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11/04/2023 | FRANCE | N°21/03587

France | France, Cour d'appel de Versailles, 1re chambre 1re section, 11 avril 2023, 21/03587


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





1ère chambre 1ère section



ARRÊT N°





PAR DÉFAUT

Code nac : 28Z





DU 11 AVRIL 2023





N° RG 21/03587

N° Portalis DBV3-V-B7F-URQR





AFFAIRE :



[P] [FU]

C/

[V], [Y], [D] [Z] veuve [FU]

...



Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 29 Mars 2021 par le Tribunal Judiciaire de PONTOISE

N° Chambre :

N° Section :

N° RG : 18/07414




Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :





à :



- Me Elisabeth ROUSSET,



-Me Julie GOURION







RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE ONZE AVRIL DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

1ère chambre 1ère section

ARRÊT N°

PAR DÉFAUT

Code nac : 28Z

DU 11 AVRIL 2023

N° RG 21/03587

N° Portalis DBV3-V-B7F-URQR

AFFAIRE :

[P] [FU]

C/

[V], [Y], [D] [Z] veuve [FU]

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 29 Mars 2021 par le Tribunal Judiciaire de PONTOISE

N° Chambre :

N° Section :

N° RG : 18/07414

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

- Me Elisabeth ROUSSET,

-Me Julie GOURION

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE ONZE AVRIL DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [P] [FU]

né le 24 Septembre 1938 à VESOUL (70000)

de nationalité Française

[Adresse 14]

[Localité 15]

représenté par Me Elisabeth ROUSSET, avocat postulant - barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : PN 313

Me Jérôme CASEY de la SELARL CASEY AVOCATS, avocat - barreau de PARIS, vestiaire : R100

APPELANT

****************

Madame [V], [Y], [D] [Z] veuve [FU]

née le 16 Avril 1939 à PARIS 6ÈME

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 13]

Monsieur [S], [U], [F] [R]

né le 04 Mars 1950 à SOISY SOUS MONTMORENCY (95230)

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 8]

Monsieur [C], [J], [F] [R]

né le 16 Août 1948 à SOISY SOUS MONTMORENCY (95230)

de nationalité Française

[Adresse 17]

[Localité 12] (SUISSE)

représentés par Me Julie GOURION, avocat postulant - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 51 - N° du dossier 2211080

Me Daniel PAQUET, avocat - barreau de PARIS, vestiaire : P0082

Monsieur [GV] [R]

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 16]

Monsieur [I] [R]

[Adresse 10]

[Adresse 10]

[Localité 6]

Monsieur [M] [R]

[Adresse 9]

[Localité 7]

Monsieur [O] [R]

[Adresse 4]

[Localité 19]

Monsieur [X] [FU]

[Adresse 20]

[Adresse 20]

[Localité 11]

Défaillants

INTIMÉS

****************

Madame [L] [E] [NL] veuve [FU], venant aux droits de [G], [A] [FU], son défunt mari décédé le 18 juillet 2022

née le 08 Juillet 1950 à SAIGON (VIETNAM)

[Adresse 1]

[Localité 18]

représentée par Me Julie GOURION, avocat postulant - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 51

Me Daniel PAQUET, avocat - barreau de PARIS, vestiaire : P0082

PARTIE INTERVENANTE

********************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 30 Janvier 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Anna MANES, Présidente et Madame Pascale CARIOU, Conseiller chargée du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Anna MANES, Présidente,

Madame Pascale CARIOU, Conseiller,

Madame Sixtine DU CREST, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL,

FAITS ET PROCÉDURE

[N] [FU] est décédée le 26 février 2018, sans laisser de conjoint survivant ni d'héritier réservataire.

A la date de son décès, elle avait trois frères - MM. [P], [T] et [X] [FU].

Ses deux s'urs - [Y] [F] [FU] et [V] [FU] épouse [R] pré-décédées, ont laissé pour leur succéder un fils [G] [FU] pour la première et six fils pour la seconde : [C], [S], [GV], [I], [M] et [O] [R].

[N] [FU] a rédigé plusieurs testaments :

- un testament olographe du 23 septembre 1987 dans lequel elle instituait son frère M. [P] [FU] légataire universel, à défaut sa soeur [Y] [FU],

- un testament olographe du 16 février 2008 dans lequel elle instituait M. [P] [FU] légataire universel,

- un testament authentique le 22 avril 2008 révoquant toute disposition antérieure et instituant son frère M. [P] [FU] légataire universel et en cas de pré-décès de celui-ci sa soeur [Y] [FU],

- un testament olographe du 10 octobre 2010 par lequel elle annule son testament du 16 février 2008.

Dans ce dernier testament, [N] [FU] écrit ceci (les sous-lignages sont d'origine):

' Je soussignée, madame [N] [FU], née le 13 juillet 1929 à Enghein -les-Bains ( Val d'Oise),

Annule mon testament daté du 16 février 2008 et qui a été remis à l'Etude de Maître [B] [W] ce même jour.

Motif : Hospitalisée au printemps 2010, puis en convalescence à la Chataigneraie (Cormeille en Parisis) mon frère [P] [FU] s'est contenté de faire appel à un juge des tutelles pour faire adopter à mon endroit 'un mandat de protection future' me privant, depuis, de toute liberté élémentaire, sans même en aviser un conseil de famille, trahissant de cette façon la confiance que je lui accordais précédemment.

Fait à Enghein-les-Bains le 10 octobre 2010 pour servir et valoir ce que de droit. [N] [FU]'

Entre temps, à la suite d'un accident vasculaire cérébral, [N] [FU] a été placée sous sauvegarde de justice par ordonnance du juge des tutelles du 1er juillet 2010, mesure qui sera transformée en curatelle renforcée par ordonnance du 7 janvier 2011 puis en tutelle par ordonnance du 29 avril 2014.

M. [P] [FU] ayant contesté la validité de ce dernier testament, aucun partage amiable de la succession de [N] [FU] n'a été possible.

MM. [T], [X] et [G] [FU] et M. [S] [R] ont alors fait assigner M. [P] [FU], MM. [C], [GV], [I], [M] et [O] [R] devant le tribunal de grande instance de Pontoise afin d'obtenir la révocation du testament du 16 février 2008 et voir la succession de [N] [FU] dévolue à ses frères et s'urs et neveux venant par représentation de ses frères et s'urs prédécédés.

M. [P] [FU] a seul constitué avocat en défense.

Par un jugement réputé contradictoire rendu le 29 mars 2021, le tribunal judiciaire de Pontoise a :

(Dans tout le dispositif Mme [V] [Z] est nommée [Z], alors que la DA et les conclusions mentionnent Mme [Z])

- Débouté M. [P] [FU] de sa demande d'annulation du testament de [N] [FU] du 10 octobre 2010 pour insanité d'esprit,

- Dit que le testament olographe du 10 octobre 2010 a révoqué expressément le testament olographe du 16 février 2008 et est incompatible avec la partie du testament authentique du 22 avril 2008 relatif à la désignation de M. [P] [FU] en qualité de légataire universel de [N] [FU],

- Constaté que le legs universel subsidiaire à [Y] [FU] est sans objet et en tout état de cause caduque,
- Dit que la dévolution de la succession de [N] [FU] se fera comme suit :

1/5ème à son frère [P] [FU],

1/5ème à sa belle-s'ur [V] [Z] veuve [FU], ès qualités d'héritière de [T] [FU],

1/5ème à son frère [X] [FU],

1/5ème à son neveu [G] [FU], venant par représentation de la s'ur de la défunte - [Y] [FU] - pré-décédée,

1/30ème à chacun de ses six neveux [C], [S], [GV], [I], [M] et [O] [R], venant par représentation de la s'ur de la défunte, [V] [R], pré-décédée,

- Dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire de la présente décision,

- Condamné M. [P] [FU] à verser à Mme [V] [Z] veuve [FU], MM [X] et [G] [FU] et [S] [R] une somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamné M. [P] [FU] aux dépens, avec distraction au profit de la SCP Petit-Marcot-Houillon, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

M. [P] [FU] a interjeté appel de cette décision le 4 juin 2021 à l'encontre de Mme [Z], MM. [X] et [G] [A] Moreels, MM. [S], [C], [GV], [I], [M] et [O] [R].

Par d'uniques conclusions notifiées le 1er septembre 2021, M. [P] [FU] demande à la cour de :

Vu les articles 470 alinéa 1 er et 901 du code civil,

Vu le jugement du tribunal judiciaire de Pontoise en date du 29 mars 2021,

Vu les circonstances de la cause,

- Le juger recevable en son appel,

Sur le fond,

- Réformer le juge entrepris sur l'ensemble des chefs critiqués,

Par conséquent :

- Annuler le testament olographe de Mme [N] [FU] du 10 octobre 2010,

A titre subsidiaire :

- Juger que le testament de [N] [FU] est de nul effet, faute de viser les testaments du 23 septembre 1987 et 22 avril 2008,

En toute hypothèse :

- Condamner solidairement les intimés à la somme de 7.000 euros au titre de 700 du code de procédure civile, avec faculté de distraction au profit de Me Elizabeth Rousset, avocat au Barreau des Hauts-de-Seine,

- Condamner solidairement les intimés au paiement des dépens de 1 re instance et d'appel, avec faculté de distraction au profit de Me Elizabeth Rousset, avocat au Barreau des Hauts-de-Seine,

[G] [A] [FU] est décédé le 18 juillet 2022 et sa veuve, Mme [NL] est intervenue volontairement à l'instance en sa qualité d'héritière.

Par dernières conclusions notifiées le 11 octobre 2022, Mme [V] [Z], M. [C] [R], M. [S] [R] et Mme [NL] demandent à la cour de :

- Donner acte à Mme [L] [E] [NL], veuve de Monsieur [G] [FU], de son intervention volontaire dans la présente instance en sa qualité de seule ayant droit et héritière de son défunt mari, M. [G] [FU],

- Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 29 mars 2021 par le tribunal judiciaire de Pontoise,

- Débouter l'appelant de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- Le condamner à verser aux intimés et à l'intervenante volontaire, solidairement entre eux, une indemnité de 7 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles par eux engagés en cause d'appel,

- Le condamner aux entiers dépens d'appel,

- Dire qu'ils pourront être directement recouvrés par Me Julie Gourion, avocat au Barreau de Versailles, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Les déclarations d'appel et les conclusions d'appelant ont été signifiées :

- le 8 septembre 2021, à M. [I] [R], par remise de l'acte à sa personne,

- le 15 septembre 2021, M. [M] [R], par remise de l'acte à étude,

- le 15 septembre 2021, M. [O] [R] par remise de l'acte à étude,

- le 20 septembre 2021, M. [GV] [R] par remise de l'acte à sa personne,

lesquels n'ont pas constitué avocat.

Compte tenu des modalités de remise de ces différents actes, l'arrêt sera rendu par défaut.

Par acte d'huissier en date du 21 décembre 2021, Mme [V] [Z], MM. [C] et [S] [R] et M. [G] [FU] ont signifiés, par remise à étude, leurs conclusions à MM. [M] et [GV] [R] et par remise à sa personne à M. [I] [R].

La clôture de l'instruction a été ordonnée le 15 décembre 2022.

SUR CE, LA COUR

Sur la nullité pour insanité d'esprit du testament du 10 octobre 2010

Pour débouter M. [P] [FU] de ses demandes, le tribunal a estimé que la preuve de l'insanité d'esprit de [N] [FU] n'était pas rapportée par des preuves médicales suffisantes, que le placement sous curatelle renforcée n'était pas un motif suffisant pour remettre en cause le testament rédigé par la personne protégée et que le testament critiqué était parfaitement lisible et cohérent.

Moyens des parties

M. [P] [FU] reproche au tribunal d'avoir inversé la charge de la preuve et soutient qu'il appartenait aux demandeurs qui se prévalaient du testament du 10 octobre 2010 de démontrer qu'il avait été rédigé dans un intervalle lucide de [N] [FU], et non à lui de démontrer qu'il l'avait été à une époque où elle ne disposait pas de toutes ses facultés.

Les intimés contestent cette interprétation des articles 470, alinéa 1er, et 901 du code civil et maintiennent que M. [P] [FU], sur qui pèse la charge de la preuve, ne démontre toujours pas l'insanité d'esprit de sa soeur lors de la réaction du dernier testament.

Appréciation de la cour

Sur le renversement de la charge de la preuve

L'appelant invoque une jurisprudence selon laquelle s'il existe un état usuel de trouble au jour de la libéralité, la présomption de sanité d'esprit est inversée et il appartiendrait alors à celui qui se prévaut du testament litigieux de démontrer que le testateur était dans une intervalle lucide (Cass. 1re civ. 20 oct. 1954, D. 1955, p. 66 ; Cass. 1re civ. 26 mai 1964).

La cour observe que ces arrêts, dont l'appelant n'a pas pris la peine de citer les attendus principaux alors qu'il entend en déduire une règle générale, sont dans la droite ligne d'une jurisprudence bien établie depuis un arrêt du 4 février 1941. Il résulte ainsi de cette jurisprudence que la preuve de l'insanité d'esprit est établie lorsque l'auteur du testament était dans un état habituel de démence avant et après la passation de l'acte litigieux, à charge pour les bénéficiaires du testament d'établir que l'auteur de l'acte a agi dans un intervalle de lucidité au moment de la rédaction du testament.

La cour constate que l'appelant donne à cet arrêt une portée qu'il n'a pas, que cette décision a été rendue à propos d'une personne majeure non soumise à un régime de protection et que la présomption dont il est fait état découle simplement du fait qu'il était objectivement établi que [H] [NZ], au moment de la rédaction de l'acte, était dans un état de démence et qu'en conséquence, son insanité d'esprit pouvait être présumée, cette présomption pouvant être combattue par les bénéficiaires du testament par la production de la preuve contraire, à savoir que le testeur a agi dans un moment de lucidité.

Cet arrêt porte donc sur une situation bien particulière, dans laquelle il est établi que l'auteur du testament était dans un état habituel de démence, ce qui n'est nullement le cas dans l'espèce soumise à la cour, le fait de bénéficier d'une mesure de curatelle n'impliquant pas ipso facto d'être dans un état habituel de démence.

De plus, M. [P] [FU] ne répond pas à l'objection avancée par les intimés qui lui rappellent qu'en application de l'article 414-1 du code civil, (souligné par la cour) ' Pour faire un acte valable, il faut être sain d'esprit. C'est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l'existence d'un trouble mental au moment de l'acte '.

Le moyen selon lequel les premiers juges auraient inversé la charge de la preuve ne saurait par conséquent prospérer. Il appartient bien à M. [P] [FU] de démontrer qu'au moment de la rédaction de son dernier testament, [N] [FU] souffrait d'une insanité d'esprit l'empêchant de tester.

Sur l'insanité d'esprit

Moyens des parties

L'appelant conteste le jugement en ce qu'il lui reproche de ne pas avoir produit les pièces médicales permettant d'établir l'insanité d'esprit de sa soeur et rappelle avoir produit :

- l'examen médical du médecin gériatre du 27 mai 2010 qui décrit l'altération des facultés mentales et conseille la mise sous tutelle,

- le compte rendu d'hospitalisation du 15 mai au 7 juin qui atteste de l'existence d'une démence mixte et d'un risque de spoliation,

- l'examen du Dr [K] en date du 14 juin 2010 qui confirme la démence mixte et l'altération des facultés mentales, examen fait en vue de la mise sous tutelle qui conclut que l'intéressée doit faire l'objet d'une protection renforcée.

Il estime en outre qu'il est insuffisant, pour les premiers juges, d'avoir constaté que « le testament du 10 octobre 2010 est parfaitement bien écrit ».

De leur côté, les intimés soulignent que [N] [FU] a vécu plus de trois ans seule dans un appartement après son AVC et son placement sous curatelle, ce qui démontrerait un état de santé mentale satisfaisant.

Par ailleurs, ils rappellent que le placement sous curatelle n'emporte pas la preuve d'une insanité d'esprit, que cette éventuelle insanité doit être démontrée au moment de la rédaction de l'acte et que dès lors les moyens de preuve postérieurs à la date du 10 octobre rapportés par l'appelant ne sont pas pertinents.

Enfin, ils soulignent que conformément à l'arrêt de la Cour de cassation du 4 février 1941, le testament ne peut être annulé si l'appelant rapporte la preuve d'un trouble mental suffisamment grave pour avoir altéré le discernement et la volonté de [N] [FU] au moment de la rédaction de celui-ci.

Sur l'appréciation de la cour

C'est par des motifs pertinents et circonstanciés, adoptés par la cour, que le tribunal a considéré, en substance, que l'altération des facultés de [N] [FU] n'était pas d'une gravité suffisante pour affirmer qu'elle n'était pas saine d'esprit et ne pouvait pas valablement tester.

Il sera ajouté que les seuls documents médicaux produits sont ceux qui ont été établis à l'occasion de l'AVC et du placement sous curatelle de [N] [FU].

Or, l'insanité d'esprit ne doit pas être confondue avec l'altération des facultés mentales, cause d'ouverture d'une mesure de protection, même si, dans certaines circonstances, les deux notions peuvent se recouper.

L'insanité d'esprit peut se définir comme une affection mentale qui obnubile l'intelligence du disposant ou qui porte atteinte à sa faculté de discernement. Elle emporte l'incapacité pour le disposant de manifester une volonté lucide.

En l'espèce, il est indéniable que les facultés mentales de [N] [FU] étaient altérées du fait de l'AVC dont elle a été victime et de son âge avancé. Il relève également de l'évidence que, comme l'ont souligné les médecins, cette altération ne pouvait que s'aggraver au fil du temps compte tenu de l'âge de l'intéressée et de la nature de l'altération (démence sénile).

Il n'est toutefois pas établi par les éléments produits par l'appelant que cette altération ait été d'une gravité telle, au moment de la rédaction du testament litigieux, que l'on puisse considérer que [N] [FU] n'était pas en capacité d'exprimer librement et lucidement sa volonté, le tribunal ayant souligné avec pertinence la qualité de rédaction de l'acte critiqué.

M. [P] [FU] n'apporte à cet égard devant la cour aucun élément médical supplémentaire sérieux permettant de retenir que sa soeur souffrait de manière habituelle et permanente d'un trouble psychique obnubilant son intelligence ou sa faculté de discernement, ne lui permettant pas de manifester une volonté lucide.

Au contraire, outre les termes très clairs du testament contesté du 10 octobre 2010, la cour souligne que dans une lettre manuscrite adressée au juge des tutelles le 23 août 2010, [N] [FU] fait part au magistrat de son désarroi d'avoir été placée en maison de retraite et sous mesure de protection.

La rédaction de cette lettre, dont l'écriture n'est pas altérée et qui est parfaitement compréhensible et motivée, à peine deux mois avant la rédaction du testament litigieux, démontre que [N] [FU] s'était bien remise de son AVC, et pas seulement sur le plan physique, et rien ne démontre qu'en seulement deux mois son état se serait dégradé à tel point que l'altération des facultés l'aurait privée de discernement et empêchée de disposer avec toute la lucidité nécessaire de son patrimoine en octobre 2010.

Du reste, pour preuve que la dégradation de l'état mental de [N] [FU] a été très progressive, la cour retient que la mesure de curatelle n'a été transformée en mesure de tutelle que trois ans plus tard, en avril 2014.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a estimé que l'insanité d'esprit de [N] [FU], au moment de la rédaction du testament du 10 octobre 2010, n'était pas établie.

Sur les conséquences de la validité du testament du 10 octobre 2010

Le tribunal a estimé, au visa de l'article 1036 du code civil, que compte tenu des motifs indiqués, le testament du 10 octobre 2010 avait non seulement révoqué celui du 16 février 2008, mais, également celui du 22 avril 2008 en ce qu'il désignait M. [P] [FU] en qualité de légataire universel.

Moyens des parties

M. [P] [FU] reproche au tribunal d'avoir dénaturé le testament litigieux du 10 octobre 2010 en lui donnant une portée qu'il n'avait pas.

Il affirme que le testament du 16 février 2008 ayant déjà été révoqué, le testament du 10 octobre 2010 est en réalité sans objet.

Les intimés soutiennent que la contradiction du dernier testament avec les précédents s'explique par la trahison ressentie par la testatrice envers son frère après que celui-ci a entrepris des démarches auprès du juge des tutelles sans qu'elle et sa famille ne soient prévenues ou entendues.

Pour faire valoir la nullité du testament en date du 22 avril 2008, les intimées invoquent l'article 1036 du code civil et soulignent que la volonté de [N] [FU] étant de supprimer l'institution de légataire universel de M. [P] [FU], les dispositions du testament du 22 avril 2008 sont incompatibles avec le testament annulé.

Appréciation de la cour

C'est par des motifs pertinents et suffisants, adoptés par la cour, que le tribunal a jugé que le testament olographe du 10 octobre 2010 est incompatible avec la partie du testament authentique du 22 avril 2008 relatif à la désignation de M. [P] [FU] en qualité de légataire universel de [N] [FU].

Il est rappelé en effet qu'en application de l'article 1036 du code civil, ' Les testaments postérieurs qui ne révoqueront pas d'une manière expresse les précédents, n'annuleront dans ceux-ci que celles des dispositions qui y sont contenues qui se trouveront incompatibles avec les nouvelles ou qui seront contraires '.

Dans le testament du 10 octobre 2010, [N] [FU] explique très clairement pourquoi elle révoque celui du 16 février 2008, à savoir la trahison ressentie de la part de son frère.

Il ressort clairement de la rédaction de l'acte que du fait de l'intervention de son frère pour la faire placer sous un régime de protection, elle ne souhaitait plus que son frère soit son légataire universel.

Le testament du 22 avril 2008, qui contient comme disposition principale l'institution de l'appelant en tant que légataire universel est donc indiscutablement incompatible avec les dernières volontés de [N] [FU].

Le tribunal n'a donc en aucune façon dénaturé le testament du 10 octobre 2008 mais seulement appliqué la règle de droit issue de l'article 1036 du code civil.

Le jugement sera ainsi confirmé en ce qu'il a dit que le testament olographe du 10 octobre 2010 a révoqué expressément le testament olographe du 16 février 2008 et est incompatible avec la partie du testament authentique du 22 avril 2008 relatif à la désignation de M. [P] [FU] en qualité de légataire universel de [N] [FU].

Compte tenu du décès de [G] [FU] en cours de procédure, le jugement doit être infirmé comme suit quant à la dévolution successorale :

1/5ème à son frère [P] [FU],

1/5ème à sa belle-s'ur [V] [Z] veuve [FU], ès qualités d'héritière de [T] [FU],

1/5ème à son frère [X] [FU],

1/5ème à Mme [NL], venant par représentation de [G] [FU], venant lui-même par représentation de la s'ur de la défunte - [Y] [FU] - pré-décédée,

1/30ème à chacun de ses six neveux [C], [S], [GV], [I], [M] et [O] [R], venant par représentation de la s'ur de la défunte, [V] [R], pré-décédée,

Sur les demandes accessoires

Le sens du présent arrêt commande de confirmer les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.

M. [P] [FU] sera condamné aux dépens de la procédure d'appel, qui pourront être recouvrés directement en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Il sera en outre condamné à payer à Mme [V] [Z], M. [C] [R], M. [S] [R] et Mme [L] [E] [NL] veuve [FU] la somme globale de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par défaut et par arrêt mis à disposition,

DONNE acte à Mme [NL] de son intervention volontaire en qualité d'héritière de [G] [FU] ;

INFIRME le jugement quant à la dévolution successorale ;

Le CONFIRME pour le surplus,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

DIT que la dévolution successorale s'établit comme suit :

1/5ème à son frère [P] [FU],

1/5ème à sa belle-s'ur [V] [Z] veuve [FU], ès qualités d'héritière de [T] [FU],

1/5ème à son frère [X] [FU],

1/5ème à Mme [NL], venant par représentation de [G] [FU], venant lui-même par représentation de la s'ur de la défunte [Y] [FU] pré-décédée,

1/30ème à chacun de ses six neveux [C], [S], [GV], [I], [M] et [O] [R], venant par représentation de la s'ur de la défunte, [V] [R], pré-décédée,

CONDAMNE M. [P] [FU] aux dépens de la procédure d'appel ;

DIT que qu'ils pourront être recouvrés directement en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

CONDAMNE M. [P] [FU] à payer à Mme [V] [Z], M. [C] [R], M. [S] [R] et Mme [L] [E] [NL] veuve [FU] la somme globale de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

REJETTE toute autre demande.

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Anna MANES, présidente, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 1re chambre 1re section
Numéro d'arrêt : 21/03587
Date de la décision : 11/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-11;21.03587 ?
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