonnance commune aux côtés de son assuré la société MAISONS VIGERY, sans autre précision de sa qualité -assureur décennal de cette dernière ou assureur dommages-ouvrage- la société AVIVA ASSURANCES devenue ABEILLE IARD & SANTE peut revendiquer comme assureur dommages-ouvrage le bénéfice de l'article 2241 du code civil, soit l'interruption de l'action, à l'encontre de la défenderesse, la société COGECEM.
La réception a été prononcée le 25 septembre 2008, la demande en justice formée par assignation du 7 février 2012 a interrompu le délai de forclusion, les demandes formées pour la première fois contre la société COGECEM par la société AVIVA ASSURANCES en sa qualité d'assureur dommages-ouvrage dans ses conclusions au fond du 26 janvier 2021, soit dans le délai de 10 ans, ne sont pas forcloses en application des dispositions précitées.
En conséquence, l'ordonnance sera confirmée.
Sur les dépens et les autres frais de procédure
La société COGECEM sera condamnée aux dépens d'appel, conformément à l'article 696 du code de procédure civile. Les dépens pourront être recouvrés directement dans les conditions prévues par l'article 699 du même code.
Selon l'article 700 1° de ce code, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée.
Le premier juge a fait une application équitable de ces dispositions, les circonstances de l'espèce justifient de condamner la société COGECEM à payer à la société ABEILLE IARD & SANTE une indemnité de 2.000 euros au titre des frais exclus des dépens exposés en cause d'appel, elle sera elle-même déboutée de sa demande à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant après débats en audience publique, par arrêt contradictoire,
CONFIRME l'ordonnance déférée en ce qu'elle a dit recevable l'action de la société ABEILLE IARD & SANTE, anciennement dénommée AVIVA ASSURANCES, prise en sa qualité d'assureur dommages-ouvrage à l'encontre de la société COGECEM,
CONDAMNE la société COGECEM aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés directement dans les conditions prévues par l'article 699 du code de procédure civile, ainsi qu'à payer à la société ABEILLE IARD & SANTE une indemnité de 2.000 euros, par application de l'article 700 du code de procédure civile, et la déboute de sa demande à ce titre.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Séverine ROMI, Conseiller pour le président empêché, et par Madame Jeannette BELROSE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER, LE CONSEILLER,