COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 4IF
13e chambre
ARRET N°
PAR DEFAUT
DU 16 MAI 2023
N° RG 22/02651 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VEJD
AFFAIRE :
S.A. LE CREDIT INDUSTRIEL ET COMMERCIAL
C/
S.A.S. TEM'COM
....
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 08 Avril 2022 par le Tribunal de Commerce de PONTOISE
N° Chambre :
N° Section :
N° RG : 2021L01091
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Paul BUISSON
Me Christine MARGUET LE BRIZAULT
TC PONTOISE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE SEIZE MAI DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
S.A. LE CREDIT INDUSTRIEL ET COMMERCIAL
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentant : Me Paul BUISSON de la SELEURL BUISSON & ASSOCIES - SELARL PAUL BUISSON, avocat au barreau du VAL D'OISE, vestiaire : 6 - N° du dossier CLN
APPELANTE
****************
S.E.L.A.R.L. DE KEATING ès qualités de liquidateur judiciaire de la société TEM'COM
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentant : Me Christine MARGUET LE BRIZAULT de la SCP MARGUET-LE BRIZAULT-REBOUL, avocat au barreau des HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 726
S.A.S. TEM'COM
[Adresse 2]
[Localité 6]
Défaillante
INTIMEES
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 06 Mars 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marie-Andrée BAUMANN,Conseiller faisant fonction de Président, chargé du rapport, et Madame Delphine BONNET, Conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Marie-Andrée BAUMANN, Conseiller faisant fonction de Président,
Madame Delphine BONNET, Conseiller,
Madame Sophie MATHE, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Sabine NOLIN,
Par jugement du 7 décembre 2020 du tribunal de commerce de Pontoise, la SAS Tem'com, spécialisée dans la vente de produits pour l'aménagement de la maison et de cigarettes électroniques, a été placée en liquidation judiciaire.
La SA Le Crédit industriel et commercial (le CIC), se prévalant de la clause de nantissement de compte bancaire prévue au contrat de prêt souscrit par la société Tem'com, a retenu la somme de 29 589,51 euros sur les soldes créditeurs des comptes courants de la société, en garantie du remboursement de ce prêt.
La Selarl de Keating, en qualité de liquidateur judiciaire de la société Tem'Com, a saisi le juge-commissaire désigné dans la procédure collective aux fins de restitution, sous astreinte, de cette somme qu'elle estimait indûment retenue par la banque.
Par ordonnance du 24 juin 2021, le juge-commissaire désigné dans la procédure collective a ordonné au CIC de restituer les sommes retenues.
Par courrier déposé au greffe du tribunal de commerce de Pontoise contre récépissé le 1er juillet 2021, le CIC a formé un recours à l'encontre de cette ordonnance.
Par jugement contradictoire du 8 avril 2022, le tribunal a :
- déclaré le CIC mal fondé en son opposition à l'ordonnance dont il l'a débouté ;
- confirmé l'ordonnance ;
- condamné le CIC à payer à la société de Keating, es qualités, la somme de 2 000 euros, par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté le CIC de sa demande en paiement sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné le CIC aux dépens de l'instance.
Par une première déclaration du 14 avril 2022, le CIC a interjeté appel du jugement en intimant la société de Keating, ès qualités. Puis par une seconde déclaration du 16 mai 2022, le CIC a intimé également la société Tem'Com. Les deux instances ont été jointes par ordonnance du 23 mai 2022, sous le n° 22/2651.
Dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 1er février 2023 puis signifiées le 6 février 2023 selon les modalités de l'article 659 du code de procédure civile à la société Tem'Com, le CIC demande à la cour de :
- le déclarer recevable et bien fondé en son appel ;
- infirmer en toutes ses dispositions le jugement ;
Et statuant à nouveau,
- condamner la société de Keating, ès qualités, à lui restituer la somme de 29 589,51 euros versée en exécution de l'ordonnance et confirmée par le jugement dont appel ;
Par voie de conséquence,
- ordonner l'attribution judiciaire de la somme de 29 589,51 euros à son profit ;
- débouter la société de Keating, ès qualités, de toutes ses demandes formées à son encontre ;
- condamner la société de Keating, ès qualités, à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner cette dernière, ès qualités, aux entiers dépens.
La société de Keating, ès qualités, dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 28 juillet 2022, demande à la cour de :
- confirmer le jugement ;
Y ajoutant,
- condamner le CIC à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens d'appel.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 février 2023.
Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières écritures conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE,
Aucun moyen n'étant soulevé ou susceptible d'être relevé d'office, il convient de déclarer l'appel du CIC recevable.
Le CIC expose en premier lieu que contrairement à ce que le tribunal a retenu, la société Tem'com a bien été défaillante dans le remboursement du prêt, le relevé des échéances en retard mentionnant une échéance impayée au 5 décembre 2020, antérieurement au prononcé de la liquidation judiciaire ; il précise que le solde créditeur du compte était d'un montant insuffisant pour régler l'échéance de 2 228,24 euros, qu'aucune convention d'autorisation de découvert n'avait été formalisée avec la société liquidée de sorte que le tribunal a retenu à tort que la société Tem'com bénéficiait de découverts du simple fait que le compte a pu fonctionner en position débitrice du 1er juin 30 novembre 2020 et qu'enfin la position créditrice du second compte dont la société était titulaire importe peu dans la mesure où il était prévu contractuellement l'absence d'interdépendance entre les comptes. L'appelant souligne que d'ailleurs sa déclaration de créance dont le décompte mentionnait bien l'échéance impayée du 5 décembre 2020 n'a pas été contestée.
En deuxième lieu, le CIC fait valoir que l'existence d'une échéance impayée importe peu dans la mesure où sa créance au titre du prêt, en application des dispositions de l'article L.643-1 du code de commerce, est devenue exigible du fait de l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire qui emporte de facto déchéance du terme, ce que le tribunal a omis de prendre en compte.
Relevant que sa créance a en outre été admise sans discussion à titre privilégié, l'appelant observe qu'il pouvait donc légitimement opposer la clause de nantissement de compte courant et faire jouer son droit de rétention sur les soldes créditeurs existant au jour de l'ouverture de la liquidation judiciaire, observant qu'il s'est contenté d'isoler le solde créditeur des comptes courants sur un compte indépendant sans procéder à la compensation effective ni à aucun paiement de sorte que les droits des autres créanciers n'ont pas été lésés.
En troisième lieu, l'appelant estime qu'il ne peut être considéré qu'il a modifié les conditions de poursuite des comptes bancaires dans la mesure où le liquidateur judiciaire les a clôturés ; se fondant sur l'article 2360 du code civil et sur le nantissement dont il était titulaire, il soutient que sa créance étant devenue exigible, il peut ainsi solliciter l'attribution judiciaire du solde créditeur du compte bancaire de la société Tem'com postérieurement à l'ouverture de la liquidation judiciaire, faisant à cet égard état d'un arrêt de la Cour de cassation (Com. 25 septembre 2019 18-16.178) .
Le liquidateur judiciaire, pour soutenir que le CIC doit restituer les sommes créditrices qu'il a retenues irrégulièrement, expose que celui-ci, sur le fondement de son nantissement, a modifié les conditions de
poursuite des comptes bancaires, contrats en cours à l'ouverture de la procédure collective sur lesquels des écritures ont encore été passées après le 7 décembre 2020, et que l'application de la clause de nantissement est contraire aux dispositions d'ordre public des procédures collectives auxquelles celles relatives aux sûretés ne font pas obstacle comme prévu par l'article 2287 du code civil ; il observe que conformément à l'alinéa 2 de l'article 2260, le créancier conserve l'assiette de sa sûreté qu'il pourra faire valoir dans le cadre de sa déclaration de créance et des répartitions qui interviendront compte tenu des actifs réalisés.
Se fondant sur la jurisprudence de la Cour de cassation, dans ses arrêts des 7 novembre 2018 et 22 janvier 2020 (respectivement, 16-25860 et 18-21647), le liquidateur judiciaire fait valoir que si le prélèvement de l'échéance du mois de décembre 2020 a été rejeté, c'est qu'il a été présenté en paiement le jour de la liquidation judiciaire de sorte qu'il doit être constaté qu'à la prise d'effet de la procédure collective, le 7 décembre à 0 heure, il n'existait aucune échéance impayée ; ajoutant que l'examen des relevés bancaires et la persistance d'un solde débiteur depuis plusieurs mois montrent que la société bénéficiait d'un découvert autorisé même s'il n'avait pas été concrétisé par un écrit, qu'il avait été en outre réapprovisionné par virement provenant de l'autre compte bancaire de la société, lequel aurait pu être plus important si le dirigeant avait su qu'il existait un risque de rejet du prélèvement, il en conclut que rien ne s'opposait au prélèvement de la mensualité du prêt. Il ajoute que l'admission de la créance déclarée par le CIC permet seulement de prendre acte de l'existence de la garantie sans cependant reconnaître l'existence d'un défaut de paiement justifiant le droit de rétention.
Enfin, observant que la déchéance du terme n'est intervenue que du fait du jugement prononçant l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire et non pas conformément au contrat de prêt à la suite du non paiement d'une des échéances, le liquidateur judiciaire en conclut que la banque ne pouvait procéder à la réalisation de sa sûreté par la rétention du solde créditeur du compte bancaire nanti.
La clause de 'nantissement des comptes' prévue dans les conditions générales du contrat de crédit accordé par le CIC à la société Tem'com est ainsi rédigée :
Conformément aux articles 2355 à 2366 du code civil, l'emprunteur remet en nantissement au profit du prêteur, à titre de sûreté, le compte sur lequel sont ou seront domiciliés les remboursements du crédit objet des présentes, et plus généralement l'ensemble des comptes présents ou futurs ouverts sur les livres du prêteur, ceci sans préjudice de toute autre garantie spécifique qui pourrait le cas échéant être spécialement affectée par ailleurs à la garantie de ce crédit.(...)
Ce nantissement est consenti en garantie du paiement et du remboursement de toutes sommes en capital, intérêts, frais et accessoires dues au titre du crédit présentement consenti. (...)
En constituant ce nantissement, l'emprunteur accorde au prêteur le droit de se faire payer par préférence à ses autres créanciers sur les comptes ainsi nantis. (...)
Le prêteur pourra se prévaloir du nantissement en cas d'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire, de liquidation judiciaire ou d'une procédure de traitement des situations de surendettement des particuliers et sera en droit d'isoler sur un compte spécial bloqué à son profit les soldes créditeurs des comptes nantis existant à la date du jugement déclaratif d'ouverture de la procédure collective.
Conformément à la loi, en cas de non-paiement par l'emprunteur d'une somme quelconque devenue exigible restant due au prêteur, celui-ci sera en droit de compenser de suite, jusqu'à due concurrence, la créance détenue sur l'emprunteur avec les soldes créditeurs provisoires ou définitifs des comptes nantis. La compensation aura lieu après régularisation des opérations en cours.'
Il convient de rechercher si les conditions sont réunies pour que le CIC bénéficie de cette clause au regard en particulier des règles relatives aux procédures collectives qui sont d'ordre public, l'article 2287 du code civil énonçant expressément à cet égard que les dispositions du livre IV concernant les sûretés ne font pas obstacle à l'application des règles prévues en matière d'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ou encore en cas d'ouverture d'une procédure de traitement d'une situation de surendettement des particuliers, aucune stipulation contractuelle ne pouvant déroger aux règles d'ordre public de la procédure collective.
L'article 2360 du code civil qui concerne l'assiette de la garantie que pourra faire valoir le créancier dans le cadre de sa déclaration de créance, dispose en son deuxième alinéa qu'au cas d'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire, de liquidation judiciaire ou d'une procédure de traitement des situations de surendettement des particuliers contre le constituant, les droits du créancier nanti portent sur le solde du compte à la date du jugement d'ouverture.
Lorsque le banquier s'est vu consentir à titre de garantie un nantissement sur un compte bancaire appartenant au débiteur, la réalisation du nantissement suppose que soit constatée la défaillance du débiteur dans l'exécution de l'obligation garantie. Le créancier ne peut procéder à la réalisation de sa garantie qu'à la condition de disposer d'une créance certaine, liquide et exigible.
A la lecture de la déclaration de créance et du décompte établi à l'appui par le CIC, il est fait état d'une échéance impayée de 2 228,24 euros en date du 5 décembre 2020, étant précisé que d'après le tableau d'amortissement l'échéance de chacune des mensualités était fixée le 5 de chaque mois ; si le liquidateur judiciaire conteste la réalité de cet impayé en faisant état du montant du solde du compte au 5 décembre 2020, créditeur à hauteur de 2 201,85 euros à la suite du versement par la société débitrice d'une somme de 37 000 euros, provenant d'un autre compte dont celle-ci était titulaire et du découvert dont la société liquidée avait, de fait, bénéficié depuis plusieurs mois, il n'en demeure pas moins que les dispositions de l'article L.622-29 du code de commerce, qui prévoit que le jugement d'ouverture ne rend pas exigibles les créances non encore échues à la date de son prononcé, ne sont applicables qu'en matière de sauvegarde et de redressement judiciaire par le renvoi opéré par l'article L.631-14 du même code et non dans le cas d'une liquidation judiciaire.
L'article L.643-1 dispose en revanche que 'le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire rend exigibles les créances non échues. Toutefois, lorsque le tribunal autorise la poursuite de l'activité au motif que la cession totale ou partielle de l'entreprise est envisageable, les créances non échues sont exigibles à la date du jugement statuant sur la cession ou, à défaut, à la date à laquelle le maintien de l'activité prend fin.'
Dans ces circonstances, indépendamment même de l'existence d'une mensualité impayée antérieurement au jugement ouvrant la liquidation judiciaire, la créance du CIC est devenue exigible du fait de l'ouverture de cette procédure collective et de la liquidation judiciaire qui emporte déchéance du terme de sorte que le liquidateur judiciaire ne peut utilement se fonder sur la jurisprudence qui concerne des sociétés en redressement judiciaire en l'absence de mensualité impayée et de créance exigible, étant souligné que de surcroît dans une procédure de redressement, il importe de préserver les disponibilités dont la société en redressement peut disposer sur ses comptes et donc de ne pas la priver des fonds les créditant et du 'potentiel' de la procédure de redressement.
Ainsi, dès lors que sa créance au titre du prêt consenti à la société Tem'com est devenue exigible pour un montant total de 47 975,73 euros, dont il n'est pas discuté qu'il a été admis au passif de la société liquidée, le CIC est fondé en sa demande de se voir judiciairement attribuer la somme totale de 29 589,51 euros correspondant au solde créditeur, à la date d'ouverture de la liquidation judiciaire, des deux comptes dont la société débitrice était titulaire.
Il convient donc d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et notamment en ce qu'il a confirmé l'ordonnance du juge-commissaire du 24 juin 2021. La cour, statuant à nouveau, infirme l'ordonnance et ordonne l'attribution de la somme de 29 589,51 euros au profit du CIC, sans qu'il y ait lieu de condamner la Selarl de Keating, ès qualités, au paiement de cette somme, le présent arrêt constituant le titre sur lequel le CIC pourra poursuivre le recouvrement de sa créance.
Au regard du sens du présent arrêt, de la situation respective des parties et de la liquidation judiciaire de la société Tem'com, le CIC comme le liquidateur judiciaire seront déboutés de leur demande respective au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Les dépens de première instance et d'appel seront recouvrés en frais privilégiés de la procédure de liquidation judiciaire.
PAR CES MOTIFS
Statuant par arrêt rendu par défaut,
Déclare l'appel de la société Crédit industriel et commercial recevable ;
Infirme le jugement du 8 avril 2022 sauf en ce qu'il a débouté la société Crédit industriel et commercial de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau,
Infirme l'ordonnance du 24 juin 2021 ;
Ordonne l'attribution de la somme de 29 589,51 euros au profit de la société Crédit industriel et commercial ;
Rejette les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Dit que les dépens de première instance et d'appel seront recouvrés en frais privilégiés de la liquidation judiciaire.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Marie-Andrée BAUMANN, Conseiller faisant fonction de Président, et par Madame Sabine NOLIN, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Conseiller faisant fonction de Président,