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13/04/2023 | FRANCE | N°21/01445

France | France, Cour d'appel de Versailles, 21e chambre, 13 avril 2023, 21/01445


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



21e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 13 AVRIL 2023



N° RG 21/01445 - N° Portalis DBV3-V-B7F-UQCK



AFFAIRE :



[P] [E]





C/

S.A.S. KALHYGE 1









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 08 Avril 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de POISSY

N° Chambre :

N° Section : C

N° RG : 19/00190



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Abdelaziz MIMOUN



Me Jacques PEROTTO de la SELARL ALERION SOCIETE D'AVOCATS







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE TREIZE AVRIL DEUX MILLE VINGT TROI...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

21e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 13 AVRIL 2023

N° RG 21/01445 - N° Portalis DBV3-V-B7F-UQCK

AFFAIRE :

[P] [E]

C/

S.A.S. KALHYGE 1

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 08 Avril 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de POISSY

N° Chambre :

N° Section : C

N° RG : 19/00190

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Abdelaziz MIMOUN

Me Jacques PEROTTO de la SELARL ALERION SOCIETE D'AVOCATS

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE TREIZE AVRIL DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [P] [E]

né le 17 Août 1980 à [Localité 4]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représenté par Me Abdelaziz MIMOUN, constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 89

APPELANT

****************

S.A.S. KALHYGE 1

N° SIRET : 971 503 578

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Adresse 6]

Représenté par Me Jacques PEROTTO de la SELARL ALERION SOCIETE D'AVOCATS, constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0126, substitué par Me Anaïs EDET, avocate au barreau de PARIS

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 28 Février 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Véronique PITE, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thomas LE MONNYER, Président,,

Mme Florence SCHARRE, Conseiller,

Madame Véronique PITE, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Isabelle FIORE, et Maxime PLANCHENAULT, greffier stagiaire.

FAITS ET PROCÉDURE

M. [P] [E] a été engagé, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 1er avril 2011, avec reprise d'ancienneté au 21 septembre 2010, en qualité d'agent de distribution, statut ouvrier, par la société par actions simplifiées RLD 2 Unité Chanteloup (aux droits de laquelle sont successivement venues les sociétés par actions simplifiées Kalhyge 2 puis Kalhyge 1) qui a pour activité la location et l'entretien de vêtements et de linge pour les professionnels du secteur de l'hôtellerie et de la restauration, emploie plus de 10 salariés et relève de la convention collective nationale de la blanchisserie, laverie, location de linge, nettoyage à sec, pressing et teinturerie.

Le 8 février 2016, M. [E] a été victime d'un accident de travail et a été placé en arrêt de travail jusqu'au 30 novembre 2016.

Le 24 novembre 2016, la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) lui a reconnu le statut de travailleur handicapé jusqu'au 30 septembre 2021, qu'elle renouvelait le 26 août 2021, sans limitation d'une durée.

Lors de la visite de reprise du 1er décembre 2016, le médecin du travail a déclaré M. [E] apte.

Le 24 janvier 2017, à l'occasion d'une visite d'information et de prévention, le même émettait une « contre-indication - au port de charge lourde de plus de 5 kg ».

Lors d'une visite médicale de reprise du 24 avril 2017, faisant suite à une maladie ou un accident non professionnel, le médecin du travail a rédigé une attestation de suivi individuel, en biffant le cartouche dédié aux commentaires.

Le 29 juin 2017, M. [E] a été victime d'un second accident de travail, et fut placé en arrêt de travail, ensuite renouvelé, à la fin de l'année 2017.

Le 3 avril 2019, la société lui a accordé un congé formation, qu'il a commencé à suivre dès le 21 octobre suivant.

M. [E] a saisi, le 18 juillet 2019, le conseil de prud'hommes de Poissy aux fins de demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail et condamner la société au paiement de diverses sommes de nature indemnitaire et salariale.

La société s'est opposée aux demandes du requérant, a soulevé la prescription de l'action portant sur les conditions d'exécution du contrat de travail et a sollicité sa condamnation au paiement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement rendu le 8 avril 2021, notifié le 15 avril 2021, le conseil a statué comme suit :

Déboute M. [E] de l'ensemble de ses demandes.

Déboute la société Kalhyge 2 de sa demande reconventionnelle.

Condamne M. [E] aux dépens y compris ceux afférents aux actes et procédure d'exécution éventuels.

Le 14 mai 2021, M. [E] a relevé appel de cette décision par voie électronique.

Finalement, la société l'a licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement et il sortit de ses effectifs le 20 janvier 2022.

Selon ses dernières conclusions, remises au greffe le 8 février 2023, M. [E] demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de l'ensemble de ses demandes et, statuant à nouveau, de :

Sur les demandes liées à son licenciement :

Condamner la société Kalhyge 2 à lui verser les sommes suivantes :

- Rappel d'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés y afférents :    1 811,12 euros + 181,11 euros

- Rappel d'indemnité légale spéciale de licenciement : 2 556,25 euros

Sur les demandes liées à l'exécution du contrat de travail et à la résiliation judiciaire du contrat de travail :

Déclarer recevable son action introduite le « 19 » juillet 2019 ;

Condamner la société Kalhyge 2 à lui verser les sommes suivantes :

o Dommages et intérêts pour méconnaissance de l'obligation de sécurité, de préserver la santé du salarié : 10 000 euros

o Dommages et intérêts pour harcèlement moral : 7 000 euros

o Prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail produisant les effets d'un licenciement nul ou subsidiairement sans cause réelle et sérieuse

o Dommages et intérêts pour licenciement nul : 30 000 euros

o Subsidiairement dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 17.777, 50 euros

o Article 700 du code de procédure civile : 4 000 euros

Dire que l'ensemble de ces sommes porteront intérêt au taux légal avec capitalisation à compter de la saisine du conseil des prud'hommes.

Condamner la société Kalhyge 2 aux entiers dépens y compris ceux d'exécution contenant les honoraires d'huissier.

Aux termes de ses dernières conclusions, remises au greffe le 14 février 2023, la société Kalhyge 1 demande à la cour de la recevoir en ses conclusions et, y faisant droit, d'infirmer partiellement le jugement rendu par le conseil des prud'hommes de Poissy le 8 avril 2021, en ce qu'il a écarté sa demande d'irrecevabilité et, statuant à nouveau :

Juger que l'action introduite par M. [E] le 18 juillet 2019 et portant sur les conditions d'exécution de son contrat de travail est prescrite ;

En conséquence :

Juger que M. [E] est irrecevable en sa demande.

A titre principal

Si par extraordinaire la cour venait à écarter l'irrecevabilité de la demande du fait de la prescription :

Confirmer partiellement le jugement en ce qu'il a :

o Débouté M. [E] de sa demande de dommages et intérêts pour méconnaissance de l'obligation de sécurité,

o Rejeté la demande de M. [E] au titre des dommages et intérêts pour méconnaissance des obligations relatives à l'accès et au maintien des personnes handicapées en milieu ordinaire de travail ;

o Rejeté la demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral de M. [E] ;

o Jugé qu'elle n'avait pas manqué à ses obligations ;

o Jugé que la résiliation judiciaire n'était pas reconnue et ainsi débouté M. [E] de sa demande de dommages et intérêts et des indemnités de rupture afférentes.

Et par conséquent,

Juger qu'elle n'a pas manqué à son obligation de sécurité vis-à-vis de M. [E] ;

Débouter M. [E] de l'intégralité de ses demandes formulées à son encontre ;

En toutes hypothèses :

Infirmer partiellement le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Et statuant à nouveau,

Condamner M. [E] à lui payer de la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

Condamner M. [E] aux entiers dépens de la présente instance, qui seront distraits au profit du Cabinet Alerion.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.

Par ordonnance rendue le 15 février 2023, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 28 février 2023.

MOTIFS

I - Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription

Au rappel de l'article L.1471-1 du code du travail, la société exprime que le salarié, qui se plaint de conditions d'emploi non conformes à l'avis du médecin du travail du 24 janvier 2017 ayant entrainé son accident du 29 juin 2017, avait nécessairement connaissance des griefs invoqués à cette date si bien qu'ayant saisi le conseil de prud'hommes le 18 juillet 2019, il était en retard dans ses demandes touchant aux conditions d'exécution de son contrat de travail.

Ce à quoi le salarié objecte que le point de départ du délai de la prescription s'établit au jour du dernier fait fautif et qu'ici, faute de respect par l'employeur des préconisations du médecin du travail, il est resté exposé au risque qui s'est réalisé jusqu'au 20 décembre 2017, date de son arrêt de travail ensuite renouvelé.

L'article L.1471-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, dit que « toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.

Toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture.

Les deux premiers alinéas ne sont toutefois pas applicables aux actions en réparation d'un dommage corporel causé à l'occasion de l'exécution du contrat de travail, aux actions en paiement ou en répétition du salaire et aux actions exercées en application des articles L.1132-1, L.1152-1 et L.1153-1. Elles ne font obstacle ni aux délais de prescription plus courts prévus par le présent code et notamment ceux prévus aux articles L.1233-67, L.1234-20, L.1235-7, L.1237-14 et L.1237-19-8, ni à l'application du dernier alinéa de l'article L.1134-5. »

Conformément à l'article 40-II de l'ordonnance du 22 septembre 2017, ces dispositions s'appliquent aux prescriptions en cours à compter de la date de sa publication, le 23 septembre suivant, sans que la durée totale de la prescription ne puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

La version précédente de l'article L.1471-1 disait que « toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit », le dernier alinéa étant resté, en substance, inchangé.

Cela étant, la demande de résiliation judiciaire ne saurait pas être prescrite dans la mesure où le contrat n'est pas rompu quand elle est formée, les faits invoqués à son soutien n'ayant aucune incidence sur la détermination du point de départ du délai. La fin de non-recevoir doit être rejetée en ce qui la concerne.

Par ailleurs, l'article L.1471-1 n'est pas applicable à la créance de responsabilité s'évinçant d'un harcèlement moral et, à défaut de disposition spécifique, elle relève du droit commun issu de l'article 2224 du code civil disant que « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. »

Dès lors que la société n'est pas habile à opposer à cette demande la prescription biennale, sa fin de non-recevoir doit être rejetée, en ce qui la concerne.

Enfin, le salarié fonde le surplus de son action en responsabilité sur l'exécution du contrat de travail, par le reproche adressé à l'employeur de n'avoir pas respecté les préconisations inchangées du médecin du travail posées le 24 janvier 2017, faute d'aménagement de son poste ou de sa tournée, le contraignant à porter de lourdes charges, considérant que l'employeur a ainsi manqué à son obligation de sécurité de résultat.

Par ailleurs, il induit son dommage de la persistance d'un travail non adapté qui conduisit à son arrêt définitif le 20 décembre 2017, et dont la déclaration de l'accident du travail du 29 juin 2017 suivi de soins ne fut qu'une manifestation.

Dès lors qu'il ne sollicite pas l'indemnisation de cet accident, dépendant au reste d'une tierce juridiction, mais du préjudice distinct né de l'inadaptation de ses conditions de travail, le point de départ de la prescription ne peut s'établir à sa date.

C'est donc à tort que l'employeur y procède, et la fin de non-recevoir doit être rejetée.

Il doit être observé que M. [E] n'ayant pas réitéré au dispositif de ses conclusions sa demande de dommages-intérêts pour méconnaissance des obligations de maintien dans l'emploi des personnes handicapées, la cour n'en est pas saisie en application du 3ème alinéa de l'article 954 du code de procédure civile, et la fin de non-recevoir est sans objet, en ce qui la concerne.

II ' sur l'exécution du contrat de travail

Sur l'obligation de sécurité

Au visa des articles L.1222-1 et L.4121-1 du code du travail, le salarié reproche à l'employeur de n'avoir pas respecté les préconisations inchangées du médecin du travail posées le 24 janvier 2017, détaillées lors de l'établissement de son bilan fonctionnel, faute d'aménagement de son poste ou de sa tournée qui dépassait le seul hôtel [2], le contraignant à porter de lourdes charges. Il considère que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité de résultat.

Concluant à l'inopposabilité d'un bilan fonctionnel qui ne lui fut jamais divulgué, et qui au reste, communiqué à l'instance sous un format incomplet, paraît trop ancien, la société souligne que l'avis du médecin du 24 janvier 2017, auquel elle était seulement tenue, ne comportait aucune restriction de manutention horizontale par poussée ou tirage, que M. [E] exerçait, et qu'il ne fut pas renouvelé lors de la visite de reprise du 24 avril 2017. Elle considère ainsi n'avoir pas manqué à ses obligations. Elle fait valoir, en outre, qu'il ne pourrait réclamer une double indemnisation d'un dommage réparé par les conséquences d'un licenciement le cas échéant non fondé.

Il convient de rappeler que selon les dispositions de l'article L. 4121-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi du 9 novembre 2010, applicable au litige jusqu'au 1er octobre 2017, « l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ;

2° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes. »

Après le 1er octobre 2017, le 1° précisait : « 1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L.4161-1 », le reste inchangé.

En l'occurrence, il est constant que M. [E] fut victime d'un accident du travail à deux reprises, les 8 février 2016 et 29 juin 2017, suivis de soins ou d'arrêts de travail, et qu'il fut finalement licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement, sortant des effectifs en janvier 2022.

Il est acquis aux débats que le médecin du travail, le 24 janvier 2017, émit une « contre-indication - au port de charge lourde de plus de 5 kg ».

S'il est vrai que le 24 avril suivant, il vit M. [E] et ne précisa rien de plus, il ne saurait pas s'en déduire, de ce seul motif, son avis contraire.

En tout état de cause, l'employeur étant tenu d'une obligation de sécurité envers ses collaborateurs, il devait, dans le doute que posait nécessairement ce silence s'il avait l'intention de mettre fin à tout aménagement, interroger le médecin du travail pour meilleures précisions, d'autant que les courriers échangés entre les parties révèlent que la visite « de reprise » du 24 avril 2017, à l'initiative de l'employeur après une brève absence du salarié, n'était pas spécifiquement causée.

Dès lors, aucun élément ne convergeant en faveur d'une levée de la contre-indication au port de charge de plus de 5 kg, il doit être tenu pour acquis qu'elle persista jusqu'à l'arrêt continu du salarié qui suspendit son activité, fin 2017.

Cela étant, il n'est pas querellé que l'intéressé était habile à pousser ou tirer les chariots remplis du linge des hôtels dépendant de sa tournée.

Par courrier du 30 mai 2017, M. [E] interpelait l'employeur précisément sur son non-respect de la contre-indication posée par le médecin du travail, en lui disant être affecté, au reste volontairement selon lui, à des tâches pénibles alors que peu de clients comportaient la manipulation de sacs lourds, et qu'ainsi, à titre d'exemple, lors des congés de M. [G], en février, mars, il fut envoyé par son supérieur direct dans ces hôtels l'obligeant à porter des sacs de plus de 5 kg. Il se plaignait d'un défaut d'aménagement de son poste. Il parle de la nécessité de pourvoir à des enlèvements ou des livraisons impromptues en raison d'oublis d'autres chauffeurs et qui lui incombaient souvent.

Dans sa réponse du 1er juillet suivant à l'employeur, il précisait de nouveau avoir l'attribution, depuis la contre-indication, des tournées difficiles, comprenant le port de charges lourdes, notamment le château de [3], n'y avoir aucune vérification du poids du linge par personne, faute de balance nulle part, et le 7 avril avoir livré de gros sacs chez Casa'O. Il dément ne desservir que l'hôtel [2] à [Localité 5] et prétend assurer de nombreux dépannages, dont le détail des tournées se font l'écho.

Dès lors que le salarié invoque précisément un manquement professionnel en lien avec le préjudice qu'il invoque, il appartient à l'employeur de rapporter la preuve du respect de son obligation de sécurité à l'égard du salarié.

En réplique, l'employeur répond que le poste fut aménagé entre les 24 janvier et avril au travers du transport des charges par chariot et sinon de leur division, que l'intéressé n'avait qu'un client, l'hôtel [2] qui utilise des trolleys ne nécessitant aucun levage de charges.

Cela étant, la société Khalyge ne verse aux débats aucune pièce sur les tournées que faisait M. [E] à cette époque. Il ne suffit par ailleurs que l'hôtel [2] convienne d'une distribution du linge par chariot, alors que l'intéressé prétend, dans ses écritures comme ses lettres, en faire d'autres, ce que l'employeur concède au reste dans sa correspondance.

Ainsi, l'employeur reconnaissait le 14 juin 2017 qu'il livrait, en parallèle du client principal, d'autres en dépannage dans des quantités en moyenne de 2 à 3 chariots, soulignant qu'il faisait « rarement des manipulations de sacs », et disant que lui-même respectait la contre-indication au port de charge de plus de 5 kg en ces termes : « les livraisons ont été effectuées en chariot à l'exception d'une seule livraison pour laquelle votre responsable avait demandé spécifiquement au service production de diviser par deux les quantités de linge et ceci afin de ne pas dépasser les 5 kg. »

Par lettre du 11 août 2017, la société précisait : « il n'y a en effet pas d'aménagement de poste ». Elle confirmait que les dépannages participaient du périmètre du poste.

Du moment que la société, concédant la possibilité du port de charges lourdes, et qu'elle advint, lors de dépannages dépendant des demandes des clients, et que contenaient ses tournées, ne justifie d'aucun aménagement sérieux à cette occasion permettant, de manière aléatoire, qu'il portât des sacs de linge, de nature à l'empêcher, il est évident qu'elle défaille à établir avoir satisfait à son obligation de sécurité envers l'intéressé, et ce d'autant plus que dès le 30 mai 2017, il l'avait par ailleurs avisée de son handicap.

Il convient de l'en indemniser à raison de 5.000 euros, le jugement étant infirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

Sur le harcèlement moral

Citant l'article L.1152-1 du code du travail, le salarié fait valoir le non-respect par l'employeur des préconisations du médecin du travail du 24 janvier 2017, au moins jusqu'au 24 avril suivant et ainsi de son statut de travailleur handicapé.

La société condamne la possibilité d'une double indemnisation en raison des mêmes faits, faute de préjudice distinct. Elle dément avoir fait pression sur le médecin du travail le 24 avril 2017 pour qu'il le déclare apte, et fait valoir la carence probatoire de son contradicteur. Elle souligne par ailleurs n'avoir pas été destinataire, avant juillet 2017, de la décision officielle de reconnaissance du statut de travailleur handicapé.

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En vertu de l'article L.1154-1 du code du travail, dans ses versions applicable au litige, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L.1152-1 à L.1152-3 et L.1153-1 à L.1153-4, le salarié établit des faits ou présente des éléments de fait qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L.1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'occurrence, il est acquis que la société Khalyge ne respecta pas les préconisations du médecin du travail du 24 janvier 2017, même avant le 24 avril 2017, date à laquelle elle plaide leur caducité. Il est avéré que le 30 mai 2017, M. [E] l'informa de son statut de travailleur handicapé.

Il est constant, comme M. [E] le souligne, qu'il fut placé en arrêt maladie dès la fin de l'année 2017 jusqu'en 2019. La société Khalyge ne critique pas ne l'avoir pas rappelé lors des périodes de chômage partiel, occupées par les chauffeurs en alternance.

Il produit aux débats divers documents médicaux attestant d'un désordre de la colonne vertébrale, et ensuite de la prescription de soins, d'une contention, d'une infiltration.

Pris dans leur ensemble ces faits permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral.

Dès lors, il appartient à l'employeur de démontrer que ces agissements ne sont pas constitutifs de harcèlement moral et que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Cependant, la société Khalyge ne fait part d'aucun élément étranger à tout harcèlement.

Pour autant, ce manquement, autrement dénommé, coïncidant avec le précédent ayant déjà donné lieu à indemnisation, et le dommage allégué ne se détachant pas du précédent, il ne saurait ouvrir droit à une créance de responsabilité distincte. La demande sera rejetée par confirmation du jugement.

Subsidiairement, M. [E] se prévaut de l'exécution déloyale du contrat de travail par l'employeur. Néanmoins, plaidant le même dommage, sa demande ne peut mieux prospérer, et elle sera rejetée.

III ' sur la rupture du contrat de travail

Sur la résolution judiciaire

Le salarié, reprochant aux premiers juges d'avoir inversé la charge de la preuve incombant à l'employeur, évoque les dispositions des articles L.1132-1 et L.1152-3 du code du travail et soutient les mêmes moyens de fait qu'énoncés plus avant, la société réitérant que son activité ne comportait aucun port de charge, que l'avis du médecin fut respecté jusqu'au 24 avril, date à laquelle ses réserves étaient devenues caduques, et qu'il n'y a de manquement grave susceptible de justifier la résolution.

L'article 1184 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige, dit que « la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement.

Dans ce cas, le contrat n'est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts.

La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances. »

Si M. [E] se fonde en droit sur la discrimination, il n'évoque en fait aucun élément propre à la caractériser.

Cela étant, le salarié a été victime d'un harcèlement moral, qu'il invoque également, ayant conduit à l'aggravation de sa santé, et par suite à son arrêt de travail de décembre 2017 à octobre 2019, sans qu'ensuite aucune activité ne soit reprise, peu important à cet égard qu'il ait pu être, dès le mois d'octobre, en congé-formation, puisque ensuite la suspension prit fin et qu'au final il fut licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement, la parties ne s'en expliquant au reste pas mieux.

Au regard de sa persistance et de ses conséquences, ce manquement justifie suffisamment la résolution du contrat de travail, aux torts de la société Khalyge, laquelle doit produire les effets d'un licenciement nul à la date du licenciement effectif, au regard du lien entre le manquement et la rupture conformément à l'article L.1152-3 du code du travail. Le jugement sera infirmé dans son expression contraire.

Sur l'indemnisation du licenciement nul

M. [E] se prévaut des dispositions de l'article L.1235-3-1 du code du travail, qui énoncent que lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une nullité faisant notamment suite à des faits de harcèlement moral, et lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Il suit de ce qui précède que M. [E] a droit à l'indemnité ainsi exposée.

Au regard au surplus de son ancienneté et de sa situation, il lui sera alloué la somme de 15.000 euros, pour licenciement nul, et le jugement sera infirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

Sur l'indemnité compensatrice de préavis

Le salarié fait valoir les dispositions des articles L.5213-9 du code du travail pour réclamer le complément de son indemnité compensatrice de préavis, de 3 mois, au regard de son statut de travailleur handicapé, dont l'employeur aurait eu connaissance, ce à quoi ce dernier oppose de n'avoir pas connu lors du licenciement le renouvellement du statut de son employé.

L'article L.5213-9 du code du travail dit qu'« en cas de licenciement, la durée du préavis déterminée en application de l'article L. 1234-1 est doublée pour les bénéficiaires du chapitre II, sans toutefois que cette mesure puisse avoir pour effet de porter au-delà de trois mois la durée de ce préavis. »

L'article L.5212-13 du code du travail, inséré au chapitre II, dit que « bénéficient de l'obligation d'emploi instituée par l'article L.5212-2 : 1° Les travailleurs reconnus handicapés par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées mentionnée à l'article L.146  -9  du code de l'action sociale et des familles ».

Il est constant que l'employeur a décompté un préavis deux mois, qu'il régla.

La décision du 26 août 2021 de la MDPH accorda à M. [E] la reconnaissance de sa qualité de travailleur handicapé dès le 1er octobre 2021 sans limitation de durée.

Il justifie ainsi avoir droit au paiement d'un préavis de 3 mois, peu important que l'employeur n'ait été informé de sa situation lors du paiement, du moment que le salarié agit en temps utile.

La société Khalyge sera condamnée à lui verser la somme non disputée de 1.811,12 euros, augmentée des congés payés afférents.

Le jugement sera infirmé à ce titre.

Sur l'indemnité de licenciement

Le salarié fait valoir les dispositions de l'article L.1226-14 du code du travail du moment que son inaptitude est d'origine professionnelle, et réclame sur la base d'un salaire de référence de 1.811,12 euros et une ancienneté de 11 ans et 7 mois, la somme de 2.556,25 euros en complément.

La société Khalyge versa l'indemnité spéciale de licenciement de 8.411,06 euros.

L'article L.1226-14 du code du travail prévoit, pour le salarié licencié pour inaptitude d'origine professionnelle et impossibilité de reclassement une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l'indemnité prévue par l'article L.1234-9.

L'article R.1234-2 du même code prévoit que « l'indemnité de licenciement ne peut être inférieure aux montants suivants 1° Un quart de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années jusqu'à dix ans ; 2° Un tiers de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années à partir de dix ans. », l'article R.1234-1 ajoutant qu'« en cas d'année incomplète, l'indemnité est calculée proportionnellement au nombre de mois complets. »

M. [E] comptant une ancienneté de 11 ans et 7 mois incluant le préavis, du moment qu'il n'est pas disputé qu'il quitta les effectifs de l'entreprise le 20 janvier 2022 avec une ancienneté remontant au 21 septembre 2010, il a droit au doublement, sur la base de la moyenne des trois derniers mois énoncés dans l'attestation Pôle emploi : 1.811,12 euros, de l'indemnité légale de licenciement dont le quantum réclamé de 10.967,31 euros n'est pas précisément critiqué.

Il lui sera ainsi alloué, par différence, le complément de 2.556,25 euros.

Il convient enfin de faire application des dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail.

IV ' sur les autres demandes

Il n'y a pas lieu de déroger aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil prévoyant que les créances de nature salariale portent intérêts au taux légal, à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation pour les créances échues à cette date et à compter de chaque échéance devenue exigible, s'agissant des échéances postérieures à cette date, les créances à caractère indemnitaire produisant intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant.

Il convient d'en ordonner la capitalisation dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil.

Les frais de justice alloués en première instance seront réformés ainsi qu'il est disposé.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a rejeté les demandes M. [P] [E] en réparation du harcèlement moral et du manquement de l'employeur dans son maintien dans l'emploi, et la demande de la société par actions simplifiée Kalhyge 2 au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

et statuant à nouveau :

Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de la société par actions simplifiée Kalhyge 1 venant aux droits de la société par actions simplifiée Kalhyge 2 ;

Dit qu'il produit les effets d'un licenciement nul à la date du 20 janvier 2022 ;

Condamne la société par actions simplifiée Kalhyge 1 venant aux droits de la société par actions simplifiée Kalhyge 2 à payer à M. [P] [E] les sommes de :

5.000 euros de dommages-intérêts en réparation du manquement né du non-respect des préconisations du médecin du travail ;

15.000 euros d'indemnisation du licenciement nul ;

1.811,12 euros en complément de l'indemnité compensatrice de préavis ;

2.556,25 euros en complément de l'indemnité spéciale de licenciement ;

Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil ;

Dit que les créances de nature contractuelle sont productives d'intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation pour les créances échues à cette date, et à compter de chaque échéance devenue exigible, s'agissant des échéances postérieures à cette date, et que les créances indemnitaires sont productives d'intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant ;

Ordonne, conformément aux dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail, le remboursement par l'employeur aux organismes concernés de tout ou partie des indemnités de chômage payées au salarié licencié du jour de son licenciement au jour du prononcé de la présente décision, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage, et dit qu'une copie certifiée conforme de la présente sera adressée à ces organismes ;

Rejette le surplus des demandes ;

Condamne la société par actions simplifiée Kalhyge 1 venant aux droits de la société par actions simplifiée Kalhyge 2 à payer à M. [P] [E] 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société par actions simplifiée Kalhyge 1 venant aux droits de la société par actions simplifiée Kalhyge 2 aux entiers dépens.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, et par Madame Dévi POUNIANDY, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 21e chambre
Numéro d'arrêt : 21/01445
Date de la décision : 13/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-13;21.01445 ?
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